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Le Phénix d'Argent de Yûn



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» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 13/04/2012 à 11:02
» Dernière mise à jour le 14/06/2014 à 10:26

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Action   Suspense

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Chapitre 7. Aboutissement Améthyste
La porte subtilement sculptée vola en éclats, soufflée par une force inouïe qui alla jusqu'à arracher une partie du mur. Heureusement, Takibi avait eu le réflexe de protéger la jeune violoniste en l'encerclant de ses ailes gantées de fer. Ses yeux maquillés et plissés étaient fixés sur l'ouverture béante, scrutant la chose à l'origine de ce formidable souffle. Il semblait se préparer à un combat inévitable.

Enfin il écarta légèrement ses membres aux plumes d'ocre et de sang, les maintenant tout de même à une distance raisonnable pour les rabattre si une offensive soudaine cherchait à atteindre Sibylle. La jeune fille regarda timidement vers la source de l'attaque. Son être entier fut parcouru d'un intense frisson de terreur lorsque ses yeux olive rencontrèrent ceux d'ambre de la créature devant eux, emplis d'une haine incommensurable qui, elle le devinait, ne se dissiperait que dans un bain de sang. Son plumage lisse d'argent était gonflé, rendant cet immense corps longiligne encore plus impressionnant. Son immense queue battait furieusement l'air ambiant. Ses rares plumes d'encre étaient hérissées, tandis que son bec massif entrouvert, loin de la délicatesse de celui du Maître du Jour, laissait s'échapper un râle menaçant.
Artémis toisait de toute sa hauteur la protégée de son illustre opposé, apparemment indécise. Takibi lui adressa un sifflement strident, bien campé sur ses serres robustes, se redressant de toute sa hauteur et déployant ses ailes en un éventail flamboyant. S'il paraissait impressionnant, il n'avait nullement l'intention d'attaquer l'incarnation de la Lune. Ce n'était qu'une manœuvre d'intimidation, dans le but de la dissuader de s'en prendre à la jeune humaine qu'il avait accompagnée.

En vain.

L'ire de l'oiseau d'argent avait été enchaînée depuis bien trop longtemps pour qu'elle puisse l'ignorer. Un nouvel excès de rage s'empara d'elle, qu'elle manifesta par un beuglement sourd et puissant. Elle défonça le reste du mur entourant l'ouverture qu'elle avait créée d'un coup de ses ailes peu gracieuses, afin de disposer de davantage d'espace pour pénétrer dans la pièce où semblait se trouver l'origine de sa fureur. Une sphère glacée naquit du fond de sa gorge, d'où partit un rayon gelé qui visait clairement le phénix à l'ardent plumage. Ce dernier n'en subit aucun dommage. Il avait en effet recouvert son habit flamboyant en engendrant les flammes dont il était le maître. La chaleur qu'elles dégageaient était bien trop importante pour être inquiétées par cette attaque polaire. Takibi n'enchaîna que d'un nouvel avertissement sonore, qui ne fit qu'alimenter encore la folie meurtrière qui s'était emparée de la Lune. Celle-ci répliqua d'un geyser bouillonnant. L'oiseau aux couleurs du couchant n'eut d'autre choix que d'entrer pleinement dans la bataille. En poussant un autre sifflement aigu, il rabattit ses ailes gantées de fer flamboyant pour s'en servir de bouclier contre cet élément qui le blessait. L'eau agressive percuta avec force le métal recouvrant ses plumes mais ne l'atteignit pas. Le Maître du Jour bondit alors sur la Reine nocturne, les milles épées ardentes de son corps ratant de peu son flanc d'azur. L'oiseau des abysses se recula aussitôt pour revenir à la charge, son bec massif tentant de se refermer sur le cou gracile du phénix, malgré l'enveloppe enflammée dont il s'était habillé.

Sibylle assistait à ce combat de géants, impuissante. Suite au jet d'eau surpuissant lancé par Artémis, l'oiseau manipulateur des flammes l'avait écartée d'un vif coup d'aile, afin de ne pas la mêler à l'affrontement. C'était également pour cela qu'il s'était jeté sur son antagoniste, alors que le corps à corps était loin d'être son point fort. Afin d'éviter qu'une des capacités de l'oiseau aux plumes d'encre et d'argent ne l'atteigne, par manque de précision ou tout simplement parce qu'il en avait dévié la trajectoire.

Peine perdue.

