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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 25/10/2015 à 16:34
» Dernière mise à jour le 07/07/2018 à 13:23

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 22 : La Mélodie du Répit
LA MÉLODIE DU RÉPIT

(High Hopes)

Sinnoh avait quelques heures d'avance sur Unys. Déjà en cette heure matinale, des touristes se doraient au bord du Lac Courage, des fourmis colorées, bruyantes, erratiques. L'hôtel luxueux sur le haut de la colline en vomissait par centaines tous les matins. Par centaines les fourmis descendaient le long des chemins balisés, par centaines elles colonisaient la forêt pâle. Par certaines elles s'appropriaient le lac. Elles effarouchaient Anthéa et Concordia, les femmes transparentes sculptées d'ombre. Elles effaraient les femmes transparentes, à peine présentes sur une rive lointaine.

Anthéa, pâle, suant à grosses gouttes, luttait contre un mal de crâne vicieux. Une douleur, une brûlure l'écorchait de toutes parts. Concordia l'entourait de son corps mince, à demi-courbée tandis que sa comparse était à genoux, gémissant. Elle voyait sa prunelle droite étinceler tandis que l’œil de gauche s’étrécissait, noirci par l’ombre des pins parasols.

— Je veux trouver... geignit Anthéa, ses sourcils se crispant, sa peau se ridant, se déridant, au rythme des spasmes de son corps.

La femme aux épis roses fut secouée par une convulsion d'une violence nouvelle et lâcha un cri de douleur. Un cri perçant comme une offrande à l’esprit du lac. Le sacrifice devait être à la hauteur de la récompense espérée. Ainsi, seulement quand elle eut assez souffert, flotta autour des comparses les vagues conversations des touristes. Vagues conversations des touristes, à l'autre bout du lac. Les pupilles sombres de Concordia se dilatèrent brutalement, elle se concentra si puissamment que son corps devint dur comme de la pierre. Et son esprit, se vida. Blanc. Blanc pour que puissent s’écouler les échos de vies lointaines.

« ... tu ne voudrais pas qu'on trouve un endroit... plus privé ? »

« Oui enfin, comment crois-tu qu'il vit Lucio ? Mais sii, ils ont augmenté son salaire net de vingt pour cent, en plus de l'argent qu'il obtient des challengers ! Ah mais non, la ligue n'est pas devenue gratuite pour autant, certainement pas, tu te doutes qu’ils veulent encore nous faire raquer. Comme ça les plus pauvres n’y arrivent pas ! »

« Eh alors là j'ai dit : celle-là, elle est aussi utile que la bite du pape, vous pouvez la virer ! »


Aucune.
Conversation.
Utile.

Pourtant Anthéa se convulsait encore, encore, elle cracha—du sang, elle écarquilla ses prunelles roses et ricana, gémit. Concordia oublia brutalement toute concentration, cessa brusquement d’écouter les dialogues étranges des touristes. Elle serra les dents et attrapa son amie, la retournant comme une brindille.

Arrête, Anthéa !

Mais elle continuait.
Paupières frémissantes.

— ARRÊTE !

Mais elle continuait.
Lèvres tâchées de sang.

— On ne le trouvera pas... Concordia la laissa à même le sable, se mordant la lèvre. On ne le trouvera pas ici non plus.

Et le corps Anthéa devint soudainement flasque. Elle inspira, et expira, lentement, levant ses jolis yeux vers le ciel azur, le beau ciel d'été et de « vacances ». Les conversations des touristes s'éteignirent comme elles étaient apparues, sans transition. Il n'y avait plus qu'elles deux sur cette rive du lac. Les arbres murmurèrent leur approbation.

— Même en poussant Confidence à son maximum... je n'y arrive pas, affirma-t-elle avec amertume.
— Il n'est pas là, répéta machinalement Concordia.

Anthéa caressa doucement sa chevelure solaire pour la rassurer, passant un coup de langue sur ses lèvres pour les nettoyer. Agissant par reflexe et sans envie, comme depuis des années. Sinnoh était bien différente, plus vaste qu'Unys, plus ancienne et imposante. Trop de souffrance pour qu'elle s'y attarde...

— Ô Seigneur de ce Lac, je te supplie, accorde-moi la Volonté nécessaire pour trouver mon Roi N, mon Roi N... chantonna-t-elle, se prosternant humblement vers l'île décharnée au centre des eaux claires.

Concordia reprit la prière et effectua les gestes rituels.

[…]

Le soleil toucha d'abord le sable de Vaguelone. Puis il le surplomba, et enfin, engloba toute Unys. On dit qu'une déflagration éteint les foyers d'une première explosion. L'aube semblait appliquer ce principe brutal, écrasant les cendres colorées de Volucité, éclipsant toute la lumière des néons. Le monde pâlissait.

Syd s'éveilla quand un des rayons gris s'étala sur ses paupières, indifférent à la journée morbide qui attendait le garçon. Il se dégagea une petite main d'Élin, une main qui s'était accrochée à son pyjama durant leur soleil. La blonde ne fit qu'émettre un ronflement plus brusque que les autres, et s'enroula dans la couette comme une bienheureuse, attirant tous les draps vers elle.

Il appréhendait tellement la rencontre Plasma qu'il ne sentit pas la fatigue, la morsure de la climatisation.

Aucune réaction. Mais une mine sombre. Celle d'un enfant qui n'a plus de rêves, qui ne croit plus à l'altruisme ou aux vies heureuses. L'expression de Syd était celle d'un sacrifié, d'un traitre trop résigné pour ressentir du dégout. Il était le seul être désintéressé de cette planète, il le pensait ; pourtant il était aussi convaincu de sa répugnance, il croyait avec ferveur qu'il méritait son destin. Renoncer à l'aide de ses amis, renoncer à une vie heureuse. C'était pour Otis.

Syd se leva pour placer Pokéball et argent dans son sac.

[...]

À des kilomètres de là le soleil touchait une chambre parfaitement ordonnée, se perdant entre le triple vitrage, absorbé par d'épais rideaux. Le tissu ondulait lourdement sous la chaleur, se ridant profondément là où il avait été décoré à la peinture, assailli de mains colorées qui avaient cent fois mal séché. Par les coins du rideau s'échappaient quelques rayons qui traçaient finement les angles d'un carrelage froid, léchaient les pieds d'un lit bordé.

Le matelas était partiellement redressé. Dessus reposait une figure totalement immobile, à croire qu'elle était encore endormie. C'était faux. Discrètement, délicatement, une paupière gauche voletait, se reposant parfois un instant sur une douce joue. Douce, mais insensible.
Quelqu'un toqua tranquillement, puis une infirmière âgée fit son entrée, un sourire cordial aux lèvres.

— Bonjour Otis. Bien dormi ?

Une réponse par l'affirmative, la version plus longue s'affichant sur un petit écran. L'infirmière retira les fluides qui s'étaient accumulés au cours de la nuit, et prépara les injections nécessaires à la nutrition.

— Najat était tellement fatiguée qu'elle s'en est allée un quart d'heure plus tôt. Tu parles avec son bébé...

Quelques secondes après : « Meili s'en occupe pas assez bien ? ». L'infirmière jeta un coup d'œil à l'écran, rebordant affectueusement quelques draps qui pourtant ne s'étaient pas desserrés.

— Oh, si, mais il paraît qu'en ce moment elle est insupportable, enfin, tu connais les artistes...
« Ma mère, un peu. »
— Elle va visiter aujourd'hui ?
« Non, c'est mon père qui passe en rentrant du travail. »
— Très bien !

Brusquement le Vokit au poignet de l'infirmière sonna, et elle blanchit dès le premier coup d'œil. La professionnelle s'élança vivement vers la porte, s'excusant d'un air désolé en la refermant :

— Pardon, c'est encore celui qu'on a interné dimanche aprem’ !

Et voilà qu'Otis se trouvait seul, dans le silence du matin. L'infirmière avait tiré les rideaux—il avait une jolie vue sur les banlieues de Maillard, sur un boulevard grouillant de monde et un grand Temple d'Arceus. Tous les jours il contemplait les gens passer et rêvassait. On lui apportait des lectures sur tablette, dont il pouvait faire défiler le texte grâce aux signaux de ses paupières que captait l'ordi. Il suivait l'actualité à la télévision.

