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Tout ça pour mourir de Asako



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Informations

» Auteur : Asako - Voir le profil
» Créé le 22/12/2009 à 21:03
» Dernière mise à jour le 06/06/2010 à 18:16

» Mots-clés :   Romance   Science fiction   Suspense

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1-1 : Premiers résultats
PREMIERE PARTIE : SAIGO
Assis dans le fauteuil, David crispait ses mains sur les accoudoirs, mais il ne ressentait rien de plus qu'une froide indifférence couplée à un ennui profond. Penché au-dessus de lui, Matt Keyes frottait vigoureusement son bras nu, y répandant un liquide glacé et visqueux qui dégageait une déplaisante odeur d'alcool et d'antiseptique. Il ne tressaillit même pas lorsque le scientifique enfonça, d'un coup sec et précis, la fine aiguille dans la chair qui s'offrait à lui. Cette aiguille était reliée à une énorme machine vrombissante, où s'affichaient continuellement des numéros qui se succédaient à une vitesse fulgurante.
Le garçon inclina la tête et s'appliqua à prendre son mal en patience. Son bras le picotait vaguement, comme si de minuscules décharges y circulaient, sans pourtant que cela ne soit douloureux.

-Ça va ? lui demanda Matt.

Comme si sa réponse allait changer quelque chose. Il se contenta d'un regard inexpressif, qui eut pour effet de faire toussoter le scientifique, mal à l'aise.
Au début, David était plus bavard. Il ne marmonnait que quelques mots, mais il parlait. Et il tentait de comprendre, innocemment, ce qui se projetait autour de lui et où se trouvaient les autres cobayes. Sans succès, car Matt se refermait comme une huître à la moindre question trop curieuse et il changeait de sujet, s'empourprant et ajustant ses lunettes pour se redonner contenance.

Le Capumain de Matt surveillait l'appareil, accroché à l'épaule de son maître. Ce singe grimaçant ne plaisait pas à David.


-Je dois t'emmener voir le Dr. Warren après ça, ajouta le scientifique.

David hocha la tête, vaguement intrigué. Il ne l'avait presque plus vue depuis ce jour où elle lui avait catapulté son Donphan dessus, et il en gardait encore le souvenir cuisant de l'humiliation qu'il avait subie.

-Tu n'as besoin de rien ? s'enquit-il après un long silence.

David posa un regard vide sur son bras, puis sur la machine et sur le fil translucide qui les reliait. Peu à peu, après avoir subi cela jour après jour, il avait finit par deviner les effets de cette expérience, mais cela lui inspirait une telle aversion, un tel dégoût qu'il préférait s'imaginer qu'il se leurrait.

-Tu n'as besoin de rien ? répéta Matt, l'air préoccupé.

-Vous n'avez pas de nouvelles de ma famille, évidemment, marmonna David.

Il avait dit cela à tout hasard, surtout pour éviter que Matt ne redise sa question une troisième fois, car il savait qu'il ne pourrait s'empêcher de se redresser et de lui cracher au visage tout ce qu'il avait sur le cœur : bien sûr qu'il avait besoin de choses ! De sortir, pour commencer, de sentir le doux souffle du vent contre son visage, et de sentir la brise glisser ses doigts invisibles dans ses cheveux pour les ébouriffer. Ensuite, de voir Ted et Rebecca, qui n'avaient pas donné signe de vie depuis plusieurs semaines –évidemment, leurs parents devaient les empêcher de lui rendre visite, alarmés. Et enfin, de retourner à Bourg en Vol, de reprendre sa vie d'avant, si sinistre fût-elle, plutôt que de se faire soi-disant soigner par des êtres dont seule la blouse blanche les faisaient ressembler à des médecins.
Matt avait dû sentir son ressentiment crépiter autour de son frêle corps, car il parut troublé, mais il se reprit et lança d'une voix étranglée :

-Ta famille va bien…

-Vraiment ? s'étonna David, sceptique.

-… Oh, ta mère est un peu malade, mais elle se soigne tant bien que mal.

-Et mon père ?

-Il va bien, il a pris un travail à temps complet chez le professeur Orme !

-Et mes frères ?

-Le grand continue ses études, l'autre… est en bonne santé.

Matt semblait soulagé d'avoir cette ébauche de dialogue avec David, mais le garçon, lui, se sentait frustré. Il méritait d'avoir des nouvelles régulières de sa famille, pas d'avoir quelques informations insignifiantes au compte-goutte, de la bouche d'un scientifique qui semblait perpétuellement égaré.
Alors, par provocation, il se laissa aller à l'imprudence et lâcha les mots qu'il rêvait de prononcer depuis longtemps, mais qu'il avait toujours eu l'intelligence de taire :

-Et Moriarty ?

