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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 30/03/2014 à 16:41
» Dernière mise à jour le 30/03/2014 à 16:46

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Chapitre 33 : Décisions difficiles
Jamais le chemin jusqu'à ma chambre dans les locaux de la Ligue ne m'avait paru aussi long. J'avais l'impression de marcher sur des braises. Ou d'aller à l'abattoir. Plutôt approprié d'ailleurs : il y avait toutes les chances que ce soit un massacre. Entre Zack et moi, ça avait toujours été explosif, à 95% . Les 5% restants consistaient en ces rares instants où on parvenait à discuter sans se gueuler dessus ou aborder nos points de vue opposés sur le dressage de Pokémon - de vrais petits miracles en soi.

Tout en marchant, je passais en revue dans ma tête les différentes façons dont la scène pouvait se dérouler.

Il va me croire folle.

Me rire au nez.

Me planter là après m'avoir donné l'adresse d'un bon psychologue.

Et je ne pourrais décemment pas l'en blâmer. Comment aurais-je réagi si quelqu'un que je connaissais depuis l'enfance me débitait soudain ce type de discours ? Oui alors, voilà, tout ce que tu pensais être la réalité n'est en fait qu'un jeu et tu n'es qu'un PNJ, c'est cool non ? Haha. J'étais pas dans la merde moi.

D'un autre côté, je devais avouer que j'étais aussi curieuse par rapport à son secret à lui, celui qui concernait Vivian. Je ne voyais vraiment pas ce que ça pouvait être, et pourtant j'y avais pas mal réfléchi depuis que Zack avait clairement reconnu qu'il y avait quelque chose à ce niveau-là lors de notre duel au Bourg Palette. Mais rien à faire, ma machine à hypothèses était en panne pour le coup. S'il y avait une quelconque alliance entre eux, j'étais incapable de déceler la forme qu'elle avait prise et de quelle façon elle m'avait (ou pas) affectée. Quoi qu'il en fût, j'allais bientôt découvrir la vérité. (Et même s'il n'y avait pas eu cette carotte pour me donner envie, je n'aurais pas reculé pour autant face au bâton : j'avais assez menti, le temps de l'honnêteté était venu.)

C'était donc l'esprit bouillonnant de possibilités que je marchais aux côtés de Zack, anticipant et redoutant à la fois la confrontation à venir. Finalement le calvaire prit fin, et nous entrâmes tous deux dans ma petite chambre. Je refermai la porte avec mille précautions, comme si ça pouvait empêcher ce qui allait se dire dans cette pièce de s'échapper au-dehors.

- Alors, laissa tomber Zack.

Un mot aussi court qu'il était lourd de sens.

- Alors, lui renvoyai-je.

Nous nous jaugeâmes du regard. La colère n'avait pas quitté les traits de son visage, mais à la façon dont sa bouche se tordait, presque comme une grimace, je savais qu'il essayait de se concentrer sur autre chose. Mon visage à moi reflétait sûrement mon propre mélange d'émotions : peur, appréhension, et à la fois l'envie de m'enfuir et celle, contradictoire, de tout déballer le plus vite possible afin d'être enfin débarrassée de cette corvée.

- J'y vais en premier, lâcha Zack après une longue période de silence tendu.

- OK, parvins-je à articuler, la boule dans ma gorge enflant encore un peu plus.

- Je t'ai menti, j'ai pas choppé de Goupix dans le manoir de Cramois'île.

Désarçonnée par cette déclaration, je clignai des yeux. Ça ne me paraissait qu'un détail, et j'avais du mal à déceler son intérêt. Cramois'île, c'était là qu'il m'avait offert Maraude - un geste faisant partie des 5% précédemment cités -, m'affirmant qu'il l'avait capturée lors de sa première visite au manoir. Mais si ce n'était pas le cas...

Je me forçai à poser la question qui éclairerait la situation, même si je redoutais d'entendre la réponse :

- D'où est-ce que Maraude venait alors ?

- De ton frère.

Stupéfaction. Mes poings se serrèrent et mon échine s'électrisa alors que ces trois mots déclenchaient une véritable explosion de questions dans ma tête, tout en vrac et sans aucune semblance d'ordre.

heinquoipourquoicommentqu'est-ceque ?

Parvenue à la fin de ce bordel sans nom, je butai sur encore autre chose, un détail qui n'était peut-être pas si détail que ça au final : il avait dit "mon frère". Pas Vivian, ni Julien. Savait-il déjà tout ? J'ouvris la bouche pour laisser libre cours à ce flot d'interrogations, mais Zack me stoppa d'une main levée.

- Attends. D'abord je t'explique tout, et ensuite tu pourras me bombarder à loisir de tout ce que tu veux, questions, reproches, ou remerciements.

L'inflexion de sa voix sur ce dernier mot avait viré au lourd sarcasme. Je me retins de répliquer par une remarque tout aussi sarcastique, et croisai les bras pour lui signifier qu'il pouvait continuer sans craindre d'interruption de ma part. Il eut un hochement de tête entendu et reprit :

- Vu ta réaction, je suppose que le mec de la Team Rocket, qu'il s'appelle Julien ou Vivian, est bien ton frère. C'est lié à ton secret j'imagine ? Perso je vois pas comment c'est possible, mais je lui ai pas demandé d'explication lorsqu'il m'a affirmé ça... Il m'a accosté après le désastre des Rocket à Safrania, et m'a refilé une Pokéball en me demandant de te la passer sous n'importe quel prétexte. Il m'a dit qu'il te tuerait si je faisais pas ce qu'il voulait.

Pause.

Longue et terrible pause.

Il avait raconté ça d'une voix cassante, incertaine, et ses mots s'étaient enfoncés dans mon esprit comme autant de morceaux de verre. Tranchants, froids, impersonnels. À présent, il me regardait sans mot dire, en attente d'un commentaire. Je n'en avais aucun à lui offrir. Ma langue pesait trois tonnes dans ma bouche et mon cerveau semblait s'être figé, glacé par la révélation inattendue.

Zack prit une bruyante inspiration, puis poursuivit :

- J'ai vu ses yeux, Léa. Le regard qu'il avait... Il croyait ce qu'il disait, il l'aurait vraiment fait.

Je réussis enfin à parler, m'exprimant d'une voix qui me paraissait lointaine et sonnait étrangement détachée :

- Alors tu m'as donné Maraude.

- Ouais.

Un soupir avant qu'il n'ajoute :

- Et je t'ai donné de mauvais conseils aussi.

- Hein ?

La syllabe avait jailli de ma bouche par réflexe. Je n'avais pas encore digéré le coup de Maraude, et voilà qu'il en rajoutait une couche... Ça commençait à faire beaucoup là.

- Rappelle-toi lorsqu'on était sur le pont du bateau de Léo, ta Colossinge a attaqué Maraude, et je t'ai dit qu'il valait mieux la laisser faire. C'était des conneries. Pareil quand je t'ai affirmé que t'aurais absolument besoin d'un Pokémon feu pour la Ligue.

Ça au moins, je m'en étais rendu compte par moi-même. Mais...

- Pourquoi ?

Il haussa les épaules comme pour signifier qu'il n'y était pour rien.

- Les instructions de ton frère. M'est avis qu'il voulait tu te débrouilles mal avec Maraude, après je sais pas pourquoi exactement, tu te doutes bien qu'il m'a pas fourni de détails. Juste ce que je devais faire.

Tant de choses sorties au grand jour en si peu de temps... Je réfléchissais, rassemblant tous les fils afin d'avoir une vue d'ensemble. J'avais eu le comment de l'alliance Zack/Vivian au final, il ne me manquait plus que le pourquoi maintenant. Je pensais le deviner. En me filant un Pokémon difficile à dresser sans que je sache qu'il s'agissait d'un fait exprès, ça m'avait fait perdre confiance en moi et je m'étais mise à douter de mes capacités de dresseuse. À partir de là, lorsque Vivian était arrivé et m'avait proposé son aide, j'avais été beaucoup plus encline à accepter, parce que je ne me pensais pas à la hauteur. Tout ça pour ça, alors ? L'amertume envahit ma bouche. Pauvre Maraude... Que lui avait fait subir mon frère pour qu'elle se méfie autant des humains ? Il était tout à fait capable de l'avoir horriblement torturée...

Un stratagème qui n'avait été possible qu'à cause de Zack. Et au bout du compte, l'alliance avec mon frère avait fait mourir Teigne, le point final de l'état d'esprit "gagner à tout prix" que Vivian avait cherché à imprimer en moi durant nos deux semaines d'entraînement. Quoique, de l'autre côté, les stratégies mises en places et les séances de combat contre ses Pokémon à lui pour endurcir les miens avaient sûrement dû leur sauver ensuite la vie face au Conseil. Que se serait-il passé si j'avais refusé l'aide de mon frère ? Difficile à dire... et de toute façon, ce n'était pas le sujet.

Délaissant ces pensées qui ne m'apporteraient plus rien, je revins à Zack.