Et il pensait à sa famille... À sa sœur qui ne lui rendait pas visite en même temps que Syd. À ses parents. Ensuite il pensait à ses amis, et puis à tout et rien pour passer le temps.

Otis et Syd étaient bien différents. Le premier était rieur, au courant de rien, et complètement insouciant avant son accident. Depuis il était plus attentif, que ce soit envers les actualités politiques ou ses proches. Mais toujours il gardait un humour un peu déplacé, une imagination vive—Otis était comme une bouffée d'oxygène. Syd était sombre, muré dans l’amertume, dans l'indignation. Syd était buté et très sensible et n'avait aucun humour.

Leur seule ressemblance était ce courage muet. La dignité touchante qu'ils portaient au cœur de leur être.

Quelque part Otis craignait que son frère ne commette des actes qu'il ne regretterait. Un adolescent qui souffrait d'autant de colère ne manquerait pas de se tromper, d'agir trop radicalement. Syd avait l’esprit un peu fragile… et s’il craquait ?

Le grand-frère ne pouvait pas savoir à quel point ses craintes étaient fondées.

[…]

Une langue de feu illumina le commissariat du premier arrondissement Volute. Elle s'enroula autour des colonnes imposantes, presque kitchs, qui soutenaient l'édifice, peignant les marches blanches de nuances ambrées. Cependant, le soleil s'arrêta aux immenses portes de l'immeuble.
Aucun rayon ne vint frapper les iris hallucinées d'Oscar.

— Madame, j'ai la possibilité de prolonger la garde-à-vue encore vingt-quatre heures.

Le garçon était écroulé sur l'unique table de la pièce. L'ombre l'étreignait affectueusement, sifflant des choses atroces, et ses lèvres gercées avaient beau leur répondre, leur dire de s'en aller, les protestations étaient trop faibles. C’était trop peu ! Il était si fatigué...

— Quoi ! cracha Bianca, tout aussi éreintée après une nuit passée aux côtés d'Oscar.

Elle avait vainement attendu un appel d'Artie, priant qu'il se libèrerait de ses obligations quelque part après minuit. Mais personne n'était venu. Serrant les dents, la thésarde joua le tout pour le tout, fusillant l'Inspecteur Li du regard.

— Si vous le gardez ne serait-ce qu'une minute de plus, j'appelle le Champion Artie, et vous verrez ce que c'est la garde-à-vue ! siffla-t-elle avec menace, abattant un poing tremblant sur la table.

Oscar sursauta, mais pas l'officier, qui ne fit que la balayer d'un regard imperturbable. Un regard aussi expressif que l’acier, contrastant si cruellement avec la douceur onctueuse de ses iris chocolat.

— Monsieur le Champion n'est pas mon supérieur hiérarchique, madame. Il n'a aucune autorité dans la Justice Humaine.

Bianca secoua la tête, fermant les yeux pour ne plus voir Oscar, niant l'évidence de toutes ses forces. Les légendes d'Unys veulent qu'au cours de chaque vie, une âme soit confrontée à une vérité insoutenable... à un choix entre Idéal ou Réalité. Bianca avait l'impression que c'était son heure, tout simplement. Elle entrait en collision avec le système judiciaire d'Unys, avec les coutures grossières de sa société, et la désillusion était brutale. Comment pouvait-on demander à un enfant de trahir ses parents ? Comment pouvait-on demander cela à son élève !

— Oscar... appela-t-elle, le cœur lourd.

Il ne répondit pas, ne réagissant qu'en se recroquevillant davantage, comme un Pokémon traqué et blessé.

— Oscar...
— Monsieur Pistil, intervint gravement l'Inspecteur. Nous vous avons déjà précisé que les risques qu'encourent vos parents sont minimes. Ils ont très peu de chances de se retrouver en prison. Il leur suffit de se déclarer en faillite personnelle pour que leurs dettes soient effacées.

Un mot de plus ; des phrases, que l'on avait inlassablement répétées, que l'on entassait en une pile de syllabes gluantes, suintante d'omissions et d'approximations, puantes de cruauté. Ces phrases qui étouffaient Oscar peu à peu, leur odeur fétide et malsaine salissant tout son corps, l'amour qu'il pensait avoir pour ses parents, salissant son innocence.

Il souffrait mais il ne comprenait pas pourquoi ! Pourquoi le faisait-on souffrir ? Il n'avait rien fait, il n'avait jamais rien fait à la police, enfin si mais des petits trucs, des vols tous bêtes, et jamais il ne s'était fait prendre ! Qu'avait-il fait à ce Monsieur Li, non, il ne l'avait jamais rencontré, alors pourquoi l'homme s'acharnait-il autant... ne comprenaient-ils pas, que rendre ses parents à la police était tout simplement au-dessus de ses forces ? pourquoi n'essayaient-ils pas avec une autre personne ? pourquoi ne le laissaient-ils pas tranquille !

Oscar voulait être seul, il voulait Élin, il voulait que ses parents le remercient d'avoir tenu bon, de ne pas les avoir lâchés, s’intéressent à son voyage et arrêtent de l’oublier, Oscar voulait pleurer...

— Il s'agit d'effacer leurs dettes, Monsieur Pistil, répéta l'Inspecteur Li.

Effacer leurs dettes. En vendant tous leurs meubles, les meubles d'Oscar, en vendant leur appartement, qui était aussi l'appartement d'Oscar—ne se rendaient-ils pas compte ? Ce n'était pas effacer leurs dettes ! C'était effacer toute leur vie ! Sa vie avec !

— Oscar... murmura Bianca, doucement, s'approchant de lui et levant pacifiquement les paumes.

Elle le saisit tendrement, son élève, et le secoua légèrement, redressant sa figure voutée. Ils étaient trois dans la pièce crépusculaire de l'aube, deux adultes témoins de la déchéance d'un système et d'un enfant.

— Oscar, je sais que c'est dur...

Non, elle ne savait pas, mais il fallait mieux offrir un réconfort partiel, insuffisant, que de se taire... non ? Il s'agrippa à sa chemise de ses poings blancs ; elle se raidit d'inconfort car le tissu glissait trop bas pour cacher son soutien-gorge, et l'Inspecteur avait vu. Tout dans cette situation puait, tout dans cette situation était malaise. Il renifla un peu de morve qui avait coulé et elle inspira.

— Oscar, je ne te prends pas pour un idiot, je sais que c'est dur... répéta-t-elle, vainement, éraillée.

Son esprit sortait des rails. Elle fixa un bout de table, juste un bout de table.

— Oscar.

Si elle hésitait tant, répétant sans cesse les mêmes paroles, était-ce parce qu'elle savait déjà ce qu'elle allait lui dire ? Elle savait déjà qu'elle allait le convaincre de commettre des horreurs ! Bianca—son corps chaud, mou—elle se sentait souillée d'avance, sa langue déjà pourrie par sa traîtrise. Quelle professeure manipulait ses élèves ? Quelle adulte exerçait son autorité, son aura érudite pour faire croire à un enfant qu'elle avait raison, pour corrompre ses rêves et sa famille avec des notions d'argent, de justice...

La thésarde se mordait trop fort l'intérieur de la bouche, sale habitude qu'elle avait prise... le goût métallique du sang noyait ses papilles. Lunettes à monture rouges, glissées. Elle voyait totalement flou, faute d'heures passées à étudier devant l'ordinateur.

Si elle avait su qu'elle se ruinerait les yeux pour assister à la destruction de son élève, Bianca serait restée conne et timide et elle serait rentrée avec son père sans velléités d’indépendance.

La violence du constat, le retour brutal de ses incertitudes brûlantes, la tirèrent de sa torpeur. Elle frissonna, redressa son chemisier et constata que l'Inspecteur avait poliment détourné les yeux. Elle berça Oscar, cette tête chaude contre son ventre mou, logé en-dessous de sa poitrine, écoutant muettement le battement de son cœur. Il avait régressé comme un petit enfant.

