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A l'aube du pouvoir (T.1) de Raishini



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Informations

» Auteur : Raishini - Voir le profil
» Créé le 19/05/2012 à 18:22
» Dernière mise à jour le 16/11/2013 à 14:42

» Mots-clés :   Fantastique   Hoenn   Présence de poké-humains   Sinnoh

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Chapitre 3 : Introspection et hésitation
La pluie tombait drue et glacée, charriée par des bourrasques tempétueuses. Zébré de temps à autre par un éclair doré, le ciel s'était mué en une masse compacte d'un gris presque noir. Tel un sinistre gouffre ondoyant au gré du vent, il paraissait vouloir happer le monde terrestre de ses bras fantomatiques.

Plié sous le fracas de l'intempérie, un groupe de cinq adolescents courut se réfugier dans un bâtiment proche. Un bâtiment blanc au toit orangé, typique des Centre Pokémon. Lorsqu'ils rentrèrent, le sol immaculé se constella immédiatement de flaques d'eau, ruisselants comme ils l'étaient.

Refermant d'un geste vigoureux la porte d'entrée, l'un d'entre eux s'ébroua comme un chien, secouant la crinière de cheveux noirs en bataille qui masquait à demi son long visage. Dans un même temps, un autre adolescent, les cheveux roux et courts, le visage juvénile mais témoignant d'une certaine intelligence, se répandait en excuses auprès de l'infirmière Joëlle qui accourait avec une serpillière. Avant même qu'elle ait pu formuler le moindre reproche, ce dernier lui avait pris le balai et s'attelait à éponger le sol. Il effectua sa besogne sous le regard méprisant du troisième garçon du groupe. Celui-ci fit remarquer à voix haute, tout en secouant sa longue chevelure au blond pur, qu'il aurait peut-être mieux fait de se reconvertir dans le domaine ménager. Ce à quoi le rouquin répliqua d'un ton acerbe.

Il fut heureusement stoppé dans son élan de grossièreté par une des filles qui les accompagnaient. Avec son air de franche bonté et son visage angélique - aux yeux d'un bleu pervenche fascinant -, elle eut tôt fait de rétablir l'ordre entre les deux adolescents. Quant à la seconde fille, elle se contenta de scruter le plafond d'un air méditatif, faisant doucement cliqueter les larges anneaux pendant à ses oreilles. Ses cheveux d'un grenat surprenant tombaient en une masse informe et humide dans son dos, mais elle n'y prêtait pas attention. Assurément, il s'agissait là d'une insolite bande qui ne manqua pas d'attirer les regards, surpris comme indignés, des personnes déjà présentes dans le Centre.

Jérémie s'ébroua à nouveau. Dans ses yeux vert clair et brillants, une lueur amère passa. Ah, ce qu'il pouvait haïr, oui, haïr la pluie ! Depuis toujours elle l'enfermait dans un monde de pensées obscures, gouverné par des visions saisissantes de réalisme. L'une d'entre elle, tout particulièrement, était récurrente. Un véritable cauchemar où se mêlaient des ombres décharnées, des éclairs blancs et des cris angoissés...

Jérémie avait beau essayer de se convaincre que ce n'était qu'un mauvais rêve, il ne parvenait pas à se maîtriser chaque fois qu'il venait hanter son sommeil. C'était la même chose. Toujours. Le songe se déroulait devant ses yeux clos, tel un long film imprécis fonctionnant au ralenti... Puis il se réveillait en sursaut lorsqu'une longue plainte d'agonie résonnait brusquement à ses oreilles. Il était alors moite et tremblant comme s'il avait parcouru des kilomètres...

En soi, ce n'était pas le pire. Des cauchemars effrayants, il en avait déjà fait un nombre incalculable. Non, la raison pour laquelle cette vision lui serrait le cœur et l'emplissait d'amertume était toute autre. Elle résidait dans la sensation de déjà-vu que ce songe lui procurait. Si étrange que cela paraisse, Jérémie faisait immédiatement le lien avec quelque chose qu'il avait connu mais dont il n'arrivait plus à se souvenir. Et probablement était-ce là le plus terrifiant dans toute cette histoire.

