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Rigatierre
  • Second article de la lignée des foutoirs, et devinez quoi ?
    Je n'en suis pas très content (en tant que foutoir). Il rend plus la folie de la guerre que le chaos.
    Rigatierre signifie déchetterie en Italien. Si j'avais été logique j'aurais donné le nom italien au plombier italien, et ce cuirassé allemand aurait eu le nom allemand. Mais non.

    Tonnerre et fumée ; là-haut, sur mer, une montagne d’acier tremble sous la puissance de la poudre. Quarante mille tonnes d’acier sont ébranlées chaque fois que la passerelle ordonne un tir ; que les techniciens relâchent une charge ; que les tubes d’acier qui hérissent le cuirassé propulsent le fer en déchaînant le feu. Deux monstres s’affrontent, tonitruants, dans un orage de fer et de sang.

    L’enfer, pourtant, n’est jamais en haut. L’enfer est ici-bas. Dans le noir des installations électriques court-circuitées, et dans le clair-obscur des brèches dans la coque. Dans la terreur de la mort et dans le devoir encore à accomplir.

    Les moteurs rugissent, loin là-bas, à la poupe. Si loin et pourtant si proche, leur hurlement amplifié par les cavernes de métal qui creusent le ventre de Léviathan. Ses moteurs rugissent, ses hélices déchirent l’eau comme il voudrait bien déchirer la chair de son adversaire. Et la bête tourne, vire de bord, lentement, comme avec dignité, alors même qu’elle ne fait que rouler sur l’eau dans son combat insensé. Deux enfants roulant dans la poussière en croyant régler leur problème.

    Il tourne. Le navire tourne ! Les damnés, aux abris ; grimpez, fuyez, mais ne restez pas sur le sol de la soute !

    L’enfer se réveille, agité dans le ventre du poisson d’acier. Tintamarre et cliquettements retentissent, des bruits qui réjouissent les vivants restés sur terre. Mais pour les hommes en mer, le vacarme précède toujours la mort.

    La marée monte. Dans l’entrepont, dans les ténèbres, elle rassemble ses forces, sournoisement, et se prépare à tuer.

    Un fracas retentit, terrifiant les mécaniciens en fuite. Une vague a frappé la coque ; une vague qui doit être la rage du colosse, puisqu’elle vient de l’intérieur.

    Alors Léviathan se lasse de tourner, et décide plutôt de charger. Il se laisse emporter par la fureur qui bout dans ses entrailles, et se rue follement sur celui qu’il a désigné comme son ennemi. Toute sa conscience se focalise sur cette attaque ; et la raison demande à ce que ses pleines capacités lui soient rendues.

    La passerelle hurle. Par ses haut-parleurs, par ses systèmes, elle applique son omniprésence et elle crie à travers l’acier. Mais les hommes apeurés dans la soute ne l’entendent pas. La mer rugit autour d’eux, et elle écrase la voix de la passerelle. Ces deux mégères se valent par la folie furieuse ; mais l’eau ne saurait plier, là où l’acier doit rompre. La marée monte, et les ordres de la passerelle ne pourront rien faire pour l’empêcher.

    L’entrepont a eu des lampes ; l’entrepont a été chauffé ; l’entrepont a été habitable, et on y a travaillé. Puis ce coup adroit a déchiré la coque dans une faiblesse, et a invité le chaos dans le ventre de Léviathan.

    Les pièces détachées se sont libérées. Jaillissant de leurs boîtes, de leurs coffres, de leurs liens brisés ; retournant à la mer, la mer salvatrice, la mer nourricière. La mer rancunière.

    Des vagues de fer et d’eau se sont élevées dans la caverne de la soute. Elles ont frappé, encore et encore, enragées par ces murs autour d’elles, ces murs qui les entravaient encore. Elles ont frappé, conduisant à merveille le courant, et l’entrepont fut plongé dans le noir.

    Stoppez les machines, a demandé le lieutenant de pont. Accident en salle des machines ! Mais la passerelle avait fait la sourde oreille, et ordonné une manœuvre d’attaque.

    Les vagues frappent, martelant la coque de l’intérieur, et l’entrepont commence à se refroidir. La mer, insatiable, vole sa chaleur par la blessure au flanc de la bête ; et l’abysse ne semble pas se réjouir de cette offrande, mais au contraire en exiger plus encore. Liées par l’ire de l’eau, les vagues se répondent, résonant de concert de part et d’autre du blindage d’acier.

    Lentement, obstinément, Léviathan se voit osciller de plus en plus lourdement. Dans sa cale, la mer amplifie l’action qu’elle exerce sur sa peau.

    La passerelle ne rugit plus après la cale. Elle se concentre, désormais, sur la silhouette qui l’assaille depuis l’horizon. Elle ne fera rien quand le lieutenant cessera d’appeler à l’aide pour aller secourir ses hommes lui-même, ou partager leur sort. Elle ne fera rien pendant que l’enfer éclora dans le ventre du monstre d’acier, pendant que le sang humain qui court dans ses coursives mortes verra le métal inerte prendre vie, et condamner les accès à l’air libre.

    L’entrepont ne fut plus habitable. Il y avait un monstre dans le corps du monstre, un monstre qui buvait son sang, qui dévorait sa chair ; un monstre qui était aussi mort que le colosse qu’il parasitait.

    Mais le colosse, lui, est mortel.

    Dans la cale, dans le noir, l’acier monte comme la marée. Il frappe, se retire, revient au combat, laboure les chairs et en tire une récolte de morts. Un à un, les damnés cessent de respirer, sous la morsure de l’eau froide ou la violence de l’acier révolté. Nul ne comblera la brèche dans la coque. Nul ne soignera le titan mutilé. Nul ne semble s’en soucier, alors qu’il se rue vers d’autres blessures.

    La marée monte, à mesure que le cuirassé s’enfonce dans l’enfer qu’il a lui-même créé.
Article ajouté le Dimanche 24 Novembre 2019 à 14h45 | |

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