— Il le faut, lui murmura-t-elle doucement, se donnant presque l'illusion que l'officier Li n'existait pas, qu'elle lui conseillait tout autre chose. Il le faut.

S'il s'accrochait autant à son chemisier, c'est que ses parents ne lui avaient jamais accordé assez de tendresse, de toute manière. Oscar lui avait raconté, à demi-mots au court de la nuit, combien ses géniteurs étaient peu regardants, ignorants totalement la vie et les besoins de leur enfant ! Ils ne pensaient qu'à eux, avoir Oscar n'avait été qu'une lubie comme une autre, rapidement passée de mode, gentiment oubliée ! Ils étaient tout le temps en voyage ! Quand ils rentraient c'était le garçon qui faisait le ménage, s'occupait des courses—enfin bref vivait comme un orphelin au cœur de Volucité !

Des gens comme ça, pensait farouchement Bianca, ne méritaient pas de dépenser insouciamment jusqu'à leur mort, ne méritaient pas de croquer la vie à pleines dents. Cela devrait être réservé à Oscar, et Oscar seul, en juste rétribution. Voici ce que lui susurrait sa colère, son indignation, ses facettes à la fois naïves et violentes. Il fallait qu'il y ait une Justice dans ce monde.

(Au Ranch, quand il avait appelé ses parents et était tombé sur le répondeur, elle ne s’était pas posé de questions, elle n’avait pas insisté le lendemain, ni le jour d’après pour…)

— Oscar, c'est le cours des choses. C'est la seule manière... de continuer ton voyage initiatique...

Il frissonna brutalement contre elle, tirant de plus belle sur son haut, avant-bras collés à ses hanches.

— N-Non ! en un hoquet.

C'était le seul mot qu'il prononçait depuis des heures. Bianca en eut presque un haut-le-cœur, elle était fatiguée.

Il fallait qu'il y ait une Justice dans ce monde !

Seulement... on ne devrait pas forcer Oscar à la rendre. On ne devait pas le mettre si jeune, face à ce dilemme ! Il perdrait toute estime pour lui-même... cet enfant naïf se verrait comme un monstre... La Justice le broyait, tout cela parce qu'il était pénalement responsable depuis son voyage initiatique. C'était tout aussi injuste ! Tout aussi injuste qu'une liberté insouciante pour ses géniteurs !

Une frustration immense prit la scientifique, toujours au pied de ce casse-tête insoluble après des heures de protestations acharnées.

— Mais tu n'as pas d'autre choix !

Elle le repoussa sans ménagement, ses doigts se crispant autour de son chemisier, déchirant des lambeaux entiers de tissus—elle le força à s'asseoir correctement, s'assit à côté de lui, plongea ses prunelles d'un bleu brut dans ses iris d'un vert malade.

— Tu n'as pas d'autre choix, tu m'entends Oscar ? Ils vont te garder, te garder jusqu'à ce que tu craques, ce n'est pas de ta faute mais c'est comme ça ! Je sais que c'est une trahison, d'accord, je sais...

L'Inspecteur Li s'éclaircit la gorge avec réprobation, elle le foudroya du regard. Il l'avait fourrée dans ce pétrin insoutenable alors maintenant elle disait ce qu'elle voulait, qu'il aille se faire foutre !

— ... je sais que c'est difficile, c'est peut-être l'acte le plus difficile et dégoûtant que tu aies à commettre de ta vie ! Tu m'entends ?
— O...

L'adolescent bafouilla, il n'osait pas respirer, comme s'il croyait disparaître en étant parfaitement silencieux. Elle le secoua de nouveau, rudement, déclenchant une nouvelle cascade de larmes.

— O-Oui...
— Mais tu dois le faire !

Oh non, elle n'en était pas convaincue, oh non, il ne savait pas à quel point ses paroles lui coûtaient.

L'Inspecteur Li s'approcha, toujours un peu résigné, désolé par habitude, toujours ce regard stoïque. Il était vieux, il était vraiment vieux, et il faisait partie de la brigade financière depuis tout ce temps, c'était vraiment dégueulasse.

— Monsieur Pistil, êtes-vous d'accord pour appeler vos parents ? s'enquit-il de sa voix calme.

C'était la chose à ne pas dire. Oscar se figea comme un Pokémon voleur, ses yeux s'écarquillèrent, il fondit de nouveau en sanglot comme un nouveau-né, et tenta de se recroqueviller. Cependant Bianca l'en empêcha, horrifiée, contenant avec peine ses exclamations rageuses.

— Il va devoir se recomposer avant d'être assez convainquant, soupira l'officier.
— Rah ! Juste apportez ce téléphone ! cracha Bianca.
— Il n'est pas en état.
— Jamais il ne le sera ! Comment pouvez-vous lui demander d'être « en état » ?

Alors l'Inspecteur fit un geste rude vers un mur. Et Bianca comprit, écœurée... on les observait depuis le début. Ils n'avaient jamais été seuls dans cette pièce.

Une femme rentra sans dire bonjour, jeune, dans un uniforme un tout petit peu plus relâché, adorant manifestement les piercings. Elle s'installa avec un ordinateur massif, des écouteurs, un calepin—et l'Inspecteur Li tendit un téléphone à Oscar, un téléphone tout chaud qui reposait dans sa poche depuis la veille. Les mains de Bianca se crispèrent autour des épaules d'Oscar. Elle ferma les yeux.

— Allez-y, appelez, Monsieur Pistil.

Il y eut un instant où ils crurent qu'Oscar n'allait pas le faire, qu'il allait de nouveau se recroqueviller, perdre tout contact avec la réalité.
Puis, tremblants, ses doigts frappèrent la première touche.


(Rupture)
Il fut retardé par un détail agaçant. Le téléphone du salon explosa d'une sonnerie sérieuse et stridente. Artie, également épuisé et d'humeur noire, se leva pour décrocher et après quelques phrases échangées, demanda brusquement à Syd d'aller chercher Élin alors que celui-ci avait la main sur la porte.

La blonde ronflait. Il mit une demi-heure à la lever.

À son retour Mélis se trouvait également dans la pièce, l'air mal-réveillé mais soulagé, de toute évidence parti pour aborder les nouveaux arrivants. Bien sûr qu'il le fit, évidemment, rien n'était jamais facile pour Syd !

— C'est l'hôpital qui appelle, White vient de reprendre conscience. On peut lui parler—enfin plutôt elle vient d'ordonner qu'on la laisse nous appeler... ppft...

Mélis semblait se fatiguer rien qu'à imaginer la scène, se vidant de toutes ses couleurs. La différence avec une Élin à peine réveillée était visible—on avait certes du mal à tirer la blonde du lit, mais quand celle-ci était debout, c'était pour la coucher qu'on devait lutter ; l'adulte, quant à lui, souffrait de chaque seconde passée conscient.

Syd se fichait de White.

Mais il dut faire bonne figure, il dut se grouper avec les autres devant le Visiophone du bureau, offrant un sourire de circonstance. Celui qu'il avait vu tant de fois sur les lèvres de leurs proches quand ils recevaient des nouvelles d'Otis, quand Otis était aussi à l'appareil. Il dut même avertir Artie que Bianca voulait lui parler, d'une voix douce et apaisante, respectueux du silence des amis de l’alité.

— Hm. Oui. Je verrai ça après.

Évidemment que le Champion parlait fort, il s'en foutait du volume sonore. Évidemment que Syd était le seul à anticiper le type de douleur qu’un timbre indifférent pouvait provoquer.

Il cligna des yeux, gorge nouée.

Le lit de White avait été placé en position assise pour mieux lui permettre de communiquer. Un arrangement que Syd avait tant de fois vu Otis requérir.
La Championne d'Unys leur offrait une grimace ennuyée, une grimace superbe, sa chevelure éparpillée sauvagement autour de ses yeux intelligents.

— Salut, il paraît que j'ai été dans le coma.

Comme ça, du tac au tac. Alors qu'Otis avait mis des mois à s'en sortir, lui.

— Oui, répondit Artie d'un monotone. Seulement pour trois jours, en revanche. Tu as eu de la chance de t'en sortir aussi vite.

