Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Duel au sommet de olyn



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 13/01/2014 à 20:14
» Dernière mise à jour le 13/01/2014 à 20:17

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 30 : Cinq Pokémon et un fantôme
Une chambre, c'est comme un petit cocon personnel. Un nid douillet que l'on s'aménage où l'on vient recharger ses batteries. Un genre de bulle coupée du reste du monde, synonyme de chez soi, de bien-être et de chaleur. Du moins, ça c'est l'idéal. La chambre qu'on m'avait attribuée dans les locaux de la Ligue était à l'opposé de tout ça. Ils en donnaient une à chaque challenger qui passait le premier grade et battait Olga : pratique pour les dresseurs qui ne disposaient pas d'un Pokémon psy pour leur servir de taxi, et j'étais certes bien contente de ne plus avoir à subir le bavardage de la Poké-mère, mais chaque chambre était basée sur un thème et ils ne m'avaient pas laissée choisir, ce qui faisait que par malchance j'avais écopé de celle décorée aux couleurs de Dracaufeu.

Tout était orange, rouge, et or. Draps, couette, moquette, papier peint, partout un déluge de couleurs chaudes, même dans la mini salle de bain attenante où la douche arborait une teinte citrouille - je n'avais encore jamais vu ça de ma vie. La pièce principale abritait également quelques meubles en bois vernis, rien de plus que le nécessaire, mais la patine dont ils étaient recouverts leur conférait des reflets rouges, ce qui agressait l'œil et les faisait paraître bien plus nombreux qu'ils ne l'étaient. Et évidemment, on trouvait des représentations de Dracaufeu et de flammes dans tous les coins. Vraiment pas mon style ; j'avais l'impression d'être une intruse. Avec un gros effort d'imagination, j'aurais pu ignorer les Pokémon et prétendre qu'il s'agissait d'une chambre de Gryffondor... sauf que petit problème, je m'étais toujours considérée comme une Poufsouffle. Bref, tout ça pour dire que ma vraie chambre me manquait.

Poussant un soupir, je révisai une fois de plus le planning de la journée dans ma tête. Vérification de la santé de mon équipe et petit entraînement du matin, ça, c'était fait. Restait : déjeuner avec Claire dans une demi-heure, suivi d'une séance de shopping parmi les boutiques du Plateau Indigo (peut-être me laisserais-je alors tenter par un porte-clefs Patate), et enfin combat ce soir contre Agatha. C'était d'ailleurs le duel que j'anticipais le plus, en dehors de celui contre Zack, bien entendu. Les Pokémon spectre me fichaient la trouille, et je n'avais vraiment pas envie de faire se confronter mes bestioles aux monstres d'Agatha. J'avais beau avoir étudié leurs capacités sur le papier, qui sait de quoi ils étaient capables en réalité ?

Un bruit violent fit soudain irruption, déchirant le silence, et je sursautai, les nerfs à vif, avant de rationaliser les choses : il ne devait s'agir que d'un courant d'air, la fenêtre n'avait pas claqué toute seule. Je l'avais laissée ouverte vu que mes Pokémon se relaxaient dans l'immense jardin en commun à toute la résidence et que je préférais garder un œil sur eux. Quittant la salle de bains, je retournai dans la chambre pour aller fermer cette fenêtre récalcitrante, et découvris alors que ce n'était pas le vent le coupable.

C'était Teigne.

Je m'immobilisai net, jambes paralysées. L'envie de m'enfuir prit le relais à la stupéfaction. Comment pouvais-je ressentir ça face à l'un de mes propres Pokémon ? Cela me semblait stupide. Et pourtant, confrontée ainsi à la Colossinge qui avait les yeux étrécis et paraissait sur le point de commettre un meurtre, je tremblais. Plaquant un sourire sur mon visage et faisant de mon mieux pour camoufler mon malaise, je me jetai dans la fosse aux lions (ou engageai la conversation, c'est pareil) :

- Tu te défoules sur la fenêtre, ma grande ?

- Singe ! gronda-t-elle, frappant le sol de son poing droit.

La moquette récolta une belle empreinte, et j'avais très nettement entendu le parquet grincer. Pourvu qu'ils ne me réclament pas une caution en cas de dégâts...

- Quelque chose ne va pas ?

Oui, c'est ça, joue le rôle de la fille totalement innocente Léa... Faut croire que mes talents d'actrice n'étaient pas terribles car la Colossinge ne se laissa pas abuser, émettant un grognement énervé. Puis elle tendit son poing droit vers moi.

- Singe, déclara-t-elle.

Le poing gauche rejoignit son jumeau.

- Singe Singe, continua-t-elle.

Elle retira l'un de ses poings et fixa celui qui restait un instant avant de me fusiller du regard. Mince. Les Colossinge savaient donc compter jusqu'à deux. Moi qui avais espéré qu'elle ne se rende compte de rien... Après tout cela faisait déjà deux jours depuis le duel contre Aldo, et Teigne n'avait jusqu'ici pas donné la moindre indication d'avoir compris ma petite manipulation. Jusqu'ici. La Colossinge s'était peut-être montrée lente à la détente, mais elle avait découvert le pot aux roses à présent.

- Singe, Colossinge, confirma-t-elle, sa phrase sonnant comme une accusation.

Je soupirai, puis allai m'asseoir sur le lit, tapotant la couverture.

- Viens, il faut qu'on parle.

Elle grogna mais accepta de s'installer près de moi. Je carrai les épaules.

Allons-y pour la minute de vérité.


- Oui, je t'ai menti, Teigne, débutai-je sans plus chercher à nier. Il nous restait une Guérison contre Aldo, et je ne m'en suis pas servie. J'avais trop peur que tu finisses par tuer le Mackogneur, comme tu avais tué le Tygnon... Et ça, je n'arrive pas à l'accepter. Quelquefois, quand tu combats, tu... tu me fais peur, Teigne. Tu es trop en rage, trop déchaînée, et je ne peux pas te faire confiance quand tu es dans cet état-là.

La Colossinge me regardait, les sourcils froncés, le nez retroussé. Je me faisais l'effet d'être en train de sermonner un bouledogue.

- Tu comprends ?

- Singe ! émit-elle d'un ton mi-furieux mi-indigné.

Oui, elle comprenait, mais ça ne lui plaisait pas. Je repris :

- Je sais que tu penses que tes exploits guerriers sont tout ce qui compte, mais il y a une différence entre se bagarrer et tuer ses adversaires... Et ce dernier cas de figure devrait rester un accident. Or, toi tu le cherches délibérément, hein ? Comme avec le Papilusion de Vivian...

Ses yeux étincelèrent. Un grondement monta de sa gorge tandis que ses poings se serraient brusquement.

- Teigne, soufflai-je, doucement, tout doucement, comme pour désamorcer une bombe. Ma grande, écoute...

Je levai une main pour effleurer sa fourrure. La Colossinge irradiait la tension jusque dans ses poils, et je sentis un petit choc passer à travers ma main lorsque je les caressais. Était-elle en train d'accumuler de l'électricité ? Comme si la situation n'était pas déjà suffisamment dangereuse... Je ne pensais pas que Teigne me ferait du mal intentionnellement, mais sa colère la rendait instable et ça, ça m'effrayait. Accrochant son regard sombre, je calquai ma voix sur un murmure, m'efforçant d'en gommer tout tremblement :

- Claire m'a expliqué que tu voulais me protéger, que tu me considérais comme un membre de ta famille. J'en suis flattée, et c'est réciproque, toi et tous les autres vous êtes ma famille aussi... Sauf qu'il doit y avoir des limites à ta violence, des limites que je vais t'imposer, et c'est comme ça que ça se passe chez moi. Zack ne te dirait sûrement pas la même chose, et Vivian lui t'as encouragée dans l'autre sens, mais...

Je marquai une pause, cherchant mes mots pour la suite, essayant de tourner ça gentiment afin d'adoucir ce qui allait suivre. J'abandonnai rapidement : c'était Teigne après tout, elle pouvait l'encaisser.

- Tu as un choix à faire, Teigne. Soit tu restes et tu essaies de te contrôler... soit tu pars.

Voilà qui la ferait réagir. Et si elle ne tentait pas de changer son comportement, j'irai jusqu'au bout de ma menace. C'était certes un peu dingue d'amputer délibérément mon équipe à ce niveau-là de la compétition, mais je préférais largement avoir cinq Pokémon fiables tout court plutôt que cinq Pokémon et un élément instable...

Ma phrase eut l'effet escompté, et même plus : Teigne recula soudain comme si je l'avais frappée.

- Singe ? s'exclama-t-elle d'une voix que j'eus peine à reconnaître tant elle était dépourvue de son énergie habituelle.

Ses yeux s'étaient agrandis sous le coup de la surprise, combinée à une autre émotion qui ne m'était pas familière sur les traits de la Colossinge. De la déception peut-être ? Elle me regarda fixement durant les quelques instants de silence qui suivirent, son expression restant figée, de même que son corps qui ne bougea pas d'un poil. Un tel immobilisme n'était pas non plus habituel chez elle. Sans ne parvenait-elle pas à croire ce que je venais de dire. Moi aussi j'avais du mal, surtout quand je voyais ce que ça lui faisait. Pourtant, je rattrapai le mot "désolée" avant qu'il ne franchisse mes lèvres. Face à Teigne, il fallait rester ferme.

- C'est comme ça, déclarai-je à la place.

- Singe, Colossinge ? Singe ? demanda-t-elle d'une voix un cran plus bas.

Debout sur le lit, elle tendit ses poings vers moi, paumes tournées vers le haut. Il était rare de la voir ainsi, bras écartés, mains ouvertes, comme en offrande. Si c'était ce que je pensais...

- Non, je ne changerai pas d'avis, lui opposai-je, refusant sa tentative de négociation.

Brusquement, ses poings se fermèrent. Elle les ramena le long de son corps, adoptant une posture des plus rigides, et sa fourrure se mit à grésiller, des mini arcs électriques jaillissant à chaque extrémité de ses poils. L'adrénaline s'invita dans mon organisme, l'envahissant complètement. Oh, non, non, non. Ce n'était pas comme ça que je voulais que ça se passe !

- Teigne... chuchotai-je, la gorge serrée. Ne...