D'ordinaire, il ne faisait ce cauchemar que très rarement. Néanmoins, ces derniers temps il était venu perturber ses nuits bien plus souvent qu'à l'accoutumée. D'un autre côté, avec tout ce qu'il avait vécu depuis ces derniers mois, peut-être n'était-ce pas si étonnant que cela...

La mine morose, il scruta le vaste hall d'entrée du Centre. Manifestement les gens, rassemblés avec un air festif autour des tables, étaient à mille lieux d'éprouver son trouble. Leurs sourires joyeux, leurs visages animés, les bribes enthousiastes de leurs conversations et surtout leurs éclats de rires... Tout cela élevait en Jérémie une jalousie sans précédent. Il les enviait, les admirait même. Détachés de tous les problèmes, faisant abstraction du quotidien ennuyeux, ils s'épanouissaient. Que n'aurait-il pas donné, lui, pour discuter joyeusement entre amis autour d'un bon repas ? Lavé de tout soucis et naïf, il l'était. Du moins en son temps. A présent les choses étaient différentes. Bien différentes.

- Hé, si on allait s'asseoir ? proposa-t-il en avisant ses compagnons. J'ai une de ces faims moi !

- Je suis bien de ton avis ! approuva l'adolescent roux, son visage constellé de taches de rousseur s'agitant sous l'effet de l'excitation.

Après un échange de regards tacites, le groupe rejoignit une table logée au fond du Centre. Au moment où un dénommé « Vasyl » était appelé à l'accueil, le jeune homme blond à l'air méprisant sous son regard arrogant et son nez en pointe reprit :

- Cyril, envoie les chips !

Les iris au vert profond du blond vrillèrent ceux, d'un bleu océanique, du roux. Le dénommé Cyril haussa un sourcil, l'air grincheux.

- Non mais, messire Ratchet s'entendrait-il ? ironisa celui-ci en le toisant plus intensément encore. Ce n'est pas parce qu'on te sert tout sur un plateau d'argent là d'où tu viens qu'il faut croire que je vais faire la même chose !

Le peu de couleur qui demeurait sur le visage au teint pâle de Ratchet s'effaça. Il ajouta, le ton goguenard :

- Ah, c'est vrai, le mot magique s'utilise entre gens civilisés. Excuse-moi si je n'ai pas remarqué à quel citoyen modèle j'avais affaire. Donc... envoie-moi les chips, s'il te plaît.

Cyril grimaça étrangement, comme partagé entre deux de ses principes. Après quelques secondes d'un long combat intérieur, il sortit de son sac un paquet de chips et le fourra sans ménagement dans la main tendue de Ratchet.

- Je te jure, si on avait pas besoin de toi... maugréa-t-il, l'œil gauche agité d'un tic.

- Tu quoi ? acheva Ratchet, le ton à la fois sarcastique et chargé de menace.

- Écoute, je sais qu'entre Ratchet et nous, ce n'est pas la grande amitié, intervint Jérémie à l'attention de Cyril. Mais la situation actuelle ne nous permet pas de faire les difficiles. Et toute aide sera donc la bienvenue. N'oublie pas que, sans son aide, nous ne serions peut-être plus là pour en parler. Alors fais un effort, par pitié ! Je ne te demande pas de l'apprécier, mais juste d'être capable de travailler intelligemment avec lui, O.K ?

- Je ne suis pas souvent d'accord avec Jérémie, mais pour une fois je l'approuve, confirma Ratchet avec une lueur de défi dans le regard. Moi non plus je ne vous accompagne pas pour le plaisir.

L'espace d'un instant, Cyril parut sur le point de protester et leva l'index, ouvrant et fermant la bouche plusieurs fois. Finalement, il se ravisa et acquiesça d'un air contrarié mais résigné. Passablement mécontent, il fouilla dans son sac et en retira quatre autres paquets de chips qu'il entreprit de distribuer à chacun de ses camarades.