Oh ! de la chance ! Ça oui, White en avait, elle la dévorait, elle n'en avait jamais assez et s'en repaissait égoïstement. Peu importe s'il n'y en avait pas pour les autres—que pouvait-elle y faire s’ils échouaient ou galéraient les autres, pourquoi devrait-elle s'en inquiéter ? Elle s'en foutait.

— Tatiiie j'suis trop contente que t'ailles mieux ! déclara Élin, prunelles d'ombres brillant d'admiration, un large sourire aux lèvres.

Elle débordait déjà d'énergie et d'émotions, la vue de White semblait la galvaniser, elle se rechargeait comme une batterie.

— J't'ai déjà dit de pas m'appeler comme ça pourtant, répondit White d'un ton vaguement amusé, comme parlant à un Pokémon.

Syd plissa dangereusement des yeux, se crispa. Mais Élin ne semblait pas blessée, tirant simplement la langue, retroussant son nez mutin. L'écran grésilla un instant, le groupe ne capta qu'un flou de blanc aseptisé. Mélis semblait s'endormir, chevelure en bataille et casquette carmine piquant du nez. Et Syd souffla, frustré.

— Connexion de merde... grommela White une fois celle-ci revenue, triturant son visiophone d'un geste impatient.
— C'parce que t'es à l'hôpital ! sourit Élin. Mais tu vas en sortir bientôt pas vrai, ils vont pas te garder longtemps ?
— De toute manière je ne les laisserai pas, répondit catégoriquement la femme. J'ai pas que ça à foutre.

Le soupir que Syd retenait avec force et fracas n'échappa pas à ses lèvres serrées, mais à celles d'Artie. Le Champion se leva, effleurant l'assistance de son ample pyjama, balayant l'écran de ses yeux rendus ternes pas la fatigue.

— Bon, moi aussi j'ai des choses à faire. Surveille-toi quand même, White.
— Et toi appelle-moi par mon titre, j't'ai battu pour le mériter ! rétorqua la Maîtresse d'Unys, impérieuse.

Il lui offrit un sourire poli, un haussement d'épaules, et disparu dans la lumière du matin, sans doute en direction de sa chambre. Ils le contemplèrent un instant, n'écoutant pas White qui lançait une remarque sans doute maligne. Puis un « BONG » puissant les surpris—ils sursautèrent mais ce n'était que Mélis, dont la tête venait enfin d'heurter le clavier, et les deux interlocutrices se moquèrent de lui alors cette fois, Syd ne retint pas son soupir—

— J'vais prendre l'air, j'ai un peu mal au crâne, marmonna-t-il en direction d'Élin, qui lui accorda une œillade déchirée.
— Ey mais je peux pas t'accompagner, y a White...
— Je t'ai jamais demandé de me suivre partout, grinça-t-il en réponse, j'ai pas capturé de Ponchiot à ce que je sache.

Évidemment, la bouille ronde de la gamine se rembrunit, et elle se sentit obligée de le pousser sans ménagement de sa chaise.

— Pfft ! Fais comme tu veux, monsieur snob !

Il entendit peut-être White dire qu'il n'avait pas l'air drôle, et Élin répliquer « grave, comme un Chacripan celui-là... » mais il était déjà loin. Il avait déjà refermé la porte d'Artie derrière lui, il était dans le hall qui sentait la poussière, face au vide.

Face à lui-même.

[...]

« - Elsa... ma chérie... O-Oh, tu es rentrée !

Son père l'embrassa d'un regard surpris. Une surprise superficielle. Mais qui trahissait un désarçonnement plus profond, comme si sa fille avait pris du jour au lendemain des proportions mythiques, jusqu'alors inconnues. Et Elsa capta ce regard, plissa ses propres iris en réponse. Son intelligence aux aguets.

— Qu'est-ce qu'il y a, papa ? »


Ce n'était pas son genre de se coller à la vitre de sa chambre. Mais elle s'assit sur le bureau qui lui était accolée et sourit mélancoliquement, ses yeux plongeant dans le vague de la ville. Le cœur du centre financier, elle l'observait de loin. Contrairement aux Pistil, les Hirata ne vivaient pas dans un beau quartier.

Ce qui caractérisait la vue de sa chambre, c'est la longue autoroute qui la barrait d'un seul trait moche. Le jour, ce coup de pinceau urbain était rugueux de béton gris, poussiéreux de gravats atomisés, gazes d'échappements. La nuit, il se fondait dans l'encre, délavé par les néons. Les voitures se paraient lors d'une aura étrange et inquiétante, insectes menaçants rodant dans les embouteillages du périphérique, prunelles inexpressives luisant agressivement dans les ténèbres.

Elsa s'était toujours demandé où ces voitures allaient, qui étaient ces gens qui rentraient si tard le soir. Elle imaginait des pères de famille rentrant avec une seule idée en tête : manger, puis s'écrouler. Leurs familles s'étaient habituées à vivre sans eux et les enfants ne s'attendaient plus à ce qu'il vienne à leurs rencontres sportives. Ensuite Elsa imaginait des CP qu'on venait à peine de récupérer de l'étude, elle imaginait des mères de famille aux carrières prometteuses à qui l'on reprocherait de ne pas faire passer les enfants d'abord...

Elsa avait écrit de nombreuses histoires « du périphérique », nouvelles qu'elle conservait précieusement dans un petit journal. Les textes de ces tendres années étaient jugés obsolètes et maladroits, à présent.

Aujourd'hui, elle les relut tendrement... aujourd'hui, elle caressa doucement la couverture matelassée du livret, posé sur son bureau ciré, son bureau si bien rangé.

— Et si je l'emmenais...

Amaryllis grogna à ses côtés, curieuse. Mais quand elle découvrit que l'attention de sa dresseuse était centrée sur les symboles incompréhensibles que gribouillaient partout les humains, la Pokémon quitta son perchoir sur le bureau et choisit de s'étendre sur la moquette.

Elsa se décida avec un regard d'acier et enfonça son ouvrage dans son sac-à-dos, décidant que son amour de l'écriture serait un moyen de ne pas se perdre—de ne pas s’oublier après le Ferry. Elle jeta un dernier regard à l'autoroute qui l'avait tant réconfortée, qui lui avait permis de supporter de longues heures de solitude nocturne.

— Allez, viens Amaryllis, on y va.

Presque silencieusement, la dresseuse quitta son enfance, en refermant la porte une fois que sa Pokémon l'eut rejoint.

« — Elle m'a dit... Bianca Lenoir m'a raconté que tu avais abattu dix Sbires Plasma et aidé à sauver le Ferry ! T-Tu ne m'avais pas dit tout ça, Elsa !
— ... Oh.

Elle laissa presque échapper un soupir amusé, laissa presque ses lèvres s'étendre en un rictus sec. Mais elle ne fit que pénétrer entièrement dans le salon, refermant finalement la porte derrière elle. Et elle laissa s'étendre le silence.
Son père était abasourdi.

— ... c'est uniquement cela qui te choque ? hasarda-t-elle après un temps, arquant un sourcil.
Évidemment Daniel Hirata eut du mal à avaler la pilule. Il devint tout rouge, s'étouffa presque.
— Que... M–Mais enfin, « uniquement cela » ? « Uniquement cela » ?
— Hm... oui ?
— Mais enfin cela change tout ! »


Dans le salon ordinaire, probablement identique à ceux de leurs voisins, attendait son père. Le gros des bagages de la fille, un immense sac aux impressions de tricot, était posé à côté de lui—ce matin ils étaient allés faire les courses ensemble au plus gros centre commercial de tout Volucité, avaient acheté dont ce dont Elsa aurait besoin. Son père lui sourit, ému.

Probablement encore plus ému que la première fois où elle était partie en voyage, car cette fois, il savait à quel point elle changerait, à quel point elle grandirait. Elle n'était déjà plus sa petite fille qui bégayait et luttait du mieux possible pour ne pas être un poids, pour ne pas se déranger. Elle n'était déjà plus sa petite fille soucieuse et pensive, toujours un peu dans les nuages comme son papa.

