Le visage de David était inexpressif, mais une lueur de sauvagerie étincelait dans ses yeux clairs. Il restait figé, ses petits poings serrés, attendant de voir ce qu’on allait faire de lui. Sa mère venait de le quitter, après lui avoir tendrement ébouriffé sa tignasse de cheveux châtains et déposé ses lèvres sur son front, le laissant seul, abandonné à son propre sort. La pièce était quasiment déserte ; seule une cage, dans un coin, la meublait. A l’intérieur se trouvait un Zigzaton trapu, qui ne cessait de jeter des coups d’œil terrifiés autour de lui.
Autour de David, les murs étaient infinis et blancs. Une inquiétante froideur se déployait dans cette pièce, glaçant son petit corps d’enfant. Il gardait les yeux levés là où s’était tenue sa mère quelques instants auparavant, lorsqu’elle lui serrait la main en lui adressant un petit sourire attristé.
Des pas retentirent derrière lui. Il fit vivement volte-face et se retrouva face à une blouse blanche, dans laquelle se trouvait un homme aux cheveux noirs et aux yeux gris empreints d’un léger voile de chagrin derrière des lunettes rectangulaires.
-Bonjour, David, dit-il d’une voix douce. Je m’appelle Matt Keyes, je suis très heureux de faire enfin ta connaissance.
David ne répondit pas, nerveux.
-Ta mère t’a expliqué pourquoi nous t’avons emmené ici ?
L’enfant resta plongé dans un mutisme obstiné, soutenant le regard de brume de cet homme engoncé dans une blouse blanche qui semblait trop grande pour lui.
-Je suppose que oui, mais je vais tout de même t’expliquer un peu se qu’il va se passer, d’accord David ?
-Mmmh, marmonna David, méfiant.
-Tu es malade, on a dû te le dire, mais on peut te soigner ou, du moins, améliorer considérablement ta santé. Tu vas rester ici quelque temps. Une équipe de scientifiques va s’occuper de toi et tenter de te soigner. Ne t’inquiète pas, tu disposeras de ta propre chambre, d’une salle de bain personnelle et de nombreuses activités te permettrons de passer le temps. De plus, un professeur va venir te donner des cours pour que tu n’aies pas de retard et nous avons quelques Pokémons parfaitement dressés pour t’apprendre à combattre. Tes parents viendront régulièrement te rendre visite. Nous serons à ta dispositions vingt-quatre heures sur vingt-quatre, au cas où… Tu as des questions ?
David secoua la tête, faisant tressauter ses mèches de cheveux autour de son visage.
En vérité, une myriade d’interrogations se bousculait dans son esprit, mais il ne voulait pas les formuler, pas à cet homme dont il ne savait rien, hormis qu’il s’appelait Matt Keyes et qu’il lui mentait probablement. De plus, il ne voulait pas éveiller ses soupçons. Le mieux était d’obtempérer, lui donner l’impression qu’il n’était pas un danger et qu’il n’y avait aucune raison de se méfier de lui. Plus tard, il pourrait chercher un moyen de s’échapper de cette prison aseptisée où régnait une déprimante odeur de médicaments, et que sa mère avait religieusement nommé « hôpital ».
-Parfait. Suis-moi, David.
-… En fait, si, j’aimerais vous demander quelque chose, marmonna l’enfant, s’engageant à sa suite dans un long couloir clair. Combien de temps je vais rester ici ?
-… Je ne sais pas, David. Jusqu’à ta guérison complète.
-Je suis votre seul patient ?
-Oui. Ce centre nous a été prêté pour nous aider à faire des recherches sur ta maladie.
David se renfrogna. Il n’était qu’un cobaye, Matt Keyes venait de le formuler involontairement. Mais un cobaye pour quoi ? Quel genre de maladie avait-il ? Il ne se sentait pas particulièrement faible. Certes, il était plus petit et plus chétif que la plupart de ses camarades, mais sa mère lui disait régulièrement que plus tard, il deviendrait un homme bien bâti, comme son père.
-Voici ta chambre, annonça Matt Keyes après quelques minutes d’un silence seulement troublé par l’écho sinistre de leurs pas.
