Je suis un grand Brasegali rouge. Mon nom ? Il ne vous dira rien. Mon maître m'appelait "Slain". C'était un mendiant, un de ceux dont la société ne veut pas, ceux que la société ignore. Il n'a pas eu de chance.
Il a tout perdu. Un jour, son patron lui a dit ceci : "Désolé, Romain. Tu finis Vendredi. Une multinationale s'est offerte notre société... Pardon, mon vieux." Ce jour-là, je m'en souviens, je l'ai vu pleurer pour la première fois. Il se blottissait dans mes plumes, il s'y est endormi ce soir-là, comme un enfant qui aurait tout perdu. Je le serrais contre moi. Je t'offrirai tout ce que j'ai, pour que tu retrouves un travail. Il n'en a pas retrouvé. Trop vieux, qu'ils ont dit à chaque fois qu'il postulait. 48 ans. Bandes d'hypocrites. Mon maître est une tête. Un expert en comptabilité. Personne n'a son savoir. Et pourtant, personne n'en veut, parce qu'il est "trop vieux". Maudite société.
Quelques jours plus tard, il était sorti, je gardais la maison. Elle avait besoin d'un peu de ménage. Pendant que j'époussetais la table du salon, j'ai entendu un sifflement dans la cuisine. Non. Ça ne tenait pas debout. Il avait oublié de fermer le gaz ! Lui, si attentif au moindre détail !
J'ai couru dans la cuisine. Le temps que je courre, j'ai allumé les flammèches de mes poignets. Grossière erreur. La maison a sauté. Je n'ai pas souffert, puisque j'avais lancé une Protection dès que j'avais senti l'explosion.
Il s'est retrouvé à la rue, mais il ne m'a jamais haï pour ça.
Ses maigres ressources ont fondu comme neige au soleil brûlant. Il a mendié. Il m'aimait. Mais, Il y a 4 jours, il a senti que c'était la fin. Cela faisait déjà plusieurs jours qu'il se privait pour me nourrir. Il y arrivait, les gens... lui donnaient le minimum vital. Et puis, il s'est allongé, dans le froid mordant. Personne ne passait par ici. Il a tout retiré. Il m'a dit ça : "Désolé mon vieux, je ne peux pas lutter. Qu'adviendra t-il de toi ? Je te souhaite une meilleure vie que la mienne... Au revoir, mon ami. A bientôt." Et il est parti vers Arceus. Je suis parti l'enterrer. Les gens me regardaient comme si j'étais un meurtrier. Je ne leur répondais pas. Au revoir, mon ami. Et je m'en suis allé, à mon tour.
Je n'ai rien mangé depuis 4 jours. J'erre, sans but, dans ces grandes rues vides. La faim me mord, me dévore, consume chaque partie de mes maigres forces. Nous sommes en temps de fêtes. Les gens font leurs courses, passent en détournant la tête, pour ne pas croiser mon regard. Il doit être vraiment celui d'un fou, pour qu'ils aient aussi peur de moi. J'admire, au fond de moi, les vitrines, tout cet étalage de richesses qui me sont inaccessibles. J'ai faim. Je lèche littéralement les vitrines. Un magasin de chocolats. A quelques pas, une boucherie. Les pièces, dans la vitrine... Cela me rappelle mon maître, quand il avait encore son travail. Il lui arrivait de m'acheter certaines pièces de viande que j'aimais beaucoup, et il aimait me regarder les manger. Non, il faut quelque chose... De plus nourrissant, dirais-je. Quoique... Je continue. Ah, une boulangerie, avec une devanture en plein air... Miam... Avec les pains exposés, encore chauds, brillants... Je me rapproche plus doucement. Je l'ai repéré. Un pain viennois. Comme celui que mon maître trempait dans son thé. Les dés sont jetés.
"Vive-Attaque !"
TCHOP. Je l'ai. Le boulanger ne s'en est pas encore rendu compte... Je m'éloigne, toujours sous l'effet de ma Vive attaque. Mais...
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"Police, Police ! Au voleur !".
Mince. Accélérer. PIUUUUUW. Ma vitesse décroît. Mince, c'est déjà fini. Je me mets à courir. Et...
"Brasegalis, en avant ! Rattrapez-le !".