Matt devint blême, et ses yeux s'écarquillèrent derrière leurs lunettes. Un bref instant, David crut qu'il allait défaillir, mais il se contenta de quelques pas en arrière, de petites perles de sueur venant fleurir sur son front.

-M-M-Moriarty ? bafouilla-t-il d'un ton saccadé. Je… ne vois pas de qui tu parles…

-Moriarty est le nom de mon oncle, inventa immédiatement David, comprenant qu'il venait de son montrer un peu trop audacieux. Le frère de ma mère. Il venait tout le temps chez nous, mais il souffre d'allergies chroniques. J'aimerais savoir s'il n'a pas eu d'accident à cause de cela...

Matt s'apaisa, mais il n'était pas si crédule que cela car il conserva un air soupçonneux.

-Je n'en ai jamais entendu parler, murmura-t-il. Quel est son nom complet ?

-Jack Moriarty.

-Et il…

Il fut interrompit par un cri de son Capumain. La machine venait d'interrompre son bourdonnement tapageur. Matt pressa s'un l'un de ses innombrables boutons, puis s'approcha de David et lui arracha méticuleusement l'aiguille enfoncée dans son bras. Le garçon se laissa faire, mais le Capumain, qui venait de l'effleurer à cause du geste de son maître, sautilla en arrière, poussant des cris inarticulés.

-Capumain, que se passe-t-il ? s'étonna Matt. Tu as mal quelque part ?

Le singe fixait David, et ses grands yeux mauves reflétaient une intense terreur. Le garçon soutint son regard, déboussolé.

-Capumain, calme-toi ! ordonna Matt. Que se passe-t-il ? Tu as fait quelque chose, David ?

David secoua vivement la tête.

-Calme-toi… répéta le scientifique, prenant délicatement le Pokémon dans ses bras. Je… je ne comprends pas…

Il s'approcha de David, mais le singe recommença à s'ébrouer, gémissant, tentant de s'extraire de cette étreinte. Le garçon réalisa alors que plus Matt s'avançait, plus le Pokémon semblait apeuré. Il se mordit la lèvre, pensif, le cerveau travaillant à pleins régimes. Le singe se débattait toujours et, finalement, il planta ses crocs dans la main de son maître si fort qu'un craquement sinistre retentit. Matt le relâcha immédiatement après un cri de stupeur, et il contempla un long moment sa main dissimulée sous une couche de bave et de sang, tandis que le singe allait se recroqueviller plus loin, les poils hérissés. Ils restèrent tous figés plusieurs minutes qui se consumaient dans une atmosphère tendue.
Finalement, le scientifique dégaina une Poké Ball et rappela le Capumain, puis il noua un mouchoir autour de sa plaie. David ne bougea pas, paralysé par ce qu'il déduisait de cette scène. Une sueur froide envahit sournoisement son échine et il frissonna.

-V… Viens, allons voir Johanna… murmura Matt, livide.

David se leva et baissa la manche de sa chemise pour couvrir son bras nu, encore poisseux et légèrement ankylosé. Il tremblait, mais Matt ne faisait plus attention à lui. Son regard fuligineux brillait et il semblait plongé dans un état second, serrant sa main blessée contre lui.


-Merci, Keyes, lança Johanna sans lever les yeux vers les nouveaux venus, gribouillant abondamment une feuille posée sur ses genoux. Vous pouvez nous laisser.

-Très bien, marmonna Matt, puis il pressa affectueusement l'épaule de David qui se dégagea d'un coup sec et ne lui accorda pas le moindre regard, se contentant d'ajuster sa chemise avec dédain. Euh… passe une bonne fin de journée, David. Je m'excuse encore pour l'attitude de Capumain. A plus tard, madame.

-A plus tard ! s'impatienta Johanna, se hâtant de claquer la porte derrière lui. Bon, je sais que ça fait des lustres qu'on ne s'est pas vus, gamin, mais ça ne veut pas dire que je vais être plus indulgente. Alors pas de questions idiotes, pas de pleurnichements, tu te contentes de faire ce que je dis, c'est bien compris ?

David agita légèrement la tête.

-Et tu réponds quand je te pose une question !

-C'est bien compris, répondit-il froidement.