- Donc tu m'a trahie, résumai-je sèchement.

- Pour sauver ta vie, putain. Mais non, me remercie pas.

- Il ne m'aurait pas tuée, il a besoin de moi. Je suis la seule à pouvoir lui donner ce qu'il veut. Il bluffait et t'es tombé droit dans le panneau. Félicitations.

J'avais jeté le dernier mot amèrement et il claqua au visage de mon rival, qui passa une main dans ses cheveux d'un geste exaspéré.

- Et comment j'étais censé le savoir, ça ?

- T'aurais pu m'en parler !

- Parce que t'es tellement honnête avec moi... Ton frère, hein ? Comment ça marche ? Il a au moins trois quatre ans de plus que toi, alors...

Je le coupai net.

- Tu veux vraiment le savoir ?

Son regard me transperça de part en part, d'une intensité à couper le souffle.

- Putain oui, je veux savoir, cracha-t-il. Je veux savoir pourquoi tu viens de me voler mon rêve, je veux savoir pourquoi tu penses que c'est foutu d'avance entre nous, je veux savoir pourquoi quelqu'un qui dit qu'elle n'est pas devenue dresseuse par choix se retrouve Maître Pokémon !

- Ça va pas te plaire, l'avertis-je.

- Hé ben comme ça on sera quitte.

- Tu vas pas me croire.

- Tu peux pas le savoir ça.

- Tu vas penser que je suis folle.

- Je le pense déjà.

Un sourire étira mes lèvres. J'avais épuisé mon lot d'objections, je me lançai donc. Inspirer, expirer.

- Je viens d'un autre monde.

Et silence. Les mots semblaient figés dans l'air entre nous, le visage de Zack avait repris son masque neutre.

- Ouais, va me falloir un peu plus que ça avant que je me prononce, grogna-t-il.

J'aspirai de nouveau une goulée d'air, puis continuai :

- Dans mon monde, le tien n'est qu'un jeu, un jeu centré sur les Pokémon, et je ne sais pas exactement comment mais je me suis fait aspirer dedans. Vivian aussi, mais il est mort dans la réalité, à dix ans alors qu'il jouait à Pokémon justement. J'ai voulu le venger et c'est pour ça que j'ai commencé une partie au départ. Maintenant je veux juste rentrer chez moi, et pour ça il faut finir le jeu, d'où mon désir de battre la Ligue.

C'était décousu, tout en vrac comme ça m'était venu au lieu du discours exhaustif que j'avais préparé, et je n'avais pas parlé de Vivian en détail mais je m'arrêtai là. Déjà on allait voir avec ça... Zack me fixait, les yeux écarquillés. Soudain il se mit à rire. Quelque chose de franc et de massif, une honnête hilarité. Je déglutis. C'était bon ou mauvais comme réaction ça ?

La réponse vint quelques secondes plus tard lorsqu'il arrêta de s'esclaffer pour lancer d'une voix sèche :

- C'est ce mensonge-là que t'as choisis, vraiment ? Merde, t'aurais pu trouver quelque chose d'un peu moins tiré par les cheveux. J'ai pigé que t'avais pas envie de me dire la vérité mais t'aurais au moins pu faire un effort. Tu dois me prendre pour un débile total...

- C'est la vérité.

- OK, tu veux pas admettre que t'avais envie de m'humilier devant des milliers de personnes, mais quand même...

- C'est la vérité, répétai-je, ma voix montant en volume.

- ...parce que, franchement, n'importe quelle autre excuse aurait été mieux que celle-là. Je sais pas, des extra-terrestres. Ou un décret divin d'Arceus, même, à la li...

- C'est la vérité !

Et là, j'avais crié, si fort que j'eus l'impression de voir trois points d'exclamation sortir de ma bouche à la suite des mots. Fronçant les sourcils, Zack me gratifia d'un long regard scrutateur que je lui rendis sans rien chercher à cacher.

- Merde alors, souffla-t-il au terme d'une minute entière de silence. T'es sérieuse.

- C'est ce que je me tue à te dire.

- Donc soit c'est effectivement la vérité, soit t'es complètement chtarbée.

Magnifique résumé.

- Je crois que je préférerais la deuxième option en fait, observai-je calmement. Ce serait plus facile. Je pourrais me payer des séances de psychothérapie, prendre les médocs qu'il faut, et rester ici avec toi.

La bouche de Zack se tordit en une moue mi-amusée mi... quoi ? je n'en étais pas sûre. Mais je savais qu'il réfléchissait à la façon dont ses yeux s'étaient étrécis.

- En supposant que ça soit vrai... fit-il lentement. Depuis combien de temps t'es vraiment "toi" ? Et comment ça marche ce bordel ?

- Depuis le jour où on a reçu nos premiers Pokémon chez le prof, indiquai-je. Avant ça, y a rien pour moi, aucun souvenir d'une quelconque enfance dans le monde Pokémon. Pour ce qui est de savoir comment ça marche, je suis pas plus avancée que toi. Vivian pense que la cartouche qui nous a aspirés est dotée d'une sorte d'âme peut-être, genre un objet maléfique. Il a...

- C'est vraiment ton frère ? m'interrompit Zack.

- Ouais.

- Et il essaie de t'aider ou quoi ? D'un côté tu m'as dit qu'il t'avait fourni l'info pour sortir quand on était coincés dans le cauchemar de l'Hypnomade, mais de l'autre il m'a forcé à te donner un Pokémon pourri. Et pourquoi il a tué...

Il s'arrêta avant de prononcer le nom de Léonard, ce pour quoi je lui fus reconnaissante.

- Je crois que dans sa tête il pense vraiment me rendre service, soupirai-je. Il voulait m'endurcir parce que selon lui c'était la seule façon dont je pourrais battre la Ligue... et Mewtwo.

- Mewtwo ? releva-t-il. Le clone de Mew mentionné dans le journal que t'avais récupéré à Cramois'île ?

- C'est lui qui constitue l'ultime obstacle, la porte de sortie pour rentrer dans mon monde, expliquai-je. Il fallait d'abord que je batte la Ligue et que je devienne championne, et maintenant il ne me reste plus que lui à affronter... le Pokémon le plus fort du monde.

Les épaules de Zack tressaillirent ; il alla s'asseoir sur le lit puis se passa une main dans les cheveux avant de secouer la tête, l'air désabusé.

- C'est complètement dingue tout ça...

- Je sais.

Il y eut une pause dans la conversation. Zack était probablement en train d'essayer d'assimiler tout ce que je lui avais révélé.

- Je comprends pourquoi tu tenais tant à me vaincre, déclara-t-il finalement. Si ce n'est qu'un jeu pour toi, je dois même pas te sembler réel. Juste un truc contrôlé par un programme.

- Non, le détrompai-je. Non, tu es réel à mes yeux.

Il parut surpris par mon admission.

- Ah ouais ?

- Ouais... la personne la plus réelle que j'ai rencontrée ici, à part mon frère mais il compte pas. Et puis quelqu'un m'a dit que c'était pas juste un jeu, qu'il y avait autre chose derrière, donc je sais pas au final.

- Quelqu'un ? répéta Zack.

J'étais partie, alors autant aller jusqu'au bout.

- Moi-même qui venait du futur. Ça fait un moment qu'elle apparaît dans mes rêves. Elle a capturé Mewtwo et elle est devenue complètement sans cœur, elle veut que je me serve de mes Pokémon sans me soucier de leurs vies et n'a aucune compassion pour ceux qui meurent, les considérant juste comme des jalons nécessaires sur le chemin menant à la victoire. C'est aussi pour ça que je dois partir, parce que je veux pas devenir elle.

Prononcer cette phrase me fit mal, mais c'était la seule voie à suivre. Il fallait que je sorte du jeu, sans concession. Je ne voulais pas devenir la Chieuse, cette espèce de caricature de moi-même, cette Vivian version féminine. Et tant pis pour Zack : je ne devais pas l'autoriser à me retenir, je devais trouver la force d'aller au-delà de ça.

- Se servir des Pokémon sans se soucier de leur vie... marmonna Zack. Elle était comme moi tu veux dire.

- Non, non, m'empressai-je de le contredire. Pas du tout comme toi. Elle, elle est vraiment mauvaise, et vicieuse.

Les yeux sombres de Zack se plantèrent dans les miens et ne me lâchèrent pas. Je vis ses lèvres s'incurver en une sorte de sourire mais je n'aurai su dire s'il était sincère ou non.

- Alors tu pars, fit-il d'une voix égale.

Une constatation calme, tel un glaive qui s'était abattu. Comment se justifier face à ça ?

