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Apocalyptica de Drayker



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Informations

» Auteur : Drayker - Voir le profil
» Créé le 06/11/2015 à 22:35
» Dernière mise à jour le 06/11/2015 à 22:35

» Mots-clés :   Drame   Présence de poké-humains   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Chapitre 28 : A cœur ouvert
« Lina ! Lina, attends ! »

Kate aperçut la jeune fille qui disparaissait à l'angle du couloir. En grommelant, elle s'élança à la suite de l'adolescente, en prenant soin de ne pas se prendre les pieds dans les débris qui couvraient le sol.

Le laboratoire était jonché de décombres, et il n'était pas rare de tomber sur le corps d'un malheureux piégé par les gravats lors du Changement. Ils étaient trop nombreux pour qu'on les évacue et qu'on leur offre une sépulture décente ; et de toute manière, aucun hybride n'avait envie de prendre cette peine pour les scientifiques à qui ils devaient leur condition aujourd'hui.

Kate se contenta donc d'enjamber les cadavres. Fort heureusement pour elle, Lina n'avançait pas vite, à cause de sa plaie à la hanche ; et bien que la jeune fille claudiquât d'un pas pressé, sa béquille heurtant le sol, l'hybride Métamorph eût tôt fait de la rattraper.

« Lina ! Attends !
- Fous-moi la paix, grommela l'adolescente.
- Non, tu vas m'écouter. » rétorqua la jeune femme aux cheveux blonds.

Elle attrapa fermement Lina par l'épaule. Cette dernière frémit et porta la main au revolver qu'elle gardait toujours entre ses reins, dans son jean. Kate s'attendit à ce qu'elle dégaine, mais l'adolescente sembla se raviser.

« Lina, je... Il n'aurait pas dû...
- Non. Je l'ai méritée, cette baffe, c'est bon. C'est pas ça qui me gave. »

Surprise, Kate relâcha sa prise, et la jeune fille se dégagea d'un coup sec.

« Je l'ai cherchée. C'est juste que... putain, on est plus qu'une douzaine ! On peut plus se permettre de prendre de risques, merde !
- … Tuer I.H.M., c'est aussi un risque. C'est notre seul moyen d'en savoir plus sur... sur X-Corp, sur leurs expériences, sur ce qu'ils nous ont fait. Tu comprends, ça ? Ça ne compte peut-être pas autant pour toi que pour Thrak ou moi, mais tu dois comprendre que...
- Arrête. Pour moi aussi, ça compte. Je suis pas un cobaye, ok. Je comprends très bien que vous vouliez en savoir plus. Moi aussi, je veux savoir ce qui se passe. Ce que c'est que ce putain de Changement, et pourquoi X-Corp a un ou plusieurs bunkers. Pourquoi ils ont fait toutes ces expériences. Pourquoi Taylor y était mêlé. Pourquoi ils ont enlevé des gens. Pourquoi Lyrian a... a... »

Les mots moururent dans la gorge de Lina, et elle baissa la tête. Kate n'eut pas besoin qu'elle poursuive pour comprendre ce qu'elle voulait dire.

« Mais est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? demanda soudain Lina en relevant la mèche qui s'était abattue devant ses yeux humides. Est-ce que ça vaut vraiment la peine de continuer à s'infliger tout ce mal ? Enquêter sur X-Corp, ça réparera pas le monde. Ça ne ramènera pas tous ces gens qu'on a perdu depuis le début. Ça ne ramènera pas Andrew, ou Élise, ou ma s... »

Elle s'interrompit à nouveau et crispa les mâchoires, comme si elle se reprochait d'avoir laissé échapper quelque chose qui n'aurait jamais dû quitter les recoins de sa mémoire. Kate plissa les yeux, mais choisit de ne pas relever. Elle comprenait la jeune fille ; elle savait aussi que ce n'était pas seulement la décision de Thrak qui perturbait Lina, mais qu'elle était en train d'évacuer toute la détresse accumulée depuis le massacre perpétré par Lyrian. Aussi choisit-elle de la laisser parler.