Son mouvement fut rapide, et d'une réalité éphémère. Je sentis un souffle d'air sur mon visage, puis le craquement du bois qui se fendait brutalement résonna dans la chambre, comme si un pétard venait d'exploser à seulement quelques centimètres de ma personne. D'une station assise, je passai à écroulée par terre : le lit s'était affaissé d'un coup, brisé en deux sur toute sa largeur par le poing de Teigne. Elle avait tapé en plein milieu, et le sommier n'avait pas résisté, cédant sous l'impact, le tout en quelques secondes.

J'inspirai une brusque goulée d'air, haletant tel un poisson hors de l'eau. Putain, mais qu'est-ce qui lui avait pris ? Avait-elle oublié qu'en tant qu'humaine j'étais principalement constituée de morceaux tout mous, et que balancer un Ultimapoing aussi proche de moi revenait à prendre un sacré risque, ou bien s'en fichait-elle comme de sa première bagarre ? Mes doigts se crispèrent contre la moquette. Si jamais c'était le deuxième cas de figure... Une boule d'angoisse au creux du ventre, je levai le regard sur la Colossinge. Elle paraissait encore plus sauvage, ses yeux sombres fixés sur moi, la fourrure crépitante d'électricité. Avec un temps de retard, je retrouvai le contrôle de mes muscles et reculai précipitamment, mes baskets butant dans les échardes qui jonchaient le sol. Mon dos heurta le mur. Coincée.

Teigne ne me fera aucun mal. Elle ne me fera aucun mal, c'est une amie. C'est ma Teigne. Je ne risque rien.


J'avais beau me répéter cette litanie, voir la Colossinge ainsi me fichait une frousse de tous les diables. C'était allé trop loin, il fallait que ça s'arrête maintenant. Je m'emparai de sa Pokéball, car je ne voyais que ça comme solution. Teigne se raidit.

- Singe ! cracha-t-elle.

Elle se ramassa sur elle-même pour bondir et...

TCHAC ! TCHAC ! TCHAC !


Trois lianes jaillirent de nulle part, saisissant la Colossinge, lui plaquant les bras le long du corps sans ménagement, puis l'emportant hors de mon champ de vision. Dieux du Pokémonde, merci pour cette intervention au timing parfait. Je me relevai sur deux jambes tremblantes, juste à temps pour voir Teigne atterrir à l'autre bout du jardin.

- Zarre ? s'enquit mon sauveur en s'approchant de la fenêtre.

Je poussai un soupir si profond que toute molécule d'air dût quitter mes poumons.

- Merci mon Salade.

Le Florizarre se pressa contre la fenêtre, essayant d'y faire passer sa grosse tête. Je caressai le bout de son museau rugueux.

- Doucement, mon gros. Je vais devoir déjà payer assez cher pour le lit, ce serait bien si le reste pouvait rester intact.

- Flori, Florizarre, déclara-t-il de façon péremptoire.

- Oui, je sais que c'est ma santé le plus important. Mais ce n'était qu'une petite altercation avec Teigne, elle ne m'aurait pas fait de mal. Elle a juste un peu dérapé.

- Floriiizarre.

Le ton de Salade indiquait qu'il estimait que la Colossinge avait beaucoup dérapé. Je comprenais son avis, moi-même j'avais été pas mal secouée par ce qui venait de se passer. Mais malgré tout, je continuais à penser que Teigne ne m'aurait jamais volontairement blessée. Ma confiance envers elle s'en trouvai écornée, et non brisée. Il en faudrait bien davantage pour détruire ma relation avec n'importe lequel de mes Pokémon. Un coup d'œil vers le jardin m'apprit que la Colossinge s'était relevée : elle regardait dans notre direction, mais impossible de savoir ce qu'elle pensait, car je ne parvenais pas à lire son expression d'ici. Vésuve s'approcha d'elle et parut l'interroger ; elle se contenta de secouer la tête en retour, puis s'éloigna, partant se percher dans un arbre. Bien, c'était ça qui lui fallait, un moment de calme et de silence pour songer à ses actions.

Un froissement d'ailes suivi d'une ombre tombant sur moi me firent lever les yeux. Fulgure descendit du ciel pour venir atterrir avec légèreté aux côtés de Salade.

- Rapasdepic ? demanda-t-il en agitant le bec dans ma direction.

- Zarre, Florizarre, lui répondit le mastodonte vert.

L'oiseau me scruta un instant de ses pupilles perçantes avant de s'envoler à nouveau d'une puissante impulsion, disparaissant aussi vite qu'il était apparu. Seule la bouffée d'air frais qui me picotait encore la peau prouvait qu'il s'était tenu là quelques secondes auparavant.

- Tu crois qu'il m'en veut parce que je ne l'ai pas fait combattre jusqu'ici face au Conseil ? m'inquiétai-je.

Salade émit un grognement négatif, son souffle chaud me chatouillant les doigts.

- Ouais, t'as raison. C'est pas son genre.

Tout en caressant Salade, je balayai le jardin du regard, m'assurant que le reste de l'équipe allait bien. Plouf était occupé à jouer dans la mare centrale en compagnie de deux autres Pokémon aquatiques, un Lamantine et un Hypocéan qui devaient appartenir à un autre challenger. Non loin de là, Pleind'Soupe faisait la sieste, tandis que Vésuve, lui, était toujours planté face à l'arbre dans lequel avait disparu Teigne. Tous avaient l'air en forme et fin prêts pour ce soir.

- Et toi mon Salade, t'es paré pour le duel contre Agatha ?

- Florizarre ! affirma-t-il en frottant son museau contre ma main, les yeux brillants d'enthousiasme.

- Toujours prêt, hein ? Mon petit boy-scout...

- Zarre ?

- C'est un compliment, banane.

Je me penchai sur lui pour lui grattouiller les oreilles, m'étirant jusqu'à me retrouver quasiment à plat ventre sur sa large tête. Il émit un grondement satisfait, qui s'intensifia davantage lorsque je redoublai mes efforts.

- Tu ne t'attendais pas à ça, hein ? le taquinai-je. J'ai foncé droit sur ton point faible ! Il ne te reste plus qu'à admirer ma stratégie et à te rendre ! Encore une victoire de Lé-aaaaah !

La syllabe finale de mon prénom se termina en un cri car Salade venait de redresser brusquement la tête, un mouvement inattendu qui m'envoya faire une galipette et buter contre son arbre-fleur en bout de course. Quelque peu étourdie, je me redressai d'un bond, me tenant accroupie sur le dos du Florizarre, lequel lâcha un "Zarre" mêlant fierté et défi.

- Ah, tu veux la jouer comme ça ? Tu vas voir ce que tu vas voir !

Je me jetai à nouveau sur ses oreilles, mais deux lianes me barrèrent le chemin, l'une d'elles frôlant ma cheville. Danger, danger. J'esquivai cette vilaine tentative de m'attraper et partis me cacher derrière le tronc de l'arbre-fleur, échafaudant mon prochain plan diabolique. Les Oreilles de la Destinée étaient bien gardées, ça n'allait pas être facile d'y accéder. Sortant prudemment la tête à droite, puis à gauche, je surveillai rapidement le périmètre : les lianes de Salade demeuraient en embuscade. Il allait falloir jouer finement...

- Salade, regarde, y a Plouf qui t'appelle ! m'écriai-je.

Je feintai ensuite d'un côté avant de surgir de l'autre, histoire d'atteindre un maximum de désorientation. La tactique parfaite. Je ne pouvais pas échouer. Sauf qu'à l'instant où mes doigts auraient dû grattouiller les fameuses oreilles, quelque chose s'enroula soudain autour d'une de mes jambes, puis tira. Le monde partit à la renverse et je me retrouvai suspendue la tête en bas.

- Florizarre ! commenta mon Pokémon d'un air hilare, genre "haha, comme si ça allait marcher avec moi".

Je croisai les bras (pas facile à l'envers, croyez-moi).

- Ouais, bon, tu es trop fort. Je m'avoue vaincue. Repose-moi maintenant.

- Zarre ?

- Tu as très bien compris, ne fais pas semblant.

Il abaissa ses lianes d'un bon mètre jusqu'à ce que ma tête frôle le sol.

- Florizarre ! déclara-t-il d'un ton joyeux, comme pour dire "Et voilà !".

- Salade... grondai-je.

Ma fausse remontrance eut raison de lui et il autorisa enfin mes pieds à retrouver la terre ferme. Je venais à peine de retrouver mes repères que l'on frappa soudain à la porte. Oh, non. Très mauvais moment. Je n'avais pas de miroir sous la main mais j'étais à peu près sûre que je ne ressemblais à rien : cheveux complètement emmêlés, joues toutes rouges, vêtements froissés. Pas très présentable. Je demeurai donc immobile, espérant que la personne s'en irait.

Toc toc toc.


Cette fois-ci, une certaine urgence transparaissait dans les coups frappés. Bon. Avec un soupir de résignation, je refis ma queue de cheval à la hâte, lissai mes vêtements, puis allai ouvrir tout en priant pour ne pas tomber sur Zack. Le destin se montra clément : ce n'était pas mon rival qui m'attendait derrière la porte, mais une femme d'une trentaine d'années à l'air sévère. Elle eut tôt fait de m'examiner des pieds à la tête, la désapprobation se lisant clairement sur ses traits. Son expression s'assombrit encore davantage lorsque son regard se posa sur le lit en miettes ; elle parut sur le point d'émettre un commentaire, pour finalement se raviser et me tendre un papier.

- Euh, qu'est-ce que c'est ?

- Vos réponses pour l'interview d'avant-match de ce soir.

Je produisis une sorte de borborygme rappelant vaguement la plainte du cachalot échoué.

- Kwaaa ?

La femme soupira.

- Conformez-vous à ce qui est écrit, n'en déviez pas trop, et tout ira bien, me dit-elle avant d'aller frapper à la chambre d'à côté.

