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Destins liés ~Crépuscule~ de fan-à-tics



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» Auteur : fan-à-tics - Voir le profil
» Créé le 02/12/2009 à 20:02
» Dernière mise à jour le 04/06/2014 à 20:35

» Mots-clés :   Présence de personnages de l'animé   Présence de poké-humains   Présence de shippings

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Episode 38 : Anniversaire !
-Chapitre 38- Anniversaire

Les échos de sanglots se répercutaient dans les couloirs du QG de Twilight. L'orage grondant au loin peuplait avec eux le silence. Le fracas s'accompagnait dramatiquement d'un rayon blanc, qui imprimait sur les murs de béton une marque lugubre. Les sons précipités finirent par recouvrir peu à peu les martèlements indifférents de l'averse.
Peter arriva, trempé jusqu'aux os, revenant de son antre - cette grotte en haut de la montagne. Son visage blême, ses pupilles mordorées se rétractèrent de douleur devant la vision qui se dressait devant lui. Marion cherchait par tous les moyens à faire répondre Sunny, les doigts crispés sur le combiné du communicateur. Elle répétait sans cesse son nom, recomposait le numéro, et continuait inlassablement, la frimousse décomposée, marquée par le désespoir et la culpabilité.
Christopher, qui était venu l'avertir en courant de la situation, déglutit derrière lui. Angèle avait beau essayer de faire lâcher prise à la jeune adulte, rien à faire, elle s'y accrochait. La blonde grimaça et se leva, se mettant au garde à vous pour résumer les derniers évènements d'une voix fébrile. Mais le maître des Dragons l'ignora. Il savait déjà. Il marcha lentement vers la dresseuse de glace et s'accroupit à son niveau, avant de lui ôter lentement l'engin des mains. La cousine de Lucas tourna la tête vers lui, et les sanglots l'étranglèrent presque, ses joues se gonflèrent et ses yeux s'inondèrent de larmes quand elle murmura :
-C'est ma faute... Je l'ai envoyée là-bas à ma place...
Mais sans attendre plus longtemps, Peter la ramena contre lui. Fermant les yeux. Et elle ne retint plus ses hurlements.
Pour la première fois, un son humain recouvrit l'écho misérable de la foudre.

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Samantha rigola avec insouciance devant les récits enjoués de Lucas. De retour au centre pokémon, il racontait au reste de l'équipe ses déboires pour dresser ses pokémons, leurs aventures séparées. Ils avaient d'ores et déjà sorti leurs créatures pour admirer leurs progrès. Barpau, dans son aquarium, dévorait des yeux le Léviator, pourtant bien à l'étroit dans la piscine intérieure de leur refuge.

Régis avait fini par débarquer dans la soirée, ravi de revoir Eléanore. La jeune fille avait attendu de le voir sourire avant de se jeter dans ses bras, par mesure de précaution. Depuis, ils papotaient, papotaient, papotaient. De vrais moulins à paroles, pire que des Pijakos.

-Et vous, qu'est-ce que vous allez faire demain ? Avec Yuki, je dois absolument faire le challenge de Celadopole, je dois rattraper mon retard !
-Surprise !
-Allez c'est pas drôle, dites-moi !
-Demain, on est bien le 17, hein ? C'est bientôt Noël, faut que je fasse les achats de Noël.
-Moi j'peux pas envoyer mes cadeaux chez moi, de la part d'une fugueuse, ça le fait pas !
-Je sais pas non plus pour moi… J'ai envie de me montrer puéril et de pas offrir de trucs à mes parents ou à ma cousine... En tout cas, je t'aiderai, Daniel, parce que comme d'hab' tu vas te ruiner, cette année.
-J'en ai peur...

Gabriel, devant son ordinateur, sur une des banquettes occupées par lui et Shagi, soupira. Il jeta un coup d'œil à l'horloge murale et réitéra son action. Trois heures qu'ils parlaient. Dire que cette inactivité l'agaçait était un euphémisme. Cependant, voir son frère avec un sourire si franc l'empêchait presque de faire des remarques cyniques.

Presque.

-Vous êtes vraiment seuls au monde… Ça fait bien dix minutes qu'un de vos amis s'est barré sans explication et vous ne l'avez même pas vu.

D'un coup, les enfants parurent revenir à la réalité, et ils cherchèrent des yeux celui qui manquait à l'appel. Yoann. Akira vira au blanc et s'affaissa de nouveau sur sa banquette, appréhendant l'ordre futur de Samantha.

-Monsieur, il faut que vous le retrouviez.

Il plaqua ses mains sur son crâne. Trop de gosses. Qu'est-ce qui lui avait pris de devenir prof ? Un môme, ça court, ça se plaint, ça bave, ça se casse ! Il aurait dû devenir médecin. Pourquoi il n'était pas devenu médecin ? Les personnes aux jambes cassées, ça fait tout le reste mais au moins ça ne s'enfuit pas !

Ah... Oui, c'est vrai la médecine, ça demandait beaucoup de boulot et de motivation.

Dans un gémissement résigné, Akira se leva et s'en alla cueillir le disparu. Les enfants attendirent de vérifier qu'il acceptait vraiment de faire ça, puis reprirent leur conversation, tout sourire, tout aussi enthousiastes.

Samantha resta très évasive sur les épisodes de Carmin-sur-Mer quand Régis l'interrogea, et Eléanore s'enfonça dans sa tasse de chocolat au lait, se cachant même un peu plus derrière Daniel, qu'elle n'avait plus quitté. Le brun, son Evoli dans les bras, le félicitait de ses exploits pendant les matches auprès de leur amie. Il ne décolla ses yeux de lui que lorsque Régis demanda à Eléa de la suivre dans une autre salle.

Il les suivit du regard et grimaça quand ils disparurent derrière la porte. L'ambiance dégringola presque instantanément. Samantha cessa de plaisanter et Lucas passa une main dans ses cheveux. Shagi arqua un sourcil, étonné, et avec un sourire sadique, il lança :

-Jaloux ?

Si les camarades du rêveur rosirent aussitôt, s'offusquant de cette réplique sans fondement, Daniel resta impassible, ailleurs, apathique.

Gabriel, bien qu'impressionné par le nouveau, lui souffla avec vantardise un : « Bien essayé, mais il faut plus que ça avec mon frère. »

Comme le pensait son cadet, l'esprit du brun dériva, à peine déstabilisé par la pique, devant les regards consternés de ses camarades.

Une autre personne, dans le centre, affichait une mine consternée : Akira Yuki. Il n'avait pas mis longtemps à retrouver le gamin égaré. Il lui avait suffi de demander à une infirmière, encore une tante de Samantha, qui lui avait répondu gentiment :

« Je crois que son téléphone sonnait, ou un truc dans le genre, je lui ai demandé de ne pas répondre près des machines donc il est sorti. »

Et effectivement, Yoann se trouvait dehors, à se déhancher d'un pied sur l'autre pour se réchauffer dans cette nuit froide tout en tenant à son oreille un téléphone démodé, encore un cadeau d'au revoir, mais de son père cette fois. Il paraissait affolé, et entretenait une discussion brûlante.

« Oui, ils sont à Celadopole, oui… La fille aux cheveux verts y est, elle s'appelle Eléanore... Oui, ils sont bien entourés, il y a Régis Chen. »

Le gamin eut un sursaut et ses jambes s'enfoncèrent de moitié dans une dune verglacée à cause de son mouvement inconsidéré.

« Mais pourquoi c'est à moi d'y aller ? Oui, j'ai un blouson, mais c'est quoi l'importance de ça ? Comment ça ? Mais je ne la connais pas, cette Sunny, je ne risque pas de pouvoir l'identifier... ».

Yoann blêmit et souffla sur ses paumes découvertes en tremblant, mais Akira n'arriva pas à discerner ses traits. Souffrait-il réellement à cause du vent glacial, ou plutôt de l'ordre qu'il recevait secrètement ? Il n'eut pas le temps de le savoir. La voix de l'enfant s'enroua et il lâcha :
« Bon, j'y vais, je prends un vélo, mon manteau et... J'y vais... Oui, je fais attention, je vous rappelle. »

Il raccrocha, penaud, et se retourna pour faire face à un Yuki au visage plus que sérieux. Peut-être que cette expression si inhabituelle sur le professeur effraya Yoann. En tout cas, il en lâcha son portable et dut le chercher dans la neige précipitamment pendant plusieurs secondes. Quand il releva de nouveau la tête, l'enseignant était toujours là, à le fixer. Il déglutit et ouvrit la bouche difficilement :

-Je dois me rendre sur la piste cyclable, vous préviendrez les autres ? Je reviens dès que je peux. Je vous appelle, promis.

Devant le silence pesant, le médium se sentit tout petit, encore plus coupable. Il marcha fébrilement vers l'intérieur, pour aller prendre ses affaires. Cela ne lui prit qu'à peine dix minutes, aussi quand il repassa à l'accueil cela ne l'étonna pas de revoir Akira. Il essaya de passer sans signe de faiblesse devant lui, mais alors qu'il commençait enfin à respirer sereinement, à poser son pas sur le parvis du refuge, une voix grave lui glaça la colonne plus efficacement que le blizzard.

-Ne joue pas les héros... Je sais que Twilight t'a sûrement fait un portrait idéalisé de ton devoir, mais c'est faux, être un justicier n'apporte que des ennuis. Donc fais attention.

Yoann frissonna et jeta une œillade par-dessus son épaule. Sa gorge s'obstrua.

-Je crois que je viens de comprendre ce que vous voulez dire... Je ne pensais pas faire ce genre de choses quand j'ai dit oui...

Akira fronça les sourcils, et ses doigts se crispèrent sur son blouson, camouflant sa plaie, imperceptiblement. Mais le petit médium sourit faiblement en retour et lui envoya avant de s'en aller en courant :

-Vous aussi, faites attention à vous pendant mon absence !

Le professeur cilla légèrement, puis il rentra au centre, exaspéré. Au moins, le bon côté de ce départ, c'était qu'il y avait moins d'enfants à surveiller... La perspective de garder le reste suffit à le démoraliser pour les années à venir.

Et malheureusement, quand il revint auprès des petits, tout était dans un tel chaos que cela le conforta dans son idée. Il prit juste la peine d'ouvrir la porte, d'entendre les cris, et il tourna les talons, direction sa chambre pour aller se coucher.

Mince quoi, on le payait misérablement pour surveiller un gosse ! Y en avait au moins cinq autres avec elle, qu'elle se garde toute seule, il allait se reposer.

A vrai dire, l'incident qui donna lieu à la dispute qui renvoya Yuki dans son lit marqua également la fin de la soirée pour tout le monde.

Régis avait emmené Eléanore dans une pièce pour parler avec elle des évènements qu'elle voulait lui cacher. Et cela avait dégénéré. La gamine aux couettes, contrastant avec son attitude lasse des dernières heures, explosa.