- J'ai une famille que j'ai laissée là-bas dans mon monde... Une famille que j'aime, qui me manque atrocement et que je ne supporterais pas de ne plus jamais revoir, répondis-je maladroitement, incapable de transcrire en mots tout ce que j'avais dans la tête. Oui, j'ai rencontré des gens formidables ici, et des Pokémon aussi, mais c'est comme si je me sentais écartelée, tiraillée entre deux futurs, et le monde qui m'a vu naître a bien plus de poids... Jusqu'à récemment je pensais que tout ça n'était qu'un jeu, savoir qu'il y a peut-être quelque chose d'autre en plus, ça ne fait que m'embrouiller... Et puis il y a la Chieuse justement, je veux pas devenir comme elle.

Je soupirai avant de lui livrer la conclusion :

- Je peux pas rester ici. Je peux pas rester...

- Avec moi, compléta-t-il.

Il y avait toujours de la colère sur son visage, mais elle se mélangeait à d'autres émotions, plus intenses, que j'aurais été bien en peine de déchiffrer.

- En fait je crois que je préférerais aussi que tu sois folle, poursuivit-il. Que toute cette histoire soit issue de ton imagination. Au moins il pourrait y avoir un truc entre nous.

- Je viens de te foutre une raclée publiquement... qu'est-ce qu'il pourrait bien y avoir entre nous ? demandai-je, le cœur battant la chamade.

- Ouais, j'suis furax, et je vais être furax un bon bout de temps. Mais je vais jamais arrêter de t'aimer.

Et voilà, il l'avait dit. Il l'avait dit, et ça me retournait beaucoup plus que ce que je pensais.

Beaucoup plus que ce que j'avais prévu.

- Et je me fous que tu ne vois en moi qu'un programme et que tu penses toujours à Léonard et que...

Je le coupai.

- Non, tu es bien plus que ça pour moi. Et je pense toujours à Léonard, oui, mais pas de cette façon. Et voilà la chose horrible : je t'aime aussi. Mais je pars quand même.

- Décision stupide.

J'ouvris la bouche pour protester, à nouveau. Sauf que Zack n'avait pas terminé :

- Mais c'est ta décision stupide, alors je la respecte.

Nos sourires se firent écho. Le sien, quelque peu abrasif sous ce respect qu'il proclamait, et le mien, soulagé quoiqu'encore hésitant. Pourtant, la réaction de Zack était inespérée. Il me croyait, ce qui constituait déjà un miracle, et mieux encore, il ne compliquait pas les choses en me demandant de rester. Je m'étais attendue à tellement plus de résistance que j'en avais presque les larmes aux yeux. Pour le coup, c'était sans aucun doute le meilleur des futurs possibles.

- Merci, déclarai-je, ma voix s'étranglant.

Ce seul petit mot était bien inutile pour exprimer tout ce que je ressentais.

Le sourire de Zack s'accentua.

- Je prendrai soin de tes Pokémon quand tu seras partie, me promit-il d'un ton solennel.

Un tourbillon d'émotions renouvelées me prit à la gorge. C'en était trop. Trop, trop, trop, et mon sourire était baigné de larmes à présent. Incapable de parler, je m'exprimai d'une autre façon : en m'avançant vers Zack et en l'embrassant. Je crois qu'il s'y attendait parce que ses lèvres répondirent aux miennes immédiatement. Ce fut différent des fois précédentes : plus calme, mesuré, presque tendre. Un baiser au goût de regret et d'inachevé. Ses mains vinrent encercler mon visage, les miennes se nouèrent à son cou, et le moment s'éternisa.

Finalement, au bout de je ne sais combien de temps, nous nous séparâmes.

- C'était quoi ça ? chuchota Zack, les yeux brillants.

- Ton prix de consolation ?

Ma blague lui tira un petit rire. Soupirant, je me laissai tomber sur le lit à ses côtés, portant une main à ma bouche comme pour me convaincre de la réalité de ce qui venait de se passer. Il me vint tardivement à l'esprit que Teigne avait peut-être tout vu, mais je décidais que je m'en fichais.

Je me sentais crevée, drainée de toute mon énergie. Il y avait eu trop d'émotions, des hauts, des bas, trop d'adrénaline. La discussion tendue était passée par la colère, l'énervement profond, la stupéfaction et tout un tas d'autres émotions vives et crevantes pour les nerfs avant de finalement atteindre son apogée, de façon aussi brutale qu'inattendue, et puis de retomber, vers ça. Cette situation où Zack et moi étions sagement assis l'un à côté de l'autre, la main dans la main. Je suppose que quelque part, c'était inévitable. Une fois les vannes de l'honnêteté ouverte, rien n'arrêtait son flot. À force de tout se dire et de ne plus rien cacher, voilà où on en était rendu.

Pas si mal
, pensai-je distraitement alors mes lèvres venaient à nouveau trouver celles de Zack.

***

Ce fut la magnifique et savoureuse odeur de croissants qui me réveilla. Tel un ours après une longue hibernation, j'émergeai de sous les draps, puis entrouvrit difficilement un œil. Aaah non, pas la lumière ! Une clarté intense qui me fit mal au cerveau. Mon ennemie jurée... La tentation de replonger sous la couette fut grande, mais je la combattis avec vaillance : les croissants valaient bien quelques sacrifices.

Je parvins à m'asseoir, puis levai la tête pour scanner la pièce, à la recherche de la source de l'odeur alléchante. Je n'eus pas à chercher bien loin : elle se trouvait juste sous mon nez. Un croissant bien doré, bien gonflé - autant dire qu'il me suppliait pratiquement de le manger. Mais comment était-il arrivé là ? Mon esprit était encore quelque peu embrumé de sommeil mais j'étais à peu près certaine que les croissants ne pouvaient pas léviter et venir se présenter d'eux-mêmes face aux personnes affamées, même dans le monde Pokémon.

Je poursuivis donc mon enquête, et découvris qu'il y avait une main au bout du croissant. Ou plutôt, pour remettre les choses dans l'ordre, qu'une main tenait ledit croissant. Et au bout de la main, un bras, et puis un torse, et puis un visage.

Que je connaissais.

- Tiens, bonjour Claire.

C'était plutôt élaborée comme phrase, si peu de temps après m'être réveillée. Ça devait être la présence du croissant qui me donnait la force d'accomplir un tel exploit.

- Ha-ha ! fit la blonde d'un ton triomphant en se servant du croissant pour pointer dans ma direction comme s'il se fût agi d'un index de substitution.

Renonçant à déchiffrer ce qu'elle avait voulu dire par cette exclamation pas très explicite, je me contentai d'un :

- Croissant ?

Elle me tendit la pâtisserie en question, à laquelle je m'empressai de faire un sort. Et tant pis si je mettais des miettes partout dans le lit ! Mmh, ce qu'il était bon... Bien moelleux et encore tout chaud.

- Bien dormi Madame la Championne ? s'enquit la blonde avec un sourire lorsque j'eus terminé de me repaître du croissant malchanceux.

- Ça a été ouais, lui répondis-je, me sentant déjà plus humaine et moins ours mal léché.

- Alors, alors... continua-t-elle sur le ton de la confidence.

- Alors quoi ?

- Bah alors, toi et Zack ?

- Ah oui... soufflai-je, ramenée à des considérations des plus actuelles. Où est-ce qu'il est d'ailleurs ?

- Sous la douche.

Ah. Zack sous la douche. Mon cerveau décida d'imaginer la scène et je perdis un instant (plusieurs instants même) le fil de la conversation avec Claire. Lorsque je le retrouvai, elle finissait visiblement de me poser une question.

- ...contes ou il va falloir que je te tire les Aspicots du nez ?

Plutôt que de lui faire répéter, ce qui me trahirait sur les pensées peu catholiques que je venais d'avoir (et que j'avais encore... non, Léa, concentre-toi !), je me rabattis sur la réponse par défaut :

- C'est compliqué.

La blonde eut un grognement.

- C'est aussi la réponse que m'a balancée Zack quand je lui ai demandé... Mais ça me paraît plutôt simple pourtant ! Tu as battu ton rival de toujours après un match enfiévré, puis tu t'es empressée de le rattraper et vous avez quitté l'arène ensemble avec des airs super intenses sur vos visages. Ensuite vous avez passé la nuit ensemble dans la même chambre, et, si je me fie à l'état des draps, dans le même lit. Alors, hein ?

- Claire, il s'est rien passé, lui avouai-je avec un sourire. On a juste parlé.

- Juste parlé ? hoqueta la blonde.

Un air totalement incrédule s'était peint sur son visage. Si c'était ça sa réaction face à ce sujet plutôt banal, je n'osais même pas imaginer quelle tête elle allait faire quand je lui ferai part de la vraie révélation.

- Ouais, juste parlé. Pourquoi tu crois que je porte encore les mêmes vêtements que hier soir ? ajoutai-je avec un geste vers ma personne tout à fait décemment couverte.

La blonde haussa les épaules, avant de demander :

- Mais parlé de quoi ?

- De tout et de rien, et pendant presque toute la nuit. Je crois que j'ai fini par m'endormir vers cinq heures du matin. Faut dire qu'il y avait matière à discussion... Je connaissais même pas sa couleur préférée, c'était quand même un comble...