Jérémie était reconnaissant envers Cyril de se contenir malgré l'antipathie féroce qui l'opposait à Ratchet. Et pourtant, ce n'était pas chose facile. Ratchet était d'un naturel vantard et condescendant, une manie probablement acquise du fait de son ancien cadre de vie. A ce qu'il savait, Ratchet était issu d'une riche dynastie qui considérait tous les autres comme inférieurs. D'ailleurs, sa première rencontre avec lui avait bien failli se terminer en pugilat. Par conséquent, il ne comprenait que trop bien la réaction de son ami Cyril.

- On rebart guand ? demanda celui-ci, la bouche pleine de chips.

- Très bientôt, assura Jérémie en lui jetant un coup d'œil amusé. Lorsque la pluie sera passée.

La patience n'avait jamais été le point fort de Cyril et Jérémie avait toujours trouvé cela comique, pour sa part. Il fit jouer la chaîne de son médaillon familial porté en sautoir, perdu dans une vague de souvenirs...

- Ça ne va pas ? l'interrogea soudainement la jeune fille au visage angélique, dégageant une mèche de cheveux qui lui barrait le front. Ne me dis pas... que tu repenses à ta famille ?

Son regard d'azur s'était porté avec compassion sur le saphir ornant son médaillon. Jérémie savait qu'elle devinait. Devinait son trouble le plus intime, le plus profond. Tout simplement parce que c'était Mathilde Tarabelli, sa première et seule amie jusqu'à l'âge de huit ans.

- Ne t'inquiètes pas pour moi, je réfléchis juste un peu, assura Jérémie en voulant se donner un air moins tendu.

Mathilde n'insista pas, mais il sentait encore peser sur lui son regard inquisiteur. Mentir à sa meilleure amie était d'autant plus difficile qu'ils se connaissaient mutuellement comme le fond de leur poche. Elle savait qu'il se mettait à réfléchir dès que quelque chose le tracassait. Lui savait qu'elle possédait cette sorte d'empathie, si rare aujourd'hui, et que par conséquent elle ressentait son désarroi. Mais hors de question de lui faire partager les appréhensions qui étaient les siennes. Une seule d'entre elles aurait suffi à rendre morose le plus joyeux des lurons et il ne le savait que trop bien.

Lui, Jérémie Marchal, fils du très célèbre Hélia Marchal, était un invétéré pessimiste et un éternel inquiet. Oui, cela il le reconnaissait volontiers. Mais honnêtement, pouvait-il s'en vouloir ? Tout au long d'une existence ponctuée de coups du sort tragiques, il avait observé le monde qui l'entourait. De fil en aiguille, il avait compris. Compris que ce monde était instable, dangereux.

Était-ce pour fuir cette vie misérable que son père s'était éloigné de sa famille, ne revenant au foyer qu'en de rares occasions ? Voulait-il vraiment leur faire croire que sa fonction toute récente l'occupait tellement que ça ? L'occupait au point de ne lui laisser aucun temps à consacrer à ceux qu'il aimait, du moins prétendument ? Auparavant, il avait toujours été là, partageant moments complices et joie avec son fils chéri.

C'était la belle époque, assurément. Mais Jérémie n'était plus le petit garçon de cinq ans fraîchement débarqué à Bourg-en-Vol. Non, il avait grandi. C'était à présent un jeune homme de presque quinze ans, plutôt athlétique et élancé du haut de ses un mètre soixante-dix-huit. Seule son étourderie légendaire le suivait toujours, comme une ombre de son passé. En effet, il était invariablement le premier à fauter. Que ce soit pour renverser un objet fragile, se prendre le pied dans un nid-de-poule ou même occulter toute une conversation en la passant à rêvasser. Toujours, il avait un don indiscutable pour se mettre seul dans l'embarras.

