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Chroniques des hommes II - Titans de Raidemo



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Informations

» Auteur : Raidemo - Voir le profil
» Créé le 11/04/2007 à 16:26
» Dernière mise à jour le 02/04/2008 à 16:23

» Mots-clés :   Action   Aventure   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo

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I-1 Rapports et arènes
CHRONIQUES

TITANS
Un lien du ciel à la terre



Partie I : La querelle des titans




Chapitre 1 : Rapports et arènes

Les nuages s'épaississaient, dissimulant le soleil pâle derrière un voile aux teintes acier. Le printemps, marquant bientôt son retour, avait adoucis l'air lourd et piquant qui stagnait depuis quelques mois sur la grande ville. Mais l'astre du jour hésitait toujours à se montrer. A l'instar de Céladopole, grand Centre culturel où se développaient de plus en plus les industries non polluantes, Doublonville était et restait un pôle d'échanges important, baignant dans ses bâtiments immenses, gris métallique ou totalement vitrés, reflétant inlassablement la teinte terne et maussade du ciel d'hiver, et dans ses rues larges, bondées d'une foule écrasante et de véhicules bruyants. La population déjà fort importante de la ville ne faisait que s'accroître d'années en années, et de nouvelles routes avaient dû être construites, des routes aériennes étendant leurs câbles et leur béton au sommet des plus hauts buildings. Une voie spécialisée portait les railles du train rapide permettant de traverser la ville sans s'y arrêter, la survolant néanmoins pour offrir à ses passagers une vue vertigineuse lorsqu'il passait au-dessus des gouffres immenses et obscurcis par le manque de soleil, s'enfonçant entre les grands immeubles de la vieille ville, dans les quartiers les plus pauvres. D'autres parcours multiples, souterrains ou aériens s'étendaient comme une toile, déployant leurs tentacules depuis la gare du Centre Commercial pour soutenir le métro, toujours bondé même aux heures les plus tardives. Les nombreuses usines rattachées à la ville s'étaient déplacées aux abords de celle-ci, débordants parfois sur les lacs qu'elle côtoyait et repoussant au fil du temps les grandes plaines verdoyantes qui venaient autrefois frôler le pied des premières habitations. Le tourisme avait lui aussi pris de l'importance, et Doublonville, vue du ciel, pouvait parfois ressembler à l'un de ces parcs à thème ; les derniers coins de verdures avaient été déplacés au sommet des grands hôtels, et sur plusieurs toits se dressaient piscines, Centres d'attractions, et parcs abondamment fournis. De loin, la cité apparaissait comme une ville mécanique, nappée de reflets se formants dans l'acier et le verre de ses bâtiments, étendant son corps tentaculaire sur plusieurs kilomètres ; la plus grande ville de Johto, plus imposante encore que la capitale de Kanto.
La masse sombre des nuages creva enfin, libérant une pluie diluvienne qui s'abattit avec fracas sur la cité industrielle. Rapidement les innombrables passants s'abritèrent sous les toiles tendues des petits commerces, d'autres courants sous les eaux en s'abritant avec ce qu'ils pouvaient, parapluies, sacs, journaux. Le tintamarre des klaxons redoubla d'intensité, bientôt accompagné des babillements aigus de quelques Chuchmurs effrayés que leurs maîtres ne parvenaient pas à clamer. Quelques centaines de mètres plus haut, le président du Conseil de la Ligue, monsieur Brunner, posa une main sur la surface gelée d'une des grandes vitres du bureau. L'eau s'écoulait à l'extérieur comme de lourdes vagues paresseuses, formant des courbes envoûtantes. Un homme entra soudain, ignorant les appels du vieux surveillant qui demandait grâce pour les tapis richement décorés du bureau de son directeur. La porte se referma sur lui. Le président décolla sa main du verre, laissant derrière lui une marque translucide sur la buée apparente. Le jeune homme qui venait d'entrer s'ébroua, chassant de ses cheveux les dernières perles humides qui s'accrochaient aussi à son long manteau de cuir sombre.
« Peter, sourit Brunner avant même de s'être retourné. Quelle joie de vous voir ici. Cependant je vous ai connu plus ponctuel, c'est pourtant vous qui avez demandé ce rendez-vous. Qu'est-ce qui a pu vous retenir si longtemps ? »
Le jeune homme sourit, et quitta son manteau pour venir le placer sur l'un des sièges au métal noir qui se tenaient devant le large bureau d'ébène. Le maître du Conseil des Quatre toussota, repoussa ses mèches pourpres d'une main vers l'arrière, puis fixa enfin le président en affichant son accablement.
« Pardonnez-moi Président, j'ai dû m'attarder sur le chantier de la nouvelle arène. Les travaux ont bien avancé mais j'ai l'impression que Blanche n'est pas entièrement satisfaite.
- L'impression ? questionna le président amusé, connaissant parfaitement le caractère extraverti de la jeune championne. Nous avons pourtant fait l'impossible pour déplacer l'arène loin du Centre Ville, aux abords des derniers bureaux.
- Pas assez loin, apparemment » soupira le maître des dragons sans perdre son sourire, en venant se laisser tomber dans un fauteuil au cuir chaud et duveteux qui se dressait près des radiateurs.
Brunner le rejoignit, passa derrière lui pour prendre deux verres dans un meuble au bois odorant, puis une bouteille au contenu couleur rouille qu'il vint déposer sur la table basse entre les deux fauteuils. Peter accepta le breuvage avec contentement, et commença à boire dans le plus grand silence. Le président le fixait de ses yeux d'un bleu profond, abyssal, attendant patiemment que le jeune homme se décide à parler. Un bruit de pas léger se fit entendre mais aucun d'eux ne tourna la tête vers le magnifique Persian au pelage fauve, bien différent de la couleur habituelle de ceux de son espèce. Le félin fixa un instant les deux hommes, comme pour s'assurer que le plus jeune n'était pas un danger potentiel pour son maître, puis il entreprit de faire sa toilette en tendant l'oreille, ne voulant perdre aucune bribe de la conversation. Peter reposa enfin son verre totalement vidé. Il dévisagea insolemment l'homme d'âge mûr qui lui faisait face ; ses cheveux autrefois d'un noir cornèbre grisonnaient aujourd'hui sur ses tempes fournies. Raide et courte sur le dessus, sa chevelure se muait jusqu'à son menton en petites touches d'un gris sombre, renforçant la dureté de ses mâchoires carrées. Ses yeux couleur océan s'affinaient au fil du temps, laissant ressortir ses origines orientales qui faisaient de lui un homme apprécié de bien des femmes. Son teint cuivré et les formes d'éphèbe que son corps avait gardées malgré ses cinquante années renforçaient encore son charme et son charisme auxquels s'ajoutait une voix grave et autoritaire.
« Je suis venu vous parler de la prochaine réunion, commença enfin le jeune homme, brisant la tension silencieuse qui avait posé son aile sur la pièce. Vous comptez aborder le problème Kao ? »
Brunner le fixa à son tour durant quelques instants. Il semblait apparemment peu enclin à s'engager sur le terrain miné de cette conversation.
« Ce n'est plus un problème d'après les trois agents envoyés sur ses traces, dit-il finalement en faisant jouer ses mains graciles autour de son verre. Mais le manque de preuves m'oblige à présenter le projet d'abandon au reste des membres… … Il faut que vous compreniez… (le président s'enfonça dans son fauteuil et croisa les doigts devant son menton, dévoilant une alliance en or) … les temps s'avèrent difficiles, Peter. Les politiques commencent à se mêler de ce qui ne les regarde pas. De plus en plus de représentants tentent de s'infiltrer dans nos affaires, de les rendre publiques. L'affaire Kao ne fait pas exception, bien au contraire : les proportions qu'a pris cette mission sont parvenues à certaines oreilles haut placées. La bavure du ranch d'Asana, particulièrement… Nous sommes en proie à un déclin juridique flagrant. Le peuple ne nous juge plus dignes de servir à leur protection. Depuis que la Team Rocket se tient tranquille, notre rôle semble avoir été lentement étouffé. Aujourd'hui, c'est en suffocant que le Conseil de la Ligue se bat pour obtenir encore suffisamment de souffle. »
Son expression changea pour laisser place à un sourire dur.
« Au final, nous en viendrions presque à souhaiter le retour de Giovanni, ironisa Brunner.
- Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de s'inquiéter pour lui, objecta Peter d'un ton sec. Sa disparition n'est certainement que temporaire : il reviendra lorsque les rats auront consolidé leur nid. Quoi qu'il se passe aujourd'hui, quand le moment viendra, les politiques les plus vaillants préfèreront ramper devant le Conseil plutôt que de faire face à une nouvelle crise financière due à la hausse de criminalité. »
Le président fut comme toujours amusé par la fierté solennelle du maître des Quatre, identique à l'orgueil princier de la plupart des champions.
« Mon problème n'est pas là, continua Peter. J'ai pris contact avec l'un des trois… agents, peu de temps après le début de l'enquête. Je ne vois pas pour quelles raisons ils auraient menti. Et surtout, il semble qu'il y ait maintenant un danger plus grave à anticiper.