- Le rouge, déclara Claire brusquement. Il a l'air d'un type qui aime le rouge, se justifia-t-elle suite à mon regard étonné.

- Raté, c'est le vert.

La blonde prit l'air songeur.

- Bon OK, vous avez parlé. Mais au final vous êtes ensemble ou pas ?

- Comme je te l'ai dit, c'est compliqué.

- Mouais, grogna Claire avec une moue peu convaincue.

- Si tu acceptes de patienter jusqu'à ce que Zack soit sorti de la salle de bains, je t'explique tout.

- Ah, j'aime mieux ça ! s'exclama-t-elle d'une voix satisfaite. Hé, tu reveux un croissant en attendant ?

Comment aurais-je pu refuser ? Je fis donc une nouvelle victime, absorbant les nutriments de ma proie tombée au combat. Claire m'imita en laissant nettement moins de preuves de son forfait. Suffisamment revigorée, je me levai puis me grattai la nuque ; ça me démangeait un peu, Teigne devait être dans le coin.

- Désolée ma grande, ils font pas encore de croissants spectraux, soufflai-je.

Ma remarque occasionna un sursaut chez Claire.

- Teigne est encore là ? Je pensais qu'elle s'en serait allée vers l'au-delà vu que tu es devenue Championne maintenant... Elle t'a accompagnée jusqu'au bout non ? Ou est-ce qu'elle a du mal à partir ?

- En fait, ça fait partie du "compliqué", tentai-je d'expliquer. J'ai pas vraiment fini ce que j'ai à faire.

- Mais t'as vaincu la Ligue et t'es Maître Pokémon, qu'est-ce qu'il peut bien te rester ? s'étonna la blonde. C'est le moment de prendre des vacances là, t'as une semaine de répit garanti avant d'affronter ton premier challenger, tu devrais te prélasser et profiter d'un peu de repos bien mérité !

- C'est pas dans mes plans.

Claire croisa les bras.

- Qu'est-ce qui est dans tes plans alors ? À part manger des croissants et prononcer des phrases cryptiques ?

Elle avait dit ça d'un ton bon enfant mais je soupçonnais qu'elle commençait à s'énerver. Normal après tout.

- Je préfère attendre que Zack soit là pour te le dire sinon tu risques de penser que j'ai pété un câble.

- Ah, ce genre de plans, fit Claire. Non, j'aime bien les trucs un peu dingues ! ajouta-t-elle avec un sourire qui était lui aussi un peu dingue. Et puis t'as raison, pourquoi se reposer sur ses lauriers quand on peut tout faire péter ?

Avant que je puisse préciser que tout faire péter n'était pas non plus dans mes plans, la porte de la salle de bains s'ouvrit et un Zack sauvage nous rejoignit. Bien que sa tignasse soit mouillée, elle conservait obstinément sa forme de crête de dinosaure, ce qui me tira un sourire.

- Alors, t'as réussi à la réveiller ? lança-t-il à l'adresse de Claire.

- T'avais raison, la tactique du croissant a marché.

- Bande de fourbes, vous vous êtes ligués contre moi, constatai-je.

- Faut bien ça pour te tirer du lit, contra Zack.

Il y eut un silence suite à sa remarque, pas malaisé, pas super détendu non plus. Quelque part au milieu. Entre Zack et moi, ça s'était calmé et on avait atteint une sorte d'équilibre, mais le spectre de mon départ imminent demeurait, et ça devait l'affecter plus qu'il ne le montrait. Du moins le supposai-je. Quant à Claire, je crois qu'elle percevait cet accroc, et j'étais sur le point de lui en exposer la raison.

- Bon, Claire, tu devrais t'asseoir, lui conseillai-je. Ce que je vais te dire va te couper les jambes.

- On devrait peut-être l'attacher pour éviter qu'elle s'enfuie en courant en hurlant que tu es folle, tu ne crois pas Léa ? proposa Zack.

- Je promets de ne pas m'enfuir en courant, affirma la blonde.

- Et de ne pas hurler que je suis folle ? demandai-je.

- Ça, ça dépendra.

Zack eut un sourire et fit mine de se boucher les oreilles. Je l'assassinai du regard, amoureusement (si si c'est possible).

- Allez, accouche, m'encouragea Claire.

Ce que je fis donc. Je lui racontai tout, à peu près la même chose qu'à Zack, mais de façon plus nette et plus succincte maintenant que je m'étais déjà pliée à l'exercice. Durant mon exposé, Claire conserva un visage impassible, ce qui me sembla plutôt de bonne augure. Lorsque je me tus, la blonde garda le silence. Puis, lentement, elle se pencha vers moi, me toucha le nez du bout de l'index, et appuya, jusqu'à ce que, étonnée, je recule un peu.

- Pardon, dit-elle ensuite, je vérifiais juste que t'étais bien réelle.

- Je sais que ça a l'air dingue, mais...

- L'air dingue ? me coupa-t-elle. Non Léa, c'est dingue. Complètement.

- Comment tu crois que je le vis ? lui renvoyai-je avec une grimace.

- Tu penses pas que ça pourrait être... autre chose ? avança-t-elle avec précaution. Tu sais, avec le stress du voyage Pokémon, et le fait que tu aies perdu des membres de ton équipe, peut-être que tu as fini par t'inventer une autre réalité pour éviter de faire face à celle-là...

Je secouai résolument la tête. Zack intervint :

- Moi, je la crois.

Il eut droit à un regard étonné et plutôt sceptique de la part de Claire.

- Je fais confiance à Léa, continua-t-il. Je pense la connaître assez bien pour ça.

- Sauf que si l'on écoute Léa justement, depuis le début ce n'est pas elle que tu connais, et ça fait seulement deux mois que Léa est la "vraie" Léa.

- On en a discuté cette nuit, indiqua Zack. La Léa d'avant correspond au niveau personnalité à celle de maintenant. Les deux n'ont pas vécu les mêmes expériences - celle de notre monde n'a pas perdu son frère à six ans par exemple - mais autrement elles ont le même caractère. C'était bien mon impression avant que Léa ne me révèle tout, y avait pas de différences pour moi, et elle me l'a confirmé quand je lui ai raconté "notre" enfance.

- Encore un truc zarb de la cartouche, résumai-je.

- OK... dit lentement Claire en fronçant les sourcils. Mais alors ça veut dire quoi concrètement, qu'il existe deux mondes qui coexistent de façon parallèle ? Où dans l'un des deux l'autre n'est qu'un jeu ? Et pourquoi toi et ton frère, Léa ? Pourquoi pas quelqu'un d'autre ? Y a des millions de cartouches Pokémon dans ton monde non ? Comment ça se fait que seule la tienne soit une porte ouverte vers chez nous ?

J'écartai les mains en signe d'impuissance.

- Désolée Claire, j'ai aucune réponse à te fournir. C'est aussi pour ça que je dois aller jusqu'au bout, parce que j'espère bien obtenir le fin mot de l'histoire...

Un silence pensif s'établit dans la chambre. Chacun devait ressasser ses propres pensées. Les miennes étaient tournées vers Vivian et l'inévitable suite des événements. Mon frère et moi ne nous étions pas quittés dans les meilleurs termes et je n'avais aucune idée de comment le recontacter. Enfin non, ce n'était pas tout à fait vrai : il me suffirait peut-être d'ôter le bout de météorite anti-psy que m'avait donné Zack, et je serais à nouveau visible aux yeux de l'Hypnomade de Vivian, à supposer qu'il me surveille encore. Ou alors, peut-être que si je...

- Bon OK, je suis avec toi ! déclara brusquement Claire, de façon si soudaine et si inattendue que je sursautai.

- Euh, quoi ?

- Ouais, là je suis d'accord avec Léa, déclara Zack tout en posant un regard scrutateur sur la blonde. T'avais plutôt l'air de penser que cette histoire c'était rien que des conneries, alors pourquoi tu décides tout à coup de lui coller aux basques ?

- Pour ton information, monsieur l'ex-champion, Léa est mon amie, lui répondit Claire en soutenant son regard sans broncher. Alors j'ignore si ce qu'elle dit est la vérité ou pas, mais en tout cas si elle doit affronter un Pokémon psy supra-dangereux, ça ne se fera pas sans moi !

Zack eut son sourire typiquement carnassier.

- Bienvenue à bord, mademoiselle la Bourrine, la salua-t-il d'un petit hochement de tête. Notre vaisseau comprend à présent trois humains, un bon paquet de Pokémon, et le fantôme le plus hargneux que j'ai jamais vu.

Sa description me fit sourire. Ce n'était pas une mauvaise métaphore, un bateau. Tous dans la même galère...

- Ah, mais oui c'est pour ça que Teigne est restée ! s'exclama Claire qui venait d'avoir une révélation. Sacrée Colossinge... Hé, pourquoi je suis mademoiselle la Bourrine ? ajouta-t-elle ensuite avec une grimace.

- Tu as d'autres Pokémon à part tes deux terreurs ? demanda Zack.