Quelque chose avait bougé en elle, comme si un énorme rocher s'était effondré pour laisser s'écouler le soleil.

— Alors, ça y est, on est fin prête ? lui sourit-il, sentant que sa question était plus rhétorique qu'autre chose.
— Ah, ça oui, affirma-t-elle en lui rendant son expression heureuse, ses yeux brillant.

Sa fille s'avança vers lui, sa Pokémon affichant un air entendu à ses côtés. Il la contempla, dans toute sa grâce et sa confiance, avant de l'entraîner dans un câlin empreint de tendresse. Daniel Hirata avait foi en sa fille. C'était une personne extraordinaire, tout simplement.

« — Ah bon ? un sourcil arqué. Et cela change quoi, exactement ?

Le père tenta plusieurs secondes de trouver les bons mots, d'exprimer son étonnement, son admiration, son esprit intégrant le concept que sa fille n'était plus fragile—peut-être qu'elle ne l'avait jamais été. Peut-être qu'elle était même plus forte que ne l'avait semblé sa mère...

— Tu peux... tu peux partir en voyage alors ! articula-t-il, finalement.

Ses paroles lui arrachèrent un nouveau frisson d'étonnement. Ça y est, il ne se reconnaissait plus, cette décision aurait été impensable auparavant... sa fille changeait, et voilà qu'elle le changeait aussi !

Cet étonnement eut tôt fait de se muer en choc. Car là où Elsa aurait balbutié, là où Elsa aurait été reconnaissante... elle ne fit que sourire, s'avancer vers lui d'un air malin...

— De toute façon, que tu sois d'accord ou non je serais partie. Mais merci d'y avoir consenti !

Et elle poussa un rire, un rire qu'il n'avait jamais entendu de sa gorge. Une franche rigolade à la fois malicieuse et légèrement moqueuse, mais si belle, si épanouie, qu'il ne fut jamais question de s'offenser. Ce même cri de joie qui avait charmé Oscar, quand Elsa était une fille timide et sans confiance, ballotée par les fortes personnalités de ses amis.
Sa fille était belle quand elle riait. »


— Donc c'est vraiment le grand départ, là...

Ils se lâchèrent, émus.
Elle sourit tendrement.

— Je t'aime, papa.

[...]

— Oscar ?

La voix était légèrement éraillée, sans doute éraflée par l'alcool et une nuit trop courte. Cependant elle gardait un profond courant de douceur, qui les submergea en une vague apaisante. C'était un timbre envoûtant et agréable. Bianca en fermant les yeux, laissant échapper un long soupir, qui la vida entièrement de ses soucis et de son écœurement...

Avant de se rappeler que cette voix était celle de la mère d'Oscar, et que pour lui, chaque mot le renvoyait à une lutte douloureuse contre lui-même. La confiance que sa mère lui faisait devait le brûler amèrement.

— Oscar, c'est toi mon amour ?

La jeune femme grimaça avec impatience en fixant son écran d'ordinateur ; l'Inspecteur Li indiqua brusquement à l'adolescent de répondre.

— O-O-Oui maman c-c'est moi...

Aie. Bianca serra les dents, priant pour que la mère ne remarque rien, se sentant aussitôt coupable de ce vœu car il sonnerait l'arrestation des deux êtres les plus chers de son élève...

— Dis-donc, ça ne va pas mon sucre d'orge ? On dirait que tu es malade !

Les « mamours », « fils adoré » et autres appellations sucrées ne faisaient que dissimuler un vide et un abandonnement total ! C'était révoltant, c'était honteux et la thésarde méprisait ces parents pour cela !

— O-Ouais c'est ça, en fait je suis tombé malade à cause du... enfin à cause du vent sur le Ferry tu vois...

Oscar lui lança un regard déchiré, implorant pour qu'enfin cela cesse. Bianca foudroya l'Inspecteur Li de ses yeux bleus. Et à son tour l'officier se tendit vers la spécialiste et son ordinateur... mais elle secoua la tête négativement, mécontente, car son logiciel n'avait pas encore trouvé, il lui fallait plus de temps !

— Oh mon petit prince c'est terrible... Ah, ton père se réveille, je vais devoir y aller ! Tu voudras que je te rappelle mon Couaneton ?

Tétanisé. L'Inspecteur Li le secoua d'un geste vif et Bianca se crispa.

— Ne le touchez pas !
— Taisez-vous !
— Bisous bisous mon Ponchiot...

Brusquement Oscar se ressaisit. Comme si la tape avait désobstrué sa gorge, permettant à un flot de paroles de s'en déverser, sans pudeur.

— Attends maman s'il-te-plaît attends ! Et si je te racontais mon voyage ? T-Tu sais qu'on a survécu à un assaut de la Team Plasma sur le Ferry ?
— ... Ah bon... ?
— E-Euh mais oui enfin, tu n'as pas vu les vidéos ? À la télé ?

À cet instant, il semblait réellement perplexe—un enfant se focalisant sur une invraisemblance simple, plus à sa portée. Peut-être était-ce un moyen plus simple d'ignorer la réalité ; un mécanisme de défense mentale, ni plus ni rien.

— Oh ! Quelles vidéos ?
— Eh bien c-celles où la Team annonce avoir volé plein de Pokémon ! T'es sûre ? Tu l'as pas vue ? Avec l'homme avec les cheveux bleus et les yeux bleus qui parle là ?
— ... ah mais siii, si, il est pas mal tu ne trouves pas ? Enfin moi je l'ai pensé mais ton père trouve qu'il ressemble à une gamine !
— Euh non pas du tout... non au contraire je trouve qu'il est très beau, haha... il est très viril...

Bianca hallucina.
Soudain, la jeune officière aux piercings leva le pouce.
D’un coup la communication se coupa.

Plus tard, tandis que Bianca surveillait un Oscar endormi dans un coin de la pièce, écoutant vaguement l'Inspecteur Li mobiliser une petite brigade de policier, la thésarde recevrait l'appel tant attendu d'Artie. Elle trouverait quelques cendres de sa fureur à raviver le temps de la conversation, puis céderait de nouveau à l'épuisement, comme son élève.

— Écoute, j'étais juste un peu occupé à gérer les conséquences de votre attaque sur le Ferry auprès d'Iris et de la Mairie, rétorquait le Champion d'un ton acide, agressant son oreille fatiguée. Tu ne t'étonneras pas que la Maîtresse Pokémon a remarqué mon manque de résistance sur le quai Prime.

Bianca lui répondrait d'une phrase simple, atone.

— De toute façon, c'est trop tard.


(La Mélodie du Répit)
Le bar était encastré dans une allée sombre, caché dans la ruelle malfamée la plus connue de Volucité. Ancien repère de bandits, la Mélodie du Répit était devenue un café folklorique embrumé de cigarettes et de mythes urbains, où toute menace se tournait au second degré. C'était probablement le meilleur lieu de rendez-vous, car les autorités le croyaient dédaigné par la pègre depuis longtemps ; jamais elles n'auraient cru la Team Plasma capable d'y organiser un rendez-vous.

Syd, natif de Maillard, ne savait pas que le bar mal-éclairé était devenu un must touristique, ne savait pas que les malfrats étaient en réalité des visiteurs déguisés en quête de petites frayeurs sans conséquences. Aussi il était méfiant. Mal à l'aise. En plus il s'était perdu en route car il avait refusé de demander son chemin à des locaux, de peur qu'on ne le suive ou un truc dans le genre film d'espionnage.

Et puis quoi encore c'était exagéré, on n'était jamais trop prudents non ?!

En plus y avait un malade qui l'avait limite agressé, le projetant contre un mur et lui sautant à la gorge au détour d'une benne à ordure, juste pour lui remettre une Capsule Technique Flash ! Sérieusement, on n'avait pas idée d'assaillir les honnêtes gens sans prévenir, sans politesse !

Enfin, « honnête »...

Il frissonna, étudiant l'immeuble en briques anciennes qui abritait la Mélodie, semblant un nain poussiéreux à côté des gratte-ciels miroitants. Malgré le violent bleu du ciel, balafre éclatante entre la cime des buildings, la ruelle était plongée dans des ténèbres opaques et malodorantes. L'adolescent distinguait à peine les traits des loubardes qui traînaient à l'entrée du café.