- Cette histoire de Gardien agressif ?
- Tout à fait. »
Un nouveau silence plana sur eux. Le félin avait lui aussi stoppé tout mouvement pour poser sur les deux hommes son regard aux pupilles rétractées. Brunner expira lentement, sans bouger les lèvres, puis il se leva et alla fouiller dans l'un des tiroirs de son bureau. Il revint en soutenant un lourd dossier duquel dépassaient d'innombrables feuilles noircies par l'encre. Il s'assit, posa son butin sur la table et sortit de la poche de sa veste sombre de petites lunettes ovales aux bords noirs et fins qu'il plaça sur son nez. Il ouvrit le dossier qu'il parcourut de ses doigts habiles avant de tendre au maître du Conseil une liasse de feuilles marquées du logo du centre de soins de l'armée régulière de Kanto.
« Les médecins ont jugé qu'il n'était pas nécessaire de prêter attention à ces élucubrations.
- Ils les considèrent comme mentalement instables, continua Peter en lisant les résultats des analyses. Leur suivie psychologique indique qu'ils ont subi un choc émotionnel - dû très certainement à l'accumulation de fatigue et des évènements encore inexpliqués des Iles Ecumes - et qu'ils doivent par conséquent… »
Le maître des dragons se tut et fronça les sourcils. Il relut à nouveau les dernières lignes avant de relever ses yeux noirs sur le président.
« Je ne pense pas qu'il ait été nécessaire de les relever de leurs fonctions, reprit-il d'une voix accusatrice. Ce sont des Champions avant d'être de vos agents, je ne vois pas pourquoi ils n'auraient plus l'autorisation d'exercer !
- Ce n'est que provisoire, répondit Brunner, imperturbable.
- Je ne crois pas à cette histoire d'illusion partagée ou de faiblesse psychologique ! continua Peter en repoussant le document qui glissa sur la table. S'ils considèrent qu'un danger potentiel est à craindre vous feriez mieux d'en tenir compte ! »
Brunner ne le contredit pas, se contentant de fixer le jeune homme avec un intérêt flagrant qui aurait mis mal à l'aise son interlocuteur, si ce dernier n'avait pas été aussi énervé. Assis aux pieds de son maître, sa queue fouettant l'air derrière lui, le Persian au pelage roux semblait gagné par une excitation inexplicable, comme s'il s'apprêtait à disputer sa première rencontre depuis bien des années.
« Nous en déciderons lors de la réunion, conclut finalement le président en se penchant pour récupérer tous les dossiers. D'ici là l'enquête est suspendue. Cela laissera aussi le temps aux trois agents de se remettre. »
Peter n'ajouta rien ; le débat était clos. Le jeune homme remercia le président qui lui répondit d'un sourire et d'un hochement de tête. Le maître agrippa son manteau et se dirigea vers la porte, ignorant la pluie qui tombait encore avec fracas derrière les vitres épaisses, se perdant dans les rues grisâtres au pied du grand bâtiment. Il s'arrêta néanmoins avant d'avoir atteint la porte du bureau.
« Il y avait deux autres personnes avec eux, un guide engagé par les chercheurs de Céladopole, et un homme envoyé par la Ligue… Que sont-ils devenus ? »
Brunner tourna la tête vers le maître en tassant un bloc de feuilles, un sourire au coin des lèvres.
« J'avais oublié que vous n'aviez pas accès à ces informations. »
Peter tiqua, mais attendit la suite.
« Le guide a subi un choc plus important, continua Brunner en se levant pour se diriger vers son bureau. Il est en ce moment interné dans l'hôpital d'un des camps de Kanto. Nous l'avons récupéré dans un état de coma avancé, mais nos médecins s'occupent de tout.
- Et Keiji Ikeda ? »
Le président marqua un nouveau silence. Son sourire avait disparu. Sans se détourner des grandes baies vitrées qui se dressaient derrière son siège, il reprit d'une voix plus lente :
« Je vous tiens en grande estime, Peter. C'est pourquoi je vous conseillerais de ne pas vous mêler des affaires qui dépassent vos fonctions. Néanmoins… , coupa-t-il aussitôt, devançant une réplique incisive de la part du maître, … je me permets de vous donner ces informations en espérant que vous tiendrez compte de mon avertissement : un hélicoptère a été envoyé sur place. L'équipe de recherche a retrouvé les restes du corps d'Ikeda grâce au cadavre de son Noctali. Sa sœur aînée faisait partie du groupe et a participé à l'identification. Ses pokéballs étaient congelées, et ses occupants ne l'ont pas supporté. Les trois agents n'ont pas su nous expliquer ce qui a pu se passer.
- Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir accès à ces informations ? demanda le jeune homme aux cheveux roux en repensant à la colère d'Aldo et surtout d'Agatha lorsqu'ils avaient appris qu'ils ne seraient pas mis dans la confidence.
- A cause des circonstances, tout simplement, répondit Brunner après une brève hésitation. Le corps d'Ikeda a été retrouvé… dans un état étrange. »
Peter n'ajouta rien, comprenant que le président ne lui en dirait pas plus. Il franchit la porte, bien décidé à s'informer d'une façon ou d'une autre sur ce qui se tramait au sein du Conseil. D'un certain côté, Brunner avait raison : l'Union Principale des trois continents les plus importants était entrée dans une ère nouvelle. Une ère de remise en cause, de révoltes, voir de guerres civiles pour certaines régions. S'embourber dans une politique révolutionnaire ne leur apporterait rien de bon : la seule arme des maîtres et des dresseurs, à présent, c'était l'audace et l'esprit de justice qui les avaient poussés jusqu'ici…

Un soleil digne de l'été futur déposait sa chaleur sur les pontons du port. Plusieurs bateaux paressaient paisiblement sur l'eau claire et chantante, mêlant ses clapotis sur les basses marches au son de ses vagues légères. L'air soulevé d'une faible brise était chargé d'une odeur de sel et de bois humide qui s'élevait des vieux ponts, accompagnée de celle, plus forte, des orangers et citronniers qui poussaient près de la ville, dans des jardins ouverts au soleil. Les marins et pêcheurs s'attroupaient joyeusement sur les remparts de pierre, se saluant de leurs voix fortes, demandant des nouvelles impatientes. Il régnait dans cette ville, comme toujours, une prospérité délicieuse qui fit reconnaître à Morgane que son compagnon puisse y être autant attaché. En quittant le port pour s'enfoncer dans les quartiers aux habitations anciennes, faites de pierres apparentes surmontées de larges poutres de bois encadrant portes et fenêtres, et formant des frises grossières mais chaleureuses, l'animation des marchés gagnait rapidement en couleur, et une foule non agressive vagabondait dans les rues pavées, accueillie par les senteurs d'épices venues de tous horizons. On y retrouvait des marchands venus des différentes régions, ramenant avec eux les derniers produits du continent. En s'enfonçant plus encore dans les allées étroites mais nombreuses, la ville se modernisait légèrement, mais ses bâtiments restaient d'une taille appréciable, loin de tout fantasque gratte-ciel ou bureaux qui jonchaient les grandes cités. Quelques canaux s'enfonçaient jusqu'au centre, moins actif que les quartiers longeant la mer, mais n'allaient pas plus loin. Depuis la colline qui surplombait Carmin, la ville, surmontée de ses toits d'une tuile vermillon qui lui avait value son nom, s'allongeait comme un champ écarlate, dévoilant l'ambiance riante et vive qui slalomait entre ses murs.
La jeune femme se laissa rapidement entraîner par l'afflux d'odeurs exquises et de promesses envoûtantes, se surprenant plus d'une fois à rougir en se prêtant aux essais des marchands. Elle n'était pas là pour ça bien sûr, mais il y avait tellement longtemps qu'elle ne s'était pas perdue volontairement dans les dédales alléchants d'un grand marché. On la disait casanière, beaucoup de gens devaient même penser qu'elle n'aimait rien de tout ça, qu'elle considérait toutes ces choses comme futiles, « sans importance ». Elle était effectivement loin d'être matérialiste, mais cette vision que les autres se faisaient d'elle et qui creusait un peu plus le fossé qui la séparait de l'idée qu'on se faisait des filles de son âge la blessait encore et toujours. Mentali sautillait joyeusement d'étalage en étalage, devançant sa dresseuse pour venir humer tout ce qui lui semblait digne d'intérêt. La championne et sa féline quittèrent le marché en fin d'après-midi, cherchant tant bien que mal à retrouver l'arène parmi ces ruelles aux bordures hautes, cachant à demi les restes d'un soleil qui finissait de décroitre. La partie Ouest de la ville était plus calme, ses rues presque vides où l'on croisait simplement quelquefois un groupe d'enfants bien occupés par leurs jeux.