- Non. Quand j'étais petite j'avais un Roucool mais... plus maintenant.

- Bah voilà.

- Pfff, commenta-t-elle. Faut pas croire les stéréotypes, les Férosinge et Colossinge sont capables d'être très doux lorsque ça leur chante.

- Ce qui correspond à environ 0,2 % du temps, complétai-je en souriant de plus belle.

- Ouais, bon... avoua Claire. C'est quoi ton surnom à toi que je rigole ?

Bonne question. Je quémandai la réponse auprès de Zack, qui haussa les épaules.

- Si je suis monsieur l'ex-champion, tu dois être mademoiselle la championne.

- Ça manque de punch, estimai-je.

- Tiens d'ailleurs, tu comptes faire quoi à ce propos ? s'enquit la blonde en claquant des doigts. Tu vas jouer ton rôle ou tu t'en fiches et c'est Mewtwo ton objectif maintenant ? Non en fait pas besoin que tu me répondes, la tête que tu fais en ce moment me suffit.

- Donc pas de défilé de la victoire ? interrogea Zack.

- C'est quoi ça ? voulus-je savoir.

Ce fut Claire qui m'expliqua :

- Le jour suivant l'accession du vainqueur au titre de Maître Pokémon, la tradition veut qu'il défile au plateau Indigo accompagné de ses Pokémon. C'est un événement plutôt important, c'est pas souvent qu'on couronne un nouveau champion...

- Hé bien ils devront se débrouiller sans moi. Pareil pour le reste d'ailleurs : si Mélodie me défie, et elle le fera sans doute, je ne me présenterais pas pour le match.

Je songeai à la gamine et à sa détermination sans faille. Lors de notre discussion juste après ma victoire contre Peter, j'avais tenté de lui expliquer pourquoi j'avais refusé l'offre de son père., pourquoi j'avais décidé de ne pas me plier à la volonté du Conseil. Malgré tous mes efforts, je n'étais pas parvenue à lui faire comprendre mon point de vue : la fillette aux cheveux bleus partageait sur ce point-là les mêmes idées que la Chieuse, à savoir la victoire à tout prix.

- Tu perdras par forfait alors, constata Zack, avant de secouer la tête. Quand je pense que tu m'as volé le titre pour le gâcher comme ça...

L'amertume qui transparaissait dans sa voix me fit me sentir coupable.

- Tu pourras réessayer d'ici quelques années non ? demandai-je en espérant fortement que la réponse soit oui.

- Non, répliqua évidemment Zack, parce que le destin me haïssait. Une fois que t'as été champion, c'est fini, y a pas de seconde chance.

- Ah... soufflai-je, ne sachant que dire.

- Bon, déclara Claire avant qu'un malaise ne s'installe, c'est très bien de rester là à se goinfrer de croissants et à discuter, mais c'est pas comme ça qu'on va avancer, alors je propose qu'on bouge !

- Douche d'abord, protestai-je.

- Va pour ta douche, la Ronflex. Mais ensuite c'est parti !

Je passai donc dans la salle de bains, réfléchis aux secrets de l'univers tandis que j'étais sous l'eau chaude, gâchai du savon juste parce que, puis ressortis après avoir évoluée en une Léa propre. Je me sentais prête à affronter cette journée qui avait bien commencé et qui je l'espérais finirait de la même façon.

- Où va-t-on, mon capitaine ? s'enquit Claire dès mon retour.

- Il faut que je parle avec mon frère, il n'y a que lui qui sache où se trouve Mewtwo, lui répondis-je. Je ne sais pas où il est mais j'ai quelques idées pour le trouver... Je pense qu'on devrait passer par Bourg Palette avant tout.

J'avais décidé que logiquement, Vivian devait savoir que j'allais le chercher, et l'endroit de départ du jeu ainsi que "notre" maison constituait un point de rendez-vous plutôt probable. Un cri de Claire m'arrêta alors que je me dirigeais vers la porte.

- Attends, sors pas par là ! Y a une meute de paparazzis dehors, j'ai dû me faufiler pour rentrer tout à l'heure, expliqua-t-elle rapidement.

- Quoi ?

- Mademoiselle la championne, me rappela Zack.

- Mais euh, grognai-je. J'en ai rien à foutre de la célébrité moi...

- Qu'est-ce qu'y faut pas entendre... me renvoya mon ex-rival d'un ton amusé. Bon, de toute façon c'est pas un problème, Alakazam peut nous emmener en un clin d'œil.

J'approuvai sa proposition d'un hochement de tête, avant d'entrevoir une complication.

- Et pour Teigne ?

Hélas, je ne suis pas capable de voir l'esprit de la Colossinge, et encore moins de la téléporter,
indiqua le Pokémon psy qui venait de jaillir de sa Pokéball.

Je m'équipai du Scope Sylphe et découvris Teigne en train d'essayer de puncher l'Alakazam (rien de surprenant là-dedans). Bien évidemment ses gros poings spectraux passaient au travers de sa cible sans lui faire le moindre mal.

- Tu pourras nous suivre ma grande ? lui demandai-je.

Ses oreilles frémirent, elle se tourna vers moi puis sautilla plusieurs fois. En langue Teigne, ça voulait dire : "Oui oui, t'inquiète pas pour moi". Ce détail réglé, je fis signe qu'on pouvait y aller et un bref flash de lumière plus tard, nous nous retrouvâmes face à une petite maison au toit rouge. Un peu désorientée par cette téléportation de si bon matin et avec juste deux croissants dans le ventre, je titubai, m'appuyant sur Zack (de façon tout à fait non fortuite).

Puis une voix gueula :

- Vite elle est làààà !

Il s'ensuivit une série de flashs qui m'aveuglèrent totalement, et je devinai à l'oreille que les journalistes s'approchaient pour nous encercler tandis que les questions fusaient de toute part :

- Mademoiselle Norelle, quelques mots s'il vous plaît !

- Êtes-vous heureuse de votre victoire ?

- Pensez-vous rester longtemps au sommet ?

- Quelle est la nature de votre relation avec Zack Chen ?

- Les rumeurs d'un projet de mariage sont-elles vraies ?

Je clignai des yeux face à cette dernière phrase. Hé ben, ils y allaient pas de main morte... Ma vue m'était revenue, ce qui me permit de constater qu'une forêt de micros avait poussé sous mon nez, insistant pour capter la moindre de mes réactions. Je fis de mon mieux pour les ignorer et suppliai Zack du regard afin qu'il nous sorte d'ici.

Un instant plus tard, un énième flash noyait les contours du monde et...

Je perdis pied.

Littéralement.

Au lieu d'atterrir dans la cuisine de "ma" maison, ou bien la chambre, ou que sais-je encore, je me retrouvai à pédaler inutilement dans les airs, sans trouver le moindre appui. Logique puisque j'étais en chute libre. Cette étape ne dura qu'une seconde ou deux, ce qui ne fut pas un soulagement parce que la suite s'avéra pire. Le choc de l'eau glaciale m'anesthésia, m'engourdissant toute entière avant que les sensations n'affluent à nouveau quelques secondes plus tard sous la forme d'un millier de picotements et de fourmillements qui me firent l'effet de minuscules aiguilles vicieuses tandis que j'agitais bras et jambes pour remonter.

Ma tête creva la surface, je remplis mes poumons d'une bonne goulée d'air puis avisai les environs.

Ce n'était pas le Bourg Palette.

Vraiment pas.

Devant moi s'étendait une mer, bleue, calme et infinie. Rien à espérer de ce côté-là, même en chevauchant Plouf ça me paraissait mal barré. Et derrière moi... une plage, scintillante de sable blanc. Une plage que je connaissais puisque je l'avais arpentée il y avait maintenant un mois et demi de ça. Je m'étais alors trouvée en compagnie de Teigne et de Princesse, et je m'étais engouffrée dans la grotte que j'apercevais d'ici sans savoir que cela allait me mener droit vers Artikodin.

Les Îles Écumes.

Que diable faisais-je ici ? Et pourquoi étais-je seule ? La téléportation d'Alakazam avait-elle eu un raté ? Ou bien s'agissait-il d'une blague de mauvais goût ? Ça ne me semblait pourtant pas être le genre du Pokémon psy... Et Zack ne s'y serait pas pris comme ça, si ça avait été de son fait il aurait été perché sur son Léviator non loin de là histoire de ne pas manquer une miette du spectacle. Alors qui d'autre...

C'est évident, voyons,
songeai-je alors que la solution m'apparaissait.

Ma voix mentale sonnait un peu trop comme la Chieuse, et si en cet instant un frisson me parcourut, cela n'avait rien à voir avec la température de l'eau. Réprimant un grognement, je me mis à nager pour atteindre la rive. Ce fut l'affaire de quelques minutes. À peine avais-je atteint mon objectif et pris pied sur le sable que je m'emparai de la Pokéball de Salade.

- Tu n'auras pas besoin de ça, fit la personne qui venait d'apparaître sur la petite plage.