« On... On n'est pas faits pour ça, Kate. Je suis pas faite pour ça. Ces histoires de... de cobayes... d'Apocalyptica, de Changement... Je peux pas. Je peux plus. Tu comprends ? Je peux plus. Pourquoi est-ce qu'on se bat encore ? On va continuer longtemps, comme ça ? A fouiller les ruines pour trouver des conserves ? De l'eau sale ? A fuir pour survivre ? A se flinguer pour des médocs, de la bouffe ? On est de moins en moins, j'ai pris une balle dans la hanche, Amara a un trou dans le bras, Joshua peut à peine marcher... On va faire quoi ? On va continuer à se rationner, à se sacrifier, jusqu'à ce qu'on meure tous un par un ? Quand est-ce qu'on s'arrêtera ? Quand il ne restera plus que toi, ou Thrak ? Quand le Tortank d'Amara se sera complètement déshydraté ? Quand ce putain de soleil nous aura tous cramés ? C'est quoi, la prochaine étape ? On attend que les pillards nous attaquent ? On attend que la bouffe qu'on a trouvée dans le réfectoire soit épuisée ? On... On n'a plus de but, Kate. On...
- C'est pour ça qu'il faut que l'on comprenne, l'interrompit Kate avec douceur. C'est pour ça qu'il faut qu'on interroge I.H.M. Qu'on enquête. Une fois que l'on saura dans quel monde on vit et pourquoi on est là, on saura où on doit aller.
- Conneries... C'est des conneries. Tu as vu la tête des gens. L'ambiance ces derniers jours. Plus personne n'y croit. Amara cherche de la bouffe, de l'eau, elle essaye de trouver des solutions, mais elle le fait machinalement. Thrak agit comme si on allait tous mourir demain, et... et... »

Elle se tut, la voix étranglée. Des larmes commençaient à ravager ses joues salies par la poussière ocre. Kate n'avait presque jamais vu Lina pleurer, et voilà qu'en deux ou trois jours, elle craquait pour la deuxième fois. Avec un sourire qui se voulait réconfortant, la jeune femme écarta les bras. Lina lâcha sa béquille et se logea contre Kate, baissant la tête.

« Moi, j'y crois. Et je ne suis pas la seule. Joshua aussi, il y croit. On continuera à se battre tant qu'il le faudra.
- Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'on s'acharne ? Ça sert à quoi ? gémit Lina.
- Je ne sais pas. J'aimerai avoir la réponse miracle, l'argument qui rendrait tout ça digne de la peine qu'on se donne, mais... Je n'ai rien. Ce monde aura notre peau, oui. Mais je n'ai aucune envie de lui faciliter la tâche. Tout est en ruines, dehors. L'Ancien Monde n'existe plus, le passé ne veut plus rien dire, et la moitié d'entre nous ne l'ont de toute façon jamais connu. La seule chose qu'il nous reste, c'est notre volonté de survivre, et la perspective que le futur nous offre un jour un monde meilleur. » lâcha Kate, les yeux dans le vague.

Lina ne répondit rien, mais la jeune femme sentit qu'elle tremblait. Rompant l'étreinte, elles s'adossèrent toutes deux au mur, assises dans la poussière à même le sol. Elles restèrent ainsi pendant de longues minutes, l'une contre l'autre, silencieuses. Il n'y avait plus rien à dire.
Le rythme de la respiration de la jeune fille se calma un peu, lentement, jusqu'à ce qu'elle retrouve son calme.

« Désolée. J'ai craqué.
- Ça arrive à tout le monde. Tu n'es pas tout le temps obligée de jouer la fille que rien n'atteint, tu sais ? sourit Kate.
- J'aime pas chouiner.
- On a tous besoin de chouiner à un moment. »

Lina s'essuya les joues, fouilla dans la poche intérieure de sa veste, et poussa un juron.

« J'ai presque plus de clopes. »

Elle sortit une cigarette du paquet, mais, sous l'œil attentif de Kate, sembla se raviser et la rangea à nouveau.