Morgane et Mentali débouchèrent sur une place éclairée d'un ciel orangé, au milieu de laquelle se rassemblaient quelques Goélises et Roucools pour s'ébattre dans la grande fontaine de pierre. La jeune femme ne put s'empêcher de repenser à Erika chez qui elle venait de passer deux semaines de repos plus arasantes qu'elle ne l'aurait cru. La championne de Céladopole était certes charmante, mais un brin envahissante. Malgré tout, elle était l'une des premières personnes avec qui la jeune femme aux longs cheveux noirs avait pu s'entendre. Quoi qu'elle en dise, elle appréciait le caractère fort et autoritaire de celle qu'on appelait « la princesse aux mille senteurs », à cause de son goût démesuré pour la recherche de nouveaux parfums qui faisaient folie dans tout Kanto. Après les quelques jours durant lesquels la championne et ses deux compagnons avaient été gardés sous observation, ils étaient rentrés, épuisés, dans leurs arènes respectives, avec pour priorité de se trouver un remplaçant pour le temps de leur suspension. Morgane avait pu demander à Tyron, son plus proche ami qui travaillait à l'arène pour développer ses pouvoirs mentaux déjà impressionnants, de garder celle-ci le temps pour elle de reprendre ses fonctions. Puis elle avait accepté l'invitation de sa consœur de Céladopole qui avait appris, on ne sait comment, qu'elle ne pouvait plus exercer pendant un temps. Elle s'était en réalité éloignée du calme de Safrania, de ses bureaux et universités, pour accéder à l'ambiance vive et bruyante de la capitale. Elle avait espéré y retrouver Daman pour obtenir peut-être de nouvelles informations, mais le jeune chercheur avait été mandé ailleurs. Depuis cet instant, elle n'avait plus reçu une seule nouvelle de ses deux compagnons d'infortune, ni de Léon, malgré les menaces et insultes qu'elle avait proférées à l'intention d'un soldat imperturbable qui avait, finalement, refusé de lui dévoiler quoi que ce soit sur sa condition. « Secret défense, peux rien dire, devoir de l'armée » avait-il dit. La championne s'était retenue de lui faire foi de ce qu'elle pensait de son devoir et de son armée. Elle s'était contentée de raccrocher brusquement sous les cris hystériques des filles de l'arène d'Erika qui avaient manqué défaillir à la vue du téléphone ainsi maltraité. Durant tout son séjour dans la capitale de Kanto, Morgane avait tenté d'oublier. D'oublier tout ce qui s'était passé sur les îles enneigées. Elle avait profité de son « congé » forcé pour faire de nouvelles recherches sur les anciens peuples d'Ihien. La disparition de Peter ne l'avait pas inquiétée outre mesure, après tout il était un homme astucieux et puissant dans monde du dressage ; il avait lui aussi été embarqué dans cette histoire sans avoir rien demandé, et la Ligue ne semblait pas avoir apprécié que le maître dévoile des informations dans son dos. Quoi qu'il advienne, le dresseur de dragons saurait toujours se sortir des mauvaises passes, la championne n'en doutait pas.
Elle s'arrêta soudain à la sortie d'une rue et cligna des yeux avec insistance face aux rayons agressifs d'un soleil couchant. Une nouvelle place couverte d'une pierre blanche s'offrait à elle, plus grande que la précédente, surplombant une mer calme et s'étalant devant l'arène aux murs bas et étendus. A l'horizon, l'astre du jour avait commencé à disparaître, voilant le ciel de pourpre. La jeune femme soupira et reprit sa route, attendant que Mentali cesse de donner la chasse aux Ptitard pour la rejoindre. Elle frappa fermement contre les lourdes portes, jetant un coup d'œil rapide à la pancarte qui indiquait que l'arène était fermée. Au bout d'un court instant celles-ci s'ouvrirent dans un mécanisme silencieux. Un homme imposant - tant par sa stature que par son pas lourd - apparu devant elle. Il écarquilla les yeux en reconnaissant la championne et celle-ci lui sourit.
« Ça alors ! Tu sais ça m'fait plaisir de t'revoir, petite !
- Bonsoir Nobuo, répondit la jeune femme avec un demi-sourire, toujours surprise par la promptitude des gens de cette ville à tutoyer tous ceux qu'ils rencontraient. Désolée, j'arrive tard mais…
- Non non, aucun problème, tout baigne, entre ma grande t'es toujours la bienvenue ! »
La championne acquiesça, connaissant maintenant parfaitement le personnage et n'osant pas se faire prier d'avantage. Elle l'observa tandis qu'il refermait les portes ; Nobuo était un ancien marin, convoyeur à bord du Saint Anne, le vaisseau de transport le plus connu et le plus apprécié de Carmin sur Mer, grâce à ses étages supérieurs aménagés pour un transport de passagers de première classe. L'homme était grand, mais pas autant que le champion en titre dans cette ville, et légèrement enveloppé comme il se plaisait à le dire. Ses cheveux bruns étaient rasés et ses yeux couleur lavande semblaient toujours rieurs. Il portait inlassablement le même genre de haut simple à manches courtes, aussi blanc que sa casquette d'ancien matelot qu'il passait son temps à soulever pour se gratter la tête lorsqu'il réfléchissait à quelque chose. Son énorme Colosinge le suivait toujours de près, perpétuellement méprisant et colérique ; il avait comme façon bien singulière d'exprimer son désarrois d'envoyer valdinguer tout être ou objet susceptible de pouvoir être soulevé par ses bras robustes.
Morgane demanda des nouvelles du Major. A cette question Nobuo perdit son sourire. Il lui apprit que leur champion n'allait pas fort, et la jeune femme n'en doutait pas…
« Pourquoi l'arène est-elle fermée ? La Ligue a pourtant demandé à ce que l'on choisisse des remplaçants pour éviter une trop longue fermeture. »
Nobuo souleva sa casquette et se gratta la nuque d'un air gêné, baissant les yeux.
« En fait c'est bien simple, personne ici n'a voulu reprendre le flambeau… Y a aucune raison ! Et puis, on voit bien que Bobby s'fait du mal à supporter tout c'bazar ! Lui ? Pas apte à diriger son arène ? Alors qui le serait ? »
La championne hocha la tête, ayant pris soin de ne pas aller au-delà du haussement de sourcil lorsque le marin avait appelé l'ex-militaire par son prénom ; Nobuo était sans doute le dernier à le faire à ce jour… à part…
« Mais p't-être que toi tu pourras nous le réconforter ? T'vois, lui donner un peu d'punch quoi !
- Hum… je vais faire de mon mieux… »
Cette simple phrase rassura Nobuo qui afficha un sourire triomphant et reconnaissant, tandis que son Colosinge croisait les bras en reniflant d'un air hautain. Il allait proposer à la jeune femme de l'amener jusqu'au Major, ou tout du moins de quitter le grand hall qui commençait à se rafraîchir, lorsque deux silhouettes apparurent devant eux, venant des couloirs de l'aile habitable : un homme marqué par l'âge au visage austère et habillé d'un costume noir, et une jeune fille aux cheveux verts et hirsutes, habillée d'un jean et d'un débardeur, et dont le regard bas et cerné était obscurcis plus encore par une moue dédaigneuse et un mouvement perpétuel de mâchoires sur un chewing gum sans goût. L'homme en noir était accompagné d'un Magnéton qui suivait son sillage, et la gamine d'un Elektek qui semblait aussi vif et réveillé que sa dresseuse.
« Mon cher Nobuo, ceci doit cesser, fit durement remarquer le vieillard, articulant lentement et ignorant totalement la championne.
- Exact… marre… , ajouta la fille d'une voix sans timbre.
- Vous devez vous occuper de ce problème. Immédiatement. »
Nobuo sembla paniqué.
« Mais… j'ai aucun droit de…
- Suffit ! le coupa le vieil homme. Nous n'allons pas imposer cette épreuve à notre pauvre champion ! En son absence c'est vous qui êtes chargé du maintien de l'arène, prenez vos responsabilités, que diable !
- Ouais, c'est toi qui dirige… , confirma la fille aux cheveux raides, retombant sur ses yeux sombres.
- Hmm… » répondit le marin pour s'avouer vaincu.
Il s'excusa auprès de Morgane et se tourna vers sa cadette.
« Ryoko, emmène notre invitée au salon. Bobby t'y rejoindra » ajouta-t-il en souriant à la championne qui se contenta de lancer un regard sceptique à sa guide.
Devait-elle fuir tout de suite ? Mentali la persuada du contraire en poussant de sa tête contre les jambes de sa dresseuse pour la faire suivre la fille et son Elektek qui s'étaient déjà retournés et partaient sans dire un mot. Morgane les suivit avec le même silence, se demandant pourquoi tous les membres de cette arène étaient si bizarres. La dénommée Ryoko l'emmena dans une grande salle aux couleurs chaudes, couverte du sol au plafond de tapisseries et de rideaux épais qui impressionnèrent la championne. Deux canapés et quelques fauteuils s'y tenaient, la jeune femme aux cheveux noirs s'assit sur l'un d'entre eux. La fille à l'air endormi la fixa un instant, sans qu'aucun sentiment passe dans son regard, faisant frissonner Morgane qui manqua de détourner le sien, elle qui avait pourtant l'habitude des êtres paranormaux… Cette fille lui faisait clairement penser aux exorcistes folles de la Tour de Lavanville, ce qui n'était pas pour la rassurer.