Le petit-fils avait enchaîné bien trop vite, et embrayé brutalement dans une direction qui ne lui avait guère plu. L'attaquant sur tous les fronts, lui rappelant encore et encore l'inquiétude qu'elle avait causé, à lui, à ses parents, et à Twilight. Car oui, il aborda le sujet de Twilight. Il lui raconta tout sur l'organisation, bien qu'elle connaisse son existence, et d'un coup Régis s'était accroupi pour se mettre à son niveau. Il avait fait comme dans le temps, il l'avait saisie par les épaules, doucement, tendrement, comme pour l'inviter à se confier, à venir vider son sac dans ses bras. Mais cette fois, il avait plongé son regard sévère dans le sien, et il avait dit : « Je t'ai dit toute la vérité, Eléanore, alors maintenant, ose-moi me mentir les yeux dans les yeux ! Qu'est-ce qui s'est passé à Carmin-sur-mer ? ».

Elle lui avait tout déballé d'un coup, sans mensonge ni pommade, comme elle l'avait fait pour Daniel. Elle espérait, elle croyait qu'il pouvait comprendre, qu'il allait accepter facilement toutes les bizarreries de son récit, à l'image de son « confident ». Mais le visage de Régis se décomposa au fil des mots, comme s'il ne parvenait même plus à leur conférer le moindre sens.

Et là, tout s'était enchaîné, Daniel avait débarqué dans la salle en déclarant que Lucas montrait ses nouveaux tours, et il avait surpris Eléa dans cette « position » ambigüe avec le chercheur. Ses mots s'étaient empâtés dans son gosier, et après une seconde d'absence de réaction, il avait murmuré un « désolé, je dérange » avant de repartir, plus ou moins impassible.

Ce n'était vraiment rien. Pas de quoi fouetter un chat, mais ce simple incident déclencha tout, alors qu'elle était parvenue à maîtriser sa colère tout du long du discours de son ami d'enfance, qu'elle avait ravalé ses cris, son ego, prête à tout lui révéler et à supporter l'engueulade, cet accident fut le déclic.

Eléanore avait rejeté Régis avec véhémence. La cacophonie du chercheur s'étalant de tout son long au sol, renversant la table avec lui, avait ameuté tout le reste du groupe, et ramené à la réalité le blessé.

Les enfants restèrent sidérés par cette réaction démesurée. Daniel plus que les autres, parut perdu, quoiqu'il se battait pour la palme d'or avec Régis. Cependant, si le petit shiney hunter ne bougea pas d'un pouce pour calmer Eléa qui bafouillait des « ce n'est pas ce que tu crois ! », ce ne fut pas le cas de son alter-ego. Le brun attrapa de nouveau la gamine aux couettes par les épaules et cette fois l'obligea à restreindre ses mouvements, puis il lui cala le visage entre ses paumes et l'obligea à le regarder encore une fois.

Mais il ne lui montra ni visage compatissant, ni même sa gentillesse habituelle, avec un mépris plus violent qu'une claque il lui asséna :

-Mais qu'est-ce qui tourne pas rond chez toi ?

Cette phrase figea la petite, la faucha plus habilement qu'une faucille. Ses prunelles se perdirent dans celles du savant et brillèrent de pleurs. Ses lèvres s'étirèrent dans un sourire, plus semblable à une grimace d'agonie, et elle murmura :

-Comment ça... ? Je ne comprends pas...

Cette excuse, bien que sincère, sonna trop faux aux oreilles du savant pour qu'il l'encaisse sympathiquement. D'une voix n'acceptant aucune réplique, il lâcha :

-Arrête de dire des âneries plus grosses que toi, je t'ai demandé la vérité. Et tu me sors ce tissu de mensonges ? Jamais l'Eléanore que je connais n'aurait fait ça ! Jamais elle n'aurait eu le moindre geste contre moi, comme maintenant, elle n'aurait pas piqué une crise pour une allusion, ne m'aurait pas menti...

L'héritière des Sarl resta droite, digne, mais elle baissa discrètement la tête, ployant sans le vouloir sous ce reproche. La voix cassée, harassée de Régis résonnait entre les quatre murs et en elle-même, plus douloureuse qu'elle ne le croyait.

-Tu te souviens de ce que tu m'avais fait promettre, quand tu étais petite, et que tu es revenue de ta première soirée « d'affaire » avec tes parents ? Tu devais avoir sept ans tout mouillé, et tu m'as sorti « Régis, rends-moi un service, si je deviens une fille aussi compliquée et chiante que les autres princesses, une fille que tu n'aimes pas, file-moi une baigne pour me remettre les idées en place. »

La dresseuse aux couettes se remémora aisément cet épisode de sa vie - un des plus gonflants d'ailleurs. Elle que sa mère avait élevé de manière modeste, avait rencontré les enfants des autres grands PDG du monde, tous des gamins imbus d'eux-mêmes, capricieux et égoïstes. Elle avait dû jouer un rôle toute la soirée, faire attention à ses manières, comme quand ses grands-parents venaient la voir. Elle avait dû faire semblant d'apprécier ces « rois » et leurs jeux idiots consistant à torturer les serveurs.

Oui, elle avait dit ça à Régis à son retour. Il venait de revenir au Bourg Palette, il était redevenu lui-même, alors elle avait voulu être sûre de ne jamais changer à ce point, de rester la même fillette simple qu'il affectionnait.

Mais...

Les lèvres d'Eléa se tordirent.

Comment pouvait-elle prétendre être Eléanore Sarl après ce qu'elle avait appris ? L'enfant que Régis aimait, que ses parents couvaient, ce n'était pas elle...

Le petit-fils de Chen soupira devant le mutisme de son amie d'enfance et ferma les yeux, avant de les rouvrir, résigné.

-Le fait est... Que je suis incapable de te frapper... Cependant, je n'aime pas ce que tu deviens en ce moment. Une fille menteuse, qui cache des choses à ceux qui veulent l'aider, qui fuit ses sauveurs et crache sur ceux qui l'aiment.

Daniel fronça les sourcils dans la foule. Lucas rétorqua que le savant allait un peu loin, s'attendant à un soutien de la part de ses camarades derrière lui, mais Samantha resta muette, trop sonnée par les récents évènements pour pouvoir nier les chefs dont on inculpait Eléa. La concernée s'affaissa imperceptiblement, reculant, s'éloignant du châtain, comme brûlée par son simple contact, les yeux révulsés.

Cela signifiait-il que cette amitié aussi n'était que le résultat de la manipulation de Miyu ? Régis n'appréciait pas ce qu'elle était réellement, la fille qu'elle était en cet instant.

Pourquoi ?

Pourquoi ne pouvait-il pas se lier avec les deux ? Pourquoi juste Miyu ? Tous les souvenirs qu'elle possédait de lui, où il la réconfortait, la prenait dans ses bras, lui racontait ses magnifiques aventures... En vérité, il ne lui adressait pas son affection, mais au spectre qui était en elle, à cette bête curieuse qui pour sauver sa vie avait écrasé Eléanore Sarl...

Eléanore sentit son cœur s'effriter, ses poings se serrèrent violemment dans le sursaut qu'elle ne put camoufler pour retenir ses sanglots.

Ce n'était pas juste.
Elle aimait Régis ! Plus que tout au monde, l'idée que toutes ces marques, toutes ces preuves qui les unissaient soient dirigées vers un autre, un traître en qui elle avait eu une confiance presque absolue...

Ce n'était pas juste !

Régis se crispa, ses doigts pressèrent l'atmosphère vide, se contractèrent puis se relâchèrent, difficilement. Il se leva, et tourna le dos à son amie en sifflant avec une peine apparente :

-La soirée est finie, tout le monde va dormir maintenant... Eléanore, on s'expliquera un autre jour.

Daniel le vit porter la main à sa bouche et se pincer les lèvres, comme s'il retenait une exclamation enfouie, frustrée. Mais il n'y prêta guère plus d'attention, Samantha venait de se précipiter vers Eléanore pour lui lancer le plus gentiment possible :

-Ne te laisse pas trop toucher par ses mots durs, il est en colère, ça lui passera.

Son amie sursauta, puis d'un mouvement lent, elle lui fit face. Les larmes contenues en elle se refoulèrent plus profondément, et elle esquissa un sourire faux, une façade joyeuse, insouciante comme on lui connaissait au début de l'aventure, pour lâcher :

-Ça va. Après tout, je m'en fiche pas mal de ce qu'il pense.

Elle mentait. Samantha et Lucas se laissèrent aveugler par cette apparence, mais pas Daniel. Elle mentait. Comment pouvait-elle ne pas s'en soucier ? Son ami d'enfance, son soutien pendant des années, venait de la rejeter, de couper ce lien de confiance, d'admiration qu'ils entretenaient l'un pour l'autre. Régis venait simplement de lui dire que leur amitié vacillait.

Daniel attendit patiemment qu'ils se retirent un par un en grommelant, puis il s'avança vers Eléa, et lui prit lui aussi le visage entre les mains pour essuyer un peu les sillons humides, invisibles sur ses joues, mais pourtant bien présents en son âme. Il la regarda tendrement, et elle souffla, honteuse :

-Tu n'es pas fâché ?

Daniel arqua un sourcil, et demanda naïvement :

-Pourquoi ?
Eléanore vira au rouge vif, au comble de l'embarras, et baissa de nouveau la tête.

-Je suis vraiment fatiguée... Je croyais que tu étais fâché pour tout à l'heure, que tu avais cru que... C'est pas grave... Ça n'a pas d'importance.

Un silence s'instaura entre eux, durant lequel la gamine détourna le regard, honteuse de s'être ainsi donnée en spectacle. Soudain, alors qu'elle se préparait à partir sans un mot de plus, le rêveur revint sur terre.

-Moi je sais ce qui a changé chez toi, fit-il triomphal, presque fier de sa trouvaille.
Eléa se braqua et le scruta rapidement, cherchant à comprendre ce que ça signifiait, mais Danny posa son doigt sur sa joue gauche et traça le pourtour de ses paupières avec douceur, avant de lancer :

-Tu as des taches dorées autour de ta rétine. Ça veut dire que ça va bientôt prendre cette couleur, c'est ce qui nous est arrivé, à Gabriel et moi... Même si on était un peu plus jeune quand ça s'est produit, et que nous, notre œil a pris une teinte marron très moche.
Alors sans prévenir, stupéfiée par la bêtise des propos, par le non-rapport, Eléanore pouffa. Un tout petit rire, jaune, nerveux, mais cela lui fit tellement de bien, tellement de bien après les évènements de Lavanville. Daniel lui prit la main et la guida à la chambre qu'elle partageait avec Sam sans rien ajouter, la laissant à son rire discret. Trop heureux de lui avoir arraché pour le lui ravir. Quand ils passèrent devant un miroir dans le couloir, alors que Daniel fit de son mieux pour éviter son reflet, Eléa palpa sa pommette, et grimaça.