Je refermai la porte et m'y adossai afin de prendre connaissance des mots inscrits sur la feuille. Trois questions, et trois paragraphes en-dessous qui correspondaient à ce que j'étais censée dire. Apparemment, je voulais devenir championne afin d'honorer la mémoire de mon père défunt, et il était pour moi une inspiration dans la vie de tous les jours. N'importe quoi... quoique je doive admettre que c'était plus crédible que ma véritable motivation : l'envie définitive de me barrer d'ici pour pouvoir revenir à ma vraie vie. La deuxième question concernait Salade : je devais le qualifier de "pilier de l'équipe" - jusque là, rien d'anormal -, mais aussi préciser qu'il venait de l'élevage Poképlus à Safrania, et que je n'aurais pas pu rêver meilleur premier Pokémon tant il m'éblouissait par sa docilité et son endurance. De la pub en bonne et due forme, donc. Peut-être s'agissait-il de la vérité. Je pris mentalement note d'appeler le prof Chen afin d'éclaircir le sujet. En parvenant au troisième et dernier paragraphe, je retins un rire. C'était à propos de Zack, évidemment. D'après le papier, j'allai confier au public que mon rival et moi avions été ensemble avant qu'on ne devienne dresseurs, et qu'on avait fait le choix de rompre d'un commun accord précisément pour cette raison, afin que nos sentiments l'un pour l'autre ne viennent pas entraver notre quête. Sous-entendu : on s'aimait encore, et si je parvenais au sommet, le duel final promettait un spectacle du côté humain comme Pokémon. Alec avait vu juste.

Avec un grognement, j'expédiai le papier là où était sa place : la poubelle. Pas question que je me plie à ce manège médiatique stupide. Personne ne me dicterait quoi dire ou quoi faire, et certainement pas une bande de PNJ véreux. Toutes ces histoires de faux-semblants commençaient vraiment à me foutre en rogne. Zack avait-il eu aussi droit à des trucs de ce genre ? C'était plus que probable... Je regrettais à présent de ne pas avoir regardé ses matches, tel que je le connaissais il avait dû envoyer chier les grands pontes de la Ligue de manière plutôt spectaculaire.

Une pensée me traversa ensuite l'esprit : refuser de jouer le jeu, c'était sans doute s'exposer à des représailles. Si je renâclais face aux instructions, les foulant au pied pour les remplacer par mes propres paroles - des paroles qui ne seraient sans doute pas à leur goût qui plus est -, à quoi m'exposais-je donc ? Alec avait mentionné des enlèvements de Pokémon... La perspective me fit frissonner. Non, ils n'oseraient pas. Je leur étais encore utile, mon histoire avec Zack leur garantissait un trop beau spectacle. Ils n'allaient quand même pas passer à côté de ça. Et de toute façon, je ne les laisserai jamais toucher à mes bestioles chéries, jamais. Quant au reste... tant pis, c'en était fini pour moi de plier l'échine.

La fenêtre claqua soudain, et je revins à la réalité. Coup d'œil stratégique à l'horloge. Il ne me restait plus qu'une dizaine de minutes pour rejoindre Claire au point de rendez-vous.

J'élevai la voix :

- Salade, tu peux rassembler tout le monde ? On va y aller.

- Zarre, acquiesça mon Florizarre, avant d'ajouter : Flori ?

- Oui, tout le monde sauf Teigne, confirmai-je. Je m'occuperai d'elle en personne.

Le mastodonte vert acquiesça en silence puis se dirigea vers le fond du jardin. Quant à moi, je filai dans la salle de bain histoire de me rendre plus présentable. Ce fut l'affaire de deux minutes - bon, d'accord, cinq - et lorsque j'émergeai à nouveau, rafraîchie et ressemblant beaucoup moins à une femme de Cro-Magnon qu'auparavant, cinq Pokémon m'attendaient sagement devant la fenêtre. Au premier plan, Fulgure s'était perché sur l'arbre-fleur de Salade tandis qu'un peu en retrait, Vésuve avait lui élu domicile sur le ventre de Pleind'Soupe. Pour finir, un Plouf encore tout ruisselant servait d'arrière-plan à ce tableau.

- Je vais déjeuner avec Claire et ensuite on passera l'après-midi dans le parc, ça vous va ? m'enquis-je à la cantonade.

Divers cris d'approbation retentirent. Satisfaite, je rappelai mes Pokémon un à un, grattouillant les oreilles de Salade une dernière fois avant de le replacer lui aussi dans sa Pokéball. Puis je tournai mon regard vers l'arbre où se cachait la sixième membre de l'équipe.

- Teigne ! m'écriai-je, apostrophant la Colossinge sur un ton amical. Tu viens ?

Au début, rien ne se passa, puis au bout d'une minute une branche s'écarta pour laisser apparaître un pan de fourrure blanche, et enfin la Colossinge toute entière. Elle sauta à terre d'un bond agile, se dirigeant ensuite vers moi sans se presser, ce qui me fournit amplement le temps de jauger son humeur. Ses sourcils me paraissaient seulement légèrement froncés, et si ses poings étaient bien serrés contre ses flancs, elle se servait occasionnellement d'eux pour avancer, ce qui n'indiquait pas une attitude de combat. Je l'estimai grognonne, mais sans plus.

Lorsqu'elle parvint à ma hauteur, je me penchai pour la regarder dans les yeux.

- Écoute, je te laisse du temps, je ne vais pas te virer de l'équipe dès maintenant. Tu y réfléchis, et on en reparle, dans... disons trois jours, OK ?

Un grondement au timbre grave sortit de sa gorge, avant qu'elle ne lâche un "Singe" pour signifier son accord. Je hochai la tête à mon tour.

- Marché conclu alors.

Là-dessus, elle rejoignit les autres à ma ceinture.

Je quittai ma chambre Dracaufeu, et il ne me fallut que quelques minutes de marche avant de rallier la brasserie où Claire m'avait donné rendez-vous. Il s'agissait d'un petit établissement niché entre deux boutiques de souvenirs, très à la mode apparemment, dénommé "Le Duo des Mélofées". Je repérai directement la blonde : installée à la terrasse, elle me faisait face mais ne m'avait pas encore remarquée. Il y avait quelqu'un d'assis à la même table qu'elle, me tournant le dos, mais je n'avais pas besoin de voir son visage pour reconnaître la personne en question. Je me figeai, mon estomac protestant soudainement parce qu'un millier de papillons venaient d'y être relâchés et qu'ils cherchaient tous à s'enfuir, battant follement de leurs ailes au creux de mon ventre.

Mais qu'est-ce qu'il fout là ?


À ce moment-là, Claire m'aperçut et me fit un signe de la main. Son interlocuteur se retourna, et mes yeux plongèrent dans ceux de Zack. Instant glacial malgré la chaleur étouffante de midi. Je battis des cils, brisant le sort, puis m'avançai sans faillir à la rencontre de mon rival, ne m'arrêtant que lorsque je me trouvai à moins d'un mètre de lui. Il s'était levé entre-temps, et nous nous toisâmes en silence, aucun de nous ne bougeant d'un muscle. Son expression était fermée, identique à la mienne à présent que j'avais récupéré la maîtrise de mes émotions. Je ne laissais rien paraître de ces débiles de papillons qui faisaient la fête dans mes entrailles.

- Zack, dis-je finalement d'un ton neutre.

- Léa, répliqua-t-il en imitant à la perfection mon intonation.

- Tout va comme tu veux ?

- Parfaitement. Et toi ?

- Tout est cool.

- Cool, répéta-t-il, reprenant mon mot pour se l'approprier, comme un défi.

Et toujours ce regard lourd de sens, ce masque d'impassibilité sur ses traits.

- Bonne chance pour ce soir, conclut-il avant de me contourner pour s'en aller.

Je demeurai silencieuse, résistant à l'envie de me retourner pour lui balancer une pique bien placée. Ce fut seulement lorsque je fus certaine qu'il soit hors de vue que je daignais m'asseoir. Claire se racla la gorge, une moue amusée tordant ses lèvres.

- C'est beau l'amour, soupira-t-elle.

Je l'arrêtai d'un geste péremptoire.

- Tout autre sujet que Zack, s'il te plaît.

- Il voulait juste savoir comment tu allais ! Tu sais, je pense qu'il s'inquiète pour toi, la pression des épreuves de la Ligue n'est pas à prendre à la légère et...

- Claire. S'il te plaît.

La blonde eut un sourire avant d'accéder à ma requête.

- Bon, qu'est-ce que tu vas commander alors ?

Je me plongeai dans la carte du restaurant pour oublier le reste.

***

Le grondement de la foule, titanesque. Des milliers de mains qui claquaient en rythme, et une clameur assourdissante qui sortait d'autant de gorges, le tout se conjurant pour former une lourde chape sonore qui m'assaillait, pressant de tous côtés. Le stade tout entier vibrait, je sentais le sol trembler sous mes pieds. Trembler au son d'un seul nom.

- Agatha, Agatha !

La fille avant moi avait abdiqué afin de sauver son dernier Pokémon et la foule applaudissait son bourreau, scandant les mêmes trois syllabes encore et encore. Célébrant la cruauté de la membre la plus âgée du Conseil des Quatre. Agatha. Une simple vieille femme au dos voûté qui ne payait pas de mine au premier abord. Diffusé sur tous les écrans, son visage buriné par le passage des années arborait une expression bénigne, m'évoquant celui de notre voisine âgée lorsqu'elle m'offrait des bonbons en récompense d'avoir promené son chien. Elle était vêtue d'une robe rose foncé à la facture classique, un châle gris recouvrait ses cheveux d'un blond tirant sur le blanc, et elle s'appuyait sur une lourde canne, entretenant ainsi l'illusion de la grand-mère inoffensive. Une image savamment calculée. On aurait presque pu croire qu'elle s'était égarée dans l'immensité du stade et avait échoué par mégarde sur l'une des plate-formes. Presque. Car ses yeux couleur d'encre, eux, recelaient bien davantage que ceux d'une gentille mamie. D'un noir satiné, ils brillaient d'une texture semblable à la peau d'ombre de ses si célèbres Pokémon spectres, et lorsque ces derniers avaient anéanti l'équipe adverse, les yeux sombres d'Agatha s'étaient parés des reflets d'un plaisir non dissimulé.