Après s'être une nouvelle fois écartée de son adversaire, Artémis invoqua des forces venues d'un autre âge. Le sol et les murs tremblèrent. Soudain, d'innombrables rochers surgirent de nulle part, ne se souciant guère des instruments qu'ils écrasaient sous leur poids. Tout était bon pour heurter le Roi diurne à la traîne d'argent. Mais l'un d'eux apparut juste au-dessus d'elle ! Et Takibi, de toute façon trop loin pour réagir, n'avait rien vu car de dos à la scène... ! Elle allait se faire tuer !
Elle poussa un cri aigu de peur, les mains devant le visage pour se protéger inutilement de la masse qui n'allait pas tarder à la broyer.

Mais ni la douleur ni le choc ne vinrent. Elle sentit quelque chose lui attraper le bras et la tirer de la trajectoire du corps minéral qui se fracassa au sol. La jeune violoniste releva craintivement la tête, encore tétanisée et tremblante.
C'était Orphée.

A quel moment avait-il repris connaissance, elle n'en savait rien. En tout cas, il lui avait sauvé la vie en la tirant sous le piano à queue en-dessous duquel il s'était abrité. Ses bras crispés lui enserraient le corps. Apparemment, il avait aussi peur qu'elle. Il parut soulagé de voir qu'elle n'avait rien. Il reporta son attention sur les deux êtres divins qui s'affrontaient à quelques mètres d'eux. Sibylle remarqua que ses iris avaient repris leur teinte habituelle, bien qu'empreints d'inquiétude.


- Artémis est trop occupée par Apollon pour qu'elle fasse attention à nous. Nous ferions mieux de profiter de cette occasion pour fuir, et vite !

Elle ne se le fit pas répéter, surtout lorsqu'une flamme aux reflets d'azur atteignit malencontreusement leur abri de fortune. Ils coururent jusqu'à l'ouverture béante engendrée par l'incarnation de la Lune, heureusement assez proche d'eux. Artémis ne sembla pas les voir, trop absorbée par le phénix flamboyant.

Une fois dans le couloir, Sibylle se dirigea instinctivement vers le spacieux salon.


- Surtout pas ! S'écria le maître des lieux en la retenant par l'épaule. Erato brisée, son charme s'est dissipé ! Vous avez vu dans quel état se trouve Artémis. Cela doit certainement être pareil pour les autres !

C'était véritablement la première fois qu'elle le voyait avec un visage aussi grave et sérieux. Cela paraissait presque surnaturel, avec l'expression joviale qu'il avait l'habitude d'afficher...

- Son... Son charme ?
- Je vous expliquerai tout plus tard. Pour le moment, il faut quitter cet endroit... Et je sais comment ! Suivez-moi !

Sans lui demander son avis, il lui saisit la main et l'entraîna jusqu'à la porte menant au quai souterrain. Il l'ouvrit précipitamment et ils s'engagèrent sur l'escalier raide et glissant. Sibylle manqua plusieurs fois de tomber mais ils parvinrent enfin jusqu'au ponton où le yacht était amarré.

Alors qu'Orphée s'affairait à démarrer son bateau, une explosion retentit au-dessus d'eux, faisant trembler les roches de la cave. Quelques pierres se détachèrent et tombèrent dans l'eau. Le jeune homme serra les dents, peu rassuré par ce qu'il venait d'ouïr.
Enfin, le ronronnement du moteur se fit entendre. Orphée dirigea aussitôt leur moyen de transport vers le passage exigu. Les murs étroits éraflèrent la coque mais ils passèrent. Une fois sorti, le bateau fila vers le large.


- Heureusement qu'Artémis n'a pas encore déclenché tout son pouvoir. Si elle avait provoqué une tempête maintenant, nous nous serions fracassés contre la falaise...

Sibylle se retourna. La villa où elle avait résidé ces derniers jours n'était pas visible depuis la mer. Néanmoins, une épaisse fumée noire s'élevait de l'île, donnant une vague idée des dégâts et de l'état dans lequel devait désormais se trouver la demeure d'Orphée. Le ciel d'encre chargé était illuminé par moments de brèves lueurs de feu ou de glace, laissant tout juste deviner les ravages de l'affrontement titanesque s'y déroulant. Une rumeur enragée parvenait parfois jusqu'à ses oreilles, portée par un vent furieux.
La jeune violoniste reporta son attention sur son hôte. Il gardait les yeux fixés sur l'horizon devant lui, inquiet de mettre le plus de distance possible entre eux et sa demeure ravagée.