-Hmph ! Toujours aussi insolent. Mais aujourd'hui, tu n'auras pas de Zigzaton pour te défendre.

-Pardon ? s'étonna David.

-Mais bon, je vais être gentille et ne pas envoyer Donphan… A TOI, TARTARD !!!

Le têtard dotée de poings énormes apparut, toisant David. Le garçon sentit son cœur s'accélérer brutalement et faire de violentes embardées dans sa poitrine. La répugnance que le Capumain lui portait, ces expériences qu'il faisait tous les jours, et ce combat forcé contre un Pokémon bien mieux charpenté que lui ne pouvaient signifier qu'une chose. Il contracta ses muscles, réalisant soudainement qu'il avait grandi depuis son admission au Centre Expérimental Saigo –ce qui ne l'empêchait pas de rester chétif, bien qu'une formidable énergie bouillonnait dans ses yeux pâles.

Tartard s'approcha de lui et lui décocha un coup de poing, mais, grâce à un réflexe jusque là inexistant, David l'esquiva d'un bond. Le coup cingla l'air et lui siffla à l'oreille, ébouriffant au passage ses cheveux, mais se contenta de l'érafler.

-Parfait ! s'enjoua Johanna.

C'était bien la première fois que l'ébauche d'un sourire venait tirailler le bas de son visage.
David réfléchissait à toute allure, cherchant la meilleure tactique à adopter, puis, brutalement et sauvagement, il se jeta sur le têtard indigo et la frappa de toutes ses forces ; la créature le refoula d'une pichenette qui l'envoya rouler par terre, mais il se rétablit si vite qu'il en fût lui-même surpris. Il se jeta à nouveau vers le Pokémon, tête baissée, et ils se heurtèrent brutalement –mais pourtant, cela ne lui fit pas plus mal que s'il venait de se prendre une légère tape sur le crâne.
Soudain, le monde se mit à tournoyer sous ses yeux écarquillés, devenant un tourbillon de silhouettes et de couleurs confuses, et une désagréable clameur vint bourdonner près de ses tympans. Il se retrouva à genoux sans savoir comment, à bout de souffle, les murs ondulant autour de lui, le Tartard réduit à une masse diffuse et Johanna n'étant plus qu'une silhouette ondoyante et blanche au visage sans traits.
Il ferma lourdement les paupières et inspira profondément, tentant de calmer sa respiration précipitée et de contrôler les frémissements irréguliers dans sa poitrine.

-Relève-toi, ordonna une voix dure au-dessus de lui.

Une main d'acier se referma sur son bras avec la puissance d'un étau et l'obligea à se remettre sur pieds. Il ouvrit difficilement les yeux et se retrouva nez à nez avec la scientifique, furieuse.

-Evidemment, soupira-t-elle, continuant d'enfoncer ses ongles dans son bras. Pourtant, notre travail a porté ses fruits, c'est indéniable… mais il reste des erreurs. Que s'est-il passé ?

-Un vertige, c'est tout, grommela David férocement.

-Pourtant, tout coïncide ! insista Johanna. Peut-être que ça n'a rien à voir avec nous, peut-être que c'est juste parce que tu es trop faible…

-Lâchez-moi.

-Retourne dans ta chambre, il faut que je parle au professeur Jackson. Oh, c'est vrai… demain, tu vas aller un peu plus tôt au réfectoire. Nous avons un message important à te communiquer.

-… Très bien.

Elle rappela Tartard puis l'observa longuement, pensive. Des mèches rebelles s'échappaient de son chignon et elle avait le teint rouge ; David devina qu'elle était contrariée. Il massa son bras endolori et malmené puis la suivit jusqu'à sa chambre.


Le réfectoire du centre Saigo était un lieu austère ; plusieurs tables parfaitement alignées attendaient inutilement des utilisateurs qui n'existaient pas, et seule l'une d'elle croulait sous le poids de couverts en plastique et de nourriture souvent insipide, constituée essentiellement de soupe sans saveur et de fruits et légumes probablement bourrés de produits chimiques. De plus, David y allait peu. Le plus souvent, on lui apportait ses repas directement dans sa chambre, et lorsqu'il descendait au réfectoire, c'était uniquement pour un tête-à-tête ennuyeux et taciturne avec les scientifiques qui semblaient incommodés par sa présence et lui parlaient davantage pour rompre le silence écrasant que par intérêt.
Aussi fût-il surpris lorsqu'en entrant dans le réfectoire, escorté par un Matt ensommeillé, il fut accueilli par des salutations chaleureuses et d'immenses sourires, et que des viennoiseries aux parfums envoûtants trônaient sur la table, ainsi que plusieurs tasses d'où émanait une délicieuse odeur de café. Johanna Warren, Sébastien Valéry et Stieg Jackson avaient déjà entamé le petit-déjeuner.

