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Impulsions de Mimoza



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» Auteur : Mimoza - Voir le profil
» Créé le 24/06/2009 à 14:02
» Dernière mise à jour le 24/06/2009 à 14:02

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Evènements croisés [Mimoza]
Second jour de l'Après. Selon les observations des géographes de l'Ouest, s'écoulait à ce moment précis la douzième heure de soleil plein.

Dans la falaise s'était creusé, au cours du temps, un escalier naturel. D'après la petite tortue, c'était par là que les ouvriers et les explorateurs descendaient pour atteindre les oasis et les frontières. C'était un chemin bien plus praticable que l'escalade à mains nus, avait-elle aussi précisé, comme si cette idée tordue pouvait venir à l'esprit de quelque personnage censé.

C'était aussi par là que les deux bestiaux, dans leur parodie de Bonnie and Clyde, montèrent pour rejoindre le village sans nom. Nenshû gardait la tête fixée sur ses pattes malhabiles, comme s'il craignait de déraper et de finir, le crâne écrasé contre la roche, les morceaux de cervelle éparpillés sur ses poils. Quant à Raven, il montrait un réel enthousiasme.

Il posait de moult questions sur la drôle d'espèce que son camarade avait mentionné comme « homme » ou « humain » - « homme » devait alors être une sous-espèce, comme l'étaient les normaux et les brillants - ; s'ils devaient marcher à quatre pattes ou se dresser debout, s'ils avaient un système politique (et lequel), et cetera. Le rongeur répondit par des oui évasifs, même à des questions qui relevait de sa vie - passée à trépas - privée.

A des moments, la tortue s'apercevait bien qu'il n'avait pas toute l'attention ; commençait à bredouiller des excuses confuses toutes aussi bien reçues que les questions, se taisait quelques instants en admirant la roche polie, et reprit son flot de paroles qui auraient paru agaçantes à quelqu'un d'ancré dans la conversation.

Il glissait aussi parfois quelques commentaires sur le paysage, les trésors régionaux, la politique et les lois en vigueur ; et d'autres foutaises dont Nenshû passait totalement à côté.

« La pierre a été soigneusement polie par les ouvriers il y a trois dizaines d'années, pour faciliter le développement des organismes floraux tels que les héliotropes sauvages, et ... » Un vrai moulin, quand il s'y mettait. Pas tellement coincée la bestiole.

Dans les coins érodés de la pierre s'étaient logés un véritable écosystème miniature: des graines de tournesol volant comme des hélicoptères avec leurs feuilles à peine écloses, des hérissons couverts de mousse et de fleurs écloses, des libellules aux ailes asymétriques, des couples de coccinelles. Raven indiquait de son petit doigt chacune de ces espèces excentriques. Les Tournegrin, les Shaymin, les Yanma, les Coxyclaque.

Bien sûr, Nenshû se borna à ses réminiscences de noms. Apparemment, l'espèce de feu follet qui s'était immiscé dans son cerveau jusque là avait décidé de fermer boutique. Aussi, plus pour éviter le constant rappel de la situation par Raven - jeune inconscient fermé dans un monde idéaliste - que pour se distraire, il comptait les marches de l'escalier.

1026 ...
1027 ...
_____

« ... Et 1028. Tous les Princes sont réunis, Votre Noble Majesté. »
Premier jour de l'Après. Selon les observations des géographes du Nord, s'écoulait à ce moment précis la douzième heure de soleil couvert.

Le pingouin, assis sur son trône gelé, soupira de lassitude. La couronne d'ossements lui tombait presque sur les yeux.
Le protocole, qui se transmettait comme un héritage familial depuis l'Impulsion qui a crée le monde, si ce n'est pas plus, l'ennuyait au plus haut point. Et voir défiler les mille et vingt-huit Princes l'agaçait plus que toute guerre au monde.

Dans cette assemblée surchargée, ça criait et ça piaillait. Les minuscules petits oiseaux du givre étaient outrés de devoir encore avoir affaire à une compagnie aussi indigne que des héritiers illégitimes. Et chacun se prétendant le légitime souverain, il en allait joyeusement de coups de bec et de bousculades du bout de l'aile. Le roi faisait claquer ses nageoires métalliques sur son siège avec un air amorphe.

