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Mon aimé…


Depuis ton départ, je ne peux qu’attendre ton retour à la maison. De la guerre, je n’entends que des « il parait que »… Le travail à la ferme est très pénible. Le fils Lérot vient m’aider de temps en temps à autre, son aide est la bienvenue. Mes mains deviennent rugueuses à force de travailler la terre. J’ai peur de t’écrire, j’ai peur d’apprendre ce qui se passe dans ton « histoire », j’ai peur de te perdre. Enfin… La lavande est en fleur dans notre jardin, son odeur me fait penser à toi. Déjà 1 an que tu es parti. J’aimerais avoir plus de nouvelles. Ta grande fille Lila travaille avec moi, et ne parle que de toi, son héros. Lucien, lui, ne tardera pas à partir au front. Je m’inquiète énormément pour lui, pour toi également. Là ou je suis, j’ai l’impression d’entendre les canons et les chants de guerre aussi bien français qu’allemands. J’ai peur. En même temps, les plus jeunes partent en chantant, c’est inquiétant… Ils ont en tête les cartes postales truquées, ainsi que les affiches. Lila revient souvent avec des papiers qui réclament de plus en plus d’argent… Le peu que je gagne, c’est pour l’état ! J’ai peur. A cette lettre, j’aimerais pouvoir joindre mes baisers… Hélas je ne peux pas… Mais revenons à d’autres sujets. Mais lesquels ? Je peux en trouver, mais tout tourne autour de toi et de la peur.

Dans les rayons du soleil que nous avons renommé « Amour », je ne peux que voir ton visage, le mien, et celui de nos deux enfants ! Comme tu le disais dans ta lettre : « L’espoir fait vivre, le désespoir aussi ! »… Là, je ne sais pas ce qui te fait vivre, ni ce qui me fait vivre. Quand le froid ronge, et que le soleil s’orne de ses plus beaux atours… J’ai les jambes qui se figent ou mon visage qui se met à brûler en même temps que toi.

Ici, je suis obligée de me mettre au service des plus grandes usines de voitures, reconverties en usines de bombes ! En fait, je suis au service de cette guerre absurde. J’ai l’impression de n’être utile que pour tuer indirectement des innocents ! Dans ta lettre, j’ai cru comprendre que ton caporal est mort au combat ? J’en suis désolée… Désolée… Désolant… Dans ces quelques mots, je ne peux que résumer mon amour et mon inquiétude.

Ecris moi de longues lettres, douces comme la mousse étoilée, douces comme mon amour, douces comme tout ce qui me vient de toi...

Ton épouse,
Jeanne…