J'avais assisté à tout le combat depuis le tunnel des challengers. Nous étions tenus d'arriver une heure à l'avance au cas où il y aurait un désistement avant notre tour, et je m'étais donc trouvée aux premières loges pour voir les deux Ectoplasma se jouer des Pokémon de la fille, les uns après les autres, leur faisant perdre la tête avec leurs Ondes Folie et leurs Hypnoses tandis qu'ils demeuraient bien à l'abri de toute riposte grâce à la tactique du Reflet. Ça avait été douloureux et sanglant, sans même le soulagement d'une mort rapide car les spectres - ou plutôt, leur dresseuse - avaient pris un malin plaisir à faire durer le suspens, allant jusqu'à offrir de dangereuses opportunités à leurs adversaires pour mieux retourner le couteau dans la plaie lorsque celles-ci s'avéraient n'être que chimères. Il y avait eut un Florizarre parmi les Pokémon de la fille, et assister à ses sursauts d'agonie avait été particulièrement dur.

Mais à présent, au moment d'entrer en scène, j'étais plus calme que jamais.

- Tu vas le faire ?

La voix me tira de mon état de pure concentration. Je m'étais entièrement focalisée sur le combat à venir, au point d'en oublier ce qui m'entourait. Me détournant de l'arène, je pivotai donc, clignant des yeux dans la semi-pénombre du tunnel afin de distinguer la personne qui venait de m'interpeller. C'était la gamine aux cheveux bleus. Mélodie, me souvins-je.

- Faire quoi ? lui demandai-je.

- Tuer quelques-uns des Pokémon de la vieille. Ce serait l'idéal pour moi. Elle serait obligée de se rabattre sur ceux de rechange, et ils sont jamais aussi bons. Le Tygnon bis d'Aldo était pathétique, d'ailleurs. En fait le mieux ce serait que tu les tues tous, comme ça j'aurais même pas à me fatiguer.

L'éclat de ses dents brilla dans l'ombre alors qu'elle terminait sa phrase avec un sourire. C'était ptet une gamine, mais elle avait la niaque. Et tout comme son père, sa voix dégageait un élément glacial. Associée à de telles paroles, effrayantes pour quelqu'un d'aussi jeune - elle avait quoi, douze ans grand max ? -, l'effet était d'autant plus dérangeant.

- Je préfère éviter de tuer qui que ce soit, répondis-je.

Je m'aperçus que je triturais pensivement la Pokéball de Teigne et m'obligeai à croiser les bras. Face à moi, Mélodie prit l'air blasé.

- Mouais. J'ai des doutes sur ta réussite, du coup.

- Ce n'est pas le cas de ton père, ou alors il ne m'aurait pas proposé de me servir de mentor.

- Mon père, c'est le meilleur, fut tout ce que j'obtins en réponse.

J'aurais bien aimé creuser davantage la question mais la voix du commentateur nous interrompit soudain :

- Et maintenant, voici une challenger que vous connaissez bien, une challenger qui a triomphé d'Olga avec facilité et qui a laissé Aldo au tapis, une challenger qui semble extrêmement bien partie pour aller taquiner notre tout nouveau champion... j'ai nommé Léa Norelle !

Je quittai le tunnel, accompagnée par un "Amuse-toi bien" de Mélodie, et débouchai dans le stade, récoltant un déluge d'applaudissements de la part du public. Gardant une expression impassible, j'adressai un bref salut à toute cette foule occupant les gradins.

Oui, c'est moi, votre future championne, la fille qui vient d'un autre monde.


Alors que je m'approchai de ma plate-forme, je notai la présence d'un reporter en embuscade. Je n'allai pas pouvoir y couper, à leurs fameuses trois questions... C'est donc les dents serrées que je me présentai face à la caméra, mes réponses au bord des lèvres. Lorsque j'arrivai à sa hauteur, le reporter me gratifia d'un sourire à trois mille watts. Aïe. C'était possible, des dents aussi blanches ?

- Léa, Léa, Léa ! m'accueillit-il avec une amabilité qui n'avait rien à envier à celle de la Pokémère. J'aurais tant de questions à vous poser, mais hélas le match commence dans quelques minutes.

- Faites court, alors.

Ma voix me parvint en écho, résonnant dans tout le stade. Coup d'œil vers le haut : ah oui, mon visage apparaissait sur tous les écrans... Tiens, je ne l'avais pas remarqué ce matin, ce gros bouton sur mon menton.

- Léa, les spectateurs sont impatients d'en savoir plus à votre sujet ! continua mon interlocuteur. Tout d'abord, peut-on savoir ce qui vous inspire en tant que dresseuse ? Pourquoi vous être lancée dans une telle aventure ?

- Je me suis fait une promesse et je la tiendrai. C'est tout.

- Voilà une réponse qui a le mérite d'être claire et concise ! approuva le reporter. Le reflet parfait de votre style de dressage, n'est-ce pas ? En parlant de dressage, venons-en à vos Pokémon : je crois savoir que le désormais célèbre Salade était votre tout premier. Quels ont été les facteurs qui ont guidés votre choix ?

- À vrai dire, je n'y ai pas vraiment réfléchi. Je pensais simplement mieux me débrouiller avec le type plante.

Le reporter attendit quelques secondes après la fin de ma phrase, gardant le micro tendu dans ma direction, espérant sans doute que j'allais étoffer ma réponse. Lorsqu'il se rendit compte que ce ne serait pas le cas, il enchaîna sur la troisième question :

- Avec le récent sacre du nouveau champion, vous devez ressentir une pression particulière j'imagine... Zack Chen et vous venez du même village, vous avez effectué votre récolte des badges en parallèle, il y a là toute une histoire ! Je crois que beaucoup de gens dans le public s'interrogent sur la nature de votre relation. Pourriez-vous éclairer leur lanterne ?

- Il n'y a rien à éclairer. Zack est mon rival, et je compte le battre afin de devenir championne. Fin de l'histoire.

Le reporter parut pris de court un tout petit instant, puis retrouva son sourire illico :

- Hé bien, merci Léa, et bonne chance pour ce combat ! déclama-t-il face à la caméra.

La formalité de l'interview expédiée, je montai sur la plate-forme qui s'empressa de m'emmener dans les airs. Fini de parler, place à la bagarre. Une main sur mes Pokéballs, épaules rejetées en arrière, regard planté dans celui de mon adversaire : j'étais prête. Prête à tout. Agatha, elle, affichait un sourire, le même étirement de lèvres froid et dur qu'elle avait arboré lorsque ses Pokémon avaient tué ceux de la fille d'avant. J'allai l'effacer de son visage, me promis-je en m'emparant de ma première Pokéball. La vieille femme fit de même, et la foule s'agita alors que le commentateur annonçait le début du combat.

- Et voilà que nos deux combattantes font appel à leurs Pokémon initiaux ! Pour Agatha, il s'agit sans surprise de l'une de ses Ectoplasma, Vermine me semble-t-il ! Tandis que du côté de notre challenger, nous avons Fulgure, le bien nommé Raspadepic dont ce sera le premier duel face à un membre du Conseil ! Pourvu qu'il soit à la hauteur !

Fulgure avait jailli comme une flèche de sa ball et s'était empressé de monter dans le ciel. Il surplombait à présent le terrain, son ombre se découpant sur le sol à côté de l'Ectoplasma, toutefois bien incapable de rivaliser avec ce qui tenait lieu de corps à la Pokémon spectre : une multitude d'ombres, ni plus ni moins, à l'aspect lisse et huileux, toutes concentrés en une seule silhouette spectrale, d'une couleur à mi-chemin entre le noir et le violet - excepté pour les pics dans son dos, qui eux étaient d'un noir plus sombre qu'une nuit sans étoiles. Au milieu de toute cette obscurité, ses dents blanches brillaient, découvertes dans un sourire démoniaque, tandis que ses deux yeux rouges fixaient Fulgure sans ciller.

Imperturbable, le Rapasdepic continuait à planer. Je lui avais déjà communiqué ses instructions, et il les appliqua au sortir d'un tournant qui l'amena à portée de son adversaire tout en le rapprochant sensiblement du sol. Son attaque fut à l'image de son nom : fulgurante. Ses ailes claquèrent, l'air frémit sous la double onde de choc et deux lances immatérielles fusèrent vers le sol. L'Ectoplasma les esquiva l'une comme l'autre, avant de se dédoubler une fois, puis deux, son image se troublant encore jusqu'à ce que six versions d'elle se dressent dans l'arène, six ombres malveillantes entachant le sable blanc. Reflet. Je sentais que cette tactique allait rapidement me porter sur les nerfs.

Je donnai l'ordre à Fulgure de ré-attaquer, ce qu'il fit aussitôt, se choisissant deux cibles parmi toutes celles qui s'offraient à lui. Les deux mauvaises : les lames d'air effilées creusèrent simplement deux tranchées jumelles dans le sable, brouillant les images des deux illusions respectives sans faire le moindre mal à la véritable Ectoplasma. Les yeux de la Pokémon spectre se mirent soudain à briller énormément et un son crissant m'irrita les tympans, tandis que le commentateur s'en donnait à cœur joie, remarquant d'une voix à la résonance bien trop amplifiée qu'il s'agissait là d'un début de combat classique pour Agatha.

Je débranchai la partie de mon cerveau liée à l'écoute des paroles humaines (pas une grande perte de toute façon vu les circonstances) afin de pouvoir me concentrer davantage sur Fulgure. L'Onde Folie avait eu des effets indéniables car son vol devenait vacillant, le Raspadepic perdait de l'altitude sans sembler tout à fait maîtriser sa descente. Il effectua un brusque tonneau dont il faillit perdre le contrôle, l'une de ses ailes tremblant dangereusement, mais se redressa finalement, se stabilisant au prix d'un effort, et enchaîna avec une énième Ailes d'Acier. Presque au même instant, l'Ectoplasma se propulsa dans les airs, son corps trapu formant comme un boulet de canon en multiples exemplaires alors que les six versions d'elle-même fonçaient droit vers Fulgure, une balle d'ombre identique grossissant entre leurs douze mains. De quel côté la Pokémon spectre allait-elle frapper ? Fulgure devait se poser la même question, et il résolut de plonger pour éviter l'impact, suivant le même chemin que la double onde de choc provoquée par ses ailes une fraction de seconde plus tôt. Vitesse contre vitesse, une forme ailée d'un côté, une silhouette drapée d'ombres de l'autre.