— Alors mon mignon, on matte l'enseigne ? lui lança une première d'une voix graveleuse.

Une seconde lui fit un clin d'œil, ce qui entraîna le rire gras d'une troisième, et Syd ne retint pas un frissonnement de dégoût. Il les foudroya d'un regard si noir qu'il crut les intimider, mais elles ricanèrent de plus belle.

— J'ai treize ans, marmonna-t-il sombrement. Treize ans.
— Ooh il s'inquiète c'est mignon !

Le garçon se braqua face aux loubardes, se protégeant d'un air renfrogné, mais la première qui avait parlé lui offrit quand même un large sourire.

— Ne t'inquiète pas petit, on est consentantes !
... des-images-très-sales-auxquelles-il-ne-voulait-pas-penser lui peuplèrent la tête, il lâcha un cri effrayé puis essaya tant bien que mal de recouvrir sa dignité.
— Juste laissez-moi rentrer !

Puis il se plaqua la main sur la bouche et les femmes éclatèrent de rire, écartant les jambes. Hilares, elles s'éloignèrent de la maigre porte du bar, lui offrant un passage, et il se rua vers la poignée en rougissant et marmonnant des jurons. Franchement c'était dégueulasse que des adultes lui fassent de telles propositions, il se sentait déjà sale de sa traîtrise, mais maintenant encore pire, d'avoir été réifié.

L'intérieur du bar n'aida pas. Tout de suite, il fut assailli par une forte odeur d'alcool, breuvage qu'il avait toujours détesté. Vapeurs de bière et de whisky se mêlaient en un nuage entêtant, omniprésent. De plus l'espace était bondé, silhouettes épaisses de ce que Syd percevait comme des loubards et des dealers entrecoupées de pénombre. Évidemment, les serveuses étaient aussi sexualisées, alors même que le soleil n'avait pas atteint son sommet. Au moins Syd connaissait-il des compagnons de misère.

Mais comment allait-il repérer sa « belle musicienne » dans tout ce fouillis ? Il y avait certes un orchestre mais il était uniquement masculin et... et...

Soudain il s'étouffa, sa gorge se serrant, se convulsant pour aspirer assez d'air mais chaque goulée qu'il avalait brûlait, puait l'alcool, l'adolescent s'appuya contre un mur, saisit d'un vertige brutal...

— J'peux t'aider, gamin ?

Il leva la tête, encore faible, et rencontra le regard maquillé d'une femme de sa couleur. Son sourire attentif lui procura un soulagement immense.

— Ç-ça va en fait... ça va. Mais je cherche quelqu'un et je ne la trouve pas...
— Comment elle s'appelle ? lui demanda la serveuse.

Il hésita.

— C'est une belle musicienne.

Il devait parler à une employée bien informée. Aussitôt qu’il eut fini de répondre les yeux de la femme s'aiguisèrent, lèvres se serrant mécaniquement pour retenir une réponse impulsive. Elle l'étudia brièvement, d'un regard certes neutre mais pénétrant.
Soudain une rumeur monta aux tables alentours et s'enroula entre leurs silhouettes méfiantes, une mélodie languissante noyant bientôt les murmures. La serveuse secoua brusquement sa tête, chassant ses doutes.

— Eh bien tu vas la voir. Elle va commencer son numéro.

Syd tourna son regard surpris vers la scène cirée, ilot de lumière parmi la foule indistincte. Au centre du groupe métaleux se tenait à présent une jeune femme rousse, vêtue d'une longue jupe flottante, d'une brassière noire. Autour de ses poignets et ses chevilles dansaient parures et clochettes, donnant un air irréel à son allure. Seuls ses yeux pâles étaient soulignés par du khôl d'ébène, trait d'orage dans un ciel d'hiver...

Elle... lui paraissait familière, il ne savait pas pourquoi.

Doucement, le chef de la bande entama les paroles du chant, l'emmenant déjà vers son inévitable fin. La danseuse joignit ses mains, comme en une prière, et plia fortement l'une de ses jambes, coulant vers la droite...

The grass was greener!

— C'est dommage, avant, avant elle dansait avec sa Léopardus, commenta la serveuse à ses côtés. Mais la Pokémon a dû avoir un accident.

Choc.

The light was brighter!

Syd écarquilla les yeux, se sentant malade. Paniqué, il repensa à l'attaque du Maelström, il fouilla tous les souvenirs qu'il aurait préféré oublier. Et cette femme, ses yeux pâles et haineux, lui sauta à la gorge. Il l'avait presque étranglée cette femme. Il avait laminé sa Léopardus ! Comment l'avait-elle appelée, quelle exclamation vibrante avait-elle lâché alors ?

« Riyah ! »
Le cri se répercuta dans son esprit, noyé par la mélancolie de la musique.

The taste was sweeter!

Comment avait-il pu l'oublier ? Il lui avait même volée une Pokéball, un autre de ses êtres chers, puis il l'avait perdue, probablement dans un roulis du Ferry. Perdue tout bêtement, alors qu'elle renfermait une vie !

The nights of wonder!

De nouveau, l'adolescent s'adossa contre l'entrée en briques, malade de sa propre inconscience, sa propre violence. Une violence dans laquelle Syd s'était enfermé sans s'en rendre compte. Car s'il avait un objectif aussi saint que le bonheur d'Otis... c'était qu'il ne pouvait faire de mal, non... L'adolescent s'était attendu à souffrir, physiquement, mentalement, il s'était préparé à devenir à martyr.
Mais pas à faire du mal.

With friends surrounded!

La serveuse était restée à côté de lui. Il ne l'avait pas remarqué, mais elle portait deux bières sur un plateau, boissons laissées à l'abandon, leur absence mécontentant probablement certains clients. La jeune femme l'observait avec curiosité.

— Tu l'aimais bien, cette Léopardus ? lui demanda-t-elle gentiment.
— Qu...

Il étouffait, il étouffait vraiment et il faisait trop chaud, encore une fois les vapeurs d'alcool lui montèrent à la tête. Il déglutit, s'accrochant aux coins de sa conscience. Il fallait juste répondre un mot. Un seul !

— ... N-Non.

The dawn mist glowing...

Depuis tout jeune, Syd s'était vécu comme une autorité morale. Il était « l’enfant sage », celui qui comprenait l’importance de la famille, du respect des aînés… Lui était loyal. Lui remplissait tous ses devoirs filiaux ! Et maintenant... souillé d'une violence qu'il n'était pas sûre de pouvoir justifier... il dégringolait de son piédestal, son auréole se dissipait brusquement, laissant son être à nu.
Il se faisait peur.

The water flowing...

— En tout cas, va voir le barman dès que la chanson est finie, l'informa la serveuse.

Syd acquiesça. La Sbire Plasma se mouvait toujours en une délicate lenteur sur la scène, gestes se figeant tandis que la mélodie approchait sa fin.
... L'employée qui en savait long le scrutait avec trop d'attention, rajoutait trop à son malaise ; il voulut s'en éloigner avant la fin de la chanson.

— Attends ! ce mot, une caresse sur l'épaule suffit à le figer. Elle parla à son dos rigide : Écoute, je ne sais pas pourquoi tu cherches cette femme mais sache qu'elle est mêlée à des affaires louches, des affaires dont il vaut mieux se tenir éloigner. Tu vois ?

Il ne répondit pas, son regard vide tout simplement posé sur le bar obscur, cherchant des détails sûrs à travers les ombres.

— Tu es encore jeune... tu pourrais éviter de tomber dans ce monde-là, réfléchis...
— Je n'ai pas le choix.

Il la quitta après cette remarque tranchante, son visage et sa voix se dissipant parmi ses souvenirs, parmi les vapeurs du bistrot. La chanson guida ses pas vers le barman, entêtante.

The endless river...

— Bonjour monsieur, je cherche une belle musicienne, déclara-t-il rapidement sans regarder l'homme en face.

