Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Sans Coeur de Limonette[JV]2



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Limonette[JV]2 - Voir le profil
» Créé le 10/05/2010 à 19:54
» Dernière mise à jour le 02/11/2010 à 11:20

» Mots-clés :   Drame   Présence d'armes

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Entrevue et règlements de compte!
- Tu ne restes pas longtemps... Souris, tu es filmé!

Edouard émit un petit rire nerveux avant d'entrer dans la pièce. Une énorme chambre, vide. Sans meubles, sans rideaux, rien. Une pièce toute blanche, impersonnelle et angoissante. Et dans un coin, prostré comme un ange blessé, Sara.

Edouard n'osa pas s'approcher. Briser ce moment où ses yeux se posaient sur la créature blanche lui était exclu. Tout se passait comme si la distance ne comptait pas, et que la jeune fille pénétrait dans son esprit. Il ne résistait pas.

Le regard de Sara semblait parler. Un mélange d'étonnement, de colère et de sérénité en pétrissait la couleur. Edouard s'avança, puis s'arrêta. Il avait l'impression d'emprunter le couloir de la mort. Tout était lumineux ; les murs reflétaient si bien la lumière qu'au moindre rayon de soleil filtrant du cache blanc sur la fenêtre, c'était une explosion de luminosité. Fait étrange pour une créature qui devait habituellement se cacher du soleil... Sans doute ne supportait-elle pas le noir trop longtemps... On la disait d'une résistance incroyable à toute chose. Le fils Hall fit quelques pas puis s'assit juste devant Sara. Il y eut un moment de silence. L'ange le regardait. Il n'osait pas plonger dans ses yeux. Il devait lui parler.
- Sara. Je m'appelle Edouard. Je suis le fils du sergent Hall… Nous nous sommes déjà vus au commissariat. Je ne suis pas une menace pour toi. Bon. Mon père m'a demandé de passer du temps avec toi, pour le bon déroulement d'une enquête dans laquelle il pense, d'une façon ou d'une autre, que tu es liée. Je…Euh…Et bien j'ai dix-huit ans, et… Et je travaille avec mon père… hum…
La tirade tira un regard amusé à Sara, qui de façon imperceptible, croisa ses bras sur ses genoux. Edouard avala sa salive, et observa la jeune fille. Elle portait une robe immaculée, qui enserrait ses seins et se terminait en deux lacets autour de son cou… Ses cheveux blancs, longs et souples tombaient sur ses épaules, puis descendaient encore jusqu'aux reins. Sa frange effilée atteignait le haut des sourcils. Ses yeux en amande portaient une lueur malicieuse, au fond d'un azur infini... Les lèvres, écarlates, étaient entrouvertes, comme si les sons s'apprêtaient à sortir d'entre elles, mais restaient bloqués. Elle était très pâle, mais cela lui allait bien. La couleur de sa chevelure n'était même pas choquante. Un ange.
Sara avança ses doigts, toucha les lèvres d'Edouard.

Alors un tourbillon jaillit dans la poitrine du garçon, le plaquant à terre de surprise. Une tempête glacée comprimait ses poumons. Il n'arrivait plus à respirer. En même temps que la douleur atténuée par le sentiment de paralysie, des images s'insinuèrent dans l'esprit d'Edouard. Toutes étaient floues, et suintaient cet effet de douleur gelée. Elles arrivaient dans la tête du pauvre garçon comme un flot impétueux. Edouard vit une petite fille, au sourire lumineux se pencher sur une flaque d'eau et de son regard la figer en glace. Cette enfant avait les cheveux blancs.
Le fils Hall comprit que c'étaient des bribes d'une vie qu'on lui transmettait, et en cela il voyait un privilège. Malgré tout, la douleur se fit lancinante, et il se dit qu'il ne pourrait bientôt plus bouger si le froid le gagnait ainsi…
Suffoquant, il n'eut que le temps de souffler un mot avant de se voir sombrer, emportant le sourire de Sara qui le regardait agoniser.
« Arrête … »
« Arrête. »
« Arrête ! »



Edouard ouvrit les yeux. Il était frigorifié. Il sentit dès son réveil la présence de Sara. Son cœur allait exploser tant l'émotion avait été présente ces derniers instants… Son premier réflexe fut de palper son abdomen. Sara l'en empêcha. Elle était au-dessus de lui, et le regardait de façon intriguée. La logique aurait voulu qu'Edouard se sente offusqué, mais il n'en eut pas la force.
Des personnes étaient venus dans la pièce, il le sentait. C'étaient sans doute la faute à ces murs dont on vantait le concept: des murs sensitifs. Toute présence était traduite par une odeur, un son ou un sentiment, impalpable. Avoir ça dans son appartement l'aurait sans doute aidé...