- Mais quel idiot j'ai été... Murmura-t-il. Vous voulez savoir ce qu'il s'est réellement passé avec Erato ? Je ne l'ai jamais possédée. Au contraire, c'est elle qui a pris possession de mon être. Dès l'instant où j'ai effleuré son corps, une partie de mon âme s'est trouvée emprisonnée dans la pierre formant sa tête d'oiseau. Je n'avais alors plus aucune liberté. C'est elle qui me dictait la moindre de mes actions, tout en me laissant croire que j'en étais le seul décideur. C'est elle qui m'a poussé à chercher ces Dieux pour les enchaîner à leur tour dans un bonheur fictif. Je pense que si Artémis agissait de façon si réservée, c'est parce qu'elle essayait de résister au chant maudit d'Erato. En vain... Et je suis aussi convaincu que la raison qui l'a poussée à s'en prendre à Apollon était de le prévenir, de vouloir lui éviter de connaître un pareil sort.
Mais maintenant qu'Erato n'agit plus, sa haine n'a plus rien qui la retient. Et puisque le charme s'est effacé d'une manière si soudaine, elle n'a pas pu faire la part des choses. Elle a été emportée par sa propre force, avec une seule envie : détruire celui qui l'a ainsi enchaînée.
- Je vous comprends, mais dans ce cas pourquoi s'en est-elle aussi prise à Takibi ?
- Comme je vous l'ai dit, il a été le seul à ne pas avoir succombé au chant d'Erato, grâce à elle. Mais en vous voyant venir avec lui, en voyant que vous veniez chez moi, qui l'aie emprisonnée, l'incompréhension a dû la gagner. Je lui ai permis de ne pas connaître le même sort que moi, et voilà qu'il vient se jeter dans la gueule du loup ! Voilà ce qu'elle a dû se dire, plus ou moins. Mais Apollon ignorait peut-être une partie de ce dont il avait été victime. Vous avez remarqué comme moi qu'il se montrait méfiant à mon égard. Ses souvenirs ont certainement disparu lors de sa renaissance, mais pas les impressions gardées en son for intérieur. En voyant Erato, il a certainement dû tout se remémorer, du moins qu'elle était dangereuse.
Quoiqu'il en soit, Artémis était certainement persuadée que le Soleil avait choisi mon camp en restant auprès d'une humaine et donc en se mettant à son service. Pour elle, avide de liberté, ce choix devait lui paraître insensé. Comment un Dieu pourrait-il préférer de vivre comme un animal de compagnie auprès d'un peuple qui leur est inférieur au lieu de parcourir son territoire sans contrainte ? Cette idée a dû lui être insupportable, et elle l'a alors considéré comme un ennemi, au même titre que moi. Sa haine l'a aveuglée et a entraîné le reste...

Un rire froid et grave s'empara d'Orphée, comme s'il se moquait de lui-même.

- Quand j'y pense, je trouve la situation ironique. Moi qui n'ai jamais possédé le moindre pokémon, car refusant d'aliéner une créature, voilà que je me suis retrouvé à asservir des Dieux...

Sibylle eut alors un drôle de pressentiment. Elle se retourna une nouvelle fois. L'île n'était plus qu'un point lointain qui brisait la linéarité de l'horizon. Mais nulle lueur ne l'éclairait plus. Le combat s'était-il achevé ? Cela voudrait-il dire qu'ils n'avaient plus rien à craindre... ?

Elle était sur le point de faire part de cette remarque au jeune homme... Quand elle aperçut trois points lumineux dans le ciel. Qui se rapprochaient. Lorsqu'ils furent à une distance suffisante pour qu'elle puisse les distinguer, elle blêmit. Ces trois créatures qui s'approchaient étaient à la fois semblables et distinctes. Belisama, Skaldi et Taranis. Les oiseaux élémentaires. Les messagers de la Lune.
C'est alors que les trois êtres divins se séparèrent. Taranis demeura sur sa trajectoire, tandis que Belisama et Skaldi prenaient chacun un itinéraire divergent. Peut-être cherchaient-ils tout simplement à rejoindre leur habitat ?

Mais elle renonça bien vite à cette hypothèse. Le vol des Dieux ailés n'était pas paisible. Leurs battements d'ailes soutenus ne correspondaient certainement pas à un vol destiné à un long voyage. Tout Dieux qu'ils fussent, leur comportement aérien était identique à ceux des oiseaux à la noblesse moins conséquente.