La suite se déroula trop rapidement pour être visible à l'œil nu ; à peine le temps de cligner des yeux et Fulgure planait très haut tandis que l'Ectoplasma se trouvait à nouveau au sol. Je ne découvris ce qui s'était passé qu'en observant le ralenti de l'action sur le grand écran. L'une des piques d'air avait avait trouvé la bonne version parmi les doubles et ouvert un sillon sur le côté du corps lustré de l'Ectoplasma, quoique que cela n'ait pas suffit à la ralentir, car elle avait ensuite décoché un poing ourlé d'ombre en direction de Fulgure. Le Rapasdepic avait plongé en piqué pour éviter l'attaque qui n'avait fait alors que l'effleurer, dérangeant à peine quelques plumes sur sa tête, puis il avait rasé le sol à une vitesse folle, soulevant une gerbe de sable dans son sillage, avant de remonter tout aussi sec, le tout dans un seul mouvement fluide, tel le maître des airs qu'il était incontestablement. La foule avait salué cette manœuvre d'une salve d'applaudissements qui n'en finissait toujours pas de retentir tandis que Fulgure planait à présent au-dessus de l'arène, surveillant le terrain de ses yeux perçants. Sans doute essayait-il de déterminer laquelle des quatre images restantes étaient la véritable Ectoplasma. Des lambeaux d'énergie obscure s'échappaient de la plaie qu'il lui avait infligée, s'évaporant avant de toucher le sol - du sang qui, pour aussi fantomatique qu'il fût, indiquait clairement lequel des deux Pokémon partait gagnant dans ce duel.

Confiante, j'indiquai la suite à Fulgure. Il prit davantage de hauteur, puis vira sur l'aile et s'engagea dans une spirale vrillée, se laissant tomber droit sur l'une des versions de l'Ectoplasma pour venir lui racler le visage de ses serres. Une chance sur quatre, et...

Touché.

Un flot de ténèbres s'écoula de la blessure ouverte, jusqu'à donner l'étrange impression que l'Ectoplasma n'était qu'un ballon de baudruche empli d'obscurité que l'on venait de percer ; ses doubles s'évanouirent sans un bruit alors que les contours de la Pokémon spectre vacillaient. Elle semblait sérieusement amochée... trop pour riposter ? En tout cas, elle demeura immobile, autorisant Fulgure à remonter indemne vers les hauteurs.

Un ding cristallin signala soudain l'usage d'une Guérison pour Agatha. Rien d'inattendu, cela paraissait logique à ce stade, mais je n'aurais pu rêver mieux comme situation : mon adversaire en difficulté dès le premier affrontement, obligée de dépenser une carte soin tandis que je conservais les deux miennes. L'habituelle lumière psychique vint nimber l'Ectoplasma de sa chaude aura, comme une gangue d'or encerclant la débauche d'ombres qu'était devenue la Pokémon spectre, allant presque jusqu'à annuler ses ténèbres tant son éclat était vif. Et puis la seconde d'après, la lueur s'évanouit, ne laissant sur le terrain que la Pokémon spectre revêtue de son manteau d'obscurité, à nouveau en pleine forme. Son regard rouge, auparavant fixé sur Agatha, passa à Fulgure, acquérant pour l'occasion une flamme malicieuse.

- Le combat acharné continue ! s'exclama ce cher commentateur dans un autre exemple d'une de ces magnifiques phrases vides qui voulaient à la fois tout dire et rien dire.

Agatha donna son ordre (ou du moins je pensais que c'était de ça qu'il s'agissait lorsqu'elle tapa trois fois sa canne au sol), je fis de même, et nos Pokémon se ruèrent l'un sur l'autre. Fulgure, le bec en avant. Vermine, souriante, mains tendues. Je crus qu'elle allait frapper son adversaire dans une tentative de le déséquilibrer, mais au dernier moment, juste avant que l'impact n'ait lieu entre les deux combattants, elle ouvrit la bouche, et ce fut un flot de liquide violet qui monta à l'assaut du Rapasdepic. Il poissa ses plumes, éclaboussant largement son poitrail et striant le reste de son corps d'un millier de gouttelettes pulvérulentes. Avec un cri retentissant, Fulgure répliqua d'un coup de bec tout en vrillant son corps, creusant une profonde entaille dans le flanc de la Pokémon spectre. Cette dernière se replia ensuite à terre tandis que le Rapasdepic redressait son vol et se secouait, cherchant à se débarrasser de la substance visqueuse collant à son plumage. Sans effet évidemment : le Toxik était tenace.

Je fis signe à Fulgure de se concentrer sur son attaque, c'était par là que nous accéderions à la victoire. Plus crispé qu'à l'ordinaire, le Raspadepic fondit sur l'Ectoplasma, renouvelant son Bec Vrille avec succès. Ou presque - je m'étais un peu trop avancée quant à cette dernière partie. Son coup aurait touché au but si la spectre ne s'était pas jetée sur le côté à la dernière seconde ; au lieu de ça, le bec de Fulgure ne fit que fendre l'air et son ventre frôla le sable alors que l'oiseau modifiait son plongeon à la verticale en trajectoire horizontale - de justesse d'ailleurs, mais je ne m'inquiétais pas outre mesure : il n'était pas encore venu le jour où le Rapasdepic se planterait dans une manœuvre aérienne. Sauf qu'à l'instant où je me faisais cette réflexion, un son haché tout ce qu'il y a de plus désagréable rattrapa Fulgure et ses ailes se mirent à battre maladroitement, perdant leur tempo parfait. En pleine perte de vitesse, il tourna la tête à droite, puis à gauche, ce qui le déséquilibra encore davantage : le contrecoup de l'Onde Folie.

- Fulgure ! m'écriai-je, lui offrant le repère de ma voix.

Demi-tour en un éclair. Accélération. Une traînée brune traversa le terrain, passa au niveau de l'Ectoplasma, puis continua, continua...

Fulgure ne s'arrêtait plus.

Je crus qu'il allait percuter le mur de l'arène et serrai instinctivement les mâchoires en prévision du choc, mais il perdit finalement de l'altitude jusqu'à s'échouer dans le sable sous les exclamations de la foule, à quelques mètres du bas des gradins. Le replay sur les grands écrans m'indiqua que son attaque, pour peu maîtrisée qu'elle ait été, avait néanmoins touché sa cible, et l'Ectoplasma arborait une plaie d'où fuyaient de sombres émanations. Une plaie qui avait néanmoins coûté cher au Rapasdepic : sans doute à bout de forces, il gisait sur le flanc, son poitrail se soulevant rapidement tandis qu'il tendait son long cou vers le ciel pour aspirer autant d'air qu'il le pouvait. Repliées contre son ventre couleur crème, ses serres tremblaient. Tout ça n'était pas tant l'œuvre de l'Onde Folie, mais plutôt celle du poison vicieux qui teintait ses plumes de violet et polluait ses veines.

Toxik.

Une attaque à ne pas sous-estimer.

Je cherchai le regard de Fulgure, un dernier indice pour jauger de son état. Le trouvai - pupilles dilatées, fixes. Emplies de confusion. Je n'hésitai qu'un bref instant avant de réclamer une Guérison pour l'oiseau. Le rappeler aurait certes été plus simple, mais une telle action m'aurait potentiellement placée dans une situation délicate lors de la suite du duel, sans compter que j'aurais bien voulu une victoire pour le premier combat de Fulgure contre le Conseil. Le choix du soin, donc. Auréolé d'un éclat doré, le Rapasdepic ne perdit pas de temps avant de se redresser vivement, puis de battre des ailes une ou deux fois et de prendre son envol d'une belle impulsion. Le maître des cieux était de retour, ce qu'il fit savoir d'un cri strident, auquel le public répondit d'une série d'acclamations - il y eut aussi des huées, bien entendu.

Durant cet intervalle, Agatha en avait profité pour ordonner à sa Pokémon de jouer Reflet, et Fulgure devait à présent faire face à six copies de l'Ectoplasma. Comptant sur lui pour distinguer laquelle était la bonne - après tout, il avait de bien meilleurs yeux que moi -, je me grattai la tempe : le signal du Vol. Virement sur l'aile de la part de Fulgure, suivi d'un plongeon abrupt. Ses serres se tendirent, s'ouvrirent alors qu'il opérait un mouvement calculé au millimètre prêt...

Tout était parfait.

Tout, excepté le choix de la cible, et les serres meurtrières ne se refermèrent que sur du vide, traversant l'image fantôme de Vermine sans éprouver la moindre résistance.

L'Ectoplasma fut prompte à contre-attaquer, son poing frappa Fulgure à la jointure du bec, brut, semant des flammèches d'ombre lors de l'impact. Aïe. C'était un beau coup bien net, porté avec pas mal de force - Teigne aurait sans doute apprécié la technique derrière l'action. Ébranlé, le Rapasdepic dévia de sa trajectoire, se dégageant pour prendre de l'altitude. Mais il ne s'agissait là que d'une feinte, car il fit aussitôt volte-face dans une rafale ailée pour foncer sur Vermine. Il l'atteignit en un instant et se mit à vriller son corps alors que la pointe effilée de son bec fouaillait vicieusement l'intérieur de l'Ectoplasma, s'y enfonçant profondément - et implacablement. Je vis la Pokémon spectre tituber, tentant de rester debout ; une ultime bourrasque déclenchée par Fulgure tandis qu'il repartait vers les hauteurs l'envoya finalement à terre. Elle dût maudire la rapidité de son adversaire dans sa chute, cette si légendaire fulgurance qui lui avait offert la victoire.

Je souris et remerciai le Raspadepic d'un signe de la main avant de le rappeler. Agatha avait fait de même avec sa Pokémon, la foule s'agitant, commentant ce résultat. Le commentateur y mit son grain de sel lui aussi :

- Le premier des duels se solde donc en faveur de Léa ! Notre challenger démarre fort, mais nous savons tous qu'Agatha n'a pas dit son dernier mot ! Mes amis, je sens que ce match va être serré ! Quels Pokémon vont maintenant choisir les dresseuses ?

Deux flashs de lumière rouge illuminèrent le stade ; les deux réponses à la question se matérialisèrent sans attendre. Du côté de la vieille femme, une Nosferalto, surnommée Razia d'après le commentateur, et du mien, mon cher Vésuve. Au sortir de sa Pokéball, le Magmar planta fermement ses pieds dans le sable, gonflant le torse tout en défiant la Pokémon ailé du regard, qui elle agita ses larges ailes membraneuses, sortant une langue énorme et se léchant le pourtour de sa bouche. Les flammes de Vésuve flamboyèrent vivement en réponse, sa queue s'agita telle celle d'un chat, fouettant l'air avec la même intensité.

