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de Ramius

                   



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Toute la phase, quand les horloges seront en heures
Que quiconque osera se plaindre de ce titre apprenne que j'eus pu décider d'intituler l'article : Courgette !
C'est un... euh, truc bizarre que je pense qualifier d'exercice de style. L'idée m'est tombée dessus en entendant le minuscule réveil mécanique du salon tic-taquer pendant l'équivalent auditif d'un tremblement de terre. Ce truc fait un boucan incroyable, et ça m'a rappelé que rien n'est plus invasif qu'une horloge. Et j'ai fait ce... truc. Bref. Il va probablement terminer dans la section potager du blog, donc ça aurait pu être Courgette.

Imaginez. Vous êtes fous. C’est dur, hein ? Vous n’avez aucune idée de ce que c’est de perdre la réalité. Si je vous racontais mon histoire ?

Aujourd’hui, je serai fou vers quatorze heures. Là, il est onze, je vais très bien. Mais pas autant que hier, à minuit. C’était le délice, j’avais un bon bouquin entre les mains, je n’étais pas moi-même, j’étais assez crevé pour rêver éveillé, le bonheur complet.

Tac, tac tic, tac tic tac tac tic, tic tac, tic tac tic tic tac. Staccato déconcertant !

Vous voyez, j’ai cinq horloges dans ma maison. Des questions stupides d’héritage, je ne suis pas collectionneur ou quoi que ce soit. Simplement, j’ai ces trucs dont personne ne veut, dont je ne peux pas me débarrasser, et qui veulent ma peau.

Aucune n’est à l’heure. Déjà, ça commence bien ! Je les ai concentrées dans une pièce paumée où je ne vais jamais, pensant avoir la paix. Mais non : ça résonne. Leur vacarme résonne dans toute la maison et j’ai de la chance de ne pas avoir de voisins qui soient juste mitoyens à côté de moi, ils m’auraient étripé depuis des mois. Les battements de mes horloges traversent les murs. Grr.

Elles retardent, elles se décalent, et surtout, elles le font n’importe comment ! Là, en ce moment, c’est totalement aléatoire. Tac, tacatic, tic, tac-tic. Il y a un rythme, bien sûr, mais il est diffus, haché. J’arrive encore à l’ignorer. Mais je les sens qui s’assemblent, qui se défont, qui se désynchronisent. Tout à l’heure, elles se mettront en phase.

Elles ont des dizaines de stratégies pour essayer de me tuer. Un jour, un jour entier je veux dire, elles se sont mises à tiquer à la chaîne, avec une régularité extrême. Cinq battements par seconde, cinq autres la seconde suivante. D’abord j’ai essayé d’ignorer ce roulement, j’essaie toujours de les ignorer. Et puis j’ai passé ma journée dans un temps accéléré. J’ai perdu le rythme des secondes, je me suis mis à compter le temps sur les ordres de mes horloges, sans m’en rendre compte. À la fin de la journée, j’avais abattu le travail de cinq jours et j’avais l’impression de ne pas avoir dormi depuis cinq jours. Je me suis abattu sur mon lit et j’ai écrasé.

Elles sont imprévisibles. Cinq horloges, ça peut se combiner d’un tas de façons différentes, ça tique et ça taque, ça fait comme dix battements en deux secondes, c’est d’autant plus de combinaisons. Elles font varier leurs retards, elles ne se désaccordent jamais de la même façon.

Le pire c’est que pour mon patron, je suis comme mes horloges. Je travaille à domicile, malgré toutes mes demandes, mais de nos jours on envoie les factures aux comptables en le photographiant avec un portable, alors on va quand même pas leur donner un bureau. TAC. Et oui bordel arrêtez de m’envoyer vos saloperies de factures par portable ! C’est flou, c’est des couleurs traduites en noir et blanc avec du gris partout, vous avez la flemme de scanner, d’amener le truc au boulot peut-être si vous n’avez pas de scanner, bande de nuls, ET MOI JE NE PEUX RIEN LIRE ET JE NE PEUX PAS FAIRE MON TRAVAIL ET MON PATRON N’EST PAS CONTENT

Ah ! Non, non, non, non, non, il faut que je me calme. Ça ne m’aidera pas de hurler. Pose-toi. Fige-toi. À l’affût, comme un prédateur immobile. Écoute. Cent petits bruits, des feuilles qui craquent de partout, le vent qui souffle dans les poutres de la charpente. C’est une forêt, et il y a une proie là-dedans. Tu la traques. Trouve-là. Où est-elle ? Écoute…

Ça m’a passé. Bizarrement. Les bruits de ma maison cherchent à me tuer, mais leur malveillance me réconforte quand je pense au travail. La maison, c’est MA maison, le travail, c’est moi l’objet. Ma maison, au moins, elle pense à moi.

Moi je l’étudie. Je veux savoir ce qu’elle fera. Je peux exploser de rage quand trois horloges battent en même temps, alors il faut bien que j’arrive à prévoir ce qu’elles essaieront de faire ensuite. Là, c’est calme. Tout à l’heure, elles se mettront en phase. Je ne sais pas trop comment, mais je le sens. Il y a eu des fois où elles battaient des rythmes étranges, à deux contre trois, des musiques envoûtantes ou terrifiantes. Il y a eu des fois où j’ai senti quel coup foireux elles préparaient, et je m’y suis préparé, et je les ai ignorées. Comme des malpropres. J’étais joie.