Le jeune homme recula et observa la fille aux cheveux blancs. Elle était comme il l'avait vu avant qu'il ne s'évanouisse… cependant, une image s'imposa à son esprit, en parallèle avec la réalité. Sara était toujours là, seulement elle était nue. Et couverte de sang… Une plaie énorme, à l'emplacement du cœur, déversait ses litres d'hémoglobine, qui déjà commençait à former une large flaque noire sur laquelle reposait Sara. Son regard était terrifiant. Elle semblait appeler à l'aide, ses bras se tendaient vers Edouard, la couleur de ses yeux avait changée. Ils avaient revêtu un pourpre … douloureux, empreint de détresse absolue.
Edouard hurla.
Tout s'effaça à nouveau.


*****


Franck marchait. D'un pas mal assuré, presque sauvage. Il faisait nuit. Plusieurs silhouettes le suivaient. Ils étaient autant d'ombres, à couvrir la lune de leur stature. Tous étaient des colosses. Franck était sans doute le plus à son avantage, car sa puissance alliait un équilibre longtemps recherché et travaillé. C'est pour cela que sa démarche maladroite était plutôt étonnante…

Franck était soûl. Complètement. Il roulait des hanches, semblait boiter… Son état nécessitait d'avoir bu beaucoup d'alcool, ce dont il se privait rarement. Sa femme Anita lui faisait depuis peu suivre un régime qui excluait bien évidemment toute forme d'alcool… Cependant bien que le restaurateur aime sa femme, les soirées sans boire n'étaient pas des soirées, et les verres s'alignaient sans qu'il put se décider à stopper la cadence.
Ainsi en cette heure bien avancée, Franck avait déjà bu deux bouteilles de vin blanc, whisky-coca et autres mélanges destructeurs.
Ses compagnons n'étaient pas en reste…
Le patron du café le plus fréquenté de la ville avançait vers un immeuble à deux pas de chez lui. De sa main droite pendait une batte de baseball, comme dans celles de ses amis… Certains possédaient même des matraques et des barres de fer…
Franck appuya sur une sonnette portant le nom de Hall.
- Bonsoir…fit une voix fatiguée à travers l'interphone. Qui êtes-vous ?
- C'est Franck mon p'tit gars, articula-t-il. Je viens te présenter mes excuses pour la dernière fois et parler un peu…T'es d'accord ?
- Franck ? T… t'es bourré ? Je suis désolé, mais il est tard, je suis fatigué…
- Allez… Un p'tit verre… tous les deux…
- Un petit verre ? M…
- J'ai des problèmes avec l'autre vache… Tu veux pas qu'on en parle ?
- L'autre vache ?
- Ouais… C'est ça… l'autre Anita là... ma femme.
- Ah B… Bon... Mais, Franck... On ne se connait pas, et avec ce qui s'est passé la fois dernière...
- Ecoute... grogna-t-il. J'ai parlé avec...ton père. Tu veux pas savoir ce qu'on a dit...?
- S...Si, d'accord, d'accord, tu...tu peux entrer!

Un léger bruit retentit et Franck poussa la porte. Il ne s'en voulait pas d'avoir appelé son épouse la vache. Sa taille n'était pas sa renommée, et outre son physique, lui était bourré et n'avait pas à se soucier de l'impact de ses paroles.
La bande entra dans le hall et gravit peu à peu les escaliers, manquant de peu créer un véritable éboulement lorsque certains s'affalaient sur une marche ou perdaient l'équilibre.
Edouard sortit de son appartement et se pencha sur la rampe pour apercevoir son visiteur. Depuis la veille le visiophone ne marchait plus. Ce qu'il vit - et qu'il aurait vu si le visiophone avait fonctionné - le glaça. Un groupe d'hommes baraqués, tous armés, grimpait jusque chez lui… menés par Franck.

Immédiatement il courut et s'enferma à clé. Un tremblement le parcourut, ses dents commencèrent à claquer. Un pokémon ! Il lui fallait un pokémon sur le champ… Où était sa pokéball… Rangée dans un tiroir… Combien de temps Éclat était resté ainsi enfermé ? La culpabilité emplit Edouard. Rien n'allait !