Un œil doré...
Exactement comme Miyu.
Il était toujours là.


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Il n'avait jamais apprécié la nuit. Beaucoup d'enfants de son âge, et plus particulièrement de sa famille, admiraient ce moment. Ils lui donnaient des tonnes de raisons pour le convertir : une pseudo sérénité spirituelle, la beauté des constellations… Tous les arguments qu'il recevait se heurtaient à sa peur quasi phobique du froid et du noir.

Autant dire que là, Yoann était servi.
Il se retrouvait assis sur la selle d'un vélo. En parfaites conditions, il avait déjà du mal à conduire ce truc correctement, mais avec la bise glacée en plus, le jeune médium se voyait déjà perdre le contrôle sur une plaque de verglas et passer par-dessus la rambarde de sécurité. Feurisson avait beau réchauffer ses doigts crispés et gelés sur les poignées avec son brasier interne, cela ne le rassurait pas vraiment.

La piste cyclable ressemblait à un pont entre Celadopole et Parmanie. Alors que le garçon essayait tant bien que mal de voir sur quoi il roulait, malmené par le vent frais et les ténèbres de la nuit , il se remémorait rapidement les ordres de son supérieur. Retrouver leur camarade tombée. Aider la police et surtout tout faire pour sauver cette Sunny ou au moins ramener un corps à son frère. Rien de bien réjouissant en perspective.

Une lueur chaude et vacillante perça le brouillard hivernal. Yoann crut d'abord que le lance-flammes que son pokémon feu crachait pour lui tracer un passage dans la neige créait un mauvais reflet sur ses lunettes de protection, mais il avait tort. D'immenses flammes se dressèrent bientôt à l'horizon. Construite comme un pont surélevé, pourfendant la mer, la piste cyclable voyait presque tout un pan de sa structure s'effondrer dans les eaux tourmentées que craignaient les marins. Les plaques de terre et le terrain nivelé s'effritaient au gré du brasier et de l'humeur changeante, tumultueuse, de l'océan. Quelques dresseurs et symboles de la force de police paniquaient face à ce carnage. Pas un seul camion de pompiers, ni même une voiture. Les rares créatures de l'eau que l'on avait pu trouver contenaient les flammes tant bien que mal.
Le médium dérapa, plus par mauvaise chance que par volonté, il abandonna son véhicule et se rua vers le premier agent en uniforme, passant à la va vite son blouson officiel de l'organisation. Peter lui avait confié qu'il avait donné une conférence de presse à la suite des évènements de Carmin-sur-mer, pour obtenir la coopération totale des incarnations de l'ordre, tels que la police ou les agents des services d'urgences. Normalement, ces personnes avaient été briefées pour laisser tout pouvoir à quiconque arborait le sigle de l'organisation. Il espérait que c'était bien le cas, parce que sinon, ils allaient le chasser comme un malpropre.

-Je suis un agent de Twilight ! bafouilla-t-il à la vitesse de l'éclair.

Vu la tête de l'agent Jenny - qui devait décidément se croire en plein délire hallucinatoire - elle n'avait pas compris un traître mot de sa phrase, aussi répéta-t-il plus lentement, avant d'ajouter :

-Pourquoi il n'y a personne d'autre que vous pour intervenir ?
-La piste n'est pas faite pour supporter un tel poids, elle est inaccessible aux pompiers ou aux camions, elle risquerait de s'effondrer sous les roues des chauffeurs ! expliqua rapidement la femme de l'ordre.

Yoann siffla. Le brasier derrière eux prenait de plus en plus d'ampleur et le bord de la structure grinçait sinistrement, les colonnes de fer forgé se tordant à la manière d'un agonisant périssant dans les flammes. Il fallait faire vite, contenir au moins l'incendie. Heureusement que la neige empêchait sa propagation, sinon...

D'un geste mal assuré, il ordonna à ses pokémons de se montrer. Tritosor, Noadkoko et Fantominus vinrent rejoindre son starter. La policière regarda avec stupéfaction ce gamin sorti de nulle part , celui-ci inspira un bon coup pour calmer son rythme cardiaque, puis hurla :

-Noadkoko, Psyko ! Aide les pokémons Eau à avoir une vue globale du feu !

La femme allait le mettre en garde contre le nombre de créatures que son ami devrait soulever, mais elle n'en eut pas le loisir. L'aura bleutée entoura rapidement la masse, et bientôt des dizaines de pokémons se retrouvèrent en apesanteur, comme d'un seul bloc. Sans pause, Yoann pointa le lieu accidenté à son Tritosor, et le Pokémon se rua à l'intérieur, protégé par son double type Sol et Eau. Il commençait à détruire le foyer de l'intérieur, sans souffrir du terrain.

Un ricanement échappa à la recrue de Twilight. Yoann, avec un sourire victorieux, murmura :

-Les combats contre Eléa ont eu du bon. Tu es habitué, hein Tritosor ? Maintenant... Sa tactique pour manipuler les flammes, c'était...

Il fit volte-face et cria à la bande de dresseurs hagards :

-Tous ceux qui ont des pokémons avec des capacités Vol, sortez-les et envoyez des rafales vers l'océan, ça devrait faire reculer le feu dans cette direction !
Avec quelques sursauts et autres regards terrifiés, ils obéirent. Bientôt une horde d'oiseaux vint se joindre à la bataille. Devant la mine abasourdie de l'agent Jenny, Yoann se détacha des autres, et fit signe à son Fantominus de venir, retirant ses lunettes de protection de son nez.
-Il y a un de nos membres probablement coincé sous les décombres, je vais la chercher. En attendant, continuez d'organiser les secours s'il-vous-plait... balbutia-t-il.
-Qu-Quoi ? s'écria la femme, sentant encore la chaleur suffocante de l'incendie lui roussir les cheveux. Mais vous allez vous faire tuer ! Envoyez plutôt un de vos pokémons...Votre Fantominus...
-Fantominus est composé de gaz, l'envoyer là-dedans reviendrait à l'envoyer à la mort. Et puis je ne crains rien...

Il sourit gentiment, et souffla :

-Pour une fois que mon statut de medium m'aide... Allez Fantominus, attaque Hypnose puis Dévorêve !

Sa phrase à peine achevée, le jeune garçon tituba en arrière dans un gémissement contenu, puis s'effondra de tout son poids. L'agent Jenny, paniquée, le rattrapa, et elle s'apprêtait à disputer le Fantominus d'avoir ainsi agressé son dresseur, mais le spectre ne bougea pas, en pleine méditation, en pleine attaque.

Bien sûr, en tant que personne ayant une faible perception spirituelle, elle ne parvint pas à discerner la silhouette astrale du gamin, et Yoann ne se donna pas la peine de lui assurer sa présence. Au moins sous cette forme il n'avait plus froid. Cette drôle de remarque, venant de lui, le surprit au plus haut point. Il avait toujours détesté quand les fantômes de la tour s'amusaient à lui jouer cette farce. Une fois, il était resté coincé comme ça pendant trois jours entiers sans pouvoir retrouver son corps. Cet incident marqua d'ailleurs le début de son port de lunettes protectrices, et son intégration dans l'organisation Twilight.

Il commença son investigation, traversant les débris comme de rien, s'enfonçant dans le brasier sans vraiment le sentir. C'était pour son physique « banal » et son don de medium qu'il avait pu intégrer cette guilde de justiciers. Par la suite, seul son travail en tant que dresseur avait été pris en compte dans la balance. Et encore aujourd'hui, ce même schéma revenait. Il ne savait pas vraiment s'il en restait frustré, et le moment de se poser la question ne devait certainement pas être celui-ci. Ven : A se demander si elle ne les a pas achetées en gros. Sans doute une promotion. /
Après quelques secondes à plonger dans un amas de débris, à la manière d'un Minidraco dans l'océan, il finit par déboucher sur quelque chose, ou plutôt la heurta de plein fouet. Une barrière invisible - une capacité Psy, pour le filtrer comme ça - le stoppa dans sa progression. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre ce qui découlait de ce signe. Il contourna l'attaque Protection et ses yeux s'écarquillèrent.

Devant lui, un magnifique Feunard argenté protégeait une masse sanguinolente sous ses pattes, et une créature semblable à un Noctali à la couleur étrange s'affaiblissait peu à peu. Yoann ne se posa pas plus de questions. Il remonta en flèche, et arrivé à l'extérieur, il se repéra rapidement par rapport à l'endroit où stagnaient les secours, et retint un passage qui le guidait vers la dépouille.

Il ne mit pas plus d'une minute à rejoindre son métabolisme. La pauvre agent manqua d'avoir un infarctus, et le garçon lui adressa tout juste quelques mots pour la calmer, avant de repartir donner des instructions. Avec l'aide des dresseurs environnants, ils purent déplacer assez le brasier pour faire apparaître un chemin presque praticable. Yoann monta sur son Tritosor et se plaqua contre sa peau suintante, avec l'impression de se faire entourer par une bulle gélatineuse - sensation fort peu agréable, mais nécessaire. Grâce à son pokémon, il atteignit sans encombre le coin où gisait sa camarade. Il arriva juste à temps : la Protection vola en miettes, le Noctali ne pouvant plus la tenir. Le garçon attrapa la masse que tentait vainement de protéger le pokémon Feu et l'amena contre lui, avant de rappeler les vaillantes créatures dans les pokéballs attitrées, qu'il dénicha à la ceinture de la jeune femme.

Les enfants parvinrent de cette manière à revenir sur la rive sécurisée. Tritosor les lâcha sans douceur, et retourna de lui-même dans la sphère rouge, avide de repos. Yoann, l'adrénaline retombant, discerna alors ce qu'il avait occulté dans le « feu » de l'action.

Sunny, les yeux grands ouverts, ne bougeait pas du tout, une auréole ondoyante l'entourant, la protégeant. Les yeux grands ouverts, le corps asymétrique, ses plaies béantes ne saignaient pas, son bras déchiqueté ne versait pas une seule larme pourpre, et ses brûlures purulentes ne battait pas non plus à la mesure d'un pouls.

Le souffle du garçon se bloqua, incapable de détacher son regard de la frimousse à présent indifférente de la rescapée. Jenny passa un coup d'œil par-dessus l'épaule du garçon et poussa une plainte désolée.

-Elle est morte...
Elle s'attendait à beaucoup de choses. A voir cet enfant fondre en larmes, même à un discours grandiloquent et incroyablement mature, mais certainement pas à ce que ce sale gosse lui chipe sa ceinture. Elle poussa un hurlement strident, retenant de justesse sa jupe, et jura contre tous les dieux de l'univers.