« Tu n'as pas parlé de Lyrian à Thrak, lâcha soudain la jeune fille, à brûle-pourpoint. »

Il s'agissait presque autant de faire la conversation que d'obtenir une vraie réponse, mais Kate sauta sur cette occasion de changer de sujet.

« Comment ça ?
- Ce type, là, Will. Il a laissé entendre que Lyrian était toujours vivant, non ? Ça explique pourquoi le corps a disparu.
- C'est ce que je me suis dit aussi. J'ai surtout eu l'impression qu'il savait déjà la réponse quand il nous a demandé si on avait le corps. Je ne sais pas. Tu y crois, toi ?
- C'est pas possible. Je... je l'ai touché en pleine tête. Thrak a pris le pouls. Il était mort. » déclara Lina.

Le ton se voulait ferme, assuré, mais une once d'hésitation s'y faisait sentir, trahissant les doutes de la jeune fille.

« Tu n'en as pas parlé à Thrak non plus, reprit Kate.
- Et je suis pas prête de le faire, rétorqua la jeune fille avec un rire jaune. J'ai encore mal à la joue.
- Je crois qu'on ferait mieux de garder ça pour nous.
- Tu penses ?
- Oui. Les autres n'ont pas besoin d'un souci supplémentaire. »

Lina acquiesça en silence. Oui. Mieux valait taire cette troublante hypothèse. Pour l'instant, du moins. Les hybrides avaient déjà suffisamment paniqué en apprenant que le corps de l'adolescent fou était introuvable. Il était inutile de donner le moindre fondement à leurs peurs.

Mais malgré tout, la jeune fille avait beau se convaincre que ce mensonge était la meilleure solution, elle ne parvint pas à s'empêcher de se demander ce qu'il adviendrait s'il s'avérait que Lyrian était bel et bien vivant, là, quelque part au-dehors.
Et surtout, elle ne parvenait pas à s'empêcher de se demander ce qu'ils feraient s'il s'en prenait à nouveau à eux.

~*~
Kate s'assit à même le sol et lâcha un soupir fatigué. Joshua, qui s'évertuait à ouvrir une boîte de conserve, leva la tête et jeta un regard interrogateur à l'hybride Métamorph :

« Un problème ?
- Oh, non. J'ai juste passé l'après-midi à essayer de calmer les tensions. Notamment avec ta chérie, souffla la jeune femme en s'étirant nonchalamment.
- Ma ché...
- Lina. Tu pourrais au moins faire l'effort de retenir son nom, ça va finir par la vexer.
- Moi qui me demandait où étaient passées tes blagues vaseuses, répliqua Joshua. Qu'est-ce qu'elle a ? »

Ils étaient tous deux assis au milieu de l'entrepôt, près du maigre feu que les survivants allumaient chaque soir en embrasant quelques planches et caisses éventrées trouvées ça et là. Le soleil déclinait, et la température chutait déjà en flèche, comme chaque soir dans le désert.

« Thrak a raconté l'histoire de la communication de toute à l'heure ?
- Avec le mec du bunker, le Will machin ? Ouais, il a fait une annonce y'a pas longtemps. Ça a pas mal perturbé les autres. On va doubler les tours de garde, et surveiller le jour, aussi, au cas où y'ait bel et bien des gens dehors qui veulent s'en prendre à nous.
- Lina et lui se sont engueulés pour I.H.M.
- Pour I.H.M. ? répéta Joshua sans comprendre, concentré sur sa boîte de conserve.
- Oui. Thrak n'a rien dit ?
- Il a dit qu'un type nous avait contacté depuis un bunker de X-Corp, que la qualité était mauvaise et qu'on ne comprenait quasiment rien, mais que malgré tout, ce type aurait essayé de nous mettre en garde, sans vraiment dire contre qui.
- Mmh. Le type a aussi dit que ces gens seraient menés jusqu'à nous par I.H.M., et qu'il fallait qu'on le tue. »

Joshua manqua de faire tomber sa conserve, éberlué.