« Euh… Ryoko ? Tu es élève ici donc ? » commença Morgane d'une voix hésitante, pour entamer la conversation et faire ainsi diminuer la tension omniprésente dans la pièce.
Pour réponse première, la championne n'eut droit qu'au souffle d'une bulle de cheming gum qui éclata bruyamment. La fille aux cheveux verts mastiqua encore un moment avant de prendre la parole d'une voix sobre :
« Ouais… Je suis élève…
- Il me semblait pourtant que le règlement interdisait à un champion d'avoir plus d'un élève, fit remarquer Morgane. Et je croyais que le Major s'occupait déjà de Kazuo…
- C'est vrai, mais il m'entraîne aussi. »
La gamine ajouta à ses paroles un hochement de tête que son Elektek imita avec une synchronisation parfaite. Morgane tenta de sourire le plus naturellement possible. Moui, après tout je serais plus étonnée si j'apprenais que cet imbécile se pliait au règlement… , songea la championne. Par chance pour elle, la porte ne tarda pas à s'ouvrir sur un visage plus familier : Kazuo entra, respirant rapidement comme s'il avait couru sur une longue distance. Il salua la jeune femme en s'abaissant et remercia Ryoko qui ne lui répondit pas et quitta la pièce d'un pas nonchalant.
« Désolé… notre champion est très occupé… , bégaya le jeune asiatique encore essoufflé. Mais je peux vous conduire à lui si vous le voulez.
- J'aimerais bien, acquiesça la jeune femme avec un sourire cette fois non feint. Oh, et toutes mes félicitations » ajouta-t-elle en désignant le superbe Elecsprint qui marchait fièrement derrière Kazuo.
Le jeune homme rougit et remercia la championne, ajoutant que ce n'était pas toujours simple et que son pokémon, même évolué, continuait à faire des siennes et à prévaloir son narcissisme sans bornes. Elecsprint ne réagit pas à la remarque et se contenta de s'asseoir en dressant la tête, la déviant sur le côté dans la position gracieuse d'un prince oriental.
« Au fait, lança soudainement Morgane alors que Kazuo s'apprêtait à repartir. Vous avez un problème avec l'arène ? »
Le jeune homme parut intrigué à cette question.
« Euh… pas que je sache.
- Pourtant un vieillard est venu se plaindre à Nobuo en compagnie de la gam… de Ryoko.
- Ah, le vieil Anatole ? Il est dresseur ici, mais… »
Morgane attendit la suite de sa phrase en se demandant ce qui avait poussé le champion, si impétueux, à engager cet homme austère. Kazuo rougit à nouveau légèrement lorsqu'il comprit à quoi la jeune femme faisait allusion.
« Oh… c'est… Un Migalos s'est introduit dans les caves de l'arène. Apparemment c'est une femelle et nous craignons qu'elle y ponde ses œufs…
- Pourquoi ne pas la capturer pour la relâcher en dehors de la ville ?
- C'est exactement ce qu'on essaye de faire » répondit le jeune homme avec un petit rire gêné.
Morgane préféra ne rien ajouter et Kazuo la conduisit finalement jusqu'au bureau du champion, au fond des couloirs qui longeaient chambres, cuisines et salles de bain. Il ouvrit une belle porte au bois ancien et invita la jeune femme à entrer dans la pièce étroite qu'elle cachait. Celle-ci s'exécuta, Mentali sur les talons, et se figea face au spectacle qui s'offrait à elle. Jamais… jamais dans toute sa carrière elle n'avait vu dossiers et paperasses en si grande quantité, emplissant un large bureau et s'empilant maladroitement dans tous les coins de la pièce. Plusieurs piles étaient tombées et jonchaient à présent le sol de leurs feuilles diverses. La porte se referma derrière la championne mais elle n'y prit pas garde, car la tête de son confrère venait d'apparaître de derrière un carton plein.
« Morgane ? s'étonna ce dernier. Qu'est-ce que tu fais là ? »
La jeune femme ne lui répondit pas tout de suite, constatant le début de barbe claire qui mangeait le bas de son visage et la lueur éteinte qu'avaient pris ses yeux bleus. Elle avait toujours eu un mal fou à imaginer l'ex-militaire dans son rôle « clandestin » de champion, derrière un bureau, à compléter ses rapports. Mais cette scène allait au-delà de tout ce qu'elle avait pu se représenter.
« Tu sais, la plupart des gens utilisent des ordinateurs aujourd'hui » lui fit-elle remarquer ironiquement en s'avançant parmi les montagnes de dossiers.
Le grand homme grogna en se redressant complètement, et Raichu apparut à son tour en sortant difficilement de l'imposant carton.
« Je n'aime pas les ordinateurs, maugréa le Major en époussetant ses vêtements légers et kakis. Kazuo et Nobuo s'occupent de tous les dossiers informatiques.
- Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Je range les archives des vingt dernières années, geignit le champion, perdant enfin son air dur, ce qui soulagea Morgane dont le visage se détendit. Le gouvernement lance une nouvelle politique, celle de : « soyez tous à jour dans vos impôts ou c'est la fusillade ! » T'as vu les flics dans les rues ? (Morgane secoua la tête) Eh bien ils sont partout ! Je reçois des relances vieilles de plusieurs mois et je dois vérifier tous les comptes ici. Tu peux pas savoir tout ce qu'on peut retrouver là-dedans ! Tiens ! (il brandit fièrement une feuille) Une facture vieille de huit ans ! On avait déclenché une coupure de courant dans toute la ville ! »
Le large sourire qui était apparu sur le visage du champion à l'évocation de cet incident laissa la jeune femme perplexe, lui arrachant un soupir. Elle laissa glisser son regard sur les innombrables papiers qui s'étalaient sous ses pieds, n'écoutant que d'une oreille le grand homme qui se demandait s'il ne devait pas encadrer cette facture pour l'accrocher dans le hall. Ses yeux noirs s'attardèrent sur un ensemble de lettres officielles venant de l'arène de Rivamar, de la région de Sinnoh. Morgane fronça les sourcils à l'idée que le militaire puisse converser avec le champion de cette ville ; après tout, outre le fait que les Conseils de leurs deux régions respectives soient en froid, … la jeune femme croyait savoir que Tanguy avait toujours refusé toute proximité avec son confrère de Carmin sur Mer. Une proximité qui devait s'étendre sur un maximum de deux kilomètres si la championne se souvenait bien. Elle décida finalement d'oublier cette découverte. Les affaires de familles et de succession n'étaient vraiment pas une chose desquelles on pouvait facilement se mêler. Elle retourna son attention vers l'homme qui continuait à parler tout seul, tandis que son rongeur s'échinait à repousser le carton vers le bureau.
« A part ça, comment vas-tu ? » demanda-t-elle enfin.
Le champion, coupé dans son monologue, la fixa d'abord sans comprendre, puis lui sourit sincèrement.
« Ça peut aller. On a pu mettre presque tous les comptes à jour, et ce congé forcé m'a permis de m'occuper de mes élèves.
- Kazuo et Ryoko. Tu sais que les lois de la Ligue stipulent qu'un champion ne peut pas avoir plusieurs élèves à la fois ?
- Euh… oui… Mais Ryoko a quasiment l'âge d'être engagée comme dresseuse dans l'arène, se défendit le Militaire. Et Kazuo a presque fini son entraînement.
- Il ne semble pas en être si sûr…
- Il manque de confiance en lui, continua le champion d'un ton professoral. Et c'est dommage, Elecsprint lui obéirait plus facilement. »
Morgane sourit. Ils continuèrent à discuter pendant près d'une heure, abordant différents sujets et évitant ceux qui les ramèneraient à ce qu'ils avaient vécu un mois plus tôt. La jeune femme sentit néanmoins une certaine réticence chez son compagnon, et elle n'en eu l'explication que lorsqu'elle lui demanda des nouvelles de Kangourex. A cette question le militaire baissa les yeux. Il lui apprit que la jeune femelle avait développé un comportement étrange envers lui, et qu'elle refusait tout contact. Il avait finalement dû se résigner à l'envoyer à la pension d'Azuria pour quelques temps. Morgane sentit sa gorge se serrer au souvenir de ce qu'avait du affronter le dinosaure en la personne de Kao, mais elle ne dit rien. Pendant ce temps, Raichu avait abandonné son classement pour venir saluer théâtralement Mentali, et s'asseoir près d'elle afin d'observer leurs deux dresseurs.
« Menta… (tu pues la sueur…)
- Rai ! rai raichu ! (ouais ! Le parfum des vrais mâles !)
- Mais au fait, où as-tu prévu de dormir ? questionna soudain le Major après avoir jeté un coup d'œil à l'horloge.
- En fait… j'étais certaine d'être partie avant la nuit tombée.
- Reste ici, répliqua aussitôt le champion avec un grand sourire. Y a bien assez de chambres !