Il étudiait le bar reluisant de nuances d'ambre, tâché des rayons arc-en-ciel que réfractaient un whisky on the rocks. Le vieux bartender, maigre, qui avait survécu aux pires périodes de La Mélodie du Répit, l'étudia avec suspicion.

— Laquelle ?
— Celle qui danse.

Forever and ever!

Un dernier regard lourd de jugements, de vague désapprobation, fut porté vers ce gamin trapu qui ne décollait pas les yeux de ses semelles. Au moins avait-il l'air déterminé.

— Va t'asseoir au fond à gauche.

La mélodie entama alors son dernier riff essoufflé... quelques cloches retentirent. Syd suivit le doigt du barman avec ses yeux, remarqua une petite cabine à l'arrière du café. Il s'y dirigea. Déjà, la foule applaudissait, l'envahissant avec son vacarme après l'avoir conquis de sa puanteur. Il s'assit, harassé, observant l'orchestre ramasser de l'argent, observant la chanteuse rousse quitta la scène et se diriger vers le comptoir. Le bartender lui avait déjà préparé un shot.

Il ne connaissait même pas son nom.

L'homme lui dit quelques mots, elle plissa les yeux. Une grimace féroce déforma soudain son visage, illuminant ses yeux ; puis ses traits se lissèrent et elle revint à une expression indifférente. Mais son regard aiguisé se fixa sur Syd et ne le quitta plus. Elle l'approcha immédiatement, perçant la foule sans accorder un regard à ses fans.

— Sale petit couillon.

Il n'eut pas la force de se sentir indigné. Et elle de s'asseoir, le clouant sur place de ses yeux maquillés, sifflant des injures.

— Et il est où Pokémon que tu m'as volé, il est où hein ? Tu vas m'le rendre ?

Syd marmonna une réponse.

Plus fort !
— J'l'ai perdu...

Il entendit comme un petit gémissement étouffé, un crachotement qui le terrifia car il semblait sincère. Ses yeux voletèrent vers la femme avant de revenir sur ses poings serrés—elle avait levé ses prunelles d'hiver au plafond, elle se mordait la lèvre, frappée en plein cœur.

— Eh bien il doit nager quelque part entre ici et Oblivia à présent, mais ça tu t'en fous, murmura-t-elle d'un timbre éraillé.

Soudain un objet rutilant fut envoyé vers lui, glissant brutalement sur leur table poisseuse, percutant ses ongles mal limés de plein fouet. Instinctivement il attrapa le transfert, s'accrochant à sa surface luisante de ses yeux déroutés. Mais il mit bien quelques secondes à réellement comprendre ce que c'était. Un portable.

— Il se recharge avec le soleil, c'est commode n'est-ce pas, cracha la Sbire.

Syd la fixa avec un regard si désolé qu'il aurait fendu le cœur à un Archéodong, qu'il aurait fendu le cœur à n'importe quel bête insensible. Mais cette jeune femme avait trop perdu déjà par sa faute, et elle n'admettait pas sa propre responsabilité dans la perte de ses Pokémon, refusait de considérer l'attaque du Ferry comme un des torts pesant sur ses propres épaules. Il n'y avait que ce connard et ses compagnons perdus...

— Quoi ? répondit-t-elle d'un ton cinglant. Bassel est au fond de l'océan, Riyah est en soins intensifs depuis quatre jours au Centre Pokémon et tu crois que je vais te pardonner ? Tu crois ?

Elle se leva et détourna son regard de l'adolescent, comme si elle ne pouvait plus supporter de l'avoir dans son champ de vision, tout simplement dégoûtée. Une nouvelle mélodie battait son plein, séparant les interlocuteurs de son chahut agressif... Mais à travers le chant et les ombres, Syd put quand même percevoir la dernière réplique que la Sbire lui asséna.

— C'est comme ce que j'avais dit sur le Ferry. T'es un monstre.

Syd serra convulsivement le portable dans sa main.
Matérialisation de sa traîtrise.

— Et vous alors... tenta-t-il amèrement, pensant à toute cette violence déchaînée contre deux-cent innocents, à tous ces Pokémon volés.
— Moi je me bats pour que les Pokémon jouissent des mêmes droits que nous, rétorqua la Sbire. Je me bats pour une cause, pas pour exploiter d'autres êtres vivants !
— Elle a bien combattu pour vous votre Léopardus !
— Et c'était son choix !

Les derniers mots avaient été criés, des tablées alentours les étudièrent avec une vague appréhension. Syd se tendit, pâlissant, mais la Sbire ignora le reste du monde, ignora tout autre que la nuisance devant ses yeux.

— Riyah et moi avions été amies des années avant qu'elle ne me demande de la capturer, nous nous sommes connues que je n'avais pas dix ans. Et c'est elle qui a voulu m'accompagner, je ne l'ai jamais forcée ! Elle m'a toujours demandé de combattre !

Cette réplique le frappa durement, plus qu'elle ne l'aurait dû ; car sa tante avait été Championne d'Arène et ses Pokémon l'avaient toujours adoré, car ses propres Pokémon l'appréciaient, il en était convaincu ! Comment... comment pouvait-on insinuer qu'il les forçait, qu'il était un esclavagiste...

— Toi, termina la rousse en un souffle chaud, toi, je parie que tu ne connaissais même pas ces Pokémon avant de les capturer, tu les as enlevés à leur vie et leur liberté uniquement parce que leur aspect te plaisait. Tu devrais avoir honte.
— J'en ai assez entendu !

Il se leva précipitamment, se rua pour la contourner, pour oublier ses mots et la culpabilité. Syd s'élança à travers la Mélodie du Répit, coursé par ses peurs, et le dernier sifflement injurieux qu'avait durement laissé échapper la femme. C'était trop difficile. Il ne voulait pas penser à toutes ces choses, il devait sauver Otis et ça devait rester sa priorité, alors... alors...

La lumière du jour lui parut si virulente qui se prit les pieds et percuta brusquement le sol, roulant du haut des marches vers une benne à ordure. En se relevant, saignant des genoux et désorienté, il constata que deux autres personnes au moins pouvaient avoir assisté à sa culbute. Mais ces deux autres personnes étaient aux prises avec la police.

— Quoi ? Nous ! Mais non, vous vous trompez...
— Enfin monsieur l'agent, vous nous laisserez bien nous désaltérer un peu à la Mélodie avant de vous accompagner...

Syd se releva douloureusement, clignant de ses yeux meurtris, et reconnu qu'un léger accent de Kalos colorait les paroles de la femme. Et surtout, les deux civils en proie aux officiers semblaient très, très familiers...

— Je crains que ce ne soit pas possible, madame.

Simplement, aujourd'hui, Syd avait appris à se méfier des ressemblances. Les personnes connues n'apportaient que le déchirement. Aussi il s'éloigna discrètement, cœur cognant maladivement contre sa poitrine. Il s'élança vivement vers la sortie de la Ruelle, et le soleil.

Peut-être que s'il avait regardé un peu plus longtemps, il aurait remarqué que les adultes arrêtés possédaient un curieux air de famille avec Oscar. Peut-être étaient-ce même ses parents.

De toute façon, Syd n'avait pas fait un pas qu'une agente téléporta le groupe entier, ne laissant aucune trace.


(La fin d'une époque)
Le lit était complètement défait, couvertures répandues sur les côtés, des oreillers écrasés aux quatre coins de la pièce. L'un d'entre eux s'était même perché sur une mappemonde.

Ces draps qui pendouillaient étaient bien pratiques : ils lui permirent de se hisser sur le meuble bien trop haut, et de se dresser fièrement sur le matelas rebondi. Hm. L'univers semblait bien différent vu de cette hauteur vertigineuse. Pfft. Voilà donc pourquoi ces saletés d'humains passaient leur temps à crâner et jacasser, ils se la pétaient parce qu'ils voyaient plus loin que de simples Pokémon.

C'était Élin qui ronflait au milieu des couettes d'ivoire, épuisée. Il s'approcha d'elle, luttant tant bien que mal contre les ressorts du matelas. Ces humains n'étaient décidemment que des bons à rien, tout ce qu'ils créaient était et demeurerait carrément pourri. Pfft.