« Sérieux ?!
- Shh. Garde-ça pour toi. Si Thrak n'a pas voulu le dire, il a sans doute ses raisons.
- Et du coup ? Vous l'avez débranché ? Enfin, débranché ou tué, je sais pas comment on est censé le dire...
- Non. On ne va pas se débarrasser de notre seul moyen d'en savoir plus sur tout ça sous prétexte que ce Will veut qu'on le fasse. Il pourrait très bien être avec eux. Avec X-Corp. Vu ce qu'il savait sur Lyrian...
- Il a parlé de Lyrian ?
- Oui. Selon lui, c'est le projet Apocalyptica. Un hybride particulier sur lequel travaillait ce labo. On n'en sait pas plus.
- On a tous remarqué que Lyrian était différent des hybrides normaux, concéda Joshua.
- … C'est la première fois que j'entends « hybride » et « normal » dans la même phrase. Surtout venant de toi. »

D'un coup sec, Joshua réussit à ouvrir l'opercule qui lui résistait jusqu'ici, et lâcha un grommellement énervé.

« Pourquoi est-ce que tout le monde se sent obligé de me rappeler à quel point je suis le pire des connards ?
- Oh, je te rassure, y'a pire, sourit Kate.
- Mmh. »

Devant l'absence de réponse de l'adolescent, Kate grimaça. Elle enfonça sa tête dans ses épaules, pris un air faussement attristé et se rapprocha de Joshua :

« Tu boudes ?
- J'essaye de changer. De me rattraper. C'est déjà suffisamment dur sans que tout le monde n'en rajoute une couche.
- Je plaisantais. On sait tous pertinemment que tu as changé. C'est louable. Sincèrement. Tu veux un bisou de récompense, maintenant ?
- Tous ? répéta-t-il sans relever la boutade. Pas sûr. Observe bien les autres. La façon dont ils me regardent de travers. J'aurai beau tout faire, pour eux, je serai toujours « le sale humain raciste qui aurait dû crever avec Kendall. ».
- Personne ne pense ça, objecta l'hybride Métamorph en reprenant son sérieux.
- Personne ne le dit ouvertement. Tu vas voir. Ça ne va pas tarder.
- Thrak ne laisserait pas faire ce genre de choses.
- Thrak débloque. Tu sais si Amara lui a parlé ?
- Aucune idée. Il était assez énervé, cette après-midi. Je vais essayer. J'espère qu'il a eu le temps de se calmer.
- Ça l'a vraiment secoué, cette histoire. En même temps, y'a de quoi. Quand j'ai vu l'état des corps... »

Joshua s'interrompit en crispant les mâchoires. En secouant la tête, il repoussa la boîte de conserve qu'il avait à peine entamée. Avisant Thrak qui montait la garde près de la porte de l'entrepôt, Kate se leva doucement et adressa un signe de tête au garçon.

« Ça va aller. Je vais lui parler. »

~*~
« C'est ton tour de garde, ou tu as encore piqué celui de quelqu'un d'autre ? » demanda tranquillement Kate en sortant de l'entrepôt.

Thrak, assis dans le sable, fixait la pénombre du désert, un fusil en bandoulière. Il ne détourna même pas le regard à l'approche de l'hybride Métamorph.

« J'ai dit à Enora d'aller se reposer. Elle se plaignait de douleurs au dos, et ça n'avait pas l'air bon. Amara l'a examinée. Une espèce de bosse est en train de lui pousser entre les épaules, et c'est douloureux.
- Elle n'est pas toute seule. Guillaume a pété des ciseaux en essayant de se couper les ongles. Pas moyen de les casser. On dirait des griffes.
- Ils ont commencé à muter. Va savoir pourquoi maintenant et pas avant... »

Kate s'assit en tailleur, aux côtés du colosse d'ébène, et répondit en haussant les épaules :

« Aucune idée. La plupart des hybrides n'ont jamais développé de changements trop importants. Mais là, deux en deux jours...
- Ils vont souffrir. J'aurai aimé qu'Élise soit là. » lâcha Thrak d'une voix d'outre-tombe.