Yoann, quant à lui, venait d'étreindre Sunny, de se redresser, et avec le lien qu'il venait d'emprunter, nouer le corps de l'adolescente au sien. Il défit son propre bien pour assurer une deuxième prise en cas d'accident. Voyant que cela fonctionnait, il se précipita vers son vélo abandonné et grimpa dessus. Il s'apprêtait à repartir quand le cri de l'agent en fonction l'arrêta net :

-Mais qu'est-ce que VOUS FAITES ?
-Elle est vivante ! Ce qui la fait briller, c'est l'effet d'une Rune Protect ! Plusieurs cas démontrent que certains pokémons lancent cette attaque sur leur dresseur pour les sauver de la mort, mais cela ne dure pas longtemps. Comme en combat Pokémon, ça a un effet réduit dans le temps ! Pour l'instant, ça stoppe les hémorragies, ça l'empêche de mourir, tout au plus, il faut que je me dépêche ! répliqua rapidement le garçon.
-Re... Rendez-moi ma ceinture quand même ! s'offusqua la policière, rouge de honte.
-Désolé, j'en ai besoin, je suis nul à vélo ! Remonter la pente à pied comme ça prendrait trop de temps, j'irai plus vite en dévalant à toute vitesse la piste vers Parmanie, mais il me faut quelque chose pour l'empêcher de tomber...
Sans rien ajouter de plus, il donna un petit coup brusque sur le côté, et le véhicule commença à dévaler la pente à une allure folle. Feurisson put tout juste sauter sur le porte bagage pour reprendre son rôle de déblayeur de verglas. Avant de disparaître, Yoann émit une dernière phrase :

-Mais qu'est-ce que vous foutez en agent de terrain, en plein hiver, avec une JUPE ?
Après cette rencontre pour le moins inhabituelle, cet agent en fonction se fit une promesse solennelle : la prochaine fois qu'elle croiserait un membre de Twilight, peu importe qui, elle lui filerait une gifle. Mais vu que pour le moment, il n'y en avait pas, elle se contenta de choper un gamin qui trouvait ça drôle de tout filmer, et de lui passer un savon.


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Samantha avait vraiment du mal à dormir ces derniers temps. Le même cauchemar revenait sans cesse la tourmenter : elle se trouvait perdue dans la dimension de Celebi, pendue au-dessus du vide, des images affluant dans son crâne. Parfois, elle ne savait même pas qui était le héros des « visions » qu'elle recevait, parfois elle revivait le futur de son amie... Et toujours elle se redressait en sursaut sur sa couche, en sueur.

Cette fois-là, encore une fois, elle ne reconnaissait pas les traits des intervenants...

Peut-être des gamins provenant de son subconscient, créés pour lui apporter un message, peut-être aussi qu'ils existaient vraiment, qui le savait de toute manière ? Quelles conséquences avaient eu son voyage avec Celebi ? Elle abandonnait toutes les questions liées à ce sujet, cela ne faisait que la déprimer. Et elle ne voulait plus de ça. Eléa était au plus mal, elle avait besoin de son soutien, ils étaient loin de l'organisation qui la mènerait à sa perte, et ils avaient enfin retrouvé leurs amis...

Cependant, on ne contrôle pas ses songes, et Samantha ne put détourner le regard de la scène qui se produisait devant elle.

Une maison sombre, impeccable, un intérieur normal, propre, en pleine nuit, déserté de toute vie, ses occupants assoupis. Sauf deux. Deux gamins lorgnaient de loin le réfrigérateur. Ils se soutenaient l'un l'autre, se tenant la main, et se jetaient des coups d'œil inquiets de temps à autre. Finalement, après avoir dégluti une énième fois, le plus âgé des deux, un tout jeune garçon aux cheveux et aux yeux outremer, fit un pas de Miaouss vers leur cible. Un craquement de parquet, un gémissement de la fillette à la chevelure d'ébène, un « chuut ! » encore plus bruyant encore en retour.


L'enfant s'approcha fébrilement, parcourant les trois mètres qui le séparaient de son but, dans le noir. Rassuré, il attrapa la poignée de la porte et sourit de toutes ses dents, avant de se retourner avec entrain et murmurer :

-Sunny, c'est bon, le Spectrum de maman ne garde pas le frigo, viens !
Le visage de la fillette s'illumina, et pas seulement à cause de l'allumage automatique de la machine dès qu'on l'ouvrait. Bien qu'elle soit vêtue d'un pyjama plutôt chic, elle paraissait affamée, et elle se rua à la suite de son aîné pour le rejoindre. Tous deux prirent une bouteille de lait et y burent au goulot avidement, tour à tour, une mine comblée imprimée sur leurs frimousses. Qui s'effaça presque instantanément. La gamine blêmit et poussa un cri terrifié, le précieux bien s'écrasa au sol et se brisa. La petite se jeta dans les bras du garçonnet, qui se retourna et fit face à un immense Spectrum furieux.

-Att... Att... balbutia le petit, paniqué.
-Blake et moi on est désolés ! Dis à Maman, on le refera plus ! Pr... Promis, ne nous punis pas ! hoqueta Sunny en larmes.

Malheureusement le Spectrum resta insensible. Il leur tira la langue et ricana, avant que ses deux mains ne se posent sur les épaules des enfants et ne les poussent contre les tiroirs sous l'évier. Samantha ignorait quelle attaque le pokémon avait exécuté. De toute manière, les gamins traversèrent la matière et se retrouvèrent enfermés à l'intérieur. Leurs sanglots redoublèrent, ils ne cessaient de répéter leurs promesses au fantôme, sans réponse. Leurs petits poings ne parvenaient pas à débloquer les portes à verrou.
La créature spectrale ferma le réfrigérateur, puis disparut, laissant ses victimes derrière lui sans sourciller. Bientôt leurs plaintes s'éteignirent elles aussi dans la nuit.
Samantha ouvrit les yeux avec le cœur gros, les prunelles encore ensommeillées et tourna la tête pour découvrir le dortoir abandonné. Perdue, elle jeta un coup d'œil au réveil : 8h00. Ce n'était même pas son horaire habituel.

Elle rejeta sa couette renforcée et s'habilla prestement, tâchant d'éloigner ses pensées des cauchemars de la nuit. Tel un zombie, elle prit ses affaires et s'avança dans le couloir froid, cherchant ses camarades, pantoise, absente. Elle erra un bon moment, jusqu'à croiser enfin sa tante.

L'infirmière lui fit un sourire radieux, presque mystérieux, et elle rit doucement en lui déclarant :

-Bon anniversaire Samantha... Ta mère t'appelle ce soir, elle a une surprise pour toi. Oh, et tes amis sont dans la salle à manger.
L'adolescente s'étonna , puis la remercia de son attention avant de se diriger vers le lieu indiqué. Elle passa à peine la porte qu'elle fut assaillie, littéralement. Une dizaine de ballons lui tombèrent sur la tête, tous emplis d'eau. La douche froide eut le don de la réveiller totalement. Derrière le rideau ruisselant de sa chevelure, elle perçut des exclamations étouffées, ainsi que des cris semblables à « Gabriel, c'est toi qui as fait ça ? » « Vous m'avez demandé de remplir les ballons et de les accrocher, mais vous ne m'avez pas donné plus d'instructions, donc j'ai improvisé. » « Sale gosse ! » entre autres fous rires retenus.
Avec lassitude, et presque de l'appréhension, Samantha soupira et recracha une dose d'eau non négligeable avant d'essorer sa tignasse. Elle fit alors face à d'immenses sourires, dignes des pubs de dentifrices. Daniel, Lucas, Eléa, Shagi, Yuki, Gabriel, tous la fixaient comme la septième merveille du monde - ou alors comme si elle avait oublié de mettre son pantalon. Instinctivement, elle passa une main sur ses cuisses.

Non, elle avait quelque chose sur les jambes.

Elle n'eut pas à patienter longtemps pour savoir ce qui se tramait dans leurs cerveaux déjantés : Eléanore sortit de son dos un petit gâteau fait maison, et tous lâchèrent avec délectation :

-Joyeux anniversaire Samantha !

La remarque la figea totalement, son cerveau mit quelques secondes à refonctionner - peut-être à cause du récent bain. En tout cas, elle pointa l'objet symbolique du doigt, les sourcils froncés, comme doutant même de sa présence physique, et balbutia :

-Mais... je... je croyais qu'on ne fêtait pas les anniversaires entre nous, comme les fêtes ?

Les trois camarades de voyages échangèrent des clins d'œil complices avant de répliquer, fier comme des paons :

-Exception ! C'est tout autant pour fêter nos retrouvailles, si tu préfères cette excuse, lâcha Eléa, toute guillerette.
-Attention, c'est Eléa qui a cuisiné et fait ce gâteau, donc c'est peut-être ton dernier anniversaire. Profite de ça, Sam ! plaisanta Lucas, avant de se prendre ledit gâteau en pleine face de la part de la gamine, vexée.

Daniel observa le manège et son meilleur ami se faire houspiller pour être obligé d'avaler ce qui restait de sucreries imprimée sur sa face, et eut un rictus.

-On oublie le gâteau alors...

Samantha resta interdite, comme frappée par la foudre - quoique, après l'averse de bombe à eau, ce serait dans la continuité des choses. Par mesure de sécurité, elle fit un pas sur le côté. Heureusement, car Pilou, impatiente d'imiter sa dresseuse furieuse, balança ses éclairs à tort et à travers, grillant le pauvre Yuki qui n'avait rien demandé à personne.
Le calme revenu, et un ou deux fous rires qui tirèrent Sam de son mutisme abasourdi, Lucas s'avança vers la jeune fille et prit une allure professorale, bien plus crédible que celle d'Akira, pour déclarer :

-Alors voici le programme d'aujourd'hui ! Pas de combats, pas d'entraînement ni rien, juste la journée tous ensemble... Comme tu es la star de la journée, c'est toi qui décides, Sam. On n'a pas eu le temps de t'acheter un cadeau, comme tu le vois, donc à la place, chacun de nous te doit une faveur. Tu pourras nous demander à tous une requête, et si c'est dans nos moyens, on obéit sans discuter ! Qu'en dis-tu ? -Et... Et mon badge ? S'enquit la jeune fille.
-Erika attendra. Après tout, un jour de plus ou de moins ! Allez Sam, c'est pas tous les jours que tu as quinze ans ! insista le brun.

Dos au mur, entouré par tant d'enthousiasme, Samantha ne parvint pas à résister plus longtemps, alors quand Gabriel lui demanda où elle voulait aller, elle répondit, excitée :

-Au centre commercial ! Comme les adolescentes dans les shows télévisés, je veux faire exactement comme elles, sortir avec mes amis là-bas.

Les mines s'enchantèrent de plus en plus. Eléanore les pressa de partir de suite, de peur de croiser Régis dans les couloirs et de se disputer à nouveau. A tel point qu'elle en oublia d'éjecter Shagi, celui-ci se contenta de les suivre de loin sans perdre des yeux sa proie attirant les pokémons légendaires. Et c'est ainsi que la journée débuta pour le groupe.