Il se précipita dans sa chambre, renversa sa commode et tira tous les tiroirs, qui tombèrent avec fracas sur le parquet. La pokéball roula à ses pieds. Edouard l'agrippa, la jeta en l'air. Un splendide Eleksprint apparut à ses yeux, projetant de petites étincelles autour de lui. « Eclat ! Soupira Edouard. Que je suis désolé ! Deux jours sans sortir… Vraiment… Je te... »
Le pauvre garçon se rendit compte de l'absurdité de son discours en telle situation. Peut-être que des hommes avec l'intention de le tuer marchaient sur son pallier et s'apprêtaient à entrer chez lui… Et il faisait la conversation à son pokémon…
- Bon, il s'agit de me protéger mon petit Éclat… euh…
Là aussi Edouard se retrouvait dans une impasse… Prendre Éclat comme bouc-émissaire… Quelle lâcheté ! Un instant tous ses principes s'effondrèrent, et une dure réalité s'imposa à lui, qu'il écarta… Le temps des remises en question n'était pas encore arrivé. Il fallait tout d'abord se sortir de cette situation…

Vite sa décision fut prise. S'enfuir était la meilleure des choses. Il rappela un Éclat surpris dans sa pokéball, rangea celle-ci dans sa poche et entreprit d'emporter ce qui lui était le plus nécessaire. Son premier réflexe fut de rechercher ses papiers d'identité. Qu'il ne trouva pas.
Il se rappela les avoir fait assimiler il y a environ une semaine.
Il se dirigea en hâte vers la petite porte blindée à côté de la cuisine, et posa son regard sur un trou dans le mur. L'analyse oculaire terminée, la porte émit un cliquetis. Le système termina son identification lorsqu'Edouard prononça un code, une référence: "978-2-266-14527-5/LNT". Autrement dit, le code ISBN d'un livre qu'il avait adoré: La Nuit des Temps. De René Barjavel, formidable auteur. Il avait caché son attrait pour la science-fiction et n'avait jamais parlé à quiconque de ce livre. Ainsi la pièce se trouvait protégée. Il n'avait ce code nulle part chez lui, même pas le bouquin. Il avait dû mémoriser la combinaison.

La porte s'ouvrit, signifiant à Edouard qu'il était en droit d'entrer. Il ne se fit pas prier et fonça dans la pièce obscure. Des lumières s'allumèrent, et il lui sembla un court instant que ses pensées avaient orienté l'acte. Non. C'étaient des lampes à détection de mouvement. Enfin.

Diverses machines étaient en état de marche. C'était le même système pour tous les logements susceptibles de contenir un tel outil de technologie: cet endroit se nommait la pièce régisseuse, et de là on pouvait contrôler toutes les installations de la maison. Ou de l'appartement, comme c'était le cas d'Edouard. Le ronronnement qu'émettaient toutes ces machines provoqua un instant de flottement chez Edouard. Il se remémorait les fois où, en deuil de sa mère et à la recherche de compagnie, il s'était enfermé ici. Son corps vibra, dans un frisson, puis il reprit le fil de ses pensées.
Dans le couloir, des bruits se firent entendre. On toqua à la porte. Une sourde angoisse parcourut les entrailles d'Edouard. Vite!
Assimiler... Assimiler, qu'est-ce que ça voulait bien dire? Edouard se gifla et marcha vers un petite engin en hauteur, sans aucune lumière ni branchements externes. Hall posa sa main sur la face verticale de l'installation, provoquant un petit jeu de couleurs qui s'accentua lorsqu'il colla une nouvelle fois son oeil sur une partie prévue à cet effet. Le boîtier laissa apparaître en transparence plusieurs boutons. Edouard en effleura un, mais l'ampoule fixé sur le haut de la machine clignota en rouge. Ed réessaya, mais la réponse lumineuse fut la même.
- P...Putain, souffla-t-il, médusé.
Il sentait l'agitation derrière sa porte d'entrée. Ses visiteurs ne tarderaient pas à entrer, invités ou pas.
Edouard voulut vérifier une dernière chose avant de quitter les lieux. Il s'approcha d'une lueur bleu, et consulta l'écran qui la surmontait, apparu juste sous son regard. Il en était sûr! Son alarme était désactivé! Quelqu'un l'avait désactivé!! Était-ce la..."chose" qui l'avait accueilli dans son appartement?
Il tenta de réactiver les services, mais toutes les fonctions, dont celles du visiophone semblaient... brisées. Edouard grogna. Sa lèvre saignait, il n'avait pas arrêté de la mordre. Il soupira et quitta la pièce, provoquant le retour de la pénombre. La porte blindée se vérouilla. Il prit le parti de détaler...
Pourtant, sans qu'il ne s'en rende compte, ses jambes le dirigèrent devant la porte d'entrée. Comme si voir ce qui s'y passait derrière faisait partie de tâches à effectuer. Il se compara à un robot pendant un instant. Puis, des voix s'élevèrent. Une seule retint l'attention d'Ed.
- Edouard ? C'est Franck. Tu ouvres ? Dépêche-toi, ça fait bien un quart d'heure que j'attends! Edouard? EDOUARD!!
- F… Franck, murmura le jeune homme. Qu'est-ce que je vais faire…
Edouard garda le silence. Au bout de plusieurs appels sans suite, Franck entreprit de défoncer la porte. Les coups étaient de plus en plus puissants, quand le fils Hall se rendit compte de ce qu'il adviendrait, si le seul barrage encore possible entre Franck et lui cédait. Immédiatement, il prit les choses en main.