- Je crois bien que si, répondis-je à mon frère. En guise d'assurance que tu n'essayeras pas de...

- De quoi ? me coupa-t-il alors qu'il contemplait mon Florizarre fraîchement matérialisé. Je ne te ferai aucun mal, petite sœur. Tu représentes ma seule chance d'en finir avec ce jeu.

Je croisai les bras, luttant aussi bien contre le froid que contre mon envie de me mettre à hurler. Les révélations de Zack bouillonnaient dans mon esprit et changeaient la façon dont je percevais mon frère. Changeaient encore, devrais-je dire. C'était le yo-yo complet sur ce plan-là ces derniers temps. Vivian méchant, Vivian gentil, Vivian allié, Vivian ennemi... Tout y était passé. L'aiguille pointait désormais sur Vivian gros mytho.

À mes côtés, Salade gronda, agitant une liane particulièrement menaçante presque sous le nez de mon frère : il devait percevoir ma colère, mais il fallait que nous gardions la tête froide. Je posai donc une main sur son flanc pour l'apaiser. Lâchant tout de même un "Zarre" d'avertissement à l'encontre de Vivian, le Florizarre retira sa liane.

- Qu'est-ce que tu as fait à Maraude ? demandai-je ensuite, sèchement.

- Juste le nécessaire.

Une réponse donnée si calmement... et qui impliquait sûrement des tas d'horreurs.

- Il fallait que tu me fasses confiance et que tu me laisses entraîner ton équipe pour la Ligue, continua Vivian. J'ai pris le chemin le plus simple pour parvenir à ce résultat.

- Et pour ça tu as torturé une Goupix avant de forcer Zack à me l'offrir ? crachai-je.

- Parce que je savais qu'avoir des difficultés avec un Pokémon te ferait douter de toi et te rendrait d'autant plus susceptible d'écouter ce que j'avais à dire, confirma-t-il. Oh, je t'en prie, ajouta-t-il face à ma réaction, ton dégoût m'importe peu. Ce n'est pas mon problème si tu attribues des sentiments et une personnalité à un paquet de données informatiques. C'est toi qui choisis de te faire inutilement du mal en voyant le dressage de la Goupix comme une "torture", ou en pensant que ton rival est autre chose qu'un programme destiné à servir d'obstacle.

Il fit une pause comme pour permettre à ses mots de me frapper pleinement. Je les balayai, d'une seule pensée, choisissant de me concentrer sur ce qui m'occupait présentement : les manigances de mon frère.

- Quoi d'autre ? lui demandai-je, les deux mots lancés comme un défi.

Il haussa les sourcils comme pour dire "Mais de quoi tu parles ?".

- Ma confiance t'importait trop, tu ne vas pas me faire croire que tu as tenté de te l'approprier avec un seul coup bas. Je suis certaine que ton influence s'est fait sentir à d'autres endroits dans mon voyage.

- Tu deviens bonne à ce jeu, petite sœur, me complimenta-t-il en applaudissant sarcastiquement, deux fois. Tes œillères sont-elles enfin tombées ? Permets-moi donc d'énumérer mes coups de pouce.

Il leva un doigt.

- J'ai déclenché l'incendie du centre Pokémon à Céladopole afin de te donner une raison de plus d'aller te confronter à la Team Rocket.

Un deuxième.

- L'Hypnomade qui retenait la fillette rousse dans le Bois Baies m'appartient, et la réalité qu'il a construite pour toi devait te montrer que tu pouvais compter sur moi.

Un troisième.

- J'ai suggéré à Alec qu'il te propose son mentorat... Là tu m'as surprise, je pensais honnêtement que tu accepterais.

Et un quatrième.

- Mon Hypnomade a rappelé le fantôme de Teigne et lui a conseillé de rester encore un peu.

Il assortit cette dernière phrase d'un sourire, aussi incisif qu'une lame de rasoir.

- Tu vois, il n'y a pas que des mauvaises choses au final. Sans moi tu n'aurais plus jamais revu ta précieuse amie à fourrure.

Je demeurai silencieuse, m'efforçant de dissimuler le malaise que m'inspiraient ces révélations. Vivian avait été partout, à chaque tournant, et moi je n'avais rien vu. Aveugle Léa. Je me faisais l'effet d'une marionnette qui s'imaginait bouger selon sa volonté, sans même se douter que quelqu'un d'autre calibrait chacun de ses mouvements. Bon, d'accord, j'exagérais : il y avait un paquet de décisions que j'avais prises sans que mon frère n'ait son mot à dire... mais le nombre de ses "coups de pouce", comme il appelait ses interventions, était tout de même bien trop élevé.

- Bien sûr tout cela est derrière nous, reprit Vivian. Tout ce qui compte, c'est que mon stratagème ait marché, et te voilà championne à présent.

- J'y serais parvenue sans toi, répliquai-je par réflexe tout en sachant que c'était un mensonge.

Il se contenta de sourire, signe qu'il m'avait percée à jour.

- Où est Maraude maintenant ? voulus-je savoir, la disparition de la Feunard me tracassant toujours. Tu l'as relâchée ou bien tu t'en es tout simplement... débarrassée ?

Le dernier mot avait été difficile à prononcer et je ne savais pas ce que je ferais si Vivian confirmait ma seconde hypothèse. Ce qui était complètement risible, observai-je depuis un lointain coin de mon cerveau. Vivian avait tué Léonard, un fait avéré que j'avais vécu en personne, et voilà que le meurtre potentiel d'un Pokémon me faisait envisager une vengeance que je n'accomplissais pas pour un humain qui avait été mon ami ? Ridicule, illogique, stupide. Je pris une inspiration et tentai de remettre dans l'ordre dans mes pensées, mais tout semblait embrouillé. C'était comme si j'avais accepté que l'assassinat de Léonard n'en était pas vraiment un puisqu'il ne concernait qu'un programme, mais d'un autre côté je refusais de considérer Zack et Claire sous même ce statut - idem pour tous mes Pokémon. Et puis restait encore l'affirmation de la Chieuse selon laquelle la cartouche n'était pas que cartouche...

Il y avait trop d'éléments, trop de contradictions, et je m'emmêlais les doigts dans les fils virtuels de mes pensées, sans parvenir aucunement à les démêler. La voix de Vivian finit par les trancher, me libérant de la prison qui avait commencé à se construire autour de moi :

- Je n'ai pas touché à ta Feunard. Elle avait rempli son office et ne m'était plus utile. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je t'avais conseillé de la relâcher. Mais contrairement à ce que tu sembles croire je ne m'en suis pas chargé moi-même et je n'ai rien à voir avec sa disparition.

J'avançai d'un pas dans sa direction, secouant la tête. Il avait du culot d'essayer encore de me faire avaler ses mensonges au stade où on en était...

- Arrête, c'est fini, lui lançai-je hargneusement. Je sais tout, alors stop aux embrouilles.

- C'est la vérité, répliqua mon frère.

J'eus un sourire en entendant la phrase que j'avais martelée face à Zack lorsqu'il avait douté de la véracité de ce que je lui avais révélé. Mais les deux situations n'avaient rien de commun, et Vivian, lui, ne pouvait que mentir. Je le savais, parce que Maraude ne serait jamais partie sans me dire au revoir.

- On va finir par avoir un vrai problème si tu persistes à me raconter des salades, frérot... fis-je en avançant d'un pas de plus, mes poings se serrant.

- Zarre.

- C'est une expression Salade, je ne parlais pas de toi.

- Zarre, Flori, Florizarre.

Je me retournai d'un bloc vers mon bulbe vert, prise au dépourvue.

- Comment ça, il ne ment pas ? répétai-je, perdue face à ce que venait d'affirmer le Florizarre. Comment tu peux le savoir ?

- Zarre.

- Tu sais bien que je te fais confiance, mais là j'apprécierais une vraie raison.

- Florizarre, promit-il.

- D'accord, tu m'expliqueras ça plus tard... acquiesçai-je.

J'étais un peu réticente à remettre au lendemain ce que je pressentais être quelque chose d'important, mais sur le moment je devais reconnaître qu'il y avait un sujet encore plus pressant. Vivian l'aborda d'ailleurs aussitôt que s'acheva mon tête-à-tête avec Salade.

- Ce détail réglé, si nous en venions à Mewtwo ? suggéra-t-il nonchalamment, avec la même désinvolture que quelqu'un qui proposerait une promenade au parc.

- Oui, Mewtwo, embrayai-je à mon tour. Un sujet plutôt délicat, mais est-ce que t'avais vraiment besoin de me téléporter au beau milieu de nulle part pour ça ?

- Il fallait que je te parle seul à seule, sans interférence, se justifia mon frère. Quant au bain de mer, c'était pour m'assurer que tu serais pleinement réveillée.

- Évidemment que j'étais réveillée, il doit pas être loin de midi !

- Indépendamment de ça, ça ne pouvait te faire que le plus grand bien.

Un grognement de frustration m'échappa.

