Death Ink-orporation
Ah là là... Quelle journée, je vous jure. Je ne vous souhaite pas d'être gérant suicides à la Death Inc.
En quoi consiste cette société? C'est très simple: chaque fois que quelqu'un prévoit de tuer quelqu'un ou de se suicider, ils font appel à notre société pour qu'ils résolvent le problème en douceur.
Chaque responsable de section (à savoir le "gérant meurtres" et le "gérant suicides"), ainsi que le PDG, possèdent un Death Note, qui leur permet de gérer en temps réel les différents problèmes. Et j'ai donc ce Death Note sur mon bureau, que j'ouvre tous les jours pour y inscrire de nouveaux noms.de cas désespérés qui veulent en finir.
Et crouez-moi, c'est pas facile tous les jours.
Voyez aujourd'hui par exemple.
J'arrive normalement au bureau, je passe à la pointeuse et, arrivé dans mon bureau, j'ouvre le Death Note et réponds aux besoins de mes clients, à savoir les désespérés, les dépressifs et les candidats de téléréalité.
Je commençai d'abord par ouvrir les différentes lettres, mais, pointilleux comme je suis, je ne peux pas m'empêcher de compter les lettres avant, et les placer dans différentes piles. J'en comptai 134 aujourd'hui (tiens, c'est étonnant, y'en avait beaucoup plus hier), puis les ouvris pour voir leurs contenus.
Ce qui est bien dans ce genre de métier, c'est que tu peux te taper des barres tout seul en lisant les vies de merde de ceux qui t'envoient des lettres et te racontent leurs malheurs. En gros, c'est VDM en mieux.
Y'avait des mecs qui venaient de se faire plaquer, des filles qui venaient d'apprendre qu'elles étaient en cloque, des petits garçons de 6 ou 7 piges qui, dans des lettres dans lesquelles on ne voyait presque plus l'encre à cause des larmes, t'expliquaient que leurs parents venaient de leur dire que le Père Noël, le petite souris ou d'autres conneries dans ce genre n'existaient pas. Bien sûr, je n'entrai généralement pas le nom de ces derniers dans le bouquin, ils pouvaient quand même encore attendre un peu. Genre quand ils ont 16 ou 17 ans.
Il y avait souvent quelqu'un qui voulait forcer le suicide d'une autre personne, et j'envoyais cette lettre à mon collègue (puisque le suicide assisté, c'est un meurtre pour moi, donc pas de mon ressort).
Après avoir trié toutes les lettres, je vérifiai mes mails: 228 aujourd'hui, au moins un quart de la part d'un étudiant ou d'un travailleur japonais. Ah là là, les Japonais... C'étaient eux qui me filaient le plus de boulot, jusqu'à ce que la crise économique arrive... Remarque, pour moi, ça profite, puisque plus les personnes se suicident, plus ma prime du mois est élevée. Enfin bref.
Puis, vers 9 heures et quart, arrive un premier coup de téléphone. Un pauv' type, qui a tout essayé pour se tuer et qui allait limite me supplier à genoux pour que j'inscrive son nom dans le Death Note. J'en ai eu tellement marre de ses jérémiades que j'ai craqué au bout d'un quart d'heure. J'ai inscrit son nom alors qu'il était en train de me dire que j'étais un connard, que je voulais pas lui venir en aide et que je pouvais toujours aller me faire enc...
[...]
Non, c'était voulu, il est vraiment mort à ce moment-là. Tant pis.
Puis un deuxième appel, une demi-heure plus tard. Elle voulait pratiquer le suicide assisté pour sa copine, je lui ai dit que c'était pas de mon ressort et qu'il fallait contacter le service meurtres. Nan mais, faut pas pousser non plus, je vais pas tuer des gens comme ça. Je m'appelle pas Hitler, hein. (POIIIINT GODWIIIIN!)
Mais ce qui m'a quand même bien fait chier, c'est à midi. JUSTE AVANT la pause déjeuner.
Y'a donc un mec qui est passé me voir dans mon bureau. D'habitude, personne ne vient me voir dans mon bureau (à part les collègues de boulot, mais ça c'est qu'un détail), tout les clients me joignent par téléphone. Donc j'ai accueilli ce gusse avec un peu de méfiance.
-Bonjour monsieur. Que puis-je faire pour vous? lançai-je avec un ton hypocrite.
-C'est pour un suicide.
Merci ducon, je l'avais COMPRIS.
-J'aimerais bien que vous me répondiez par autre chose qu'une évidence. Je sais très bien que vous venez pour un suicide, sinon vous seriez allé dans l'autre bureau. Je ne suis pas con à ce point.
-Je sais.
-Pourquoi vous êtes venu me voir, en fait?
-Bah c'est évident, non? C'est pour un suicide.
Oh, celui-là, je vais pas l'aimer.
-D'accord. Nom, Prénom.
-Artémis Roland.
Okay, bon déjà lui, il a un nom de merde, ça commence bien. Je commence à me diriger tranquillement vers mon bureau pour en finir avec ce trouduc.
Je n'avais rien vu venir.
Au moment où je me pose sur mon bureau, un coup de coude malencontreux sur le pot à stylos plume le fait voltiger sur une gomme qui traînait non loin, gomme qui par ailleurs était installée sur une règle en mode catapulte on ne sait pourquoi, gomme qui va finalement être éjectée à grande vitesse pour tomber sur un dossier rouge, dossier rouge qui va se casser la gueule par terre sur une balle rebondissante toute meugnonne que j'avais chopé dans une foire quelconque, balle rebondissante qui va elle voltiger pour arriver sur le pot d'effaceur d'encre,pot d'effaceur d'encre qui se renverse... SUR LE DEATH NOTE. Et merde. Ma réaction ne se fit pas attendre.
-Putain, le con!
Je commençai à écrire le nom du guignol dans le cahier. Impossible. Sur TOUTES les pages, l'effaceur d'encre s'était juste infiltré, et c'était devenu impossible d'écrire avec un stylo plume. D'ailleurs, je me demande pourquoi on ne doit écrire qu'au stylo plume.
Pendant que j'écrivais vainement sur les pages, le mec me demande:
-Vous avez un problème?
Bah évidemment que j'ai un problème, gogolito! Je peux plus faire mon job à cause de ce foutu pot à stylos plume!
-Je suis désolé monsieur, mais il y a un léger problème technique.
-Bon, dans ce cas-là, je vous laisse ma carte.
Il me tend sa carte, avec son nom. Son nom. SON NOM. MAIS OUI!!
Je me précipite sur le bâton de colle, prend le nom du gusse et le colle sur le Death Note. Normalement, c'est pas écrit, mais c'est tout comme alors ça devrait passer, non?
Je priai pour que ça fonctionne (j'ai jamais autant pu prier le Diable, d'ailleurs) et au bout de quelque secondes, le mec s'effondre. Putain, ça avait marché. OUF.
Je préviens alors le service de nettoyage, puis je me lève tranquillement pour aller vers le bureau du PDG pour faire remplacer mon Death Note. Et oui: à l'avenir, peut-être essayer d'inventer des stylos qui puissent réécrire sur l'effaceur à encre. Ouais, ça pourrait être une bonne invention, ça.