- Hum… Pourquoi pas… » reprit la championne en tachant de ne pas aborder le problème de la présence d'un Migalos dans ces murs, puisque Kazuo et les autres semblaient vouloir à tout prix le cacher à leur champion.
Le militaire parut satisfait de cette réponse et hocha la tête, en ajoutant aussitôt qu'il allait prévenir Anatole d'ajouter un autre couvert. Puis il disparut par la porte du bureau. Morgane resta un instant sans bouger, curieuse de voir si le champion reviendrait sur ses pas en se rendant compte à quel point sa réaction manquait de politesse… mais ce ne fut pas le cas. Un nouveau soupir lui échappa. Elle baissa enfin les yeux lorsqu'elle sentit quelque chose tirer sur son pantalon, et aperçut Raichu qui lui souriait gentiment.
« Raichu, rairaichu.
- Mentali men (il dit qu'il va nous conduire à la chambre) »

Le lendemain, Morgane ne tarda pas à quitter son lit pour rejoindre le champion de Carmin, laissant derrière elle Mentali qui somnolait encore. Elle le trouva dans l'une des salles d'entraînement, à surveiller les progrès de Ryoko. Malgré la légère méfiance que lui inspirait la jeune fille, Morgane dut s'avouer qu'elle ressemblait à tout sauf à une débutante : son Elektek qui lui avait parut plutôt maladroit la veille s'avérait être un combattant vif et sûr de lui dans chacun de ses mouvements. La jeune femme aux cheveux noirs se raidit lorsque, à la demande de sa dresseuse, le monstre électrique lui décocha un Poing-Eclair. La gamine ne broncha pas et accueillit le coup dans ses mains positionnées devant elle. L'impact fut puissant à en juger par l'onde crépitante qui s'en dégagea, mais la dresseuse ne fut repoussée que de quelques centimètres. Morgane remarqua les étincelles qui apparurent aux pieds de la jeune fille à cet instant, puis cette dernière ordonna à son compagnon de recommencer. Elektek se mit à enchaîner plusieurs coups que sa dresseuse bloqua à chaque fois sans bouger.
« Joli non ? résonna la voix du militaire qui avait fini par s'approcher de sa consœur.
- En effet, répondit celle-ci sans même se tourner vers lui. Comment fait-elle pour contenir la décharge ?
- C'est justement ce qui la fait rester sur place. Elle la fait circuler jusqu'au sol pour s'y maintenir. »
Morgane baissa les yeux ; en effet la partie du sol sur laquelle se tenaient les deux combattants était couverte de fines plaques de métal, ce qui permettait certainement à la dresseuse de créer une sorte de champ magnétique pour aimanter son propre corps au sol. Pour pouvoir maîtriser ainsi les courants électriques qui circulaient en elle, la jeune fille avait certainement du s'entraîner avec son pokémon depuis son plus jeune âge.
« Tu ne m'as toujours pas dit pourquoi tu étais venue, reprit le champion, tirant Morgane de ses réflexions.
- Peter m'a contactée il y a quelques jours. Il voudrait nous parler avant la réunion qui a lieu après-demain.
- Ah ? Et, tu sais ce qu'il nous veut ? demanda le militaire qui se serait visiblement passé de cet entretient.
- Aucune idée, mais ça n'aura sans doute rien à voir avec l'armée, répondit la jeune femme pour le rassurer. Il se pourrait même qu'il ait des informations intéressantes pour nous. »
Le Major hocha la tête, à demi satisfait. Puis son sourire lui revint.
« Et tu es venue me prévenir moi, avant Koga ? s'extasia-t-il.
- Non. En fait je suis d'abord passé à Parmanie mais Koga n'était pas là. »
Le champion parut peiné, mais la jeune femme lui sourit.
« Tu n'aurais tout de même pas préféré que je l'amène ici ? »
A ces mots le grand homme grimaça.
« Non non, tu as bien fait !
- Dans ce cas nous ferions mieux de retourner le chercher dès maintenant. La réunion est dans deux jours, il est certainement rentré.
- Hum… Je vais prévenir Nobuo. Et pour ce qui est du moyen de transport ne t'en fais pas, je m'en occupe » ajouta-t-il en souriant.

Une heure plus tard, ils étaient en route vers Parmanie, Morgane chevauchant le Libégon qu'avait bien voulu leur confier le directeur du Fanclub de Carmin sur Mer, et le Major assis à l'envers sur le dos d'un vieux Rapasdepic du même dresseur. La championne observa son confrère encore plongé dans la paperasse qu'il avait emmenée avec lui, tandis que Raichu jouait à conduire l'oiseau, se mimant aux commandes d'un véhicule. Cette vision rappela à la championne qu'elle aussi aurait des tas de ces papiers à remplir lorsqu'elle rentrerait, son seul soulagement étant que l'informatique lui faciliterait la tache.
Ils arrivèrent en début d'après-midi à Parmanie. Le soleil y tapait fort et la petite bourgade n'était que peu agitée, sauf au niveau du Parc Safari dans lequel s'était rassemblées plusieurs familles pour pique-niquer. Ils amorcèrent leur descente près de la plage, en face du Centre Pokémon qui se dressait à quelques mètres à peine de l'arène, entourée de jardins luxuriants qui n'étaient protégés que par une petite palissade de bois sombre. Ils remercièrent les monstres volants qui décidèrent de faire une courte pause avant de retourner chez leur maître. Les deux champions se dirigèrent aussitôt vers l'arène. Ils passèrent sous le grand portail brun, orné d'arabesques esthétiques et de quelques symboles asiatiques, et suivirent le chemin de terre qui s'enfonçait entre les arbres imposants pour rejoindre l'entrée du bâtiment, logée au fond d'une allée de bambous. Lorsqu'ils eurent franchis les derniers mètres, ils purent apercevoir le ninja qui les attendait devant la grande porte, les bras croisés. Ils les accueillit d'un grognement blasé qui arracha au militaire une grimace agacée et à la médium un fort froncement de sourcils, offrant ainsi un tableau identique à celui de leur première rencontre, lorsqu'ils avaient été lancés à la poursuite de Kao, trois ans auparavant ; le ninja était vêtu de sa tenue d'entraînement, noire comme la nuit, et qui recouvrait tout son corps, ornée de sandales sombre et de son écharpe pourpre, contrastant avec la tenue moins officielle du champion de Carmin sur Mer qui avait gardé son jogging kaki et son débardeur noir pour ne chausser qu'à toute hâte une paire de rangers. Il avait simplement pris le temps de raser sa barbe de quelques jours. La championne de Safrania, quant à elle, avait penché pour des vêtements « civils » : un jean brun, de simples tongues en paille, et un T-shirt bordeaux sans manches, gardant comme toujours à son poignet droit son bracelet de cuir orné d'une clochette argentée.
Un long silence plana sur le groupe avant qu'un toussotement de la part de Morgane ne vienne le troubler.
« Layo m'a raconté, grogna Koga. Je n'ai pas particulièrement envie d'aller à ce rendez-vous mais j'imagine que je n'ai pas le choix.
- En effet, ajouta Morgane d'une voix neutre. De toute façon c'est lui qui viendra nous trouver.
- Oh, est-ce que je dois rajouter un couvert ? » s'enquit mielleusement le ninja.
La championne ne releva pas, et le militaire se contenta de souffler bruyamment dans son coin, Raichu dissimulé derrière ses jambes et lançant des regards accusateurs à leur hôte. Celui-ci entama enfin un geste pour les inviter à entrer, ajoutant qu'ils n'allaient pas rester des heures devant cette fichue porte à attendre le maître des Quatre. Ils entrèrent à sa suite, quittèrent leurs chaussures dans le hall étroit, traversèrent les couloirs nappés de bois et saluèrent les femmes en kimono appliquées aux taches ménagères pour arriver enfin dans le magnifique salon aux senteurs exquises, éclairé simplement par les rayons du jour filtrés par de petites fenêtres exigües en haut du mur extérieur. A leur entrée, Nosferalto se détacha du meuble auquel il restait souvent accroché pour venir se placer sur l'épaule de son dresseur. Le ninja ordonna à ses invités de s'asseoir autour de la table basse, ce qu'ils firent sans rechigner, n'ayant aucune envie de repartir déjà dans des disputes puériles. Morgane se mit à genoux, lançant un regard blasé au grand champion qui tentait vainement de trouver une position convenable face au meuble trop bas pour lui. Il s'assit finalement en tailleur, grommelant sans rien prononcer de compréhensible. Koga revint avec trois tasses et leur servit un thé trop fort que les invités se forcèrent à avaler.
« Alors, où étais-tu ? »
La question de la jeune femme interloqua le ninja qui répondit finalement :
« J'étais parti m'entraîner… dans les montagnes de l'Est.
- Les montagnes… il n'y a rien là-bas, remarqua le militaire. Juste un ou deux villages paumés…
- Etant donné qu'il s'agissait d'un entraînement et non de vacances, je n'avais pas besoin d'un palace » souffla Koga en secouant la tête.