Je ne saurais pas dire ce qu’elles vont faire tout à l’heure. Bon, mauvais ? Ça se précisera tout à l’heure. Tout à l’heure, quand elles se mettront en phase. En attendant, j’ai une clôture de comptes à finir. Bon. Pfff. On s’y met, hein. J’ai pas envie d’être viré.

Le staccato rythme mon travail. Mais le bruit des touches de mon clavier me protège, me concentre. Les horloges sonnent fortement, mais ça va, avec un clavier en main, je gère. Avec l’oreille attentive, je gère. Mais il faut vraiment que je me mette au travail.

BANG ! BANG ! BANG ! BANG ! BANG !

Ça, c’est la pendule de mon oncle. Un jour, la cloche s’est cassée, il a voulu la réparer mais a mis de l’aluminium, ce gros nœud. Du coup elle indique cinq heures ? Si elle veut.

Tac, ciliclic c liclic tacataclic tic cliticlicilicitactic, tic cliclic tac.

Mon patron croit que je joue volontairement avec ses nerfs. Il y a des jours où je prends un retard monstre, et j’ai déjà parlé de la fois où je lui ai fait une semaine de boulot en un jour. C’est difficile à voir par mails interposés bien sûr, mais je sentais bien qu’il me craignait plus qu’il ne me respectait ce jour-là. Globalement, je ne travaille pas mieux qu’un autre employé, mais en plus, moi je peux avoir une performance nulle quand il faut foncer ou au contraire je peux lui fournir un effort dévorant quand il aurait besoin de travail continu. Du coup il n’est pas content. Tant pis.

Taclaticliticlicatacaclicticticlictaca.

Moi, je fais ce que je peux. Je suis tout seul dans la maison, au moins personne n’a à supporter mes horloges. Elles auraient déjà rendu fous la moitié de mes collègues ! Mais moi je suis le type qui fait de la saisie de données toute la journée, et qui trouve encore le moyen de se donner un autre problème complexe, avec des tas de rythmes et de moments et de tic et de tac. J’ai envie de répondre, oui, c’est vrai, mais moi, c’est comme ça que je résous les problèmes. Vous me donnez une situation, je vous fais ce que nous appellerons faute de mieux, un putain de tableau interactif de trois kilomètres de long sur dix-huit feuilles, et pouf ! la solution apparaît dans une case que je suis le seul à voir. Donnez-moi masse de données, j’ai déjà le tableau de préparé. Je le vois, dans ma tête, comment je vais le structurer, comment je

Tacatacatac, clicliciliclicciliclic, tic_tic_tic, clicliciliclic.

vais m’arranger avec tout ça, quelles formules utiliser, quelles cases remplir en premier, où passer en algorithmique, où être récursif, où être itératif, où être fonctionnel… Un jour, on m’a donné une forêt. Il fallait s’occuper des arbres — c’était pas pour le travail, hein — et voir comment un incendie se propagerait et tout ça. Je leur ai fait un tableau où les cases représentent des arbres, et elles peuvent changer d’état quand elles brûlent, et l’état en feu contamine les voisines, et tout plein de feuilles secondaires pour gérer l’état des arbres, et les maladies, une feuille pour répartir les intempéries… Ben vous savez quoi ? Un jour, un incendie s’est déclaré dans la forêt. J’ai eu qu’à faire tourner mon tableau et hop, j’ai pu indiquer aux pompiers preuves en main où concentrer leurs efforts.

Taca, taca.

Au début, ils ne l’ont pas fait, bien sûr, on ne va pas croire le premier péquenaud qui prétend avoir la solution à tous les problèmes de l’univers sur un tableau de données. Puis mes prédictions ont été avérées, leurs propres experts leur ont conseillé les mêmes zones, et au final, j’ai participé à sauver la forêt. Et j’étais content. C’est pas tout ça mais

TAC

TIC

TAC

TIC

Ah !

TAC

TIC

Elles sont entrées en phase !

TAC

TIC

TAC

Et c’est comme sTIC toute la TACson tremble, ilTIC a une bêTAC un prédateur TIC ou je ne sais TAC je sens le TIC qui m’ébranle avec TAC maison, je TIC son cœur qui TAC, ralentit, TIC, se fige, TAC, immobile, TAC, il écoute, TIC, il me cherche, TAC, pas un bruit, TIC, pas un mouvement, TAC, il cherche sa proie ? TIC, je suis la proie, TAC, je me fige, TIC, j’écoute, TAC, j’attends, TIC, il est là TAC pour moi, TIC, mais il ne TAC m’aura pas, TIC, je vais disparaîtTIC dans un trou TAC de souris TIC et il ne me TAC trouvera pas

TIC

TAC

TIC

TAC

Pas un bruit !

TIC

TAC

TIC

TAC
Article ajouté le Mardi 25 Février 2020 à 15h19 | |

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