-David ! Assieds-toi donc à côté de Johanna ! proposa Sébastien Valéry, désignant une place libre à côté de la jeune femme.

Elle parut sur le point de répliquer, mais elle se ravisa.
David s'exécuta, méfiant, et saisit du bout des doigts le croissant dégoulinant de beurre que lui tendait Sébastien.

-Belle matinée, hein ? susurra le scientifique en pulvérisant autour de lui des fragments de pain au chocolat.

-Peut-être, répondit David en haussant les sourcils. Je ne sais pas.

-Ah mais oui, suis-je bête, tu ne peux pas savoir le temps qu'il fait, tu n'es pas sorti dehors depuis siiii longtemps !

David se contenta d'un sourire dépourvu de joie, désabusé.

-Johanna nous a dit que tu avais fait de formidables progrès, ajouta Sébastien. Visiblement, tu te soignes sans problème.

-Vous ne m'avez pas écoutée jusqu'au bout, répliqua la jeune femme. Il reste des effets secondaires non négligeables à son traitement.

-Ah oui, vous avez peut-être évoqué quelques problèmes sous-jacents, mais je n'ai pas dû être assez attentif à vos paroles, perdu dans l'admiration éperdue de votre beauté…

-Vos tentatives de drague éhontées me laissent indifférentes !

-Inutile de prendre la mouche pour si peu…

-Cessez de me provoquer, si vous ne voulez pas que mon poing atterrisse de manière inopinée dans votre figure.

-Calmez-vous, très chère ! Inutile de vous mettre dans vos états pour une simple boutade.

-Nous ne sommes pas là pour nous disputer… intervint timidement Matt, ostensiblement ignoré par ses deux collèges qui s'adressaient désormais des regards vipérins.

David assistait à leur joute verbale en restant muet, émiettant son croissant entre ses doigts. Son estomac était réduit à un enchevêtrement de nœuds, et manger lui donnait envie de vomir. Ces scientifiques, obnubilés par leur succès et se disputant pour rien, le décourageaient.
Finalement, Stieg intervint :

-Arrêtez un peu vos chamailleries, tous les deux ! Sommes-nous au Centre Expérimental Saigo ou dans une garderie ?

-Demandez à Valéry ! protesta Johanna avec suffisance.

-Stoppez cela immédiatement. Vous devriez parfois prendre exemple sur le Dr Keyes. David Hunter, dit alors le vieux scientifique aux yeux noirs, se tournant vers le garçon qui soutint fièrement son regard. Nous avons un message à te communiquer. Comme tu ne le sais probablement pas, nous sommes déjà le 24 décembre, soit le jour du réveillon…

-… et il neige ! lança Sébastien.

-Merci pour cette information, Dr Valéry. Pour Noël et étant donné que ton état semble stable, nous t'accordons quelques jours hors de Saigo. Tu pourras fêter Noël à Bourg en Vol, avec toute ta famille. Tu rentreras demain, dans l'après-midi.

David lâcha son croissant, frissonnant d'excitation. Quitter ce centre étouffant, même dix minutes, lui semblait tant être un rêve inaccessible… il n'y croyait pas.

-Néanmoins, ajouta Stieg, les risques de rechute ou les effets secondaires qu'a évoqué Johanna ne sont pas à négliger. C'est pour cela que l'un de nous t'accompagnera dehors.

Sa joie se dissipa aussi vite qu'elle était venue et il récupéra son croissant, recommençant à l'émietter méticuleusement, le visage sombre. Lui qui avait espéré un peu de solitude, un peu de quiétude…

-Ce ne sera pas moi, car j'ai du travail, conclut Stieg. Dr Warren, Dr Valéry, Dr Keyes, si l'un de vous accepte…

-J'ai une famille, dit aussitôt Johanna. Je ne pourrais pas rester avec lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

-Moi aussi j'ai une famille ! renchérit Sébastien.

Quatre paires d'yeux se braquèrent sur Matt Keyes, qui parut rétrécir sous leur poids. Il resta pétrifié quelques minutes, puis releva le visage, ajusta ses lunettes sur son nez et déclara finalement :

-Je veux bien l'accompagner chez lui et le surveiller, si... si vous y tenez.