Échange de regard entre moi et le Magmar. Un simple hochement de tête suffit pour communiquer mes ordres. Tout en bas, mon Pokémon frappa ses poings l'un contre l'autre, soufflant une gerbe de feu par le nez. Juste une manière de s'échauffer pour lui... La Nosferalto avait également fait jouer ses ailes une ou deux fois, mais elle n'attendit pas davantage, prenant son essor dans un claquement sec. Elle n'était pas aussi rapide que Fulgure mais faisait tout de même montre d'une sacrée vélocité, et il ne lui fallut qu'une poignée de secondes avant de survoler Vésuve, son ombre plongeant le Magmar dans l'obscurité une brève seconde.

Instant feutré avant le début effectif des hostilités.

Puis la Nosferalto replia ses ailes afin de descendre en flèche, prédatrice aux crocs étincelants fondant sur sa proie. Proie qui ne bougea pas d'un pouce. Jusqu'au dernier moment, Vésuve resta de marbre ; il avait apparemment décidé d'attendre que son adversaire soit la plus proche possible avant de lancer son attaque. C'était une stratégie que nous avions révisée ensemble : elle maximisait les chances de faire des dégâts et réduisait grandement celles de manquer sa cible. Le résultat fut explosif, les deux assauts se rencontrant dans un choc vibrant de couleurs et de sons qui balaya tout le reste. Le Tranch'air siffla, produisant un bruit si aigu que les boucliers psychiques qui me protégeaient en tremblèrent, et des dizaines d'éclats de lumière laiteuse lacérèrent la peau de Vésuve, tranchant l'air et la chair dans toutes les directions, tandis qu'au même instant la Déflagration explosait au visage de la Nosferalto, l'enveloppant dans un enfer de flammes, le feu léchant avidement sa peau. Une odeur âcre monta jusqu'à mes narines.

Un nuage de fumée s'était formé, épais et ronflant, duquel jaillit soudain la Nosferalto, des braises encore rougeoyantes parsemant son corps. Elle les chassa d'un coup d'ailes avant de prendre de la hauteur, surplombant de nouveau le Magmar. Lui n'avait pas l'air trop mal en point comparé à son adversaire : là où la peau de la Nosferalto avait souffert et affichait de nombreuses marques de brûlures, celle de Vésuve ne dénombrait que quelques lacérations, saignant abondamment, mais peu profondes à première vue.

C'était le moment de pousser notre avantage. Je donnai le signal correspondant, Vésuve accusa réception en inclinant la tête. Un crissement stridulant s'éleva, faisant frémir mes nerfs bien que je n'en sois pas la cible. Là-haut, la Nosferalto tressaillit, puis se figea dans une posture tendue à l'extrême, les yeux exorbités. Ressentait-elle de la peur ? Ou bien le simple égarement qui venait habituellement avec l'Onde Folie ? Quoi qu'il en fût, elle commença à perdre de l'altitude, planant selon une trajectoire descendante, droit vers Vésuve qui se tenait prêt à l'intercepter. Elle s'approcha lentement, les ailes toujours immobiles, chevauchant les vents sans le moindre bruit. L'expression des Nosferalto n'était pas des plus faciles à déchiffrer, mais si je me basais sur mon expérience avec Souris, la Nosferalto d'Agatha se trouvait sous l'emprise de l'Onde Folie : pupilles fixes, visage crispé, air perdu.

Sauf qu'à la seconde où la Pokémon ailée fut à portée du Magmar, l'air parut se cristalliser, se saturant d'une centaine d'éclats acérés qui fusèrent brusquement, tel autant de fragments d'un miroir que l'on venait de laisser tomber au sol. Je retins un cri de surprise, saluant mentalement le bluff d'Agatha et de sa Nosferalto. Feindre d'être atteinte par une Onde Folie, c'était pas mal - ou alors, la Pokémon ailée disposait d'un temps de récupération remarquable. Quoi qu'il en soit, Vésuve ne put éviter la trombe de débris arrivant sur lui, et il récolta de multiples coupures, cette fois bien plus profondes que les précédentes. De longues traînées de sang allèrent tâcher le sable, le pourpre souillant le blanc. Courbé en deux pour protéger ses centres vitaux, le Magmar laissa échapper un grognement, puis il tomba à genoux face à son adversaire, qui elle recula en battant lentement des ailes pour se placer en vol stationnaire, toujours à portée.

Elle va recommencer, Vésuve, ne te fais pas avoir...


Exauçant ma prière, le Magmar lâcha une brusque flamme et se reprit, relevant la tête pour fusiller la Nosferalto du regard. Il me tournait le dos, mais ses yeux étaient apparus en gros plan sur les écrans et je vis ce que je soupçonnais : ils brillaient. Et pas qu'un peu.

Ondoiement de l'air entre les deux Pokémon.

Une plainte s'éleva, un cri rauque sorti de la gueule de la Nosferalto. Puis il s'interrompit, coupé net, tandis que la Pokémon s'écrasait au sol. Toujours vivante, quoique "de justesse" d'après le commentateur. Il disait sans doute ça pour le côté spectacle du match, et cela fonctionna à merveille auprès des spectateurs, qui s'époumonèrent, certains pour m'encourager, d'autres pour déplorer la défaite de la Nosferalto. La vague d'applaudissements qui suivit fit naître un sourire sur mes lèvres, bien malgré moi. Je ne voulais pas de toutes ces acclamations, ne voulais pas être portée en triomphe. Je n'étais pas là pour ça, contrairement à tant d'autres. Mais il m'était difficile de rester de marbre au milieu de cette marée humaine venue pour m'applaudir.

Vésuve, lui, accepta les compliments de bonne grâce, effectuant même une petite révérence. Il allait sûrement se vanter de son succès auprès de Teigne une fois de retour dans la chambre. Je le rappelai pour le moment, choisissant la Pokéball suivante à ma ceinture. Agatha brandissait déjà la sienne. Nos Pokémon furent libérés au même instant, et la voix du commentateur résonna, comme à son habitude :

- Déjà la troisième manche, chers amis ! Elle opposera Lill l'Arbok à Plouf le Léviator, deux Pokémon serpents gonflés à bloc !

Tellement gonflés qu'ils n'attendirent pas que le mec ait fini sa petite présentation avant d'attaquer : de grosses boules de ce qui ressemblait à de la morve violette jaillirent de la gueule de l'Arbok, lâchant un liquide fétide dans leur sillage, alors que Plouf produisait un jet d'eau déferlante. Il rencontra l'un des projectiles nauséabonds et le repoussa vers son expéditeur, mais les quatre autres passèrent sans encombre, s'écrasant sur la tête du Léviator en déversant leur contenu puant. Rugissement de la part de Plouf, sans que cela n'affecte toutefois son Hydrocanon, dont la violence avait plaqué l'Arbok contre le mur en bas des gradins. Noyée sous une cataracte d'eau, la cobra tenait le coup, endurant le déluge.

Lorsque le flot se tarit, elle quitta la mare qui s'était formée pour s'avancer sur le sable, ses écailles ruisselant sous les lumières des projecteurs. Rampant droit vers Plouf. Elle semblait petite comparée au Léviator, bien qu'elle fasse tout de même plus de trois mètres, mais ce qu'elle perdait en corpulence, elle le gagnait en vivacité, promettant un combat éclair qu'il nous fallait gagner au plus vite. Son assaut allait être physique, je devinai une Queue de Fer en voyant son corps briller de reflets métalliques. Arrivée à la hauteur de Plouf, elle se contorsionna et abattit sa queue renforcée sur le flanc droit du Léviator. Au rugissement de douleur du serpent de mer se mêla un son semblable à celui d'un marteau frappant une cloche, la forte résonance se réverbérant dans tout le stade, et chacun put constater que le coup avait enfoncé les écailles bleues, le sang suintant par en-dessous. Sitôt l'attaque portée, Plouf répliqua par une Morsure, brutale au possible, ses dents déchiquetant la chair de l'Arbok alors même qu'il la soulevait entièrement dans les airs. Il secoua la tête de droite à gauche, tel un chien avec son jouet, puis la projeta au loin d'un mouvement de son cou. Elle atterrit dans le sable après un court vol planté, se redressa en sifflant, sa langue fourchue pointant entre ses crocs. Il commençait à y avoir beaucoup de sang sur le terrain, entre le sien qui maculait tout son côté gauche et celui de Plouf qui jaillissait de plus en plus rapidement de sa plaie.

L'Arbok fit à nouveau mine de s'approcher, et j'ordonnai au Léviator de l'en empêcher : la vague d'eau qu'il déploya frappa la cobra en pleine face, la repoussant de plusieurs mètres. S'en tenant à un assaut à distance, la Pokémon d'Agatha expédia cinq nouvelles boules de liquide putride en direction de Plouf. Elles suivirent une trajectoire parabolique, deux se perdirent de chaque côté du Léviator tandis que les trois restantes passaient sans encombres, touchant le Léviator au visage. L'une d'entre elles dégoulina même sur son œil droit, la substance crasseuse handicapant sa vision. Le liquide avait également atteint les narines de Plouf, lequel renifla tout d'abord, puis éternua puissamment, éjectant des gouttes du fluide visqueux aux alentours. Oh, ça ne lui plaisait pas du tout - et à moi non plus, parce qu'il était probablement empoisonné et si je ne terminais pas le combat d'ici un round ou deux, j'allais devoir utiliser l'un de mes deux Guérisons.

Fini de jouer, donc.

Je donnai l'ordre qui mettrait fin à l'affrontement.

Un point de lumière multicolore naquit dans la gueule de Plouf, se déploya en faisceau, et franchit la dizaine de mètres séparant les deux Pokémon, heurtant la cobra en plein poitrail. Bruit de tonnerre. Le choc fut si violent que l'onde qui en résultat balaya tout le sable aux alentours, créant un mini-cratère et révélant le sol nu de l'arène. Les grains retombèrent en pluie alors que l'Arbok s'écroulait silencieusement, son corps se recroquevillant sur lui-même. Morte ? Agatha laissa planer le suspens un moment avant de la rappeler, et les caméras se concentrèrent alors sur la Pokéball qu'elle tenait, montrant que le sommet était resté rouge. Je songeai à Mélodie et à la déception qu'elle devait ressentir. Puis à son père, Alec, et à la proposition qu'il m'avait faite - et à laquelle je ne lui avais toujours pas donné de réponse. À vrai dire, je ne savais pas trop quoi en faire, de cette offre. Ça ne m'aurait probablement rien coûté d'accepter, mais Claire avait raison, le mec en lui-même était louche. Et quand un mec louche vous propose un bonbon, en général, c'est mauvais signe.