Le meilleur anniversaire de la vie de Samantha.

Les joyeux lurons se retrouvèrent donc à gambader dans le centre le plus grand du continent. Les écrans muraux parlaient peut-être d'une catastrophe nocturne survenue la veille à quelques kilomètres d'eux, mais les gamins étaient à des lieues de cette atmosphère. Ils ne virent même pas la silhouette de Yoann donner des instructions pour contenir le feu, filmé par un dresseur curieux. Ce ne fut que quand l'agent Jenny déclara aux journalistes que les jeunes devenaient de plus en plus pervers qu'ils accordèrent un tant soit peu d'attention outrée à l'émission.

La fête faillit ne pas commencer à cause de ça, également, car la distraction, même si elle ne dura qu'une minute ou deux, entraîna la disparition de Daniel - qui avait continué, dans la lune, tout droit - et du centre de la soirée, Samantha. Après une bonne heure de recherche, on retrouva les deux gamins, dont une traumatisée à vie qui répétait en boucle qu'elle n'était même pas capable de s'orienter dans un endroit public. Pour la rassurer, il fallut confirmer que oui, les supermarchés étaient aujourd'hui extrêmement grands et complexes, et que c'était normal de se retrouver au rayon des surgelés en cherchant le hall. (On empêcha Gabriel d'ajouter sa remarque. )

Au final, tout le monde se retrouva devant une vitrine emplie de pierres évolutives. Eléanore montrait les précieux minéraux à son Evoli en lui demandant si ça la tentait, mais de toute évidence, non. Daniel, pourtant, emporta tout le monde dans un de ses discours passionnants :

-Vous savez que dans les légendes païennes, celles de la même époque que la princesse Eléanora, les pierres avaient une connotation artistique, voire magique ? Les humains se servaient des pierres lors des cérémonies de nouvelles années, ils utilisaient la réfraction de cet objet pour berner les autres. D'après les écrits que nous avons retrouvés, ils pensaient que ces pierres renfermaient l'incarnation même des pokémons d'un type, et donc dès qu'ils avaient besoin de pluie, ils honoraient la pierre eau, et les pokémons de cette famille. A vrai dire, cette croyance a hautement influencé les découvertes scientifiques sur ces ustensiles. Un homme a même perdu son objectivité, en la mélangeant avec les théories. Il disait qu'il s'agissait d'un élément qui avait été fossilisé dans une sorte de résine, une sorte de catalyseur. D'après lui, la résine avait accidentellement emprisonné les glandes des pokémons de ce type, qui fabriquent les éclairs, le feu, ou l'eau, et avait conservé ces parties organiques en parfait état, de manière à ce que la puissance contenue augmente au fil des siècles, jusqu'à irradier même, d'où la raison de l'évolution de certains pokémons en exposition !
La tête du vendeur - plus qu'impressionnée - mis fin à ses explications, et il se dépêcha de filer à l'anglaise avec les autres, rouge de honte, occultant de ce fait les exclamations de ses camarades, tout autant attendris. Samantha connaissait la théorie du scientifique en question, mais pas plus, et elle n'en revenait pas. Cette explication possédait quelques partisans, ceux qui affirmaient qu'un pokémon spécifique, exposé à son élément de manière abusive, n'avait pas forcément besoin de pierre pour évoluer. Mais Sam n'y prêtait que peu de crédit.

Après un moment à se promener de magasin en magasin, elle finit enfin par faire un choix. Qui ne mit pas tout le monde d'accord.

-Allez Eléa ! Vous avez dit tout ce que je veux si c'est dans vos moyens ! T'as pas le choix, c'est ma faveur pour toi !
-Nooooon ! Jamais de la vie !
-Bornée !
-Superficielle !
-Cochon !
-Pouf !
-Moi au moins je prends des bains !
-Moi au moins j'entraîne mes pokémons !
-C'est fourbe, et en plus tu viens d'avouer que tu n'prenais pas de bain !
-Et alors ?
-EUUURK !
-Entrez dans ce foutu institut de beauté ou entretuez-vous mais pitié, cessez de crier ! gémit Gabriel, exaspéré.
Shagi, sur un banc à l'écart, camouflé derrière un journal daté de la veille, pouffa de rire. Eléanore se tenait à la porte, en position de Stari, bien décidée à ne pas mettre un seul orteil dans ce lieu réservé à « embellir » les femmes. Lucas riait de la situation, prenant un malin plaisir à donner raison à Samantha, ajoutant même qu'ils avaient des bons de réduction qui comprenaient cette boutique spéciale.
Akira dut trouver ça drôle, car il aida son élève à emporter son amie, et même à l'asseoir sur le fauteuil des soins. Malgré les cris de protestation et les coups de poing dans le vide, la jeune dresseuse finit par se calmer après un « allez, fais-moi plaisir pour mon anniversaire ! », bien traître.
Les garçons patientèrent à l'extérieur, près de la fontaine, de bonne humeur, parfois secoués par un fou rire quand un « AH NON PAS ÇA ! » d'Eléa, parvenait à leurs oreilles.

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Il paraît que quand on meurt, on voit sa vie défiler. Elle n'avait jamais vraiment cru à cette histoire. Et pourtant, pourtant, lorsque le compteur avait atteint zéro, elle avait bien vu quelque chose. Bien sûr, pas de réminiscence de l'époque où elle était un nouveau-né, mais bien un souvenir, bien trop ancré en elle, bien trop important dans le scénario de l'histoire de sa vie pour qu'elle l'oublie.

L'assistante sociale était encore repartie de chez eux en leur expliquant qu'il fallait des preuves avant d'accuser ses parents de maltraitance. Elle était partie en les laissant derrière, sans même se soucier de la raclée qu'ils risquaient de se prendre pour avoir une fois de plus demandé de l'aide. Elle détestait ce système affreux. Pourquoi, sous prétexte qu'ils étaient leurs géniteurs, devait-elle leur obéir ? N'avait pas le droit de s'enfuir avec son frère sans se faire ramener par la police ? Elle n'avait que sept ans, et elle comprenait déjà plus la vie que cette foutue fille en mini-jupe, qui répétait encore « On fait notre enquête d'abord. »

Exactement comme ce son atypique, indifférent, un long « bip » mécanique.

La correction avait été monumentale. Etrangement, elle ne se souvenait pas du vrai visage de sa mère biologique. Elle se remémorait aisément le rire de son Spectrum, des crises étranges de sa maladie mentale, mais rien, pas un trait, pas même de couleur. A la place, des centaines, des milliers de reproches, de châtiments, et des milliers de dîners en famille où leur père feignait de ne pas voir leurs plaies. Le visage de son frère se contractait de peine si souvent à cette époque… L'avait-elle même vu sourire avant l' « accident » ? Elle ne savait plus exactement. Oui, certainement, il avait dû au moins sourire une fois avant ses dix ans... C'était trop cruel sinon, non ?

Le bruit devint de plus en plus fort, s'assimilant au ruissellement continu d'un liquide.

Exactement le même qui l'avait réveillée, tirée de son sommeil cette nuit-là. Comme une mixture enfermée dans un container, qu'on tirait, ardemment, le fond raclant le parquet, s'entrechoquant dans les jambes de son porteur. La porte du placard où sa mère l'avait enfermée pour ne pas avoir répondu à son père à la question « as-tu passé une bonne journée ? », s'était ouverte. Il l'avait attirée vers lui, et lui avait murmuré d'aller dormir dans son lit, doucement. Mais elle l'avait vu reprendre sa charge dans l'obscurité, et partir vers le garage sans un mot. Elle n'avait pas voulu rester toute seule dans le noir, et après avoir trépigné en retenant un sanglot, elle l'avait rejoint en courant. Pour le retrouver penché sur le moteur de la voiture, en train d'arracher des fils par grosses poignées. Ils s'étaient regardés fixement, comme figés, puis il avait murmuré :

« Maman m'a inscrite dans un programme de voyage initiatique... Tu seras toute seule avec eux dans quelques jours... »

Encore aujourd'hui, elle ressentait le même désespoir, le même effroi, et elle poussait encore ce même gémissement étranglé.

« Je ne te laisserai pas avec eux... »

Et cet écho de la voix de son frère la calmait encore, alors que le garçon prenait à bout de bras le bidon d'essence et déversait tout son contenu sur la machine. Avait-elle vraiment compris ce qu'il faisait, à son âge ? C'était assez flou en elle. Elle savait que ce qu'il faisait était mal. Elle savait que son père et sa mère partaient en voyage ensemble le lendemain, les enfermant dans la demeure familiale pendant tout ce temps. Elle savait que le moteur était cassé à cause des agissements de son frère. Elle connaissait les propriétés inflammables de la mixture qui noyait le véhicule.

Oui, elle avait parfaitement compris ce que son frère préparait.
Mais elle n'avait pas bougé. Elle avait attendu que son aîné achève sa besogne, puis elle était remontée dans leur chambre, elle s'était installée dans son lit, et elle s'était endormie. Pour la première fois, sereinement, alors que son frère lui murmurait que plus rien ne leur arriverait, qu'une famille plus gentille allait les adopter...

Quand la voiture avait explosé dans le garage le lendemain, qu'ils étaient tombés du lit sous la secousse, elle n'avait même pas eu une once de remord. Les policiers, les pompiers, les urgentistes, tout ce monde était venu pour rien, pour les réconforter, pour les emmener loin, voir un psy. Et là, c'était seulement là, quand un homme en uniforme leur avait annoncé la mort de leurs parents, leur futur placement en maison d'adoption, qu'elle avait vu pour la première fois son frère sourire. Et elle avait souri elle aussi.

-Mademoiselle ? Vous êtes réveillée ?

Une voix tira Sunny de sa torpeur. Elle papillonna des paupières, et son regard coula vers le médecin au-dessus d'elle. Celui-ci la salua poliment, commentant qu'elle revenait de loin, avant de marquer quelques mots sur son bloc-notes. La jeune femme, perdue, chercha un repère dans le paysage, les idées confuses, emmêlées. Elle vit une sorte d'appareil qui vérifiait son rythme cardiaque, bien faible, et une tige de métal soutenant une poche pleine de liquide, directement reliée à son abdomen. Et enfin, elle vit un garçon complètement affalé sur sa chaise, coincé entre son lit et la table de nuit, couvert de plaies et de bandages.

-C'est lui qui vous a porté jusqu'à l'hôpital. Il va bien, juste quelques engelures et égratignures parce qu'il n'a pas réussi à freiner devant le parvis du bâtiment ! On n'a pas eu le courage de le déloger après votre opération... expliqua le savant avec un rictus attendri.

L'adolescente resta amorphe quelques secondes, avant de réaliser pleinement le contenu de ce discours. L'explosion, le bunker, c'était un piège... Oui évidemment... Elle n'était donc pas morte ? Décidément, le karma n'était rien d'autre qu'une invention de superstitieux.