Le grand champion ne lui répondit pas et se détourna avec une grimace agacée devant le ton condescendant de leur hôte. Quelques minutes passèrent ainsi, tandis que le ninja sirotait tranquillement son thé, et que ses invités observaient la pièce dans sa totalité. Le militaire ne tint pas longtemps en place et dut se lever pour faire quelques pas afin de regarder plus en détails les moindres recoins de l'endroit. Ses compagnons ne dirent rien, sachant qu'il était de toute façon impossible de le maintenir immobile plus de cinq minutes. Après un quart d'heure de silence étouffant, le militaire vint se planter face à Koga pour lui proposer un duel, afin de se « dégourdir un peu ».
« Ne dis pas n'importe quoi, répliqua sèchement Morgane. Tu sais bien que l'issu d'un tel combat ne serait une surprise pour personne. »
Ces paroles blessèrent profondément le grand champion qui lança un regard noir à la jeune femme. Celle-ci se rendit compte de la portée de ses mots et détourna les yeux.
« Contrairement à ce que tu sembles croire, j'ai moi aussi profité de ces deux semaines pour m'entraîner, gronda le militaire.
- Ça me paraît intéressant… »
Les deux champions se retournèrent, ébahis, vers le ninja qui venait d'afficher un sourire emprunt d'intérêt.
« Ça me va. Je relève ton défi. »

La salle de combat longeait le couloir principal. Elle était couverte d'un parquet verni et plusieurs bancs étaient postés sur les bords du terrain. Un jeune homme demanda à Koga s'il devait arbitrer lorsqu'il vit passer devant lui les trois champions. Le ninja acquiesça.
« Autant faire une vraie rencontre » ajouta-t-il à l'intention de son adversaire.
Celui-ci hocha la tête en lui répondant d'un sourire de défi, heureux de cette situation qui lui rappelait fortement ses premières années en tant que dresseur. Les deux hommes se placèrent à chaque extrémité du terrain et Morgane partit s'asseoir sur un banc. Elle appela Mentali pour que celle-ci puisse assister au combat. L'arbitre monta sur l'estrade qui surplombait la salle et fit appel à un Aeromite qui vint se placer à l'opposé pour mieux surveiller le duel. Aux pieds de son dresseur, Raichu trépignait d'impatience, tandis que Nosferalto fixait ses adversaires depuis l'épaule de son maître sans faire le moindre mouvement.
« Combien de pokémons as-tu sur toi ? demanda Koga à la surprise de l'homme blond.
- Euh… trois, pourquoi ? »
Le ninja sourit plus férocement.
« Dans ce cas faisons un trois contre trois plutôt qu'un simple duel.
- Ça me va, approuva le militaire. J'aurais droit au badge ?
- Si ça te chante » fit le champion de Parmanie en haussant les épaules.
A la demande de l'arbitre, les deux hommes se mirent d'accord sur les règles à suivre ; ils optèrent pour une série de combats simples, sans temps limité ni aucune règle particulière, rendant tous les coups permis. Le match commença.
Deux pokéballs fusèrent vers le centre du terrain et s'ouvrirent sur deux flashes lumineux. D'un côté un monstre énorme apparut, couvert d'une épaisse cuirasse de roche grisâtre. Sa corne couleur de marbre se mit en action, vrillant l'air dans un sifflement aigu visant à impressionner l'adversaire. Morgane fut étonnée de voir un tel pokémon parmi ceux de Koga, lui qui avait toujours préféré les approches subtiles et l'attaque indirecte par changements de statut, qui aurait pu croire qu'il se serait intéressé à un tank tel que Rhinoféros ? Face au colosse de pierre se dressait courageusement une Lainergie au regard sûr et concentré. Les deux monstres se toisèrent tandis que leurs dresseurs se formaient à toute vitesse les images du futur combat.
« Rhinoféros, Eclategriffe !
- Protection et Reflet ! »
La charge violente du monstre de roche le propulsa vers le mouton. Ses griffes énormes fendirent l'air pour venir déchirer l'image de Lainergie et se ficher dans les lattes dans une explosion de bois et de terre, pulvérisant le sol de l'arène. Koga n'y prit pas garde, ordonnant aussitôt à son pokémon d'enchaîner avec une Empal'Korne. Le dinosaure acquiesça dans un rugissement et repartit vers l'agnelle qui venait de se créer un mur de protection un peu plus loin, et qui concentrait un Chargeur sous les ordres de son dresseur. Le sol de la pièce se mit à trembler comme sous le poids d'un troupeau de Tauros lancés au galop alors que Rhinoféros fonçait sur sa cible, sa corne foreuse tournant sur elle-même de plus en plus vite. Juste avant l'impact, soudain inquiet de voir que Lainergie ne bougeait pas de sa trajectoire, Koga tourna un bref instant la tête vers Morgane. Il comprit la tactique adverse lorsqu'il vit la championne écarquiller les yeux avant de se les dissimuler vivement derrière ses bras. Un flash aveuglant envahit alors la pièce, né de l'attaque de Lainergie. Le ninja poussa un cri de douleur en sentant la brûlure qui semblait s'infiltrer à travers ses rétines, malgré ses paupières closes. Le Chargeur avait considérablement augmenté la puissance du Flash, et Koga comprit au mugissement de son Rhinoféros que lui non plus n'avait pu éviter l'attaque. De son côté, le militaire afficha un sourire satisfait en voyant le dinosaure chanceler sur place devant Lainergie, et bien plus en s'apercevant que le ninja était dans le même état.
« Il ne retrouvera pas la vue avant dix bonnes minutes, envoie-lui une Damocles !
- Lainer ! »
L'agnelle recula de quelques pas, puis chargea son adversaire qui frottait encore son visage de ses pattes maladroites. Elle sauta, et envoya tout son corps percuter le grand monstre. Celui-ci, ne voyant pas le coup venir, le reçut de plein fouet, au milieu du ventre, lui arrachant un nouveau cri. Koga jura en entendant son pokémon s'étaler de tout son long, fracassant une nouvelle partie du sol. Puis il tenta rapidement de se reprendre, et se calma. Il ferma les yeux puisque ceux-ci ne lui servaient plus à rien.
« Nosferalto… » murmura-t-il.
Le vampire lui répondit d'un sifflement et partit se percher plus haut, faisant vibrer l'anneau noir qui pendait à son aile. Le ninja se concentra et, d'un geste bref, fit tinter le sien. Les deux vibrations entrèrent en résonance et les contours du décor apparurent aussitôt au champion, aussi nets dans son esprit qu'ils ne l'auraient été pour sa vue. Son sourire lui revint. Cette technique, il l'avait mise au point lorsqu'il n'était encore qu'un jeune dresseur, et elle visait justement à contrer ce genre de situation.
« Bien, reprit-il, si tu ne peux plus compter sur ta vue alors utilise le Tunnel ! Et concentre-toi sur les vibrations ! »
Reconnaissant la voix de son dresseur, Rhinoféros, qui s'était lentement redressé, reprit confiance et plongea soudain sous terre, envoyant valser lattes de bois et poussière humide. Le militaire changea alors d'expression et ordonna à Lainergie de ne plus bouger pour ne pas se faire repérer. L'agnelle obéit, mais semblait inquiète, sa tête pivotant de droite à gauche en espérant apercevoir un signe du dinosaure. Le Major profita de cette brève accalmie pour réfléchir au moyen le plus rapide d'en finir avec le tank. Certes il avait le désavantage du type, et l'entraînement de l'agnelle ne l'avait pas encore poussée à maturité, mais ce qui avait toujours étonné chaque dresseur à qui elle avait été confrontée… c'était sa force physique. La terre jaillit soudain d'une fissure sur le bois malmené du sol du terrain. La colonne de sables violents fonça vers Lainergie.
« Lainergie ! Esquive avec une Queue de Fer ! Attends le moment propice ! »
L'agnelle bêla et se concentra sur sa prochaine attaque. Rhinoféros la rejoint rapidement et sa victime reçut de plein fouet la colonne de terre qui s'échappait de son tunnel. Mais au moment où le monstre allait s'extraire du sol pour frapper plus violemment le mouton, celui-ci décocha son attaque vers le sol, détruisant le mur de sable qui protégeait encore le dinosaure et butant sur la carapace dure de son armure faciale. Son coup permit à Lainergie de se propulser à quelques mètres du sol, et lorsque Rhinoféros sortit de son Tunnel dans un rugissement, il ne put l'atteindre. Maintenant, ils étaient proches, très proches, et c'était de cette proximité dont le pokémon électrique avait besoin pour gagner.