A ses côtés, un morse aux moustaches couvertes d'écume gelée comptait et recomptait les petits Princes au fur et à mesure que l'un partait contre un mur, un puissant jet d'eau aux fesses, ou que l'autre fonde en larmes, la figure marquée de petits points caractéristiques.

« Reprenons. 1022 ... 1023 ... Prince ! »

Il agita sa mâchoire envers l'interpellé, qui commençait à cracher - vous m'entendez bien, cracher - de petits bouts de métal sur ses camarades. Ceux-ci tentaient tant bien que mal de se protéger, leurs petites ailes encore informes collés sur leur crâne.

La noble voix du roi, trésor exceptionnel d'une nation, suffit à faire taire la marmaille. La remarque en elle-même n'avait aucun effet.
« Walrus. Chassez ces petits malins de mon peu d'espace privé. »

Le morse laissa retomber mollement sa nageoire avec un brin de suspicion.

« Voyons. Perorem, sa Noble Majesté ne peut pas ...
- Walrus. To. Kaïmorse. »

Ton autoritaire. L'animal à la peau distendue abandonna sa plaidoirie inutile et hocha la tête, ses deux dents inarticulées se mouvant dans ses vieilles gencives déshydratées. A ce simple geste, des centaines de cochons poilus se précipitèrent ; leur armure en forme de selle de cheval et leur dos bossu leur donnait un air particulièrement comique.

Le roi fronça les sourcils avec amusement. Le morse se tourna vers lui, visiblement ravi du peu d'intérêt qu'il commençait à porter à l'activité du dehors - on entend par là, tout ce qui se déroule hors de la pièce principale, environnement gelé et sans meubles où le souverain avait été condamné.

« La bonne humeur de sa Noble Majesté fait plaisir à voir.
- Certes. Où en est Spruce des convocations ? »

Une petite boule de fumée s'échappa de l'écume statique de Walrus, avec une vague forme de point d'interrogation - ou d'exclamation -, signe de réflexion. La vieillesse commençait à lui dévorer la mémoire, alors qu'il s'agissait d'une simple question.

« ... Nous avons fait convoqués les mieux gradés de votre garde personnelle. Spruce et moi tenons à ce que sa Noble Majesté fasse le déplacement pour la négociation.
- La négociation ? (Intonation colérique.) Quelle absurde négociation ?
- ... Nous avons dans l'idée que si les évènements, graves et à grande échelle je vous l'accorde, ne se répètent pas et n'ont pas d'influence sur notre peuple ; nous pourrions envisager d'éviter cette guerre inutile qui se profile. »

La nageoire du roi, le bec du roi, en parfaite synchronisation, claquèrent ; l'un contre le trône gelé, l'autre contre la mâchoire inférieure. Le morse fût surpris de cet excès de colère qui ne ressemblait décidément pas à l'habituelle lassitude heureuse du souverain.

« Comment cela, une guerre inutile ? Nous contestons un traité originel injuste, nous sommes victimes d'une technologie nouvelle et nocive ; et tu oses me dire que ...
- S'il-vous-plait, Perorem. »

La simple dénomination de son nom hiérarchique, au lieu du traditionnel « Noble Majesté », suffit à faire retomber la tempête. Perorem se recroquevilla sur le fastueux siège, les cuisses entre les ailes, les griffes collées à la glace.

« Pardonnez-moi, Walrus. C'est un excès indigne d'un roi.
- ... Je peux comprendre. Et vous comprendrez aussi qu'on ne pourrait impliquer des habitants ou des peuplades nomades dans ...
- Oui. »

Le morse adressa un bref sourire - interdit par le protocole de façon générale, cela va sans dire -compatissant envers son souverain. Et il fit appeler un garde. L'un des cochons poilus s'avança en secouant le groin. Dans ses deux minuscules défenses, des tablettes d'argile.
Matériau rare dans les régions glacées, puisé au cœur des puits herbeux, bien loin de la ville principale du peuple ; les poils longs du porc cachaient ses yeux remplis d'étoile. Quel honneur de pouvoir porter un tel matériau auprès d'une assemblée royale, aussi réduite soit-elle maintenant !