—Finalement il s'écrasa de tout son long, truffe contre ressort, mais ce fait sera occulté de la version officielle de l'Histoire—

De larges cernes ombraient les prunelles habituellement lumineuses de sa dresseuse, qui somnolait avec peine, ne l'avait même pas sentit marcher sur le lit. Son cœur se serra, il refusa de l'admettre mais un pic de chagrin le traversa.

— Mais putain, si tu te mets à flancher qu'est-ce qu'on va devenir, déjà que notre honneur est pas reluisant quand t'es bien réveillée... marmonna-t-il d'un ton qui dissimulait mal son inquiétude, amer.
— Qu'est-ce que tu faiiis ?

Baggy sursauta et jura, se tournant brusquement vers le jeune Caninos qui était rentré par la porte entrebâillée, la poussant de sa truffe mouillée. Rah mais on était jamais tranquille dans cette équipe, entre la dresseuse et les Pokémon c'était vraiment la catastrophe !

— Vire de là ! ordonna-t-il à son compagnon le plus, sévèrement.
— Pourquoii ?
— Mais parce que je te le dis, c'est tout, idiot, rétorqua-t-il sombrement.
— Il se passe quelque chose là-dedans ? s'enquit une troisième voix.

Une nouvelle fois Baggy se figea—il se reprit une seconde trop tard, ne sautant du lit qu'une fois Lucky bien arrivé dans la pièce. Merde ! Évidemment, le chien arqua un sourcil intéressé, et réalisa ce que Baggy avait tenté avec beaucoup plus d'efficacité.

— Hope, le Champion Artie a servi de la nourriture pour tout le monde, as-tu faim ?
— Owiii !

Et en un clin d'œil le Caninos enthousiaste et innocent disparut. Lucky jappa d'un air amusé, tournant ensuite un regard plus grave vers leur dresseuse, avant d'interroger Baggy de ses yeux chocolat.

— Tu étais inquiet.

Toute compte fait, c'était plutôt une affirmation. Cela n'empêcha bien évidemment pas Baggy de souffler avec une incrédulité marquée, croisant les bras.

— Moi ? Inquiet pour cette folle ? Rêve !
— Alors pourquoi étais-tu là ?

... Rah mais on était vraiment jamais tranquille dans cette équipe !

— Peut-être parce que je voulais lui demander pourquoi elle n'avait pas raconté son malaise à sa « tata » là... elle s'est évanouie quand même...

Ils se rappelèrent ensemble les paroles de leur dresseuse, durant l'appel téléphonique d'il y a quelques heures. Souriant à cette femme inconnue, elle avait déclaré, insouciante : « bwouii on est allés te voir mais je me rappelle plus bien de comment ça s'est passé, je crois même que me suis endormie à la fin ! ».

— Je crois qu'elle ne se rappelle plus de rien, déclara Lucky, mal-à-l'aise.
— Pfft, bah quand je te dis qu'elle a que trois neurones et une synapse...

Aucun des deux n'eut le courage de terminer, ou nier la pique. Elle chuta lamentablement dans le silence ambiant. Et leur dresseuse se retourna dans son lit, lâchant une parole perturbée dans son sommeil, un mot qu'ils ne captèrent pas. Les Pokémon étaient réellement troublés.
Et si leur dresseuse était réellement malade... ?

Soudainement la porte s'ouvrit, et la fin d'une phrase flotta jusqu'à eux, portée par la voix du Champion Artie.

— ... dort peut-être encore.
— J'espère ne pas la réveiller dans ce cas.

Le deuxième timbre qui brisait le silence était tout nouveau, cristallin. Ils s'y habituaient encore, aux nuances légères de celle-qui-ne-bégayait-plus.

Silencieusement, les Pokémon se retirèrent, se couchant au pied d'une armoire élégante et observant la situation se développer. Elsa rentra dans la pièce, les remarqua immédiatement et les salua d'un hochement de tête. Ils y répondirent avec la même politesse. Entendant les pas de son amie, leur dresseuse s'éveilla, s'appuyant contre la tête de lit et frottant vigoureusement ses yeux.

— Yosh... bailla-t-elle, souriant paisiblement à la nouvelle arrivée.
— Salut, ça va ? répondit Elsa, s'asseyant aux côtés d'Élin.

Les deux filles bavardèrent un peu, chacune s'enquérant de ce que l'autre avait fait en son absence, Elsa racontant avec un léger amusement sa visite à son ancien collège, et combien son père avait été effrayé pour sa « petite fille fragile ».

— Ouah, il sait vraiment pas de qui il parle ! ricana Élin, pointant son amie du doigt. T'es la « Sbire Slayer » attitrée du groupe quoi !
— Hm, je ne sais pas si j'ai envie de mériter ce surnom, soupira Elsa en retour, rigolant ensuite. J'ai quand même du mal à croire que j'ai agi de cette manière sur le bateau...
— Et moi j'ai du mal à croire qu'on a été sur ce bateau !
— Un jour de plus, un jour de moins, et on y aurait échappé, commenta platoniquement la brune.

Son amie blonde détourna ses prunelles sombres, les laissant couler vers les rideaux qui voilaient la fenêtre.

— Si je ne vous avais pas ligotés dans cette barque...
— Tu ne pouvais pas savoir, répondit Elsa en haussant les épaules. C'est comme ça.
— ... T'as raison, fini par souffler Élin, souriant innocemment. De toute façon, maintenant que t'es là, on attend plus qu'Oscar et le V.I.E. reprendra, non ?
— À ce propos, où est Syd ?

Quand on parle du Loupio... Aussitôt son nom prononcé, l'adolescent trapu tourna la poignée et s'invita, la mine sombre. Aucun des deux filles ne soulevèrent son impolitesse, tout simplement surprises, et elles le laissèrent muettement échouer à la chaise du bureau. Puis le silence s'étira.

— Yosh... Syd ? souffla Élin, impatiente.
— Rien. Je me suis juste encore perdu dans les égouts, marmonna le garçon en réponse.

Elsa rigola légèrement, imaginant le garçon s'énervant de plus en plus à mesure qu'il se perdait. Elle ignora volontairement les doutes qui se faufilaient dans son esprit comme autant de petites bourrasques. Syd était leur ami. Ils formaient une équipe. Ils allaient reprendre leur voyage initiatique ensemble !

Mais Élin serra la mâchoire, jugeant l'excuse de Syd un peu trop louche pour être vraie. Il ne s'était pas perdu. Et certainement pas dans les égouts. Elle croisa les bras. Mais on toqua à la porte et ses pensées s'envolèrent sous la surprise.

Le nouvel arrivant n'était d'autre que Mélis, grognon et complètement K.O.

— Y a Artie qui me dit que y a Bianca qui nous appelle, les mioches...

Ils le suivirent en échangeant des regards interrogatifs, Syd se rappelant vaguement la mine inquiète que lui avait offerte la thésarde la veille. Cependant, même lui ne s'attendait pas à l'expression grave qu'arborait la scientifique, ses yeux cernés et ses cheveux en pétard lui conférant l'aura d'une survivante au cataclysme.

— Mélis, il va falloir vraiment que tu les protège tous, jure-moi que tu ne les abandonneras pas, commença-t-elle doucement.
— Mais oui... rétorqua le dresseur avec mauvaise foi, ne souhaitant qu'une seule chose : abandonner les gosses, justement, pour aller dormir.
— Mélis !
— Oui ok je le jure !

Il se leva brusquement, envoyant un geste irrité à la caméra. En une seconde il avait disparu, grognon, souhaitant certainement trouver un coin où dormir. Devant la caméra, les adolescents échangèrent des œillades troublées.

— J'y comprends rien, elle a pété un câble ou quoi... leur glissa la blonde, sourcils haussés.

C'est alors que Bianca se retira, leur dévoilant un Oscar éreinté.
C'est alors qu'il leur déclara, d'une toute petite voix, comme sortit d'outre-tombe :

— Élin... Elsa... Syd... je suis désolé, mais la course s'arrête là pour moi... Je ne vais pas pouvoir continuer le Voyage avec vous.