Elle avait vu juste.
Les serviteurs d'Artémis se rapprochaient du bateau sur lequel ils s'enfuyaient. Des éclairs d'or parcoururent le plumage d'ébène et de foudre de Taranis. Les flammes de Belisama se firent plus ardentes encore. Le bec entrouvert de Skaldi laissait voir une brume gelée qui atteignait des proportions conséquentes. Une terrible angoisse lui enserra le cœur. Ils allaient attaquer !


- Orphée !

Au moment où elle prononçait son nom, les oiseaux célestes libérèrent leur terrible puissance. Il était trop tard et de toute façon, l'étau dans lequel les prenaient les trois Dieux ne leur offrait aucune échappatoire, si ce n'était une vaine fuite en avant. L'ire de l'être d'orage fusa, prête à terrasser les fugitifs. Les flammes impétueuses s'abattirent dans le but de se repaître de l'embarcation. Un fin rayon glacé, dont l'élégance égalait celle dont faisait preuve l'oiseau des neiges éternelles, jaillit comme un serpent fourbe, prêt à éventrer la coque d'un iceberg tout juste créé.

Ils étaient perdus.

Soudain, un voile cristallin surgit de nulle part et enveloppa le yacht. Les attaques destructrices furent absorbées par l'écrin impalpable, qui les renvoya aussi sec à leur expéditeur. Les messagers de la Lune les évitèrent en poussant des cris stridents de fureur. Qui donc osait s'opposer à eux ?!
La réponse ne tarda pas. Trois fauves, venant de la même direction que les oiseaux élémentaires, rejoignirent l'inégale bataille. Tout en poursuivant leur course pour se maintenir à la hauteur de l'embarcation, Némée poussa un rugissement assourdissant, aussitôt repris d'un clair feulement par Loga et d'un grondement de tonnerre par Mèdès. Les bracelets de force du lion maître des volcans s'embrasèrent, recouvrant presque instantanément sa noble fourrure d'un feu passionné. La coiffe de cristal de l'incarnation du Vent du Nord s'illumina d'une délicate teinte bleutée, aussi limpide qu'une eau pure, lueur qui gagna également sa cape de nuages, l'ivoire de ses gracieux rubans et l'innocence des cristaux ornant ses fines pattes. L'orage sur le dos du tigre tonna, les rayures de sa fourrure isabelle se muant en éclairs agressifs qui zébrèrent son corps massif. Sans hésiter, les messagers du Soleil assaillirent ceux de la Reine nocturne.
Ils leur offraient leur protection, obéissant probablement à la volonté de Takibi de vouloir protéger la jeune fille. Orphée saisit cette chance : il poussa son yacht au maximum de sa vitesse pour s'extirper de ce dangereux combat.

L'affrontement était derrière eux depuis à peine quelques minutes. Les oiseaux élémentaires avaient préféré s'occuper des fauves, à leurs yeux bien plus redoutables. Sibylle se mit à penser qu'ils étaient enfin sortis d'affaire et poussa un soupir de soulagement.

Elle avait tort. Cela ne faisait que commencer.

Les nuages gris au-dessus d'eux s'assombrirent. Une pluie drue s'abattit sans aucun coup de semonce. Les vagues doublèrent de taille, poussées par un vent à la force décuplée, faisant violemment tanguer le yacht. Orphée abandonna son poste et donna un gilet de sauvetage à son invitée.


- Dépêchez-vous ! Elle arrive !

Elle ne se le fit pas répéter, sachant pertinemment que, si elle voulait avoir une chance de s'en sortir, elle devait lui faire confiance. Orphée reprit la barre, une fois vêtu lui aussi du même accessoire garant de survie dans un tel milieu. Néanmoins, son visage était clair : ils ne parviendraient pas à lui échapper. Ils ne faisaient que retarder l'inévitable.
La tempête prit des tournures d'ouragan. Artémis était là, toute proche. Mais Sibylle avait beau parcourir la voûte chargée des yeux, elle ne parvenait à voir le corps à l'habit d'argent et de gouttes d'encre de la Reine nocturne.

Elle se souvint alors de ce qu'Orphée lui avait dit. Certes, Artémis incarnait la Lune. Mais, si Takibi avait comme royaume les cieux, elle régnait sur...
La jeune violoniste abaissa précipitamment les yeux sur l'océan hostile, à la recherche d'une lueur d'argent qui trahirait la présence de la Déesse. Cependant, avec toutes ces vagues, difficile de distinguer quoi que ce soit, mis à part l'eau sombre pareille à une abîme sans fond.