La voix du commentateur qui annonçait la quatrième manche me sortit de mes réflexions. Je replongeai dans l'action, libérant Pleind'Soupe. Il se retrouva face à la seconde Ectoplasma d'Agatha, qui allait elle aussi constituer un gros morceau, à l'instar de la première. Pleind'Soupe était heureusement réveillé, je lui transmis ses ordres d'un vif mouvement de la main. Je ne me faisais cependant pas d'illusion sur son temps de réaction par rapport à celui de l'Ectoplasma, et ne fus pas surprise lorsqu'il ferma soudain les yeux, l'Hypnose le prenant entre ses griffes. À cet instant, je considérai brièvement un changement de stratégie, à savoir confier à Teigne la tâche de s'occuper de la Pokémon spectre, avant de décider de donner sa chance à Pleind'Soupe. Contrairement à la Colossinge, le Ronflex était solide et pouvait encaisser plusieurs attaques sans risque.

Restée à distance, l'Ectoplasma faisait pleuvoir les Bomb-Beurk sur le gros Pokémon. Impossible de manquer une cible aussi volumineuse, et le ventre du Ronflex fut bien vite peinturluré d'un violet sombre, le liquide dégoulinant de chaque côté et poissant son pelage. Un tel traitement ne suffit toutefois pas à le réveiller, et je sus que l'Ectoplasma était passée à une autre tactique lorsque les membres de Pleind'Soupe tressautèrent soudain. Cauchemar. Comme je détestais cette attaque - ou toute autre forme d'assaut mental, en fait. Les pattes arrières du Ronflex martelèrent le sable, signe évident de son sommeil plus que troublé, et je vis des blessures apparaître d'elles-mêmes sur son ventre, comme des griffures fantômes lacérant sa chair, mêlant son sang à la substance visqueuse des Bomb-Beurk. Oh, ça, c'était fourbe.

Réveille-toi mon Pleind'Soupe, allez...


Mes mains se crispèrent sur la rambarde métallique de ma plate-forme. J'étais quasi-sûre qu'il pouvait en supporter davantage, et qu'appuyer sur le bouton soin maintenant reviendrait à gâcher une Guérison.

Quasi
-sûre. Là reposait tout le problème.

L'hésitation monta en moi, et alors qu'elle menaçait d'atteindre son paroxysme, les yeux du Ronflex s'ouvrirent soudain. Il se leva, fixa l'Ectoplasma d'un air dérouté, puis parut se souvenir de quelque chose. En quelques secondes, le vent se leva au cœur de l'arène, faisant tourbillonner les grains de sable dans une folle sarabande, fouettant violemment le visage de l'Ectoplasma. Avec les bourrasques vint le froid, glacial, emprisonnant la Pokémon spectre au sein d'une tempête de glace et de neige, et la tourmente se déchaîna. Le son des éléments en furie faisait crachoter les haut-parleurs ; je frissonnai alors que la soudaine fraîcheur de l'air me parvenait. La densité des flocons était telle qu'on ne voyait même plus la silhouette d'ombre au sein du blizzard : le blanc régnait en maître.

Pleind'Soupe émit un grondement satisfait, puis s'assit, contemplant la tempête qu'il avait créée. Moi, j'attendais d'en voir le résultat, le cœur battant. On avait déterminé avec Vivian qu'un seul Blizzard ne serait pas suffisant pour mettre à terre les Ectoplasma d'Agatha, mais en revanche, l'attaque pouvait avoir des effets secondaires ô combien intéressants. Et en cas précis, j'eus de la chance, car lorsque les vents s'apaisèrent et que le rideau de neige retomba, ce fut pour dévoiler un bloc de glace. L'Ectoplasma était figée au centre d'un morceau complètement solide couleur bleu banquise. Prise au piège.

- Coup de chance pour la challenger ! tonna la voix du mec pendant que le public applaudissait à tout rompre.

Je voulus donner son ordre suivant à Pleind'Soupe mais un ding me coupa dans mon élan.

Bien sûr
, réalisai-je. Bien sûr qu'elle va se servir de sa Guérison restante, Léa.

Je me sentais un peu stupide de m'être autant réjouie, une dresseuse telle qu'Agatha n'allait pas se faire battre aussi facilement. En un rien de temps, la lueur dorée fit fondre la gangue de glace, et le combat reprit, toujours aussi tendu. Pleind'Soupe réitéra son Blizzard selon mes instructions, les rafales de neige malmenant l'Ectoplasma qui disparut à nouveau au regard des caméras. J'avais croisé les doigts mais la chance ne me sourit pas une deuxième fois, et lorsque la tempête s'arrêta, la Pokémon spectre était toujours opérationnelle, dents découvertes en un rictus meurtrier.

Malheureusement, je ne savais que trop bien ce qui allait suivre. La Pokémon spectre reprit sa tactique classique, hypnotisant Pleind'Soupe et le plongeant dans un profond sommeil puis alternant Cauchemar et Bomb-Beurk. Un coup le Ronflex était en proie à des terreurs nocturnes, un coup il recevait des projectiles empoisonnés, les attaques l'affaiblissant petit à petit, inéluctablement. Et il ne se réveillait pas.

- Allez Pleind'Soupe ! m'écriai-je, maudissant la règle qui m'interdisait de faire usage de la Pokéflûte - ou de tout autre objet.

Mes mains glissèrent soudain contre la rambarde alors que je voulais m'y appuyer ; elles étaient trempées de sueur et je ne m'en étais même pas aperçu. J'essayai d'estimer mentalement où en était Pleind'Soupe. Pouvait-il tenir encore longtemps ? Probablement pas, il s'était quand même pris pas mal d'attaques, même pour un gros costaud comme lui. Finalement, en voyant l'Ectoplasma cracher une nouvelle série de boules putrides, j'appuyai sur le bouton, utilisant ma deuxième et dernière Guérison pour sauver Pleind'Soupe.

Un mugissement signala son retour à la conscience. Il se releva, debout sur ses deux pattes massives, puis tourna la tête dans ma direction afin de savoir ce qu'il devait faire. Blizzard étant la seule de ses attaques qui aurait un quelconque effet sur l'Ectoplasma, je n'avais pas trop le choix - je réservai Métronome pour les situations vraiment coincées, compte tenu de son imprévisibilité. Le stade fut donc à nouveau le théâtre d'une tempête miniature, l'air sifflant autour de la Pokémon spectre, les bourrasques glaciales la giflant dans tous les sens. Cette fois-ci, elle s'en tira mieux que les précédentes, car Pleind'Soupe avait mal centré son attaque, ce qui réduisit son efficacité. Au lieu d'être complètement engloutie par le maelström de neige, l'Ectoplasma resta visible tandis que sa peau d'ombre se couvrait de cristaux de glace. La chance était semblait-il repassée du côté d'Agatha.

Une hypothèse qui se confirma lorsque Pleind'Soupe succomba à l'Hypnose lancée par son adversaire, et ce pour la troisième fois du match. Techniquement c'était une attaque qui pouvait échouer, mais avec un Ronflex, évidemment... Le cycle infernal des Bomb-Beurk et des Cauchemar recommença, et je me crispai de plus en plus à chaque fois qu'une attaque avait lieu sans que Pleind'Soupe ne se réveille. Cette fois, je ne disposais plus de rien pour l'aider, il fallait qu'il se débrouille seul.

Quelques minutes passèrent dans l'attente tandis que le public s'agitait, certains encourageant l'Ectoplasma à grand cris. J'avais les yeux fixés sur le Ronflex, surveillant son ventre qui se soulevait et s'abaissait au rythme de sa respiration. Trop lente, bien trop lente.

Pourquoi tu ne te réveilles pas mon Pleind'Soupe ?


Les assauts s'enchaînaient et s'enchaînaient, sans le moindre répit. J'estimai la limite absolue du Ronflex à dix, nous en étions déjà à huit. Et puis à neuf - un Bomb-Beurk qui acheva de faire disparaître les rares endroits de fourrure encore blanche sur le ventre de Pleind'Soupe. Jurant à voix basse, je me résolus à rappeler le Ronflex. Il avait fait tout son possible, et même si j'avais un peu l'impression avec le recul d'avoir gâché mon Guérison, il s'était bien battu. À présent, il fallait qu'il passe la main.

Salade ou Teigne ?
m'interrogeai-je pendant que le commentateur discutait de ma stratégie.

Les attaques du mastodonte vert ne seraient pas très efficaces contre l'Ectoplasma, mais d'un autre côté il ne risquerait pas grand chose, il était solide lui aussi. En même temps, la spectre se trouvait déjà bien affaiblie, un seul Fatal-Foudre suffirait à la mettre KO à mon avis. Et l'Hypnose ne prendrait pas avec Teigne. J'optai donc pour cette dernière.

La Colossinge se matérialisa sur le terrain, et fronça les sourcils lorsqu'elle aperçut son adversaire. Elle ne portait pas les Pokémon spectre dans son cœur, je le savais (sans doute parce qu'elle ne pouvait pas les puncher), alors faire face à l'un d'entre eux dans l'arène, ça risquait d'être explosif... Tout en lui communiquant ses instructions, j'espérai qu'elle se rappellerait de notre discussion de ce matin. En tout cas lorsqu'elle bondit en avant, accompagnant son action d'un "Singe !" vindicatif, rien n'indiquait dans son attitude une quelconque retenue. De son côté, l'Ectoplasma venait de lui expédier quatre cadeaux putrides, quatre bombes qui fendirent l'air dans sa direction, et la Colossinge s'employa à les esquiver, roulant au sol avec agilité - et succès. Elle se reçut tout de même un projectile en pleine figure, ce qui la fit grimacer et taper du poing par terre. La Pokémon spectre lâcha un ricanement sinistre, s'attirant alors les foudres de la Colossinge.