Fuir, il le fallait. Ce n'était pas lâche, c'était de la survie.
Edouard saisit sa veste, l'enfila et courut à la fenêtre. La porte vola en éclats à cet instant. Ce fut comme si un troupeau traversait la pièce et se ruait sur lui. Il vit les regards acérés, les lames dévoilés et autrement plus effilés, la rage aveugle… Et Franck, qui brandissait sa batte, un regard de tueur fixé sur le pauvre Ed…
Ce dernier comprit qu'il devait d'abord retarder ces hommes fous furieux. Il attrapa le chandelier et le lança à la tête du premier venu. L'arcade sourcilière fut enfoncée; un assaillant était déjà hors combat. Une espèce de lance rétractable lui entama le cuir chevelu. Il grogna mais persévéra. Renversa les canapés et les meubles sur son passage, et se lança...

L'erreur que commit Edouard fut de croire qu'il pouvait s'en sortir. Tout d'abord, il habitait au dernier étage ; la fenêtre était bien haute… et il avait affaire à Franck.
Le colosse l'attrapa par les cheveux, de façon très inattendue, et le traîna sur le plancher jusqu'à atteindre la cuisine. Appuyant par mégarde sur sa blessure ouverte, il resserra sa poigne. Puis, il le lâcha.
- Edouard… (Il inspira, comme ennuyé) … Mes copains, que tu vois ici se chargeront de ton cas… Mais après...Toi et moi on va taper la discute d'accord ? On est venu... pour te tuer. Oui, c'est dur, chiale pas tout de suite. C'est pas moi qui veut ça, on me paye. Allez les gars, vous bougez? Vous me laissez seul avec le gosse.

Franck voulait discuter. Ce n'était pas très approprié. Ils étaient venus pour le tuer? Ils allaient...se charger de son cas? Sa tête le lança et la nausée monta lentement. Franck était payé pour le tuer.

Chacun des quinze hommes qui occupaient quasiment toute la surface de l'appartement décida d'aller patienter dehors, au rez-de-chaussée. Une fois la discussion terminée, Franck amènerait Edouard en bas, et alors s'annoncerait une douloureuse mise à mort.