- Tu crois toujours savoir ce qui est le mieux pour moi, hein ? résumai-je.

- Je sais ce qu'il faut pour que tu battes Mewtwo, oui.

Ah, quel coup bas. Ramener la conversation sur le point exact qui me faisait défaut...

- Où est-il ? interrogeai-je, affrontant mon frère du regard.

- Ce n'est pas la bonne question, répliqua-t-il d'une voix sans appel.

- Pas la bonne... commençai-je, exaspérée, avant de m'arrêter par moi-même, résolvant de ne pas me laisser entraîner dans les petits jeux de Vivian.

Il eut un sourire mais persista :

- Tu devrais me demander : "Comment faire pour le vaincre ?".

- OK, comment ?

Face à un grand frère créateur d'embrouilles, tenez-vous en à des réponses simples et courtes. (Le mieux est encore de ne pas avoir de grand frère créateur d'embrouilles, mais là, il était déjà trop tard pour moi.)

- C'est justement ce dont nous allons nous occuper, indiqua Vivian.

Il tendit une main ouverte vers moi, le reflet du geste effectué au sommet du Plateau Indigo un mois auparavant, et porteur de la même offre. Sauf que cette fois, ma réaction fut différente.

- Je n'irai nulle part sans mes amis.

- Comme c'est mignon, ma sœur qui s'est entichée de petits programmes, jeta-t-il alors que la grimace qui tordait ses traits sembler proclamer exactement le contraire. Prends ma main, Léa.

La fermeté de sa voix donnait à sa phrase la valeur d'un ordre. J'y opposai un refus concis.

- Non.

Puis je portai une main à mon cou et tirai sur la lanière de cuir au bout de laquelle pendait le bout de météorite que m'avait donné Zack. Elle céda dans un claquement sec, me rendant à nouveau visible aux yeux mentaux des Pokémon psy ; je tournai mes pensées vers Alakazam, l'implorant mentalement de chercher à me localiser.

Allez Zack... Ramène-toi.


- Ne sois pas stupide, m'admonesta mon frère. Tu n'auras pas besoin de tes "amis" face à Mewtwo, juste de tes Pokémon.

- Rien à foutre. Ils viennent quand même.

Vivian poussa un soupir tout en amenant une main à sa tempe. Il me semblait qu'il était en train de commencer à perdre patience : quelque chose qu'on ne voyait pas tous les jours.

- Ce n'est pas censé se passer comme ça, dit-il d'une voix dans laquelle je crus détecter un soupçon de lassitude. Le jeu...

- Le jeu, je l'emmerde. Il a brisé notre famille, il nous a arrachés à notre monde, il nous a fait souffrir comme pas possible ! Et tu voudrais en plus qu'on se soumette à ses règles débiles ? Genre : "Non, désolé, le héros doit affronter Mewtwo seul, pas d'amis autorisés" ? Hé bien non, je ne suis pas d'accord ! Et si ça tu ne peux pas l'accepter, je me débrouillerais toute seule.

Légèrement à bout de souffle suite à cette tirade que j'avais prononcée d'une seule traite, je me retournai, faisant mine de partir. C'était une négociation, et il fallait que je lui montre que je pensais ce que je disais.

- Léa !

Mon prénom claqua comme un collier étrangleur, me retenant brusquement et désagréablement. Même après tout ce temps, même après tout ce qui s'était passé, mon frère avait encore ce pouvoir sur moi. Le lien invisible qui me reliait à lui vibra, et j'allais me retourner lorsque deux autres firent leur apparition, deux nouvelles connexions qui m'emplirent d'une force renouvelée.

Zack et Claire venaient de se matérialiser sur la grève.

Comme je vous le disais, elle n'est pas seule, résonna la voix mentale d'Alakazam qui lévitait au-dessus de l'eau.

- Un problème, Léa ? s'enquit Zack en posant une main sur mon épaule.

Je retournai son geste avec un sourire, y puisant un certain réconfort.

- Un petit imprévu. Au lieu de trouver Vivian, c'est lui qui m'a trouvée. Mais tout est sous contrôle, assurai-je, je ne prends aucun risque avec mon arsenal à disposition.

- Zarre, approuva Salade tout en agitant une liane pour faire coucou aux nouveaux arrivants.

- C'est lui ton frère ? lança Claire sur un ton étonné. Il te ressemble pas tellement...

Vivian eut un rire amusé.

- Nous avons donc le rival, lui je m'y attendais... mais c'est quoi l'autre ? Une dresseuse lambda que tu as ramassée sur le bord du chemin ? Tu me déçois, Léa. Quitte à t'entourer de PNJs, tu aurais au moins pu choisir un champion d'arène.

- Et en plus il m'insulte direct ? continua la blonde sans paraître très affectée. Tu vas avoir du mal à me convaincre que vous êtes de la même famille Léa, pour l'instant, de ce que j'en vois, vous n'avez rien en commun ni au niveau physique ni au niveau personnalité...

- Moi je perçois bien quelques traits identiques, intervint Zack. Ils sont tous les deux hyper-têtus et quand ils sourient, y a cet espèce de truc avec leurs fossettes qui fait que...

- Cessons cette perte de temps, l'interrompit brutalement Vivian en accompagnant sa phrase d'un large mouvement du bras. Nous devrions nous concentrer sur Mewtwo et la façon de le vaincre.

- Tout à fait d'accord, acquiesçai-je. Et mes amis m'accompagnent. Objection ?

J'entendis vaguement Claire chuchoter quelque chose mais n'y prêtai pas attention, concentrée sur mon frère et notre négociation.

- Si tu tiens tant que ça à voir Mewtwo les tuer, fais-toi plaisir, répondit Vivian avec un haussement d'épaules. Maintenant comme je te le disais, la question qui se pose est de savoir comment vaincre l'obstacle ultime. Mon erreur a été de foncer tête baissée l'affronter sans prendre la peine de me renseigner auparavant. Il nous faut donc des informations sur le Pokémon en question, et je sais où les obtenir.

- OK. Où on va ?

La réponse de Vivian fut des plus brèves :

- Lavanville.

***

La maison n'était pas différente des deux fois précédentes.

Le canapé n'avait pas bougé du coin du séjour et le Rondoudou que j'avais autrefois confondu avec un coussin s'y prélassait toujours, roulé en boule contre l'accoudoir. Des tasses de café sales encombraient la table, qui avait gagné quelques nouvelles tâches depuis mon dernier passage. Un Miaouss se tenait assis au bord, sa queue pendant dans le vide tandis qu'il nous fixait d'un regard inquisiteur. Je n'avais pas vu l'Osselait, mais peut-être était-il toujours timide.

Le vieil homme non plus n'avait pas changé, celui que j'avais surnommé Père Noël mais qui portait en réalité un tout autre nom. Il nous avait accueilli avec le sourire lorsque j'avais frappé à sa porte, affirmant que cela lui faisait plaisir de me revoir et qu'il était heureux que j'ai réalisé mon rêve.

- Que puis-je donc faire pour vous jeunes gens ? s'enquit-il en nous contemplant tous quatre.

Vivian jeta un petit carnet rouge sur la table.

- Je crois que ceci vous appartient, dit-il simplement.

Le regard du vieillard se verrouilla sur l'objet en question. Un carnet qui avait fait pas mal de chemin avec moi puisque je l'avais trouvé dans le manoir de Cramois'île. Entre ses pages, quelques lignes d'une laconique écriture noire mentionnaient Mew, un projet de clonage qui avait mal tourné, et Mewtwo, le Pokémon renégat, toutes rédigées de la main du scientifique responsable du projet.

M. Fuji.

Dixit Vivian pour ce dernier point, mais vu la tête que celui que j'appelais Père Noël faisait, mon frère avait raison. Je me demandai pourquoi il n'était pas venu plus tôt en quête d'informations et depuis combien de temps il savait que le vieux gentil monsieur de Lavanville avait eu une jeunesse bien différente. Ce dernier lâcha un lourd soupir, puis se laissa tomber sur le tabouret le plus proche.

- Je ne serai donc jamais libéré de ce fardeau... murmura-t-il.

- Donc c'est vrai, vous avez vraiment cloné Mew ? souffla doucement Claire. J'ai l'impression de nager en plein rêve depuis ce matin...

- Ce fut une erreur, se lamenta M. Fuji. Une regrettable erreur...

Ses yeux se firent lointains et sa voix baissa d'un octave alors qu'il continuait :

- Au début bien sûr, j'étais enthousiaste. Il s'agissait du projet le plus ambitieux que j'avais jamais mené... Je me suis laissé emporter par les possibilités qui s'offraient à nous, les avancées que permettraient un tel programme. Prouver que j'avais raison quant à Mew, créer le Pokémon le plus puissant au monde, et... faire revenir ma fille. Ma Ambre...

Les mains du scientifique, posées sur la table, tremblaient.