Après seulement vint l'ahurissement et la douleur, le choc de cette révélation la traversa toute entière.
Elle avait survécu à une explosion !
Comment ? Comment était-ce possible ?

Elle voulut se redresser, voir son reflet, mais elle manqua d'appui et se rétama sur le matelas avec une plainte aigue, qui tira de ses rêveries le gamin sauveur. Yoann, devant la scène, se dépêcha de l'aider à se redresser, lui bredouillant un « bonjour » timide qu'elle entendit à peine. En revanche, les mots du docteur qui suivirent la percutèrent tout autant que le souffle provoqué par la dynamite à laquelle elle avait réchappée miraculeusement.

-Vous avez des brûlures assez fortes sur 20% du corps, et un bras en moins, je vous conseille de rester tranquille...
Sa respiration baissa, une sueur froide lui coula le long de la colonne en même temps que l'appareil à ses côtés émettait un cri paniqué face à la hausse du pouls.

Sunny resta là, intégrant parfaitement ce que cela signifiait, mais incapable de le comprendre réellement.

-Pardon... murmura Yoann avec une moue déçue, la prise de ses deux mains se crispant sur ses épaules.

Et ce fut seulement quand Sunny tourna la tête vers lui, attristée par sa réaction, qu'elle le vit. Ou plutôt qu'elle ne le vit plus. Son bras droit. Et étrangement, en dehors de toute logique, de toute peine, sa première pensée s'imprima en elle, comme la remarque la plus stupide de l'univers :

« Comment vais-je faire pour écrire maintenant ? »

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Loin de cette révélation tragique, les garçons, eux, assistaient à un autre drame, bien mineur, mais ô combien embarrassant.

Samantha et Eléanore venaient de sortir du salon, coiffées, permanentées et tout le fourbi. Même leurs ongles avaient été vernis. De quoi frôler la crise cardiaque en gros. L'hôtesse jactait, fière de son travail devant une Samantha ravie, caressant ses cheveux redevenus soyeux et admirant le mince maquillage.
Eléanore semblait plutôt à six pieds sous terre, ou son équivalent. De l'avis général, elle avait sûrement le dessein de se jeter dans la première flaque de boue sur son chemin en tout cas. La responsable de la boutique répétait en boucle qu'ils pouvaient la rendre encore plus jolie si elles avaient le temps d'effacer toutes les taches noires qu'il y avait sur son corps, remarque à laquelle Eléa répondait en grognant.

Tout heureuse, Samantha dansa doucement vers ses amis, entraînant Eléa avec elle, et demanda, ravie :

-On est comment ?

Question difficile, autant dire vitale pour les garçons. Yuki, le traître, parvint à esquiver le coup de poignard :

-Je n'ai pas le droit de dire quoi que ce soit : tu es mon élève, je risque un procès.
Gabriel égal à lui-même, rétorqua :

-Superficielles.
Bon point, son jeune âge le sauva de la menace, mais ce n'était pas le cas des deux autres larrons. Lucas, intimidé, bafouilla, stressé, une bonne centaine de fois sa phrase, avant qu'elle ne soit vraiment audible.

-Vous êtes magnifiques... Surtout toi, Sam...
Bonne réponse, la concernée afficha une mine adorable, et elle ricana, touchée. Là, on ne pouvait le nier, la touche légère de maquillage la rendait encore plus jolie. Elle était magnifique, la beauté de ses yeux simplement rehaussée par du fard à paupières, et ses lèvres pêches découvraient des dents encore plus blanches. Ils voyageaient depuis tellement de jours, abandonnant le confort de la vie en société, et là, devant eux, leur amie remettait son masque mondain, sa frimousse crasseuse du mont Sélénite laissant place à un ange dont la pâleur imitait son auréole.

-Je vous préférais avant...
La réponse de Daniel brisa cette ambiance sereine. Mauvaise attitude. Décidément, ce garçon avait peu de chance de finir avec une fille un jour en agissant de la sorte. En fait, il avait peu de chance de survivre à l'expérience tout court. Un miracle voulut que cette remarque plaise à Eléanore , ce qui stoppa la furie de Sam.

Les deux protagonistes rougirent, alors qu'elle soufflait :

-J'ai l'impression d'être déguisée, affublée comme ça...
-Oui, je préfère l'Eléa décontractée, moi aussi.

Samantha, atterrée, plaqua ses mains sur ses hanches. C'était inexplicable. Son amie avait pourtant pas mal de charme avec les soins appropriés. Sa tignasse rebelle avait finalement cédé pour montrer le début d'anglaises, et le fond de teint, la mince couche de rouge sur ses joues, montraient toute sa joie de vivre enfouie en elle. Quel mal y avait-il à ça ? Elle préféra renoncer à trouver la solution à ce problème - autant se taper la tête contre un mur, ils y gagneraient autant.

L'attention de Samantha dévia rapidement, une mélodie entraînante et joyeuse provenant du casino. Ses yeux brillèrent. Après plusieurs disputes sur la moralité de ce genre de lieu, elle finit par l'emporter, encore. Après tout, une fois, juste pour s'amuser… En plus, accompagnée par Yuki, cela devenait légal !
Le destin voulut qu'elle ait une chance de damné à la roulette, comme aux machines à sous. Avec une toute petite somme, elle parvint à tripler les gains. Contrairement à Eléanore qui ne cessait de perdre devant ses camarades amusés. Lucas lui aussi ne montrait guère de talent, Daniel restait moyen comme à son habitude, jusqu'à ce qu'une bande de vieux ne lui proposent une partie de poker. Ces personnes voyaient peut-être en lui un attardé mental, avec son petit air absent. Ils avaient royalement tort.
Daniel gardait la même expression peu importe ce qui se déroulait dans le jeu, il bluffait comme un roi.
Dépouillés d'une petite fortune, les arnaqueurs lâchèrent prise, et l'artiste s'en alla sans un mot sous les félicitations de Yuki, Eléa et Lucas. Cependant, les bandits refusèrent de partir sur une défaite : ils défièrent ensuite Samantha. La gamine ignorait tout des règles du jeu, et on lui expliqua tellement rapidement qu'elle fut incapable de savoir ce qui se passait. Tout le monde la voyait déjà perdre, mais elle continua jusqu'à la fin de la partie sans se coucher, ne comprenant pas quand il fallait le faire... Et elle dévoila aux derniers instants la meilleure paire possible.

Samantha comprit qu'elle avait gagné seulement quand ils lui remirent l'argent. Un sourire immense orna ses lèvres.
Autant dire que pour la sortir de la salle, ce fut la croix et la bannière. Puérile, elle s'agrippa au manche de la machine à sous. L'inévitable arriva, l'engin céda ; et après ça, elle fut la première dehors à fuir les vigiles.

Ils se perdirent à nouveau dans le centre pendant la course poursuite. Le temps de retrouver encore Samantha et Daniel, l'après-midi avait bien avancé. Ils s'installèrent à un café pour manger, riant aux éclats presque à chaque bouchée. Samantha parvint même à obtenir un bisou de la part d'Akira Yuki pour son anniversaire - après avoir signé une dérogation comme quoi elle ne le poursuivrait pas en justice en conséquence. Le professeur les surprit tous par son engagement envers la loi.

Ce fut un instant très court : Akira, embarrassé, avait juste posé ses lèvres sur les siennes une brève seconde, réticent, avant de se retirer, mal à l'aise. Quelques secondes de plaisir, et une bonne heure pour que la gamine se remette du choc, que Lucas et Galifeu se calment, et que les autres cessent de rire comme des Pijakos.

Finalement, Samantha voulut appeler Silver et Gold pour prendre des nouvelles - elle usa en cela la faveur de Gabriel. Les enfants s'agglutinèrent devant l'écran du visiophone public, et dès que quelqu'un décrocha, ils poussèrent un immense cri effrayant.

Devant une Cristal stoïque. Sans rien ajouter, elle tourna la machine en bredouillant :

-C'est pour vous les gars.

Les amis du groupe ne savaient plus où se cacher. Surtout que Gold examinait la main d'un Silver toujours alité. Cela pouvait prêter à confusion.

-Alors comment ça va, vous deux ? enchaîna Eléanore, peste.
Si Silver écarquilla des mirettes, ne saisissant pas le sous-entendu, ce ne fut pas le cas de Gold dont le visage prit une teinte pourpre qui amusa profondément la gamine. Les nouvelles furent plutôt bonnes. Quand les adolescents apprirent pour l'anniversaire, ils le souhaitèrent à la jeune fille unanimement, sans trace d'animosité de la part de Gold. Silver offrit même un rictus attentif.

Les enfants en eurent froid dans le dos.

Il avait dû se prendre un coup sur le crâne bien trop violent.

La théorie comme quoi un pokémon avait pris la place du roux fut vite éradiquée, puisque à peine une minute plus tard, Cristal voulut voir si Silver pouvait de nouveau bouger les doigts de la main gauche, et qu'elle se prit un panier d'injures à la figure quand elle pressa sur un os encore douloureux. Cela se termina en bataille générale, où le pauvre Gold se retrouva au milieu, tiré par sa sœur d'un côté, tiraillé par son amour secret de l'autre. L'une sommant que le roux lui présente des excuses, l'autre hurlant qu'il en avait assez de cette grognasse dans sa chambre.

Le groupe préféra raccrocher là.
Alors qu'ils partaient faire du shopping, à des kilomètres de là, la dispute continua longuement, jusqu'à ce que Cristal se fasse finalement éjecter avec son frère.

La jeune femme furieuse tambourina à la porte un bon moment avant d'abandonner et d'aller s'asseoir dans le couloir en grommelant. Gold ricana, cette scène trop familière à son goût. Il regretta d'avoir été viré lui aussi, il aurait apprécié un peu d'intimité avec Silver.
Gold se ficha une baffe mentale.

Finalement, heureusement que Silver les avait fait partir tous les deux. Il devenait sentimental en plus... Homo, pervers et sentimental, quelle horreur. Mais qu'est-ce qui clochait chez lui ? Il avait visionné quelques cassettes sur ce genre d'orientation, il s'était renseigné sur les homosexuels et tout ce qu'il avait appris l'effrayait plus que cela ne le rassurait. Est-ce que tous les gens comme lui avaient des tendances sado-maso, de malades mentaux ? Il n'avait vu dans les vidéos que des types enchaînés, soumis... C'était... flippant !
Il rougit, une image en tête particulièrement embarrassante.

-Dis, il s'appelait comment le brun, en fond d'écran ?

La question salvatrice de sa sœur lui donna envie de la bénir. Dieu merci, il put se concentrer sur autre chose.

-Tu parles de celui aux yeux vairons ? Je crois que c'est Daniel.