Littéralement.

Roulement de tambour du tonnerre alors qu'une double fourche d'électricité allait frapper l'Ectoplasma. Les quelques cristaux de neige toujours collés à son manteau d'ombre furent vaporisés ; la spectre émit une lueur intense durant une fraction de seconde, si forte qu'elle aveugla momentanément les caméras. Puis la Pokémon perdit connaissance, son corps heurtant le sable avec la légèreté d'une plume. KO, comme je le pensais. La fourrure encore grésillante, Teigne balança un coup de poing dans le vide sous les acclamations du public.

- Ah, quel match, quel match ! Tout semble indiquer que la jeune Léa se retrouvera bientôt face à Peter, mes amis !

Pour une fois, je donnais raison au commentateur. Il ne restait plus que sa Spectrum à Agatha, et Teigne était capable de s'en débarrasser en deux Fatal-Foudre, avant que la spectre n'ait le temps de lui faire subir trop de dégâts. Ce fut donc en toute confiance que Teigne et moi abordâmes le dernier round. La victoire était à portée de main.

Sauf que cela partit mal, car la première attaque de la Colossinge manqua : la foudre s'abattit sur le sable en lieu et place de la Spectrum. Ce n'était pas si grave en soi ; nous pouvions encore nous rattraper et conserver l'avantage. Mes mains se crispèrent sur la rambarde lorsque la Pokémon d'Agatha lança une Malédiction, une épée chatoyante d'ombres s'enfonçant dans son corps gazeux tandis qu'une arme identique poignardait Teigne dans le ventre. Il n'y eut pas de sang, peut-être même aucune douleur car la Colossinge avait à peine froncé les sourcils, mais le coup n'aurait pas pu être plus dangereux. Sur le long terme, Teigne était condamnée. Malédiction tuait. Toujours. Il fallait absolument que nous remportions la victoire durant les prochaines minutes sous peine de voir la sentence être exécutée.

J'indiquai à la Colossinge de tenter un autre Fatal-Foudre. Interrompant son sautillement, elle se changea en boule de poil crépitante tandis qu'elle se chargeait d'électricité, puis elle bondit soudain vers la Spectrum, laissant filer toute l'énergie accumulée. Il y eut un double éclair qui illumina le stade, et...

Manqué, à nouveau.

Ma gorge se serra. Non, ça allait, on pouvait encore y arriver. Ça allait juste être un tout petit plus serré que ce que j'aurais préféré, voilà tout.

Vraiment vraiment serré
, songeai-je en voyant les yeux du Spectrum devenir entièrement noir.

Teigne se figea un instant, comme pétrifiée par le regard du Pokémon spectre. Ce n'était pas le cas bien sûr, physiquement l'attaque ne lui avait rien fait. Elle était juste désormais obligée de demeurer sur le terrain. Et chaque seconde qui s'écoulait réduisait son temps disponible avant de se trouver à bout de forces. Comme pour insister sur ce fait, la Malédiction frappa à ce moment précis, l'épée sombre s'enfonçant dans la poitrine de la Colossinge. Elle grogna, ses poings tremblèrent et ses oreilles se couchèrent contre son crâne. Combien de coups de cette trempe pouvait-elle supporter ? Je connaissais la réponse, parce que Vivian avait placée Teigne dans une situation exactement semblable lors de nos entraînements. Elle avait tenu bon à quatre reprises. Sauf que là, il y avait eu le Bomb-Beurk de l'Ectoplasma en plus. Alors quoi, trois coups de l'épée avant qu'elle ne s'écroule ? Je priai pour ne jamais en arriver là.

Deux de mes doigts tendus tapotèrent la rambarde. Changement de stratégie. Fatal-Foudre n'était pas assez précis, nous allions nous rabattre sur une attaque qui avait plus de chances d'aboutir. Teigne réceptionna mon ordre et réagit au quart de tour, ne perdant pas une seule seconde avant de frapper le sol de son poing. Les rochers attendus assaillirent la Spectrum, lui arrachant des lambeaux d'ombre en passant à travers elle avant de s'écraser dans le sable. La Pokémon d'Agatha se mit à donner des signes de faiblesse manifestes, elle perdit de la hauteur niveau lévitation et ses yeux se voilaient : elle devait être proche de l'évanouissement - ou de la mort, mais à ce stade-là, je m'en fichais. Si j'avais pu la tuer sur-le-champ pour sauver Teigne, je l'aurais fait.

Seulement, ce n'était pas aussi simple. En bas dans l'arène, l'épée de la Malédiction poignarda pour la deuxième fois ma Colossinge. Je la vis serrer les mâchoires. Elle tenait encore debout, mais son inébranlable volonté y était sans doute pour beaucoup. Le Bomb-Beurk de l'Ectoplasma l'avait bien plus fatiguée que je ne l'avais cru au premier abord ; il y avait de grandes chances pour que le prochain coup d'épée soit le dernier...

Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine : ça allait se jouer sur le fil du rasoir. Mais Teigne s'en sortirait, comme toujours. Elle avait déjà trompé la mort tant de fois auparavant, pourquoi serait-ce différent aujourd'hui ? Il suffisait d'un rocher, un seul, et la Spectrum serait de l'histoire ancienne. L'attaque qui nous apporterait la victoire était au bout de mes doigts.

Je les tendis.

Les poings de Teigne percutèrent le sable. Cinq rochers apparurent. Cinq chances. Le premier passa à un bon mètre de la Spectrum, sa trajectoire n'étant pas favorable dès le début. La Pokémon spectre parvint à esquiver le second d'une pirouette, ainsi que le troisième qui ne fit que frôler son corps d'ombres. Restait encore le quatrième. Il avait été bien placé avant le mouvement initial de la Spectrum, et il lui serait tombé en plein dessus si elle n'avait pas bougé. En l'état des choses, il ne heurta que le sol.

Puis le cinquième...

Le cinquième dont la trajectoire allait l'amener s'écraser droit sur la Spectrum...

Le cinquième ne fit que s'échouer dans le sable, la Pokémon spectre s'étant écarté au dernier instant possible.

Non.

Non !

Un hurlement de frustration se bloqua à la base de ma gorge. Je n'arrivais pas à y croire. Tombe-Roche avait échoué, et maintenant j'étais coincée. La Malédiction allait s'abattre d'une seconde à l'autre et je ne disposais plus d'aucune Guérison pour sauver Teigne. Je ne pouvais pas la rappeler non plus. Et si j'abdiquais, il me faudrait attendre trois ans avant que je puisse me représenter. Trois années de plus à rester coincée dans ce monde de fous. Trois années qui changeraient trop de choses. Trois années qui... non, je ne voulais même pas y penser. L'enjeu était trop grand, je ne pouvais pas abandonner maintenant...

L'angoisse sourdait par tous les pores de ma peau, mon sang pulsant en écho. Une chape de plomb s'était abattue sur le stade et le silence s'écoulait à gros bouillons, tel le sang jaillissant d'une plaie ouverte. La réalisation se cristallisa finalement en moi, glaciale, s'imprimant au fer rouge dans mon esprit avec le sceau de la finalité.

Teigne n'avait plus que quelques secondes à vivre.

Elle devait l'avoir compris aussi, parce qu'elle se tourna vers moi, oubliant complètement son adversaire. Ses yeux accrochèrent les miens. Un échange de regard où passa tout un monde. Sa férocité, sa force vive. Sa formidable envie d'aller de l'avant. De ne jamais abandonner. Je lus tout ça dans ses pupilles, et lui rendis la pareille, déversant mon cœur dans ce lien visuel. Mes remerciements. Mes regrets. Et ma demande de pardon. Parce qu'à cet instant, j'aurais encore pu la sauver, et je choisissais de ne pas le faire. Une décision qui me déchirait l'âme. Je cherchai l'absolution dans les yeux de la Colossinge, et, chose incroyable, la trouvais. Elle comprenait. Elle me pardonnait.

J'aurais voulu pleurer, mais je m'en empêchai en me mordant la langue jusqu'au sang. J'allai rester avec Teigne jusqu'au bout. Elle ne méritait pas moins. Tellement plus, en vérité, mais c'était tout ce que je pouvais lui donner.

Alors je regardais tandis que l'épée obscure s'enfonçait une ultime fois dans le ventre de la Colossinge, lui arrachant un son viscéral.

Et je regardais tandis que la lumière s'éteignait dans ses grands yeux marrons, pour ne laisser que le vide et l'obscurité.

Et je regardais tandis que ses paupières se fermaient pour ne plus jamais se rouvrir.

Et je regardais tandis qu'elle s'écroulait au sol, lentement, lentement...

Teigne, vaincue.

Pour toujours.

Le monde au-delà de cette réalité me semblait lointain, comme si la mort de ma Pokémon m'avait enfermée dans une bulle, détachée de tout le reste. Je savais que le public s'agitait, que le mec commentait en hurlant presque, que le stade retentissait de cris et de sifflements, mais je n'entendais plus rien.

Ne voyais plus rien non plus.

Rien que la dépouille de Teigne. Elle n'aurait pas aimé reposer sur le sable froid, songeai-je. Je la rappelai au creux de sa Pokéball, puis relâchai machinalement un Pokémon pour qu'il termine la Spectrum. Je ne fis même pas attention duquel il s'agissait. Peut-être Salade. Ou Plouf. Ça n'avait pas d'importance de toute façon.

Un moment de plus passa et j'enregistrai vaguement la voix du commentateur qui proclamait ma victoire. Ça non plus ça ne me semblait pas très important. J'avais gagné le match, d'accord, mais Teigne, elle, avait perdu sa vie. Plus jamais je ne pourrais la serrer dans mes bras. Plus jamais je ne la verrais sautiller dans tous les sens à la mention du mot "combat". Et plus jamais je ne pourrais éclater de rire en la regardant engouffrer toute sa ration de croquettes en une seule fois dans sa bouche.

Je fermai les yeux pour endiguer mes larmes et souhaitai que les ténèbres m'emportent.

***

RIP Teigne. Tu étais la plus vaillante de l'équipe et tu vas me manquer pour la suite.



Équipe actuelle :
SaladePloufPleind'SoupeFulgureVésuve

Cimetière :
FicelleTouffuSourisPoiluePoilu
PrincesseGrignotteTeigne