La jeune femme grimaça. Il ne lui facilitait pas la tâche. Elle n'avait aucune idée de comment lancer la conversation avec ce géant décidément si peu loquace. Mal à l'aise, elle tapotait des doigts sur ses cuisses, réfléchissant à la meilleure manière d'aborder le problème. Quitte à se heurter à un mur de silence, Kate décida d'y aller de but en blanc :

« Tu veux en parler ? suggéra-t-elle.
- Parler de quoi ?
- De ce soir-là.
- Il n'y a rien à dire. Tu sais déjà tout.
- Je sais ce qu'il s'est passé. Je ne sais pas ce que toi, ça te fait.
- Ça ne me fait rien, affirma le colosse.
- Arrête...
- Stop, Kate. Ça suffit. » coupa Thrak, le regard toujours fixé sur le lointain.

L'hybride Métamorph croisa les bras sans se démonter. Qu'est-ce qui lui arrivait, bon sang ?

« Tu n'es pas un roc, Thrak. A force de tout prendre sur toi, tu vas finir par céder.
- Je vais bien, répéta le géant au teint mat.
- On sait tous les deux que non. On s'en rend tous compte, Thrak. Tout le monde voit bien que tu ne dors presque pas. Tu es en train de te surmener. Je ne dis pas ça que pour toi ; je dis aussi ça pour le groupe. Le jour où tu feras une erreur à cause de la fatigue, on en payera tous le prix.
- Ils m'ont désigné comme leur chef. Ils n'ont pas à discuter mes décisions. On n'est plus en démocratie. » trancha le colosse.

Kate arqua un sourcil, mais déjà, Thrak reprenait, d'une voix qui n'admettait aucune objection :

« Ils ont voulu que je prenne la suite d'Andrew ? Très bien. Je fais ce que l'on attend de moi. Comme toujours. Mais cette fois, c'est fini. On a vu ce que la démocratie a donné au canyon. Maintenant, c'est moi qui prendrais les décisions, et ceux qui ne seront pas prêts à me suivre n'auront qu'à faire comme Lina et partir en grognant. Même les grandes gueules finissent toujours par revenir, argua-t-il de sa voix profonde.
- … Tu t'entends parler ? Tu te prends pour quoi ? Notre sauveur ?
- Non. Je me prends pour quelqu'un qui en a plus que marre de se sacrifier pour tout le monde. Je me prends pour quelqu'un à qui l'on demande l'impossible en permanence. Je me prends pour celui qui doit toujours prendre les décisions difficiles, celui vers qui tout le monde se tourne quand il y a un trop gros problème.
- Si tu n'avais pas envie de prendre le rôle de leader, tu n'avais qu'à le dire, rétorqua Kate.
- Ah, et qui l'aurait endossé, ce rôle ? Toi ? Amara ? ricana Thrak. Non. Ça n'a rien à voir. Je veux bien être leur chef, mais l'heure n'est plus aux débats stériles et aux guéguerres ridicules. La priorité, c'est survivre. Et si je dois prendre des décisions qui ne conviennent à personne mais que j'estime nécessaires, je le ferai. Si je dois gifler les petites insolentes qui sont trop fières pour accepter qu'elles ont tort, je le ferai. Et si je dois prendre les tours de garde des autres, je...
- Tu le feras, oui, coupa sèchement Kate. Arrête. Je te connais. Tu n'es pas l'espèce de tyran pour laquelle tu veux te faire passer.
- Pense ce que tu veux. Je ne te dois pas de comptes.
- Te tuer à la tâche comme ça... Prendre les quarts des autres, endosser toutes les responsabilités... Ce n'est pas pour nous que tu fais ça. C'est pour toi.
- Ah oui, vraiment ? fit le colosse d'un ton faussement intrigué.
- Oui. Tu veux mon avis ? Tu as peur. Peur de l'échec, peur des erreurs que tu as pu faire. Peur de la culpabilité. Tu prends tout sur toi pour oublier que tu es faillible. Pour te convaincre que tu n'échoueras plus. Ce que t'es en train de faire, là, ça s'appelle une fuite en avant. » asséna Kate en fixant le colosse.