Un bras de glace surgit du dos de Walrus. Un courant d'air emplit la salle et se concentra sur le mouvement du membre incarné. Les doigts gelés empoignèrent l'argile gravée de cercles et d'yeux dessinés.

« Merci, Alumin. Tu peux disposer. »

Le porc salua modestement en secouant le groin et repartit aux portes d'en face. Un kilomètre d'espace vide à parcourir entre le siège du roi Perorem et l'entrée de la salle de l'assemblée. Là, la petite centaine de gardes aux poils rêches se bousculaient, se donnaient des coups de dos, chuchotaient avec envie.

Retournons à l'assemblée royale restreinte. Du dos de Walrus, un second bras surgit. Aussi coordonnés que l'auraient été ceux d'une couturière, les huit doigts étalèrent sur la table basse - là où, habituellement, le roi posait ses magnifiques pieds d'oiseau - les tablettes. Un enchaînement de données dans l'alphabet universel, des schémas avec des ronds et des droites.

Perorem, cela ne l'intéressait déjà plus.

« Voyez, ici et là (Il indiqua deux trous mettant fin à un segment) sont les points de départ de la première impulsion. J'entends, par première, l'impulsion originelle qui a construit les différents éléments de-
- Abrégez, je vous prie. »

Hochements de tête entendus.

« Bien, alors le second segment, dessiné plus légèrement par nos graveurs, est celui de la seconde impulsion. J'allais dire, l'impulsion artificielle. On voit que les deux segments se croisent avec un angle droit. »

Le roi daigna s'intéresser. Avant d'avoir été choisi comme héritier légitime - ah, comme il avait détesté son sacre, le traditionnel bain dans la régalienne argile ! -, il avait été apprenti pour devenir ouvrier. Les propos d'angles et de segments lui rappelaient un temps de « sans souci » avec les douze princes de l'époque. Seulement douze.

« Bien sûr, les dimensions ne sont pas respectées. Mais les valeurs de distance et d'angles sont sensiblement similaires à l'échelle indiquée. Nous en avons déduit qu'à cet emplacement se trouverait un lieu d'origine de toute impulsion, factice ou non.
- Ce qui correspondrait à ..? » Demanda un roi un brin impatient.
_____

« Un second monde, dites-vous ? »

Second jour de l'Après. Selon les observations des géographes de l'Ouest, s'écoulait à ce moment précis la onzième heure de soleil plein.

La forme humanoïde aux cheveux verts hocha la tête avec un air insistant, visiblement agacé. Mettre ses dons de voyance qui passait à travers les frontières spirituelles des peuples était tout à fait déplacé. En face d'elle, moitié plus petite, le fantôme au chapeau de sorcière, souriait de ses lèvres figées. En revanche, ses yeux exprimaient une parfaite incrédulité.

« Pardonnez mon manque d'expérience, miss Furen. Je crains de ne pas comprendre la signification de votre vision. »

Furen, si tel était son nom, se releva, sa robe soulevée du bout de ses deux uniques doigts élégants, et dégageant d'épais nuages de poussière. Le spectre colla ses manches informes - ou plus exactement, la seule partie de son corps passé à laquelle on pouvait attribuer une forme - contre son visage. L'odeur de la saleté l'irritait.

La miss écarta un des palmiers courbés formant leur toit. Quelques granules de soleil pur vinrent éclairer le sable, ses chaussons de ballerine, les murs d'argile - matière courante des puits de l'Ouest -, sans issue, de la petite baraque écartée.

« Je tâcherais de savoir adapter ma vision à vos exigences ridicules, cracha-t-elle.
- J'en suis ravie. » Répliqua l'autre dame avec une pointe de comique.

Long silence. Le visage du fantôme se crispa, sans se départir de son sourire cousu. « Sans offense. Miss Furen ? »
La dame reprit sa position inconfortable, son adorable petit postérieur en cœur collé au sable mouillé.