Ça y est. C'est parti. Le grand jeu.
Nous courons. Fuir, fuir, se cacher. Ce n'est pas ma faute si le sort en a décidé ainsi. De toute façon, j'étais foutu. Je cours, ils courent, nous courons. Je saute et passe par-dessus les toits, ils me suivent. Plus vite, plus vite ! Les semer. Nous retournons dans la rue. Ils me suivent toujours. Saletés ! Ils sont impossibles à semer. Je tourne à droite, puis de nouveau à droite. Je bouscule des passants ébahis, qui me laissent passer, sans comprendre.
"Arrêtez-le ! Arrêtez-le !"
Leurs cris résonnent dans le froid. Je mange le pain en courant, il me redonne des forces. Je tourne cette fois à gauche. NOOOOOOOOON ! Là, à une cinquantaine de mètres... C'est une impasse ! JE suis coincé. Nooooon ! Je pile devant l'énorme mur qui me sépare de l'autre côté. Sauter ? Oui ? Non ? Je saute, je regarde, c'est un jardin privé; au bout, il y a une maison. Je suis coincé ! Je retourne au pied du mur, me mets en garde. Les deux Brasegalis me font face, l'air méchant.
"Ton heure a sonné. Rends-toi sans discuter."
Non. J'ai trop faim, ce n'est pas juste.
"Tant pis pour toi", murmure le plus grand des deux. J'observe chacun de ses gestes, prêt à lutter. Il sort simplement un boîtier de sa poche, enfin, façon de parler, et appuie sur l'unique bouton que celui-ci comporte. Une trappe s'ouvre sous mes pas; je le comprends un centième de seconde trop tard pour sauter. Je suis aspiré, la trappe se referme aussitôt.
Je tombe, tombe, de plus en plus bas, m'écorchant au passage les coudes sur les arêtes vives des parois.
Schblam. La fin de la chute.
Owwwww. Le cri des articulations de mes jambes malmenées.
Bon, faisons le point. Je suis entier. J'active une flamme pour m'éclairer, car tout est sombre. Je suis dans un long boyau, avec des rails au sol. Deux chemins, et le point d'où je viens. Je prends le chemin de gauche. Je marche prudemment, aux aguets.
Putain, non...J'entends un bruit de ferraille derrière moi. Qui se rapproche très vite. MEEEEEEEERDE ! J'ai juste le temps de jeter un œil, pour voir l'énorme masse d'une machine broyeuse industrielle, tous rotors en avant, s'avancer vers moi.
Courir, de nouveau, lui échapper !!
Je cours comme un dératé.
Elle me suit toujours. Elle suit les rails.
Pas de sortie autre, juste courir devant soi.
Ne plus penser à rien. Ne pas même écouter son corps, qui vous crie de toute sa puissance que la course doit se finir ici. Le manque d'oxygène hurle dans chacun de mes muscles.
Je dois pourtant continuer !
Continuer, si je ne veux pas finir dans les entrailles de métal.
Point de côté.
Continuer.
Je tombe.
Me relever.
Le bruit me vrille les nerfs.
Continuer, encore, trouver une sortie !!
PLAF. Le bout du chemin. Une paroi hérissée de picots, semblant épouser une certaine forme... La forme des rotors. Ils m'ont entraîné dans un piège dont je ne ressortirai pas. Je serai aspiré, broyé. Transformé en hachis vivant.
Je me place face à la machine, tous les muscles tendus, paraît que ça aide à lutter.
CRRRRRRAC.
Trop mal pour penser, trop mal pour crier.
La souffrance muette et atroce. Tu ne sens plus rien de tes membres. D'ailleurs, tes membres ne sont plus rien.
Mes jambes disparaissent lentement dans les entrailles de métal.
La dernière image dont je me souviens, c'est mon bassin, ma vessie, le bas de mon dos éclatés. Puis tout devient noir.
" A l'heure qu'il est, on ne devrait plus en entendre parler...
- Cher ami, je suis votre pensée. Nous le retrouverons bien...
- Dans notre pâtée de ce soir, sans doute. Quelle invention que cette trappe qui se place automatiquement sous les pieds du désigné ! Et dessous..."
Ils partirent tous deux d'un rire mauvais.