Un tic nerveux crispa la mâchoire de Thrak. Kate, qui guettait sa réaction, s'attendait à ce qu'il la frappe comme il avait frappé Lina. Mais il n'en fit rien. Lentement, le colosse d'ébène tourna la tête vers elle, la regardant pour la première fois depuis le début de leur conversation ; et pour la première fois, la jeune femme pu voir à quel point son visage était dur, fermé, marqué par les derniers événements.

Thrak inspira profondément, soulevant ses larges épaules, avant de lâcher un soupir rauque. Il y eu quelques secondes de silence, que Kate se garda bien d'interrompre, attendant que le colosse reprenne. Ce dernier, finalement, se résolut à répondre.

« Il y a peut-être un peu de ça, oui. »

Il changea de position, mal à l'aise. Raffermissant sa prise sur son fusil, il fixa à nouveau l'étendue vide et froide du désert, avant de reprendre :

« J'ai perdu le sommeil. Enfin... disons que je n'ai plus envie de dormir. Je... je fais des cauchemars. Toujours le même, en fait. Dès que j'essaye de me coucher, je me retrouve ce soir-là, à lui faire face.
- Lyrian ?
- Lui et les autres, acquiesça Thrak. Les cadavres par terre. Le sang. Et... et son rire. Son rire de dément.
- On n'aurait jamais pu deviner, objecta Kate. C'était comme avec Jakar. Il a pété un câble. Tu n'y es pour rien.
- C'était pire que Jakar. Lyrian était bien plus effrayant. Et... terriblement fort. Il avait plus de force que moi, tu te rends compte ? Et cette vitesse... Un monstre. Un monstre invincible. Et c'est moi qui l'ai ramené au camp.
- Tu ne savais pas, à l'époque, répliqua Kate. Tu n'as pas à te sentir coupable.
- C'est toi qui l'as dit. Quand je fais une erreur, on en paye tous le prix.
- Jakar, c'était une erreur. Il débloquait dès le départ. Lyrian, lui... avait l'air d'un gars bien. Il a sauvé Joshua... Il a mis les pillards en déroute, et il nous a sauvés, au labo. Personne n'aurait pu savoir. Personne.
- Jakar était une erreur, oui. Mais lui, au moins, il est mort, lâcha Thrak, l'air sombre.
- Lyrian ne peut pas être en vie. Tu l'as vu toi-même. Personne ne survit à ça. » rétorqua la jeune femme.

Thrak n'ajouta rien de plus. Ils restèrent donc silencieux, fixant l'horizon sans un mot, assis dans le sable. Kate savait qu'ils pensaient tous deux à la même chose. Les paroles de Will Stelmar lui revinrent en tête. On ne tue pas un Apocalyptica, avait dit l'inconnu. Mais était-ce un mensonge que de garder cela pour elle ? Était-ce mentir que de dire qu'elle n'y croyait pas ? Devait-elle le dire à Thrak ?
Il méritait d'être au courant. Pour les autres, cela n'aurait fait qu'attiser la crainte qu'ils éprouvaient déjà ; mais Thrak, lui, avait pris le pouls lui-même, avant de constater la disparition du corps le lendemain. Il devait forcément envisager la possibilité que Lyrian soit encore en vie.

Kate ouvrit la bouche, s'apprêtant à tout avouer à Thrak.

C'est alors qu'ils entendirent les cris. Des hurlements d'agonie déchirèrent le calme du désert, leur glaçant le sang. Des hurlements étouffés par la distance, mais pourtant incroyablement vivaces, et chargés d'une souffrance qui leur fit froid dans le dos.

Des hurlements qui venaient du canyon.