Franck prit une chaise et s'y posa, l'air agacé. Il n'avait pas pris l'initiative d'attacher Edouard, non seulement car cela donnait une scène extrêmement ridicule, et aussi car le jeune homme se savait captif ; il n'y avait pas besoin de quelques liens pour le prouver.
- Edouard… Par où commencer ? s'exclama Franck, croisant ses bras sur sa nuque et se balançant en arrière. Peut-être par ta mère.(Il ne semblait plus du tout soûl et Edouard y vit l'intervention d'une pilule spéciale...) Que j'ai traité de débauchée, précédemment. Comprends le par ce que je vais en quelque sorte te...révéler. Ta mère…J'aimais ta mère. Je l'ai aimé dès que je l'ai vu… Elle est d'une beauté incroyable, n'est-ce pas ? Tu le sais ! Je l'ai aimé, oui. (Il soupira) J'étais con à l'époque. J'étais fou amoureux d'elle... Mais... Hum. Elle s'est mariée avec ce salaud de Hall ! Et puis... (Il fixa Edouard dans les yeux) Le jour de son mariage, le jour même, hein, elle est venue me trouver ! Oui… Et elle a enfin accepté mes avances, juste le jour de son mariage. C'était sans doute le plus terrible et le plus beau jour de ma vie… Ne crois pas que je sois heureux de saloper l'image que tu te fais de ta mère. Mais c'est la vérité… Elle ne voulait pas faire de mal à ton père en couchant avec moi… Non, au contraire. Elle voulait me demander de rester l'ami de son mari, Ray, une fois qu'ils formeraient un couple uni par le mariage et la famille… (Il poussa un grognement frustré) Tu te rends compte… ? C'est pas...vicieux ? J'ai vraiment exaucé ses vœux… Je faisais comme si, je parlais à Ray comme à un vrai ami… Mais elle, tu sais, je n'arrivais pas à la regarder autrement que comme la femme que j'aimais par-dessus tout… Ensuite j'espérais la rendre jalouse en me mariant à mon tour… Mais je me suis rendu compte qu'elle se fichait complètement de moi… Et quand elle a eu un fils avec Ray, peu de temps après leur mariage, j'étais furieux… Et j'ai tenté de…de te tuer.

La nouvelle tira un hoquet de surprise à Edouard. Il acceptait les révélations, si choquantes qu'elles soient, mais celle qu'il venait de faire le surprenait énormément. Que sa mère ait trompé son père le jour du mariage était outrageant. Il eut une pensée réquisitoire envers sa génitrice. Néanmoins c'était une attention extrêmement...subtile envers son policier de mari. Oui, d'une certaine façon, son geste n'était pas péjoratif. Edouard n'eut pas le temps de prendre trop de recul face à cette nouvelle Il ne réalisait pas alors les aveux qu'allait lui livrer Franck:
- Ca c'est passé la nuit, une semaine après ta naissance. J'étais venu armé, mais je pensais plus foutre le feu à la maison. On m'avait informé que tu étais gardé et que ta mère et son mari s'étaient envolés à Kanto, pour aller voir belle-maman qui était très malade … Ils auraient dû t'emmener, tu sais… (Il ricana, d'un de ces rires où on sent des pleurs) Mais en fait c'était un... un putain de piège… Quand je suis arrivé au lit où tu dormais, je n'ai ressenti que de la haine. Haine que tu ne sois pas mon fils, haine de devoir t'enlever la vie! (Il avait haussé le ton, il criait presque) Tu n'étais pas gardé. Ca ne m'a pas mis la puce à l'oreille. J'ai décidé de tout brûler, pour qu'avec toi crame le bonheur de Lisbeth, le bonheur de ton père, votre bonheur! qui aurait dû être mien depuis le début. J'ai aspergé ta chambre, tes draps, mais je n'ai pas eu le courage de te recouvrir d'essence… Tout d'abord ç'aurait été sadique et vraiment vicieux … Et puis je préférais que tu découvres par toi-même le spectacle d'horreur qui t'entourait. Tu n'aurais sans doute pas compris… (Le débit de ses paroles avait accéléré) Peut-être que tu te serais amusé à saisir les flammes qui t'échappaient sans arrêt, jusqu'à te brûler, ce qui alors aurait été moins drôle. Seulement, j'ai allumé mon allumette. Je me suis senti coupable. L'allumette est tombée comme au ralenti. Je pensais m'enfuir une fois l'incendie déclaré ! Mais…mais le feu ne s'est pas allumé. A la place, il… Oh il a fait tellement… Je… Non, elle est arrivée par derrière. Elle s'est placée devant moi, avec un regard sombre, complètement... inhumain. Son couteau s'est planté dans mon cœur, là… (Il hoqueta) Je... C'est tellement...humiliant, tellement... Juste pour te dire... (Il inspira et avala sa salive) que je suis un sans-coeur...