L'offensive fut foudroyante. Comme ils auraient dû s'y attendre, elle vint du dessous, le point faible de leur embarcation. Une trombe gigantesque souleva le yacht tout entier. Quel spectacle que de voir une masse aussi importante emportée par des vents fabuleux, avec la même facilité déconcertante que s'il s'était agi d'un simple fétu de paille ! Les rafales déchaînées entraînaient dans leur danse infernale le bateau et ses passagers, sans qu'ils puissent s'en défaire. La tornade malmenait avec une sorte d'amusement malsain ses prisonniers, qui ne pouvaient se soustraire à son emprise, les privant de cette agréable sensation de flotter dans les airs qu'elle aurait pu leur procurer.
Soudain, la bourrasque se dissipa aussi brutalement qu'elle s'était formée. Ses captifs se virent brusquement libérés de toute contrainte, suspendus dans les airs. Mais la gravité reprit rapidement ses droits. Les deux humains retombèrent durement et d'une hauteur conséquente dans la mer démontée, aussitôt avalés par les vagues immenses. Bien heureusement pour eux, la trombe avait éloigné d'eux leur embarcation : le yacht, en rencontrant brutalement la surface de l'eau par la poupe, se brisa. L'eau s'engouffra bien vite dans les trouées, l'attirant lentement vers les fonds marins.

Sibylle inspira le plus d'air possible lorsqu'elle émergea, crachant aussitôt l'eau bien trop salée qu'elle avait avalée. Son gilet de sauvetage lui avait permis de ne pas connaître le même sort que le bateau. Avisant un débris, elle nagea jusqu'à lui, luttant de toutes ses forces contre les éléments, et s'y agrippa fermement. Elle toussa pour expulser de ses poumons les dernières gouttes qui y avaient pénétré. A ce moment-là, elle ne pensa qu'à une seule et unique chose. Elle était en vie, et c'était tout ce qui importait.

Son état d'esprit évolua bien vite. Un frisson glacé parcourut tout son être. Mais nullement causé par le froid humide qui l'entourait ni par le fait qu'elle soit trempée. Une sensation de terreur. Elle comprit rapidement ce qui en était la cause.

A quelques mètres d'elle, Artémis jaillit des flots, enroulée dans une tornade. Son plumage lisse miroitait encore plus qu'avant avec son voyage sous-marin. Elle écarta les ailes, balayant à la fois le vent tourbillonnant qu'elle avait invoqué et l'humidité de son corps. La Lune baissa son cou gracile. Ses yeux se posèrent sur le corps dérivant de la jeune violoniste. Sa haine n'était toujours pas apaisée.
La jeune fille se sentit alors arrachée de l'eau par une force inconnue qui la mena jusqu'à la hauteur du regard ambré et furieux de la souveraine des abysses. Son cœur battait à tout rompre. Elle essaya de se défaire de l'emprise psychique de la divinité. En vain. C'était comme si elle avait pris possession de son corps en lui accrochant d'invisibles fils de marionnettiste. Elle était son jouet. Le bec massif d'Artémis s'ouvrit, lui laissant tout le loisir d'assister à la formation d'une sphère dont le souffle glacé l'atteignait déjà...


- Artémis ! Arrête !

Surprise d'entendre cette voix haïe, la souveraine d'argent et d'encre cessa la préparation de son attaque meurtrière. Tout en maintenant son emprise sur la jeune fille, elle dirigea sa tête vers celui qui avait osé prononcer ces paroles.
Orphée était lui aussi accroché à un débris de son bateau, et en aussi mauvaise posture que son invitée.


- Elle n'y est pour rien dans toute cette histoire ! Tu le sais aussi bien que moi ! Si tu as vraiment besoin de te souiller d'un meurtre pour recouvrer ton calme légendaire... Prends ma vie et laisse-la partir !

L'incarnation de la Lune poussa un grondement hésitant. Ses yeux maquillés plissés, fixés sur celui qui l'avait emprisonnée, elle semblait considérer sa proposition.
Et prit finalement sa décision.