Paradoxalement, bien qu'un peu frêle et étourdi, il était quelqu'un d'adroit. Du moins lorsqu'il se donnait la peine de fixer son attention précisément sur quelque chose, -chose plutôt rare. Initié très tôt aux arts martiaux par son père, il avait fait montre d'un talent indéniable, lequel avait d'ailleurs brillé plusieurs fois depuis qu'il avait commencé son voyage initiatique en compagnie de Mathilde et Cyril. Et pourtant... Oui, et pourtant, il détestait tout ce qui avait trait à la violence. Les cris, les coups, la douleur, les insultes, les blessures... Tout cela lui hérissait le poil. Mais étant donné les circonstances actuelles, c'était un mal pour un bien. Inévitablement, il devait surmonter son dégoût et faire usage de ce talent pour protéger ceux qu'il aimait. Attaquer pour défendre, rien de plus, rien de moins.

- Ariane, tu ne manges pas ? remarqua soudainement Cyril, scrutant le dos de la jeune fille aux cheveux grenat.

Encore plus absorbée en apparence que Jérémie, la dénommée Ariane détaillait fixement le plafond, le visage posé en équilibre sur le dos de sa main. A vrai dire, Jérémie ne la connaissait pas plus que cela. Tout ce qu'il savait d'elle se résumait à ce que Cyril en avait dit, tellement elle était taciturne et détachée. Son visage en amande, ses yeux jaune-orangé et sa moue typique... Tout paraissait inflexible en elle.

- Non, ça va, je n'ai pas faim pour le moment, se contenta de répondre Ariane, presque avec dédain.

Jérémie soupira tandis que Cyril subissait une énième remarque ironique de Ratchet. Tentant de couvrir, mentalement tout du moins, les échanges furieux des deux garçons, ses pensées convergèrent à nouveau vers son père. Il ne le haïssait pas, loin de là. Au contraire, il admirait l'homme charismatique et fort qu'il était devenu. Non, ce qui le gênait vraiment chez lui, c'était sa fâcheuse habitude à préférer ses obligations à sa famille, son côté solitaire et mystérieux.

Hélia s'était tissé un cocon dans lequel il conservait bien à l'abri ses secrets les plus inavouables. Jamais il ne s'était confié à quiconque, pas même à sa femme, Agnès. En dépit de l'amour inconditionnel qu'il lui témoignait à chacun de ses passages en coup-de-vent, il ne l'avait pas jugée assez digne pour lui révéler la vérité. La lui révéler enfin... et mettre un terme à ce malaise qui habitait le cœur des Marchal.

- Tu sais ce qu'il te dit, l'empoté qui mange comme un porc ?

- Ah ouais, et il me dit quoi, que je rigole un bon coup ?

- Que t'es qu'un snobinard crâneur et prétentieux ! N'est-ce pas, mossieur Ratchet Ezan ?

Flottant en lui comme des scènes incomplètes, des bribes de souvenirs assaillirent Jérémie par vagues successives. Cela faisait deux mois et demi déjà qu'il avait reçu Poussifeu, son premier Pokémon. Cela faisait deux mois et demi déjà... qu'il avait commencé son voyage initiatique tant désiré. Et depuis, ses attentes n'avaient cessées d'être déçues. Tout ne s'était pas déroulé aussi bien qu'il l'aurait espéré. Certes, il avait connu la joie d'être dresseur, d'élever des Pokémon et de relever des défis. D'une certaine manière, ce commencement aurait été bien beau... si seulement son périple s'était cantonné à cela.

- En tout cas, moi au moins je connais des personnes qui me respectent !

- Mon dieu, quelle répartie ! Il faut donc que tu les paies pour que les gens te respectent ? Ça expliquerait bien des choses...

- Pour parler de répartie, encore faudrait-il en avoir !

Alternant son regard entre Cyril et Ratchet, Jérémie soupira derechef, quelque peu désabusé. A la rigueur, toutes ces mésaventures auraient pu être supportables si elle n'avait pas pointé le bout de son nez en cours de route. Elle, dangereuse et maléfique. Elle, imprévisible et déterminée. Elle... la Team Sidera.

Pokémon #384