Franck s'arrêta, paniqué. Il tenait sa tête entre ses mains, des yeux affolés grands ouverts sur des souvenirs qu'il préférerait oublier. Il bégayait des phrases sans aucun sens, qui s'éteignaient dans sa gorge avant qu'elles soient audibles.
Edouard était estomaqué. On avait tenté de le tuer! Le meilleur ami de son père! L'amant de sa mère! La nouvelle était éreintante. Edouard eut du mal à contenir son impuissance.
- Qu...qu'est-ce que c'est que cette...histoire ? bégaya Edouard.
Il avait également du mal à remettre de l'ordre dans ses idées. Il fallait qu'il se rappelle les mots de Franck. Mais tout était tellement flou, tout était tellement irréaliste... Il replaça lentement les évènements dans l'ordre dicté par Franck. Sous l'oeil indifférent de ce dernier. A vrai dire, Edouard aurait sans doute pu s'enfuir à ce moment-là mais les capacités ne lui étaient pas données. Il se concentra. Sa mère avait trompé son mari, juste pour lui éviter de perdre un ami!? C'était ridicule... La piste de la...passion amoureuse était plus crédible. Franck l'avait dit. Il était fou amoureux. Lisbeth devait savoir combien cela pouvait mettre à rude épreuve la relation d'un couple. Mais de là à satisfaire la personne... N'y avait-il pas d'autres moyens? Bien sûr que si....
- Je n'arrive pas à comprendre, décréta Edouard, affligé.
- Moi aussi je n'ai pas compris au début, répondit Franck calmement - il était toujours dans la même position, mais semblait calmé. J'ai cru que c'était pour un enfant... Mais j'aurai aussi pu lui en donner un. Je n'arrivais pas à croire que ce soit pour une histoire d'amour. Avec Raymond? Ce barjot? Impossible. Pourtant il n'y a que ça. Une simple et débile histoire d'amour.
- Tu... Toi...
- S'il te plaît, fit Franck en se tournant vers Edouard, finis tes phrases ou cette histoire va se terminer plus vite que prévu.
Edouard Hall avala sa salive.
- Je repense à ce que tu as dit, se précipita-t-il. Tu... tu as dit que quelqu'un t'avait...t'avait poignardé, c'est vrai? Qui ça?
- Voilà, c'est bien, pose moi des questions! Tu te crois où? T'as pas l'air de réaliser que t'es sur le point de crever, là.
- Si, si, risqua Edouard. Je le sais, mais je vais mourir, non? Je veux savoir, alors... Et...et, et tu as dit que tu étais un... un quoi? Un sans coeur, qu'est-ce que c'est que ça??
Franck poussa un long soupir - qui n'était qu'un sursis pour le jeune Hall.
- Bien sûr que tu vas mourir, affirma-t-il, carnassier. Mais même si on m'a dit qu'on pouvait "te dire certaines choses" je ne pense pas tout te raconter. De toute façon, celle qui m'a employée ne m'a rien dit d'autre que de te liquider. Et pas besoin d'être discret, non, il faut te dire ce que je sais, ce que je pense, et savoir ce que toi tu penses. C'est bête mais j'ai pas l'intention de te demander ton avis. D'abord je vois pas comment elle pourrait être au courant de ce que je t'ai raconté et inverse pour toi... Y a que le cadavre qui est vrai, hein? Mais s'agit pas de me faire choper comme meurtrier. Elle a dit qu'elle couvrirait mes arrières... Elle a dû faire tuer tout le quartier, parce qu'elle m'a prévenu qu'elle ferait les choses en grand, que je n'avais pas lieu de m'inquiéter...Enfin quand même pas, mais dans ces eaux-là... Elle a dit que personne me retrouverait, que personne me soupçonnerait... Enfin bref...Et...Qu'est-ce que tu m'as posé comme question déjà?
Edouard était si pâle que ses cheveux tranchaient de façon inquiétante avec son teint.
- J'ai...souffla-t-il... J'ai demandé si tu avais vraiment... été poignardé... Et qu'est-ce que c'était qu'un...qu'un sans coeur.
- Ah bah ça! ricana Franck en reculant sur sa chaise. Bien sûr que j'ai été poignardé. Et tu sais... Attends. Fais attention parce que là, on rentre dans un domaine où si tu fais un pet de travers je te tue.
Edouard sursauta de ce brusque changement de ton, et de la menace. Voilà quelque chose qui devait le concerner directement cette fois, pour qu'il réagisse de cette manière. Néanmoins Edouard était toujours fixé sur ce propos, qui passait dans la bouche de Franck sans plus de considération qu'autre chose: poignardé. C'était impossible, pourquoi était-il là avec lui si ç'avait été le cas? Il en avait survécu? Peut-être. Edouard se força à être attentif, même si tout ça le dépassait.
- Quelqu'un qui n'a pas de coeur, commença Franck en le fixant avec des yeux de reptile, c'est quelqu'un qui ne peut pas vivre, n'est-ce pas?
Edouard évita de répondre à la rhétorique de son interlocuteur, autrement il ne vivrait plus très longtemps.
- Je n'ai plus de coeur, non. C'est fou, c'est incroyable mais c'est comme ça. Dans ma poitrine ce n'est pas... pas comme si il n'y avait rien. Je ne suis plus vivant au sens propre du terme, c'est plus compliqué... En vérité, moi-même je ne sais pas vraiment ce qui m'est arrivé cette nuit-là. Je suis mort, c'est sûr, mais je vis toujours. C'est impossible à expliquer. Il n'y a que la douleur qui soit vraiment réelle.