« Ou plutôt, nous appartenons à un monde secondaire ; celui que j'ai distingué est le premier monde.
- Un monde originel ?
- Non. Je suis certaine qu'un monde tertiaire serait l'originelle, tertiaire par son absence de population ou de lois ; mais cela, je ne l'ai pas vu dans ma vision. »

Ou plutôt, je n'ai pas cherché à approfondir ma vision. De toutes les façons, ce genre de parades dans les ondes magnétiques, origines des visions chez ceux qui appartiennent à une classe Psy, était un exercice particulièrement difficile. D'autant qu'avec tous les pièges à rêves dispersés sur les autres, porteurs inconscients de ces ondes, c'était « Terrain miné. Ne pas traverser ».

« J'y ai très clairement distingué l'impulsion. »

Le fantôme pencha la tête sur le côté. Quelle drôle d'idée que de voir quelque chose théoriquement immatériel ! L'humanoïde, elle, avait parfaitement capté la chaleur étonnée qu'elle dégageait, plus qu'une odeur presque évaporée.

« Eh bien, je n'ai pas vraiment distingué au sens physique. Il s'agissait de petits cercles découpés en pointillés, qui éclataient en taches de couleur mauve translucide sur les surfaces. Surfaces que j'ai vues plus flous, mais plus géométriques que quelconque habitation connue.
- Je devrais savoir de quoi il s'agit, vu mon accès presqu'illimité aux données de composition de l'ori...
- Rien de connu. J'ai pris la peine de sonder aussi cette partie de vos connaissances. Pardon pour cette intrusion mentale, Kûsou. »

Cette fois, la créature fantômatique eut un sourire franc. On aurait pu comparer, si les faits n'avaient pas quelque chose d'inhabituel, la discussion à un papotage entre fillettes, autour de quelques accessoires de maquillage.

« Bien que cet aspect de l'impulsion, continua Furen, m'était parfaitement inconnu, le choc électrique de son déplacement dans ma vision m'avait certifié qu'il s'agissait de ça. »

Kûsou approuva brièvement, gestuelle universelle de la compréhension.

« Pour être franche, même si j'ai su deviner qu'il s'agissait d'un second monde ...
- Du premier monde, corrigea la chimère spectrale.
- ... Je n'ai pas su trouver de point de fuite. Théoriquement, cette impulsion-là serait propre à ce monde et n'aurait aucune répercussion chez nous. Néanmoins, elle a très bien été ressentie ici, ce qui me fait penser qu'il y a un point de rupture. Mais pour l'instant, je ne crois pas qu'on puisse craindre une quelconque reproduction du chaos originel, aussi grande soit la rupture. Mais ... »

Mais on craignait la guerre avec les peuples voisins, ou même des nomades, ou pire ; une guerre civile. C'était évidemment la première crainte que Kûsou Mu Magirêve, troisième tête du peuple de l'Ouest, avait à l'esprit. Elle s'inclina précipitamment devant la voyante, son chapeau touchant terre, et s'en alla discrètement.

Passant à travers le mur, tout simplement. Sans autre issue que celle-ci, Furen restait prisonnière volontaire de son état. Sans ordre particulier reçu, elle se mit simplement à compter les granules de soleil qui frôlaient ses cheveux couleur-de-pomme.

2014 ...
2015 ...
_____

2016 ...
2017 marches.
Second jour de l'Après. Selon les observations des géographes de l'Ouest, s'écoulait à ce moment précis la douzième heure de soleil plein.

Devant les yeux du rongeur défilaient de colonnes de texte indéchiffrables, tant la cadence était rapide. Trop rapide pour être lu, trop rapide pour être assimilé. Et aucun sous-titrage ou image explicative, ce serait trop facile. Il ne pouvait alors imaginer dans sa tête le morse comptant les princes, ou la demoiselle comptant de son côté les granules solaires.

Aussi considéra-t-il ces textes et ces petits battements contre sa tempe comme un arrière-plan, un fond de décor ; il pensait tromper le feu follet futé en reprenant le minutieux relevé des marches de l'escalier.

2018 ...
2019 ...