Cristal se tritura les doigts et remit une mèche derrière son oreille, intimidée avant de souffler :

-Non le grand...

Gold saisit le regard fuyant de sa sœur, et il sourit sarcastiquement.

-Oh. Lucas.

Cristal se figea, sa bouche se tordit, un mince sourire se dessina sur ses lèvres, puis disparut aussitôt, elle se crispa en serrant les poings, et déclara :

-C'est super moche comme nom !

Avant de recommencer à essayer d'enfoncer la porte de la chambre de Silver, encore. Gold ricana, ému, en répétant :

-Ouais, le prénom est moche, mais le personnage a du charme et il a de belles fess...

Cristal dévisagea son frère avec une mine ahurie, les yeux écarquillés, la bouche pendante. Gold se mordit la langue et se releva pour sommer Silver de les laisser entrer à nouveau, les deux frères et sœurs tous deux rouges comme des Voltorbes.
De retour à Celadopole, le concerné éternua bruyamment, sans se douter des commentaires sur son compte et son fessier. Non, lui, dut plutôt s'inquiéter de la masse de vêtements qui affluaient dans les bras du pauvre Daniel, bientôt enseveli vivant.
Samantha ressemblait vraiment à une tornade, parfois, pire qu'Eléanore. C'était limite terrifiant. Mais il ne s'en plaignit pas, car après sa promenade dans les rayons, elle s'avança vers lui et plaqua un ensemble sur son torse et son bassin, consciencieuse, avant de lui sourire, assurant qu'il serait très beau dedans.

Sa joie fut de courte durée, car il voulut l'essayer tout de suite et se prit un coup de sac en pleine tête de la jeune fille qui lui hurla « d'attendre d'être dans la cabine pour se déshabiller ! ». Les enfants s'en allèrent donc avec quelques achats. Il restait un seul vœu, celui de Daniel. Le soir commençait d'ailleurs à tomber. Le gamin pensait avoir passé le plus gros de la journée. Il avait tort. Samantha, pleine de ressources, vit la pancarte d'un karaoké.

A la simple idée, Daniel blanchit.

Pas le choix malheureusement. La jeune fille les traîna à l'intérieur et avec l'argent gagné au casino, demanda un coin pour eux. Il y avait peu de monde dans la salle, mais c'était déjà trop pour le rêveur, au bord du malaise.

-Allez, c'est moi qui commence ! lança tout sourire Samantha.

Avant d'entamer la chanson « Loin du froid de décembre » d'un vieux film nommé Anastasia, avec une application étonnante. Malgré les fausses notes, ce fut assez agréable. Contrairement au moment où Akira et Gabriel prirent le micro, eux massacrèrent leurs deux mélodies respectives, sous les rires du public .
Lucas choisit pour son texte « I'm a believer ». Ce fut un moment très plaisant, le garçon s'éclatant, montrant plus d'enthousiasme et d'ingéniosité pour la chorégraphie que pour la qualité du son.
Eléanore se dressa elle aussi plusieurs fois sur la scène, chantant « I decide », suivit en duo avec Yuki « High school never ends ! » et enfin avec Sam « Anything you can do, I can do better ».

Sa voix manquait cruellement de puissance, rien à voir avec le timbre envoûtant de la vision de Sam, ce qui contribua à la rassurer quant à son sort. Cependant, elle mettait tellement de vie dans ses mélodies que plusieurs en eurent la chair de poule... Ou alors c'était à cause des mauvaises notes qui venaient casser le moment ! C'était une explication plausible également.

Une fois tout le monde passé, ils se retournèrent tous comme un seul être vers l'artiste du groupe. Plus du tout à l'Ouest ni sur la lune, il était tellement accroché à son siège que ses ongles s'incrustaient dans le bois. La mâchoire crispée, il n'ouvrait plus la bouche, le regard fixe, respirant par à coup, et suant comme un Parecool. Il faisait peine à voir.

Samantha lui demanda plusieurs fois de lui faire plaisir, mais la tête de Daniel oscillait de droite à gauche tellement vite en retour, qu'à un moment on confondit même la couleur de ses deux yeux.

-Alleez Daniel ! C'est pas du jeu tout le monde l'a fait, je veux entendre ta voix ! C'est ma faveur ! minauda Sam.
-Ch-Ch-Choisis-toi une autre faveur !
-Non ! S'il-te-plait !
-N-N-N-N...
-Il veut dire non.
-J'avais compris Gabriel...

Alors qu'ils croyaient tous perdre la lutte, Eléanore finit par s'avancer vers Daniel, et elle lui sourit gentiment en lui prenant la main.

-Allez viens, on va chanter ensemble... Tu veux bien chanter avec moi ? Hein ?

Gabriel pouffa, amusé :

-Daniel ne chante pas sur une scène, il chante dans son bain, tout seul, ou dans un groupe où sa tête se perd.

Eléa gonfla la joue, irritée, mais la réponse de Daniel étonna tout le monde. Il rougit vaguement et murmura :

-D'accord...
Plusieurs mâchoires se fracassèrent sur le sol. Lucas et Gabriel fixèrent les deux enfants s'en aller vers le moniteur, l'un titubant maladroitement, l'autre le tirant vers elle avec douceur. Tandis qu'ils essayaient de se remémorer ce qu'ils avaient ingurgité à midi pour vérifier qu'ils n'avaient pas été drogués, les deux amis choisissaient un texte.

Daniel aimait beaucoup le chanteur Rascal Flatts, mais il n'y avait pas une seule de ses mélodies en stock. Il se décida donc pour « You and me and Pokémon ». La musique commença rapidement, mais au moment de s'y mettre, Daniel ouvrit la bouche et se rétracta, complètement apeuré. Les larmes aux yeux, il recula, et finit dos collé au mur, la prise sur le micro branlante, les jambes flageolantes. Un murmure déçu parcourut la foule, ainsi que quelques railleries venant d'outsiders peu compréhensifs. Le groupe crut un instant que le garçon venait de tourner de l'œil.

Pourtant Eléanore s'approcha de son ami, qui bafouilla un « Je peux... Je peux pas ! » désolé. Elle secoua la tête et lui fit de nouveau un sourire, avant de souffler :

-Commence comme ça, regarde-moi, pas le public, d'accord ? Juste moi !

Il y eut un moment de silence, puis la gamine rembobina la mélodie, et débuta son tour de chant. Elle se planta entre le garçon et l'assemblée, et tira sur son col pour l'obliger à lâcher prise. Après des minutes anxieuses, un silence presque stressant, un timbre finit par s'élever à son tour.

Une voix douce, mais chaude à la fois, extrêmement juste et forte.

Ebahie, elle se redressa et pencha la tête. C'était la voix de Daniel, ce ton si sensuel ? Elle resta en mode gobe-mouche, des frissons parcourant son corps, la chatouillant généreusement. Le souvenir de la musique de sa vision s'estompa graduellement. Le côté merveilleux, envoûtant, de par sa facette inhumaine, perdit sa saveur, son éclat, face à ce son angélique provenant de son camarade.

De toute évidence, elle n'était pas le seule à songer la même chose. Au fur et à mesure, Eléanore finit par embarquer Daniel dans une danse amusante, l'aidant à devenir un peu plus indépendant à chaque pas - apparemment, la blessure de sa cheville ne le diminuait presque plus. Pourtant, alors qu'ils continuaient leurs duos, de plus en plus à l'aise, comblés, Samantha remarqua un détail.

Daniel ne quittait plus Eléa des yeux.
Elle sourit tendrement, le cœur gros.

Et ainsi s'acheva leur soirée.

Ils rentrèrent calmement au centre, toujours suivis – discrètement – par un Shagi prenant très à cœur son rôle d'espion médiocre. On déposa les paquets dans le hall, s'amusa ensemble à cajoler les pokémons, à discuter encore une bonne heure. Régis, à l'écart, évita Eléanore toute la soirée, à son plus grand désarroi, mais elle refusa tout net d'aller s'expliquer avec lui. Samantha reçut encore un cadeau de sa tante, une belle écharpe neuve, où étaient brodés une plume et un Poussifeu, puis sa mère l'appela pour le lui souhaiter à son tour.

L'infirmière Joëlle, au milieu de ses vœux, rencontra tous les compagnons de sa fille, qui les présenta un à un, les yeux brillants, racontant en détail sa journée. Encore une fois, la femme s'étonna du changement chez sa fille, et elle prit une mine désolée avant de souffler :

-Mince alors, ma surprise va te paraître bien fade à côté de cela...
-Une surprise ?

Sam écarquilla des mirettes. Un petit garçon blond sauta sur les genoux de sa mère adoptive, tenant un Chenipan dans ses bras, tout guilleret. La réaction ne se fit pas attendre :

-Claude ! Comme tu as grandi ! Et Chenipan aussi, comment va-t-il ?
-Toi aussi tu as grandi Sam, mais tu me manques ! Et à Chenipan aussi, je veux que ce soit toi qui le soigne ! rit timidement le bambin.
L'ambiance continua ainsi, enchaînant évènements inattendus les uns sur les autres. Sam avait à peine terminé que Yuki intercepta un appel de Lily, et après une discussion extrêmement mignonne entre les deux, vue de l'extérieur, il tendit son portable à son élève. Un cri « JOYEUX ANNIVERSAIRE » manqua de lui percer les tympans, immédiatement suivi par le bruit significatif du combiné raccroché à la hâte. On en déduisit qu'il s'agissait d'Armand, mais personne n'alla chercher confirmation, préférant continuer la fête avec un Akira hilare.
Cependant la conversation s'acheva brutalement.

Régis déboula dans le hall, et somma Daniel, Gabriel et Lucas de rappliquer immédiatement, blême. Intrigués, les camarades se suivirent précipitamment, où ils entrèrent dans ce qui servait de bureau au groupe de Twilight depuis son arrivée. Le PC portable affichait le visage aisément reconnaissable de Peter.

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Le maître des Dragons se tenait là, derrière un Chris et une Angie essayant tant bien que mal de coordonner toutes les conversations à la fois. Autour de lui, les différents écrans de la salle s'allumèrent un à un, reflétant une image similaire et différente à la fois. Des centaines de visages arrivèrent un à un, tous montrant des signes d'inquiétude face à cette vidéo conférence en urgence.

Silver, Gold et Cristal furent les premiers à s'offusquer :

-Pourquoi tu nous as tous appelés comme ça ? Il se passe quelque chose ?

Peter ferma les yeux douloureusement.

Un jeune homme atteignant presque la vingtaine, aux cheveux et aux pupilles bleus, lança :

-Un problème grave, je suppose ?
-Marion pleure en ce moment dans sa chambre.

Lucas fronça les sourcils et recula légèrement, essayant de camoufler ses émotions. Daniel lui attrapa le bras pour le retenir et le rassurer de son mieux.