Se détournant complètement de sa première cible, se fichant éperdument de la hauteur depuis laquelle elle l'avait lâchée, Artémis se concentra sur son ancien tyran. Les mêmes fils invisibles l'amenèrent jusqu'à son niveau. Elle allait enfin pouvoir se venger, et mettre un terme à toute cette mascarade en remettant à sa place cet humain qui s'était cru plus fort que les Dieux.
Pourtant, quelque chose la troubla. Ni le visage ni l'esprit de ce jeune homme n'exprimaient la moindre peur devant elle. Elle n'y lisait que du regret... Mais également de la détermination ! Ah ! Ainsi, il pensait jouer les héros en se sacrifiant ? Il ne comprenait donc pas son infériorité ! Il allait payer cet affront ! Une mort banale n'était pas suffisante : elle allait faire en sorte que son âme meurtrie ne connaisse le repos avant des siècles !

La Lune tendit son long cou vers le ciel et ferma les yeux. Son bec entrouvert laissa échapper non pas un quelconque pouvoir... Mais une douce mélopée, grave et mélancolique, qui retentit étrangement malgré le vacarme des éléments. Aussitôt, obéissant aux ordres de la maîtresse des cyclones, les lourds nuages noirs s'écartèrent vivement, dévoilant le ciel d'encre perlé, mais surtout l'astre nocturne. Ce dernier trônait dans la voûte, regardant passivement le spectacle qui s'offrait à elle. Artémis s'éleva un peu plus dans les airs, de sorte qu'elle se trouvait désormais dans l'axe du corps céleste qu'elle incarnait et sa victime. L'argent de son plumage se mit à étinceler sous la lumière dispensée par la Reine nocturne. Soudain, des centaines de ses plumes quittèrent son corps et se mirent à virevolter autour d'elle. Une folle danse qui ne dura qu'un temps. En effet, elles stoppèrent leur ballet improvisé et dirigèrent leur pointe acérée vers Orphée. Une aveuglante et instable lumière émana d'elles, rendant la scène impossible à soutenir du regard pour une trop longue durée.

Artémis poussa un cri déchirant. Les plumes, muées en flèches de lumière et de vent, se ruèrent sur le jeune homme à leur merci, prêtes à le déchirer de l'extérieur comme de l'intérieur.

Elles n'en eurent pas le loisir.

Une masse d'ocre enflammée fondit sur lui et l'encercla de ses ailes devenues flammes ardentes, présentant son dos aux lames acérées de la Lune. Cependant, leur puissance fut telle que certaines d'entre elles parvinrent à franchir la barrière de son corps pour atteindre leur cible d'origine, non sans lui causer d'horribles plaies.

En voyant la scène, impuissante, Sibylle faillit lâcher la planche à laquelle elle s'agrippait. Sa bouche s'ouvrit, mais ne put laisser s'échapper ce désespoir qui la submergea.

Non, ce n'était pas possible !

Ses yeux abasourdis ne pouvaient se détacher du corps meurtri de celui qu'elle avait élevé durant tout ce temps.

Non, ce n'était pas possible...

Les flammes se firent de plus en plus faibles et disparurent après un dernier sursaut, redevenant les mille plumes fabuleuses du Roi diurne. Son sublime habit de seigneur était souillé d'un sombre sang rouge, qui coulait pitoyablement sur l'ocre ardent et la neige immaculée de son corps. Quelques gouttes finirent leur course sur sa traîne d'argent, aux plumes infinies.

Non... Ce n'était pas...

Takibi posa l'or fin de ses yeux sur sa jeune amie. Ses iris furent bientôt troublés de larmes de sang. Mais aucun regret ne s'y lisait. Uniquement du soulagement. Et de la reconnaissance.
Un filet sanglant commençait également à s'échapper de son bec délicatement ouvragé quand l'oiseau aux couleurs du couchant lança au ciel une antique et solennelle prière. Quelques notes, seulement, mais dont l'harmonie frôlait la perfection. C'était son chant du cygne. Son ultime cadeau au monde.
Alors que la dernière note se prolongeait interminablement, le Soleil s'embrasa. Néanmoins, les flammes n'étaient pas comme d'habitude. C'était quelque chose d'incontrôlable, sur laquelle même ce Dieu solaire n'avait aucune prise. Une combustion sauvage qui, lorsqu'elle cessa, ne laissa de la splendide créature qu'un amas de braises ardentes qui laissait encore deviner sa silhouette. Lorsqu'elles s'éteignirent, la masse d'un gris sale se morcela en cendres, que le vent belliqueux se chargea d'emporter.

L'oiseau au plumage singulier, le phénix flamboyant, Dieu du Soleil et Maître du Jour avait disparu. Takibi n'était plus.