Un silence angoissant s'installa.
- Mais, intervint enfin Edouard, les sourcils si froncés que tout son visage s'en trouvait déformé. Co... (Il évita de demander plus d'explications et réfléchit un court instant) ... Qui t'a rendu comme ça?
La question tira une grimace à Franck.
- Je ne peux pas te le dire, posa-t-il.
- Pourquoi pas? réagit Edouard. Quand je serai mort (il grimaça à son tour), elle ne saura pas ce qui se sera dit entre nous.
- Peut-être, mais j'ai pas envie d'en parler...c'est trop dur.
Pour une fois il apparaissait comme le plus faible.
Cependant, à l'image de ses réactions imprévisibles, il leva soudain sa tête qu'il avait baissé et lança un regard farouche à Edouard.
- Je suis peut-être mort ou quelque chose comme ça, et je te parle, comme si j'étais un zombie, mais maintenant... c'est à toi de goûter à la douleur.
Il laissa passer un temps où Edouard se crispait sur sa chaise, roulant des yeux effrayés.
- La douleur. Est-ce que tu connais ça toi?
Il se leva comme un fauve, dégaina un couteau trop grand de sa veste et avança.
Edouard était sur le point de s'évanouir. Il regardait la scène avec d'autres yeux, témoin de sa propre faiblesse.
L'homme se jeta sur lui et plaça son couteau sur son cou, dessinant un trait de feu qui le fit gémir.
- ATTENDEZ, ATTENDEZ! hurla-t-il. Quel est le rapport avec ma mère?
Franck recula, étonné.
- Tu ne lâches pas l'affaire, commenta-t-il. Ta mère a tout avoir là dedans.
- D... D'accord.
Edouard ne savait pas comment réagir pour retarder sa mort. Il eut une idée, furtive. N'ayant pas le temps de réfléchir au cas où l'appliquer serait préjudiciable, il la mit en pratique, avalant précautionneusement sa salive avant de parler. Il profita de la seconde de flottement chez Franck, qui était pourtant si déterminé l'instant d'avant:
- Tout ça a donc un rapport avec elle, fit-il, tentant au mieux de maîtriser sa voix qui menaçait de se briser. Je veux savoir si c'est elle qui t'a planté, aussi.
Il releva la tête, juste à temps pour voir Franck se jeter sur lui et planter son couteau dans un millimètre de chair. Edouard hurla, de peur et de la douleur qui en appelait une autre, bien plus insupportable. Il avait perdu, assurément. Il avait oublié qui détenait l'arme...
- Je voulais te faire tabasser par mes potes, en bas, souffla le colosse enragé… Peut-être que te trancher la gorge serait plus simple…
- Non, supplia Edouard. Je... Je ne t'ai rien fait! C'est pas de ma faute tout ça. J'y comprends rien, alors... Pourquoi...
Le couteau siffla. Du sang coula, de la joue du garçon. Il grimaça encore, mais serra les dents pour ne pas crier. Ses larmes coulèrent.
- Ferme ta gueule! asséna Franck. T'as rien fait, et alors? Moi, on me donne un truc à faire j'le fais! Même... même si t'es qu'un gosse.
La lame effectua un demi-cercle et se planta comme dans du beurre. Il y eut un cri, puis quelques hoquets stupéfaits. Il n'y eut pas de sang.




*******


Dans son bureau, le sergent Hall se rongeait les ongles. Il avait l'habitude d'avoir ce comportement lorsqu'il était stressé, ou agacé.
Se laissant tomber lourdement sur sa chaise, il décrocha le téléphone pour la énième fois et composa un numéro.
Répondeur.
- Quand est-ce qu'il va répondre ?! pesta-t-il. On a une série de meurtres sur les bras !
Edouard n'était pas près de parler à son père…