-Et alors ? sonna une voix, d'un garçon blond, en pétard, probablement survolté.
-Hier, nous avons envoyé un de nos membres vérifier un refuge des Opales, et celui-ci a explosé.

L'homme se tourna vers son cadet à la chevelure bleutée, et il murmura :

-Marion a envoyé ta sœur là-bas, Blake.

Le concerné ne parut pas comprendre l'allusion, puis son visage se décomposa brusquement, jusqu'à en devenir livide. Il se jeta presque sur la caméra et hurla :

-Elle va bien ? Qu'est-ce qui se passe ? On me prévient que maintenant ? Elle va bien ?! Dis-moi qu'elle va bien ! Peter !
-Va à Parmanie, elle s'est réveillée ce matin, Yoann est avec elle. Le plus important c'est que...

Mais le garçon avait déjà disparu du champ de vision. Peter soupira, las, éreinté vu les cernes sous ses yeux, puis il continua, grave :

-Nous sommes repérés. Je ne sais pas exactement ce qu'ils savent de nous, mais une chose est sûre, ils veulent répliquer. Pire, en réétudiant le message de menace que nous avons reçu, nous pouvons penser que plusieurs team se sont alliées dans l'unique but de nous abattre.
-Giovanni préfèrerait se tuer plutôt que de collaborer avec qui que ce soit, informa passivement Silver. -Peut-être, mais il en reste encore quelques-unes en stock, sans compter celles qui n'ont pas le titre de « team » mais agissent exactement comme telles.

Un silence tendu suivit cette déclaration. Le maître de cérémonie passa une main sur sa joue.

-Et donc, comment allons-nous répondre à ça ? On va protéger nos familles, et répliquer ?

La voix venait d'une gamine brune affublée d'un chapeau jaune.

-En partie, Elza... murmura Peter. Tous ceux qui veulent protéger leurs familles doivent me remettre les adresses et les noms des personnes concernées. Je demanderai à la police de les protéger en tant que témoins clefs pour le procès à venir des instigateurs des team. Mais il y a deux personnes qui n'auront pas le choix. La menace les concernait directement.

Peter tourna la tête vers Régis, puis ses pupilles coulèrent sur Eléanore et Yuki.

-Heureusement, ils assistent déjà à la réunion, ça évite de perdre du temps. Heu... Eléanore et Akira Yuki, c'est ça ? Vous êtes officiellement sous la protection de Twilight. A partir de maintenant, je vous veux sans cesse accompagnés par un de nos agents, et vous allez venir au QG pour suivre un entraînement rigoureux de self-défense.

Les concernés s'interloquèrent, puis s'écrièrent :

-Hein, pourquoi nous ?
-Je l'ignore, le chef des Opales vous en veut personnellement. Est-ce vraiment important de savoir pourquoi ?

Le sang de Samantha se glaça, tandis que son professeur et son amie se jetaient un coup d'œil gêné, se remémorant l'évènement de Carmin trop clairement. Poussée par la peur, la brunette lança froidement :

-Et s'ils refusent ?

Peter plissa les yeux méchamment, et il siffla :

-S'ils refusent, ils ont 90% de chances de se faire tuer.

Régis posa instinctivement sa main sur l'épaule d'Eléa, oubliant sa rancune au profit de la frayeur de la perdre. Mais Samantha s'acharna, la vision de la dimension de Celebi, terrifiante, occultant en une seconde tous ces instants de bonheur passés ensemble. La terreur paralysante, suffocante chassant ses rires de l'après-midi. La même sensation d'être acculée de tous les côtés la saisit, et dans la tempête de ses pensées, une certitude résista à la tornade :

Eléa ne devait pas intégrer Twilight.

-Elle... Elle est en plein voyage initiatique avec moi ! Yuki doit me surveiller pour mon programme... Elle peut pas… Elle doit gagner des badges avec moi ! Yuki doit rester... je... Je...
Elle se mettait à bafouiller, s'emberlificotant dans ses excuses. Alors qu'elle en avait des milliers à l'esprit, elle se montrait incapable de les communiquer clairement, avec l'aisance de ses dissertations. Les mots s'entremêlaient dans un non-sens piteux. Elle sursauta quand Akira lui posa une main compréhensive sur la tête.

-Cela ne sert à rien, Sam. Ça me tue de l'avouer, mais il a raison...

Le visage crispé, une grimace furieuse même pas camouflée, il foudroyait de loin le maître Dragon.
Une pulsion au cœur la secoua douloureusement.

Non !

-D'ailleurs, jeune fille, si ton professeur se retrouve sous la surveillance de Twilight, toi aussi, irrémédiablement... Ne t'en fais pas pour ton voyage initiatique : tous les maîtres de Kanto nous ont rejoints, ils viendront à toi pendant ton entraînement.

Samantha secoua la tête, incapable de prononcer un seul mot, mais tout son être hurlait.

Non !

Elle ne contrôlait plus rien.

-Moi ça me va, lâcha Eléanore, déterminée.

Samantha fit volte-face, pétrifiée.

-La messe est dite alors. C'est réglé, dès demain un membre de Twilight va venir vous chercher pour vous emmener tous sans exception au QG. Cela traîne depuis trop longtemps.

La communication s'interrompit aussi sec, laissant Peter parler avec les autres en secret. Régis enlaça Eléanore en soufflant tendrement :

-Pour une fois tu as bien fait, merci...

Elle passa ses bras autour de son cou, pas le moins du monde bouleversée, mais savourant ce semblant de réconciliation. Daniel lui répéta cette même phrase.
Akira, plus pragmatique, insista auprès des garçons pour ne pas donner le nom et les adresses de leurs proches pour autant. Les pourquoi fusèrent, mais ce fut Gabriel qui éclaira leur lanterne immédiatement :

-Au moindre renversement de situation, ils deviennent des otages... C'est à ça que vous pensez ? -Exact, confirma Akira, sérieux.
-C'est trop tard pour moi, Marion a déjà vendu la mèche... stressa Lucas.
-Ce n'est qu'une mesure de précaution, mais c'est ennuyeux. Il faudra espérer que cela ne se retournera pas contre toi, lâcha l'enseignant, embêté.

Mais alors qu'ils se tournaient vers Sam, pour lui interdire d'avouer qu'elle était la fille des Joëlle, ils ne rencontrèrent personne.

-Je vais la chercher, elle doit juste avoir un coup de flippe... proposa généreusement Daniel, ne voulant pas voir Eléa reprendre cette distance de sécurité avec Régis si vite.

Le rêveur partit en trottant, scrutant les couloirs. Il finit par la trouver devant le visiophone du hall, la tête entre les genoux, en position fœtale. Il s'approcha d'elle doucement et posa une main sur son épaule avant de murmurer :

-Ça ne va pas ? Tu as besoin de parler ?

Samantha tressaillit, mais elle ne se retourna pas, ne lui offrant que la vision de son dos recourbé. Ses épaules tremblèrent une seconde, et d'une voix vibrante, cassée par l'émotion, elle balbutia :

-Danny... T... Tu comprends ce qui se passe ? Tu comprends ce qu'on est en train de faire ? Tu réalises dans quoi nous sommes en train de nous embarquer...? Dans quoi nous entraînons Eléanore ?

Sa voix se brisa :

-Et... Et si on prenait le mauvais choix...? Si... Si notre décision d'aujourd'hui nous causait plus de tort que de bien ? Si ça lui fait du mal ?

Daniel fronça les sourcils et se gratta la joue, embêté par ces mots.

-C... C'est effrayant, oui. Mais... Il est impossible de savoir si on fait le bon choix, non ?
-Est-ce que tu comprends ce que tu me demandes de choisir maintenant ? Est-ce que tu réalises dans quelle situation je suis, là ? Tout va changer ! A jamais !

Non, il ne savait pas. Il ne comprenait pas, personne ne comprendrait jamais, ils n'avaient pas vu cette scène.

Le Kazamatsuri se tut. Sa détresse l'attristait et ses paroles lui serraient le cœur, mais il ne trouvait rien à lui répondre. Et ce silence lui paraissait moins dangereux que des propos maladroits. Il aurait souhaité pouvoir apaiser son amie, mais... Il en était incapable. Peut-être parce qu'au fond de lui, il se posait plus ou moins les mêmes questions.

-Danny... Tu crois qu'Eléanore m'aime ?

Il y eut un blanc. Elle jeta un coup d'œil en arrière, une œillade éreintée, désespérée.

-Je suis certain qu'elle t'aime, sourit le jeune garçon. Est-ce que cela t'apaise de le savoir ? Est-ce qu'il faut que j'aille chercher Eléa pour qu'elle te le dise en face elle-même ?

Mais Sam hocha la tête négativement.

-Non...
-Alors qu'est-ce que tu as besoin d'entendre pour aller mieux ? Qu'est-ce que je dois faire pour que tu ne sois plus si effrayée...?

Le cœur de Samantha se serra et ses poings se crispèrent sur sa jupe.

Ce dont elle avait besoin... Ce dont elle avait besoin, c'était des certitudes. Des certitudes sur son avenir, sur le futur de son amie. Des certitudes sur Twilight, des certitudes sur sa vision. Ce dont elle avait besoin... C'était la certitude...

Que peu importe ses choix, Eléanore l'aimerait toujours.

Mais elle demandait l'impossible.

-Je... J'ai un coup de fil à passer... Ça va aller Daniel, merci de ton aide... Laisse-moi juste un peu seule.

Le gamins aux yeux vairons grimaça mais obéit docilement, non sans un regard en arrière, un pincement au cœur lui donnant le vertige. Il eut peur une seconde qu'elle ne fasse une bêtise, mais il s'obligea à se convaincre qu'on ne pouvait pas faire grand mal dans l'entrée d'un Centre Pokémon. Aussi, il rejoignit les autres sans parvenir à faire taire son angoisse.

Samantha leva la tête pour vérifier son départ, puis essuya prestement ses joues, se racla la gorge, encore emplie de sanglots mélangés aux rires, et elle grimaça.

Lentement elle se tourna vers le combiné, chercha un numéro dans l'annuaire et le composa froidement.

Une voix retentit à l'autre bout du fil, qu'elle triturait du bout des doigts, coupable.

« Entreprise Sarl, que puis-je faire pour vous ? » minauda la réceptionniste.
Samantha se tendit comme un piquet. Les souvenirs de son aventure tournoyaient dans sa tête de manière anarchique, lui plombaient le moral et le crâne comme pour l'empêcher d'agir. Elle percevait les propres battements de son cœur, insupportables.

Elle ne pouvait pas...

Mais le temps pressait. Demain, il serait déjà trop tard. C'était la vie de son amie qu'elle jouait. Elle n'avait pas le choix !

La gorge sèche, Samantha bafouilla :

« J'ai un message urgent à transmettre au chef des Sarl, cela concerne sa fille Eléanore. Je sais où elle se trouve. »

Il était trop tard maintenant.