Et malgré cela, cette effroyable vérité ne semblait pas perturber la Lune le moins du monde. Au contraire, elle semblait même méprisante devant le sacrifice du Soleil ! Il avait passé trop de temps en la compagnie des Hommes, au point de se prendre d'affection et de pitié pour eux. Chose stupide pour un Dieu. Cette vermine ne méritait pas que l'on meure pour eux, aussi généreux se fussent-ils montrés. Peut-être était-ce dû au manque de maturité de ce corps-ci, mais il avait fait preuve d'un flagrant manque de clairvoyance. Enfin, tant pis pour lui.

La souveraine des abysses reporta son attention sur l'être que le Soleil avait tenté de protéger. Orphée, les yeux clos et la tête baissée, était suspendu misérablement dans les airs par l'esprit inébranlable de la Lune. Sa chemise était tâchée de sang sur une grande partie. Certaines des flèches meurtrières l'avaient tout de même atteint, en dépit de la protection que le Dieu lui avait offerte. Il n'était pas encore mort mais ce n'était plus qu'une question de temps. Elle n'avait plus rien à faire avec lui.
Les fils invisibles d'Artémis jetèrent au loin le jeune homme grandement blessé. Elle ne daigna même pas savoir s'il atterrissait dans l'eau ou se fracassait contre une côte lointaine. Elle ne regarda pas non plus l'humaine qui avait accompagné son illustre opposé. Elle n'avait qu'une hâte : regagner son obscur royaume, où personne ne viendrait plus la déranger avant longtemps.



***
La tempête se calma quelques minutes après que l'oiseau d'argent se soit enfoncé entre les vagues. Mais Sibylle, toujours accrochée à ce débris salvateur, s'en fichait. Une seule chose résonnait dans son esprit. Une phrase. Trois mots.

Il est mort. Takibi est mort.

Elle n'aurait su dire combien de temps elle dériva ainsi, sans forces car épuisée aussi bien physiquement que mentalement. Ce n'est que lorsqu'elle perçut un grondement à côté d'elle qu'elle tourna légèrement la tête. Némée, le messager ardent du Soleil, se tenait immobile sur l'eau. Il la regardait intensément. Venait-il pour la tuer, elle aussi ? Bah, après tout, peu importait.
Le seigneur des volcans ne fit rien de tel. Bien au contraire. Il se baissa et saisit avec délicatesse le corps épuisée de la jeune violoniste. Il la jucha sur son dos, entre les cristaux délimitant sa traîne de nuages, s'assurant qu'elle ne tombe pas. Il s'élança alors sur l'Océan, ses pattes puissantes effleurant à peine les vagues.



***
Le noble lion courut inlassablement pendant des heures. Ce ne fut que lorsque l'aube pointa qu'il diminua ses foulées, jusqu'à s'arrêter. Sibylle releva péniblement la tête. Une plage bordée de falaises. Il lui fallut quelques secondes pour reconnaître l'endroit. Némée l'avait ramenée à Mérouville. La métropole n'était qu'à une centaine de mètres.
La jeune fille glissa doucement du dos de la divinité des volcans. Ses jambes tremblaient, mais elle pouvait encore marcher. Satisfait, Némée s'apprêta à repartir. Il ne se retint qu'en sentant la main de la protégée du Soleil exercer une faible pression sur son épaule. Il planta alors son regard de braise dans le sien.


- Je... S'il te plaît... Sauve-le, lui aussi... Il... Il n'a pas mérité ça...

Mais, devant son stoïcisme, Sibylle comprit qu'il n'en ferait pas plus. Elle comprit que, en tant que serviteur du Soleil, le lion avait respecté la dernière volonté de son maître. La protéger à tout prix, faire en sorte qu'elle sorte saine et sauve de ce combat auquel elle n'aurait jamais dû prendre part. En revanche, maintenant qu'il avait accompli sa tâche, rien ne l'obligeait ni à rester auprès d'elle, ni même à lui obéir. Feu le phénix flamboyant n'avait pas non plus donné la moindre indication concernant l'homme dont il s'était toujours méfié. Et il n'allait certainement pas venir en aide de lui-même à l'être qui était parvenu à le constituer prisonnier.

Sans exprimer la moindre émotion, Némée se détourna de la jeune violoniste. En quelques bonds il était déjà loin, vers le large, à reprendre son incessante course.