- Mais de tous les clones, seul Mewtwo survécut. Et bien que notre projet ait techniquement réussi, il se changea bien vite en désastre. Mewtwo se révéla incontrôlable. La moitié de notre labo réduit en cendres, huit personnes mortes, à cause de moi... Je survécus à cette terrible nuit bien malgré moi, et par la suite, j'ai quitté Cramois'île pour venir me réfugier ici, loin de mon ancienne vie. Depuis je tente de me racheter en recueillant les Pokémon orphelins et abandonnés...

Le silence retomba dans le séjour. Il fut brisé presque aussitôt par le Miaouss qui proclama son nom avant de venir se frotter contre M. Fuji.

- Et Mewtwo ? voulus-je savoir. Qu'est-ce qu'il est devenu ?

- Je l'ignore, répondit le vieillard.

- Il a été repéré par Giovanni, nous apprit Vivian, mais leur collaboration n'a pas duré longtemps. Peu importe, ce n'est pas son histoire qui m'intéresse, mais sa nature. Est-ce qu'il a des points faibles ? Quoi que ce soit que l'on puisse exploiter ?

M. Fuji secoua la tête d'un air désolé.

- Mise à part la faiblesse naturelle de son type face aux insectes, non. Nous l'avons conçu pour être le Pokémon le plus puissant au monde, et nous avons réussi. Mewtwo est virtuellement invincible, et il ne peut pas être contrôlé...

Vivian partit d'un rire teinté de mépris.

- Typique... Je ne sais pas pourquoi je m'attendais à autre chose. Comme si on allait trouver de l'aide parmi eux.

Le regard qu'il me jeta ensuite sous-entendait clairement "Il n'y a que nous deux qui pouvons vraiment changer les choses". Je n'y répondis pas, préférant me concentrer sur M. Fuji et la connaissance qu'il avait de Mewtwo, quoiqu'en dise mon frère.

- Le contrôler non, mais le capturer c'est peut-être faisable ? tentai-je.

Le vieil homme soupira.

- Tous les tests que nous avions faits à l'époque suggèrent qu'une telle tâche serait impossible...

- Pas impossible, juste difficile, jugea Vivian. Mais il n'y aura nulle capture, ajouta-t-il avec un nouveau regard à mon encontre. N'est-ce pas, Léa ?

- Non, acquiesçai-je, après un infime temps d'hésitation.

Nulle capture pour moi parce qu'une telle chose mènerait à la Chieuse, et nulle capture pour Vivian parce qu'il ne pouvait concevoir sa victoire sur le jeu que comme passant par la fin totale de Mewtwo. En cet instant, nous étions d'accord, et cela m'effrayait un peu. Mais c'était le prix à payer pour rentrer chez moi...

- Bien, décréta mon frère.

Avant d'ajouter :

- On perd notre temps, il ne pourra rien nous apprendre de plus.

Et là-dessus, il ressortit au-dehors.

- Les manières de ton frère laissent vraiment à désirer, constata Claire, ce qui tira un petit rire à Zack.

- Ouais, il est aussi aimable qu'un Colossinge privé de bagarre... Merci de nous avoir reçus, M. Fuji, fis-je en m'adressant au vieil homme, et merci d'avoir répondu à nos questions.

- C'est tout naturel, et je sais que tes intentions sont honorables, jeune Léa. Mais pourquoi décider maintenant de partir en chasse contre Mewtwo ? Cela fait si longtemps qu'il se tient tranquille et que personne n'a entendu parler de lui, je crains fort que vous ne risquiez de réveiller sa rage si vous vous attaquez à lui.

- J'ai mes raisons, me contentai-je de murmurer, bien consciente que ça paraissait très faible comme réponse.

Le vieillard n'en exigea pourtant pas davantage, et après avoir échangé des "au revoir" de circonstance, nous quittâmes la maison transformée en orphelinat. Je me trouvais presque dehors lorsque la voix du vieil homme me rappela :

- Léa... Il y a quelque chose que tu dois savoir avant de partir.

Je me retournai ; mes yeux croisèrent ceux, troublés et cerclés de cernes, de M. Fuji.

- Toi et tes amis n'êtes peut-être pas les seuls à vous être lancés à la poursuite de Mewtwo. Il me semble... (Il s'arrêta, puis reprit d'une voix incertaine :) Oh, cela fait longtemps, mais il me semble bien qu'une autre personne était comme vous venue me voir en quête d'informations...

- Quelqu'un d'autre ? m'étonnai-je, soudain suspicieuse. Qui ça ?

S'agissait-il de Vivian qui me menait en bateau ? C'était une possibilité que je n'excluais pas...

- Je... je ne me rappelle plus exactement, répondit le scientifique en secouant la tête. Les détails sont confus... comme dans un rêve. Je m'excuse Léa, je ne sais plus ce que je dis.

Et moi je ne savais que répondre : je demeurai donc silencieuse. Le ronronnement du Miaouss remplit l'intervalle vide de paroles, puis, passé cet étrange moment, M. Fuji soupira et parut retrouver ses esprits.

- J'espère que tu réussiras dans ton entreprise, me souhaita-t-il ensuite. Arceus sait que Mewtwo ne sera pas simple à neutraliser.

- Je l'espère moi aussi... murmurai-je avant de prendre congé du vieil homme.

Le soleil m'éblouit un instant lorsque je ressortis à l'extérieur. Il faisait si chaud que j'avais déjà eu le temps de sécher de mon bain de mer improvisé, et la température allait encore grimper davantage cet après-midi. Autant que j'en profite pendant que je le pouvais : dans le monde réel, on était en Novembre - enfin, ça c'était en supposant que le temps ne s'écoulait pas tant que je me trouvais dans la cartouche.

- Conclusion de la visite à Lavanville : totale perte de temps ? lança Zack avec le sourire.

- Je suis pas sûre... fis-je en glissant un regard vers Vivian.

C'était son idée de venir à la pêche aux infos ici, une idée qui n'avait pas abouti au final. Cela ne semblait pourtant pas le déranger : il contemplait le ciel, une expression pensive sur son visage. Je me demandai si s'entendre dire que Mewtwo n'avait pas la moindre faiblesse avait éveillé le doute en lui. De mon côté, ça n'avait rien changé et j'étais toujours aussi déterminée, mais mon frère avait déjà affronté le Pokémon psy une fois auparavant et en était sorti perdant. De tels souvenirs devaient être difficiles à dépasser.

Comme s'il sentait que je me posais des questions à son sujet, Vivian baissa les yeux vers moi.

- Prête pour la suite ? me demanda-t-il.

- L'étape finale ? m'enquis-je, pensant déjà connaître la réponse.

La lueur qui s'alluma dans les prunelles de mon frère me la fournit une seconde plus tard. Voilà, on y était. Cap sur Mewtwo et la dernière confrontation. Je me sentais prête et je savais que mes Pokémon l'étaient aussi, mais il demeurait un détail à régler. Fort heureusement, nous nous trouvions exactement au bon endroit.

- J'ai besoin d'un moment seule, alors, informai-je mon frère et mes amis. J'ai à faire dans la Tour Pokémon.

Vivian me surprit en déclarant :

- Je crois que je vais t'accompagner. Rendre un dernier hommage à Nutella...

Je scrutai son visage, essayant de déterminer s'il était sincère ou bien s'il tentait de me manipuler, de se rendre plus sympathique à mes yeux en feignant de l'intérêt pour sa Pokémon tombée au combat. Incapable de dire si la balance penchait d'un côté ou de l'autre, je finis par hocher la tête.

- Moi aussi, je viens, dit ensuite Claire.

Elle ne précisa pas à quelle fin, et je me demandai si le Pokémon qu'elle avait mentionné ce matin, son Roucool, était enterré dans la Tour ou si elle ne voulait tout simplement pas demeurer seule.

- Hé bien allons-y tous... résuma Zack. En plus ça nous rappellera des souvenirs, hein Léa ?

- La dernière fois qu'on était là-haut tous les deux on a failli se faire tuer par des spectres enragés. Super souvenir, raillai-je avec humour.

- Oui, mais c'est là que je t'ai sauvée la vie et que tu es tombée amoureuse de moi, répliqua-t-il le plus sérieusement du monde.

- Nan, j'ai succombé dès le premier regard, fis-je mine d'avouer en battant des cils.

Nous échangeâmes un sourire complice.

- J'aurai vraiment tout enduré, grogna Vivian.

L'ignorant totalement, je pris la main de Zack et c'est côte à côte que nous nous dirigeâmes vers la Tour Pokémon. Un dernier adieu à mes petites bestioles, et puis j'avais rendez-vous avec Mewtwo.

***

J'aurais dû appeler ce chapitre "Révélations en pagaille"... Tout le monde se dit tout. ^^

Et sinon oui, le "premier prétendant" auquel Maraude fait référence dans son bonus et quelquefois après, c'est bien Vivian et pas Zack. Et sa haine des humains vient de là, parce que Vivian l'a quelque peu torturée histoire de refiler un Pokémon bien dur à dresser à Léa. xD



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