« Utilise maintenant ton Dynamopoing ! Pas la peine de lésiner sur la puissance ! »
Lainergie ne se fit pas prier. Alors qu'elle retombait vers le sol, et plus précisément vers le visage de Rhinoféros qui concentrait un Ultralaser aux ordres de son maître, l'agnelle repoussa son poing vers l'arrière pour y canaliser toute son énergie. Le choc se fit attendre et Morgane préféra se tasser sur son banc pour contenir une onde violente. Lainergie fut la plus rapide. Elle libéra le Dynamopoing qui s'abattit sauvagement sur le crâne de Rhinoféros. Celui-ci fut abasourdi par la puissance de l'attaque et ne put la contenir. Il fut envoyer contre le sol dur et s'y écrasa. Son attaque n'était heureusement pas totalement formée et elle s'évapora rapidement entre ses mâchoires. Koga attendit quelques instants pour tenter de déceler le moindre mouvement de la part de son pokémon, puis jura et rappela le monstre. Le champion de Carmin clama sa victoire en faisant tournoyer sa Lainergie qui avait sauté dans ses bras. Un vrai gamin, nota Morgane en soupirant. Le ninja ne put retenir un sourire.
« Ce n'était que le premier round, précisa-t-il d'une voix dans laquelle l'excitation était montée d'un cran. Maintenant voyons ce que tu vaux côté tactique. »
Ce disant, il avait agrippé une deuxième pokéball qu'il envoya vers le terrain, ses paupières toujours closes. Son Arbok apparut en sifflant, le regard déjà porté sur le dresseur adverse. Le militaire sourit et rappela Lainergie après l'avoir félicitée. Il décrocha une nouvelle pokéball de sa ceinture et fit appel à un Eoko. Le petit pokémon carillon tinta légèrement et vint se positionner face au grand serpent. Koga fronça les sourcils en sentant ses ondes se brouiller. Le décor de l'arène ne lui apparaissait plus précisément, laissant la place à des vagues indistinctes.
« J'ai compris ton petit jeu, lui lança le grand champion. J'espère pour toi que tu retrouveras rapidement la vue. »
Le ninja serra les dents. Certainement une attaque Grincement qui brouillait tous ses sens. Nosferalto émit un sifflement de désaccord ; son dresseur était en mauvaise posture, ce qui sembla renforcer l'orgueil du serpent qui se dressa sur le terrain pour paraître plus impressionnant. Le match débuta lorsque Koga cria son premier ordre :
« Arbok, fais-le bouger avec tes Dard-Venin ! »
Le reptile réagit aussitôt et ouvrit sa large gueule pour envoyer une pluie d'aiguilles fines vers Eoko. Celui-ci esquiva en flottant sur le côté, et Arbok renouvela son attaque plusieurs fois. Le ninja tentait de se concentrer sur le son du carillon du petit pokémon, et lorsqu'il parvint enfin à déterminer sa position, en tenant compte de celle d'Arbok qui n'avait pas bouger depuis le début du combat, il put enfin se lancer dans une véritable offensive.
« Bien ! Maintenant Morsure ! Essaye de l'acculer dans un coin du terrain ! »
Pendant ce temps, le militaire avait pesé le pour et le contre des défauts de ce terrain détérioré ; Eoko aurait pu avoir un avantage flagrant grâce à sa lévitation, si le serpent n'avait pas été habitué aux terres accidentées et ne pouvait se muer si facilement. Voyant le reptile charger soudainement, il se reprit et décida de jouer la défense le temps de trouver une parade à sa vitesse impressionnante.
« Eoko ! Créé un Mur Lumière ! Et essaye de te déplacer au maximum pour ne pas te retrouver coincé ! »
L'attaque d'Arbok fut esquivée, mais le serpent profita de sa vitesse pour frapper de son corps le petit pokémon dans une Souplesse parfaitement menée. Entendant le choc, Koga en profita pour ordonner à son reptile de tenter un Ligotage. Arbok referma rapidement ses anneaux mais ceux-ci ne rencontrèrent que du vide.
« Profites-en tant qu'il est immobilisé ! Choc Mental ! »
Eoko, qui avait réussi à s'éloigner de quelques mètres du serpent, déclencha son attaque qui frappa sa cible de plein fouet. Arbok fut légèrement secoué, mais son niveau lui permit de tenir bon. Koga entrouvrit les yeux ; sa vue n'était pas encore totalement revenue, mais il commençait à reconnaître certaines formes mouvantes. D'après les réactions du pokémon adverse jusqu'à maintenant, le ninja concluait que son dresseur souhaitait jouer la défense. Il pouvait se servir de ce choix à son avantage. Eoko était constamment en mouvement, dégageant un tintement qui brouillait certes ses sens, mais indiquait aussi sa position. Mais surtout… ces déplacements constants dévoilaient une faiblesse à exploiter.
« Arbok, attaque Acide à répétition ! »
Le serpent cracha un liquide jaunâtre en direction de son adversaire. Eoko l'évita comme le lui ordonnait son maître. L'acide s'étala sur le bois encore intact et entreprit aussitôt de le ronger, dégageant une fumée brune et peu épaisse. Comme prévu, le reptile renouvela plusieurs fois ses offensives, mais le pokémon carillon les évitait à chaque fois, en venant même à caser entre chaque esquive quelques Choc Mentals qui déstabilisèrent et affaiblirent lentement Arbok. Sentant la victoire poindre, le champion de Carmin se décida enfin à lancer l'attaque ultime d'Eoko, pour achever le combat.
« Eoko, mets-toi hors de portée et envoie-lui ta Psyko ! »
Le petit pokémon acquiesça et tenta de s'éloigner du serpent pour pouvoir déclencher sans danger sa technique. Son dresseur ne prit conscience qu'à cet instant que la vitesse de son compagnon avait diminuée de moitié, bien trop tard pour tenter quoi que ce soit.
« Les vapeurs d'acide, précisa Koga qui avait presque intégralement recouvré la vue. Arbok, utilise maintenant la Damoclès ! »
La charge dévastatrice du reptile acheva le combat. Tandis que le serpent revenait fièrement vers son dresseur, le militaire se précipita vers son Eoko inconscient pour le prendre délicatement dans ses bras, culpabilisant sur le fait qu'il n'avait pas vu plus tôt la faiblesse du petit monstre. Morgane se mordit la lèvre ; tel qu'elle connaissait ses deux compagnons, ce dernier combat risquait de tourner au vinaigre. Chacun d'eux était trop fier pour s'avouer facilement vaincu, et ils avaient gardé leurs plus puissants combattants pour la fin.
Un petit rire fit sursauter la jeune femme qui tourna la tête pour voir une demi-douzaine de filles allant de dix-huit à soixante dix ans, agglutinées derrière le banc qui jouxtait le sien. Elles portaient toutes un kimono identique à celui des femmes de ménage de l'arène.
« Koga-sama ne peut pas perdre, jubila une jeune fille.
- Ne crions pas victoire trop tôt, répartit une vieille femme d'une voix calme. Son adversaire semble avoir de l'expérience... peut-être plus que notre champion. »
Un nuage de protestations s'éleva du groupe de femmes, toutes persuadées de la victoire du ninja. La vieille femme secoua la tête avec indulgence et vint s'asseoir près de Morgane qui n'en revenait pas qu'un homme tel que Koga s'amuse à vivre entouré de groupies. Les deux femmes se saluèrent et n'ajoutèrent rien, replongeant dans l'affrontement qui se dirigeait vers sa dernière phase.
Aucun ordre ne fut donné ; les deux hommes s'éloignèrent l'un de l'autre. Ils avaient besoin de plus d'espace, d'un point de vue plus ouvert. Ce terrain plat et terreux ne les enchantait guère, et tous deux songeaient qu'ils auraient préféré se combattre sur un sol naturel. Raichu, sur l'épaule de son dresseur, gonfla le torse à l'aide d'une grande inspiration, puis il s'éjecta du grand homme pour courir vers le centre du terrain. Se dressant sur ses pattes arrière et prenant une posture digne des plus grands Don Juan, il nargua l'adversaire de se présenter. Koga poussa un soupir amusé et rouvrit les yeux ; sa vue n'était plus trouble. Nosferalto descendit du plafond pour venir voleter en zigzaguant face au rongeur. La tension monta d'un cran dans la pièce alors que le groupe de femmes commençait à douter de l'issu du combat. Morgane elle-même fronça les sourcils. D'un côté la vieille dame en kimono n'avait pas tort : le Major avait beaucoup plus d'expérience, une expérience plus violente. Mais c'était peut-être cette expérience à l'issu parfois sanglante qui avait fait de lui un champion de rang inférieur à Koga, et la jeune femme aux cheveux noirs se demandait si le militaire se donnait toujours pleinement dans les combats qu'il faisait. Après tout... beaucoup de dresseurs arrivaient à quitter son arène le badge en main... parfois après plusieurs tentatives il était vrai. Toujours était-il que Raichu était son plus vieux compagnon, un compagnon qui l'avait accompagné depuis son enfance, et durant les longues années qu'il avait passé dans l'armée de Kanto. Et Raichu était réellement, tout comme son dresseur, un combattant de génie et adversaire redoutable. Nosferalto avait toujours été entraîné par le ninja pour ses capacités d'infiltration, mais qu'en était-il du combat ?
« Buée Noire sur tout le terrain ! Pas question de subir ses changements de statut !