***
Retourner à l'Ecole fut une épreuve effroyable. Elle fut lourdement sanctionnée quant à son absence imprévue. Il fallait dire qu'elle avait fait sensation lorsqu'elle était rentrée trempée, un gilet de sauvetage dégonflé par-dessus une robe de soirée déchirée par endroits. Le directeur ne cessa de lui poser des questions, lui criant presque dessus à chaque fois, quand ce n'était pas le psychologue qui la prenait clairement pour une folle. En vain. Elle était bien trop sous le choc pour parler. Et puis d'abord, pour leur dire quoi ? Que, pendant deux semaines, elle avait vécu avec un homme qui avait rassemblé des Dieux à ses côtés ? Qu'à cause d'une lyre maudite elle avait assisté à un affrontement proscrit ? Que la Lune elle-même avait failli la tuer ? Qu'elle avait assisté à la mort du Soleil, celui-là-même avec qui elle avait participé au concours ? Comment auraient-ils pu la croire, la comprendre ?
Sibylle se retrouva assignée à sa chambre pendant trois mois, sans pouvoir sortir autrement que lors de la période des cours et pendant les repas. Comme si cela ne suffisait déjà pas assez, les pires rumeurs coururent sur elle. Les railleries et les brimades, déjà bien présentes auparavant, se firent constantes. Et personne, pas même les professeurs, ne semblait prêt à l'aider. Elle n'avait aucun allié pour la protéger. Plus personne avec qui partager son malheur. Si elle gardait la face pendant la journée, dès qu'elle se retrouvait seule dans sa chambre, elle pleurait toutes les larmes de son corps.

Enfin, la sanction fut levée. L'après-midi même elle se précipita instinctivement vers la caverne où l'oiseau aux couleurs du couchant avait autrefois élu domicile. La découvrir vide lui fit l'effet d'une gifle. Bien évidemment, il ne s'y trouvait pas. A quoi s'était-elle donc attendue ?
Elle pénétra dans l'antre sombre et s'assit contre la paroi de pierre, à côté de l'aire bâtie par le Dieu solaire. Une note de couleur attira son regard. Elle tendit la main pour l'attraper. Une plume d'ocre, à l'extrémité vermeil et aux quelques filaments d'argent à sa base. L'objet était léger, soyeux, et dégageait une agréable chaleur. Ce fut trop. Les larmes coulèrent toutes seules. Sibylle se recroquevilla et éclata en sanglots, serrant la dernière preuve de l'existence passée de son unique ami contre sa poitrine.

Elle demeura ainsi toute l'après-midi. Quand la grotte devint trop sombre, elle partit enfin, en chancelant. L'astre diurne était en train de se coucher. Si elle ne voulait pas se faire punir une nouvelle fois, elle ne devrait pas traîner. Mais, alors qu'elle était sur le point passer le premier bâtiment de la ville, elle fit demi-tour. Il y avait un dernier endroit où elle voulait aller avant de revenir dans cet enfer.

La jeune fille ne prit pas la peine de descendre jusqu'à la plage. Elle demeura sur la falaise, où la vue était plus belle. Et surtout plus lointaine. Elle scruta le ciel embrasé. Rien. Evidemment. Quel espoir fou avait-elle nourri, pendant quelques instants ? Takibi était mort. Il ne reviendrait pas. Il ne reviendrait plus.
Le bruit des vagues la fit frissonner, elle se rappelait inconsciemment cet ouragan provoqué par Artémis. En y repensant, de nouvelles larmes menacèrent de voir le jour, mais elle parvint à réprimer ce violent sanglot, non sans mal. Pleurer ne servait à rien. Si Takibi l'avait vue, il l'aurait certainement frappée de son bec pour la faire réagir.

Mais voilà. Il n'était plus là. Il ne serait plus jamais là. Si au moins Orphée avait survécu, l'épreuve s'en serait trouvée moins rude. Elle n'avait plus personne. Plus personne ne faisait attention à elle, si ce n'était pour l'utiliser comme bouc-émissaire. Plus personne ne l'appréciait pour ce qu'elle était. Plus personne ne l'aimait. Alors... Pourquoi continuer à vivre une vie vaine ?

Sibylle s'approcha dangereusement du bord. Le fracas des vagues en contrebas redoubla, comme pour l'en dissuader. Cela ne faisait qu'accroître sa détermination. La pointe de ses pieds se retrouva bientôt dans le vide. Elle prit une grande inspiration. Et se laissa tomber.

Tout valait mieux que cette vie maudite.