[...]
De nouveau seul dans sa chambre et vêtu d’un pyjama trop grand, David ne parvint pas à trouver le sommeil. Les yeux grands ouverts dans la pénombre, il ressassait en vain les mêmes interrogations. Qui étaient ces quatre scientifiques ? Pourquoi tous ces tests ? Que venait faire ce Zigzaton dans cette histoire ? Il se tourna et se retourna inlassablement, s’entortillant dans ses draps, détestant ses parents de plus belle et réfléchissant à un plan d’évasion, mais il ne connaissait pas assez bien les lieux pour envisager une fuite. Il réfléchit tant et si bien que, peu à peu, des idées germèrent dans son esprit. Il ne se laisserait pas faire, il se battrait, il ne se ferait pas démolir par ces quatre scientifiques, plutôt mourir que de leur servir de cobaye…
Il ne s’endormit qu’aux alentours de trois heures du matin, le cerveau en ébullition.
[...]
-DAVID !
Un gamin aux cheveux bruns et ébouriffés, débraillé, se jeta sur lui et l’étreignit si fort que David dut le retenir pour ne pas être broyé entre ses bras. Derrière lui, en retrait, une fillette blonde et pâle, qui ressemblait à une poupée de porcelaine, lui adressa un sourire rayonnant quoi que teinté de tristesse.
-Ted, Rebecca… murmura David. Je suis vraiment heureux de vous voir.
-Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi tu t’es retrouvé ici ? lui demanda Ted, le relâchant enfin.
-Apparemment, je suis malade, mais… commença David, avant de s’interrompre, incertain.
-Malade ? N’importe quoi, tu es en aussi bonne santé que moi ou Rebecca ! répliqua Ted.
-… je crois qu’ils me mentent, murmura le garçon.
L’incompréhension se lut dans les yeux marron de Ted, mais Rebecca, elle, approuva silencieusement. David se tourna vers elle et sentit sa bouche se dérouler toute seule vers le haut. Ils s’observèrent quelques secondes sans rien dire, enfants de onze ans encore gauches, puis Rebecca s’approcha de lui et, doucement, un peu gêné, il enroula ses bras autour de ses épaules et la serra contre lui délicatement, de peur de briser cette fillette si fragile.
-On va te sortir de là ! affirma Ted dans son dos.
[...]
Il faisait face à Zigzaton, décontenancé. Le Pokémon soutenait son regard, plongeant ses grands pupilles d’ambre dans les siennes. Dans son dos, Johanna Warren prenait des notes, calfeutrée dans un fauteuil pourpre.
-Tu connais les attaques d’un Zigzaton, non ? demanda-t-elle, mais cela sonnait davantage comme une affirmation que comme une question.
David acquiesça.
-Tu es muet ou quoi ? s’emporta la jeune femme, crispant la main autour de son stylo qui décrivait de larges arabesques sur sa feuille.
-Oui, je connais les attaques d’un Zigzaton, répondit-il sombrement.
-Alors, donne-lui des ordres ! l’houspilla-t-elle comme s’il s’agissait d’une évidence.
Il la foudroya d’un regard flamboyant par-dessus son épaule, mais il elle ne daigna même pas lever le visage vers lui.
-Comme ça, dans le vide ? s’étonna-t-il, ne pouvant retenir un certain mépris qui se mêla à ses mots.
Johanna cessa d’écrire et écarquilla les yeux, entre ébahissement et exaspération.
-Donne-lui des ordres, répéta-t-elle lentement. Tu es vraiment idiot ou tu fais semblant ? Crois-moi, ce petit jeu ne marchera pas avec moi.
-Quel petit jeu ?
-DONPHAN, ROULADE !
Et David vit un sanglier métallique bondir hors d’une Poké Ball jusque là discrètement accrochée à la ceinture de la jeune femme, se lover sur lui-même et se catapulter non pas vers le robuste raton laveur, comme l’avait d’abord cru David, mais bien vers lui, enfant vulnérable et sans défense qui subsistait là, bras ballants…