- Vive-Attaque autour du terrain ! Préserve ton champ de vision ! »
Les deux combattants s'élancèrent à une vitesse telle que la plupart des regards ne purent suivre leurs mouvements. Le vampire frôla le sol dans un tourbillon de vents mouvants, faisant s'élever une large colonne de terre qui se mêla à la fumée mauve qui recouvrit bientôt tout le terrain. De son côté, le rongeur fusait de toutes parts, apparaissant et disparaissant à toute vitesse dans chaque coin de l'arène, déplaçant par sa simple vitesse le souffle aveuglant destiné à réduire son champ de vision et celui de son dresseur. Koga sourit ; avec son impressionnante vélocité, Raichu pouvait très facilement se repérer dans ce nuage de fumée, mais ce n'était pas le cas de son dresseur. A chaque battement d'ailes, Nosferalto rendait le brouillard plus dense encore. Les rôles s'étaient inversés : le ninja était habitué à suivre son pokémon au son de ses mouvements, et le rat électrique était facile à repérer grâce aux souffles d'air que déclenchait chacune de ses charges.
« Ses déplacements sont réguliers ! Repère-le et utilise une Tranch'Air ! » ordonna Koga.
Le vampire s'éleva soudainement, se dégageant du nuage épais, entraînant avec lui quelques résidus de terre qui flottèrent un instant autour de lui avant de retomber comme des blocs. Ses ailes déployées semblèrent briller brièvement, avant qu'il ne les replie avec force devant lui, libérant deux puissantes faux aériennes qui fondirent sur le rongeur. Le point d'impact était parfaitement calculé, et les deux lames se précipitèrent à la rencontre de Raichu qui venait d'apparaître là où le vampire et son dresseur l'espéraient.
« Ça suffit ! Reflet et Rugissement ! Débarrasse-moi de ces foutus vents ! »
Avant même que les faux tranchantes n'aient pu atteindre le rongeur, celui-ci s'était dédoublé à travers le nuage d'un brun mauve. Sans prendre le temps de contrer les dangereuses offensives, chacune de ses images imitant l'original, Raichu inspira brusquement, gonflant ses poumons d'un air humide. Son attaque Rugissement retentit avec autant de force que si la foudre venait de s'écraser dans la pièce. Plusieurs femmes en kimono poussèrent des cris de surprise et de douleur en se bouchant les oreilles. L'air vacilla et les vents semblèrent se déformer. Les deux lames aériennes tanguèrent avant d'aller s'écraser de chaque côté du rat électrique, perforant les murs entourant le terrain. Koga grimaça en voyant le dôme de poussière s'effondrer lentement, le rongeur et toutes ses images se tenants au milieu des dernières bribes de couverture terreuse, un sourire fier aux lèvres, identique à celui de son dresseur. Le ninja le lui rendit avant de relever la tête vers son vampire pour lui crier de nouveaux ordres :
« Changement de tactique ! cria-t-il en observant du coin de l'œil l'état lamentable du terrain. Lance ta Tornade ! »
Nosferalto plongea aussitôt en tournoyant sur lui-même et remontant comme un bloc, bâtissant par ce simple mouvement un mur de vents hurlants qui commencèrent à s'échapper de tous côtés. Raichu plaqua ses oreilles vers l'arrière et protégea ses yeux d'une de ses pattes.
« Raichu ! Tu ne dois pas quitter le sol ! somma le militaire. Dresse un Mur Lumière ! »
Le rongeur grinça des dents et fit disparaître tous ses reflets pour concentrer ses forces dans sa défense. Une lueur apparut entre ses petits bras, puis se dressa autour de lui comme une coque invisible. Koga ricana.
« Si la vitesse est ton fort, je doute qu'elle te soit d'une quelconque utilité face à ça ! Nosferalto, Cyclone ! »
La vitesse des vents augmenta subitement alors que le vampire poussait un graillement d'acquiescement en redoublant de force dans ses battements d'ailes. De nouveaux gémissements s'élevèrent du groupe de femmes qui se tassèrent derrière le banc. Morgane referma ses bras sur Mentali et s'accrocha au banc qui était, heureusement pour elle, fixé au sol. L'Aeromite de l'arbitre vint s'abriter derrière les parois de verre qui protégeaient ce dernier. La championne repensa soudain à la vieille femme assise à ses côtés et se tourna vers elle pour s'assurer de sa protection. La grand-mère lui sourit en sortant une pokéball et faisant appel à un Empiflor qui l'enveloppa de ses lianes pour la maintenir fermement accrochée au sol.
De son côté, Raichu peinait de plus en plus à se maintenir en position. Il glissait, lentement, par à coups, créant derrière lui des sillons dans la terre fraîche. Son dresseur, en aussi mauvaise posture, dut se résigner à venir agripper une fine colonne de bois qui se dressait à quelques mètres de lui lorsqu'il sentit son corps se soulever légèrement. Tous deux présentaient la même expression de concentration, les yeux fermés, un bras replié devant leur visage pour ne pas être aveuglés par les gravats que la tornade avait entraînés. Koga afficha un nouveau sourire victorieux en entendant les dernières lattes de bois craquer sous les pattes du rongeur. Celui-ci ne put tenir plus longtemps et fut arraché du sol, ne pouvant plus maintenir son bouclier. Son dresseur parut un instant terrifié, rouvrant ses yeux bleu ciel pour suivre la course de son compagnon qui commença par se débattre contre un ennemi invisible, puis il reprit confiance et cria d'une voix forte qui couvrit jusqu'au rugissement de la tornade :
« Attaque Roulade ! Suis le sens du vent ! »
Le rongeur capta les ordres de son maître et cessa ses mouvements et ses gémissements vains. D'un coup d'œil vif il repéra la position du vampire, au centre de la colonne d'air, puis intima une brusque torsion à son corps pour foncer à travers les rafales de vents comme un boulet de canon chargé d'une dangereuse énergie électrique. Koga s'en aperçut avant son vampire et le mit en garde alors que le rongeur suivait le souffle violent pour se diriger droit vers lui. Nosferalto ne le vit qu'au dernier moment et dut faire un effort monstrueux pour stopper les mouvements qui donnaient corps à son attaque, et s'extirpa juste à temps de la charge de Raichu. La tornade perdit aussitôt de son éclat, les hurlements de vents diminuèrent.
« Ne rate pas cette occasion ! Tonnerre ! »
Raichu, comprenant que le vampire avait dû sacrifier sa puissante attaque pour l'éviter, stoppa sa propre offensive et reprit une position normale, dévoilant ses joues dorées tendues et crépitantes sous l'afflux l'électricité. Ses éclairs partirent frapper le monstre volant qui eut à peine le temps d'entamer un geste d'esquive et explosèrent à son contact. Koga jura et s'avança à pas rapides sur le terrain pour surveiller la chute éventuelle de son compagnon, depuis le bloc de fumée qu'avait créé l'impact. Le Major en fit de même, plus rapidement car son rongeur n'avait pas la chance de pouvoir ralentir sa chute grâce à un quelconque organe aérien. Il rattrapa son compagnon dans ses bras fermes et celui-ci poussa un soupir rassuré. Le léger ricanement de Koga sortit le militaire de son propre soulagement. Il releva les yeux en même temps que Raichu pour voir le vampire venir se poser un peu maladroitement sur l'épaule de son maître. Celui-ci souriait de toutes ses dents, les défiant toujours autant du regard.
« Un joli match nul je dois dire, déclara le ninja.
- De quoi ? » s'exclama le militaire, abasourdi.
Les femmes, un brin décoiffées et pour la plupart encore sous le choc, échangèrent des regards déçus et poussèrent des protestations désespérées. Morgane était tout autant déçue ; ne pas voir la fin d'un tel combat était pour le moins frustrant et elle se leva à son tour pour désapprouver. Le ninja intima le silence en levant la main, puis dirigea celle-ci vers l'entrée de la pièce. Tous suivirent son mouvement pour voir enfin le maître des dragons, adossé à l'encadrement de la porte, un sourire au coin des lèvres.

« Je ne savais pas que tu avais ton harem personnel, remarqua Morgane alors qu'ils se dirigeaient tous les quatre vers une salle plus calme de l'arène.
- Tss, grogna Koga en rougissant légèrement. Ce n'est pas ma faute si vingt personnes se présentent lorsque je demande UNE femme de ménage ! »
Evidemment, ne sachant faire ce genre de choix, le champion se contentait de toutes les engager. Morgane pouffa silencieusement. Elle était restée en compagnie du ninja, à l'arrière du petit groupe, tandis que le militaire tentait d'arracher au maître des Quatre quelques dernières nouvelles à propos des décisions de la Ligue à leur égard. Peter se contentait de garder son sourire charmant et de détourner habilement la conversation, pour le grand désarroi du champion de Carmin.
« Et les recherches que je t'ai demandées ? »
Morgane se retourna vers Koga. Son expression se durcit.
« Tu as trouvé quelque chose ? insista le ninja.
- Oui, affirma la jeune femme. Si ça ne te dérange pas, je te raconterais tout ça... après. »
L'homme allait répartir mais il s'aperçut qu'ils venaient d'arriver devant le grand salon. Un soupir lui échappa et il devança ses invités pour les faire entrer dans la pièce.