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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 18/04/2013 à 18:05
» Dernière mise à jour le 18/04/2013 à 18:05

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Chapitre 22 : La colère du volcan
Impression fugace de tomber en chute libre.

Et puis l'atterrissage, tout aussi brutal qu'inévitable.

Je clignai des yeux, momentanément déconcertée par la transition. Le contraste entre la colline baignée de soleil du rêve de Lostelle et l'endroit sombre et frais où je me trouvais à présent me fit l'effet d'une claque revigorante. Un peu comme plonger brusquement dans un bain glacé après une demi-heure restée à bronzer sur la plage. Une inspiration plus tard, le temps de retrouver mes repères, et deux constatations s'imposèrent à moi. Un, mon corps était dans un sale état : j'avais des crampes dans à peu près tous les muscles, mes yeux me piquaient, et je ne sentais même plus mes pieds. Deux, nous étions de retour dans le Bois Baies - du moins si je me fiais à ma vue.

Étions-nous revenus dans le monde Pokémon ou bien était-ce encore l'Hypnomade qui se jouait de nous ? S'il s'agissait effectivement de la réalité, tous ces symptômes physiques, en plus de la lumière déclinante, m'indiquaient qu'il s'était écoulé un bon bout de temps.

Je croisai le regard désorienté de Lostelle en face de moi. Si j'avais réussi à oublier tout ce qui s'était passé dans les rêves successifs, j'aurais presque pu croire que je venais seulement de m'agenouiller à sa hauteur. Impossible, évidemment. Mes lèvres brûlaient encore de ce qui venait de se produire. Je repoussai l'incident dans un coin de ma tête : nous avions d'autres problèmes bien plus pressants à régler.

- Tout va bien ? m'assurai-je auprès de la fillette rousse.

Sa réponse fut couverte par un sourd grondement que mon cerveau associa automatiquement à une Teigne enragée. Je me retournai et assistai au spectacle de la Colossinge qui balançait des coups de poings sur un Pokémon à la peau jaune et à l'apparence plus ou moins humanoïde. L'Hypnomade. Il devait être sacrément puissant parce que les attaques de Teigne ne portaient pas, stoppées par une barrière scintillante érigée entre elle et le Pokémon psy. En retrait de quelques pas, l'Alakazam de Zack avait ses deux cuillères pointées sur son congénère, et je vis l'air vibrer à plusieurs reprises tandis qu'il les inclinait.

Deux contre un et l'autre parvenait à leur résister ? Je devais admettre que cet Hypnomade était impressionnant malgré son caractère de sadique dégénéré. On allait voir s'il faisait autant le malin face à Plouf et sa morsure. Au moment où je m'apprêtais à relâcher le Léviator, un sujet plus pressant attira mon attention : Teigne avait redoublé la violence de ses attaques, l'air absolument furieuse, et le mur de lumière qui protégeait l'Hypnomade commençait à se craqueler... Or, vu l'état de la Colossinge, je craignais qu'elle ne se laisse emporter si elle parvenait à toucher le Pokémon psy de ses poings.

- Essaie un Tomberoche, Teigne, mais ne le tue pas ! lui lançai-je, un ordre destiné à la ramener à la raison tout autant qu'à mettre l'Hypnomade à terre.

Mais vivant, surtout. J'avais des questions à lui poser, des questions qui ne souffraient aucun délai. Pourquoi est-ce que Zack avait été projeté dans un cauchemar tandis que moi j'avais eu droit à tout ce que je voulais dans la vie ? Et surtout, était-ce le vrai Vivian que j'avais vu, ou une simple manifestation de mon subconscient ?

- Singe ! s'écria Teigne, et au ton de sa voix je crus un instant qu'elle venait de me dire d'aller me faire foutre.

J'avais mal interprété sa réponse, apparemment, car elle recula, reprit son souffle, puis leva les bras, dans une position que je reconnus comme un prélude à Tomberoche. Tout à coup, elle fut projetée contre Alakazam, le percutant violemment, ce qui le déséquilibra. Sous le choc, il lâcha l'une de ses cuillères. L'Hypnomade disparut aussitôt dans un scintillement violet.

Ma main se crispa sur la Pokéball de Plouf tandis que je grinçai des dents. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'à chaque fois que j'allais obtenir des réponses, l'univers se faisait un malin plaisir de me les agiter sous le nez avant de les faire disparaître d'un coup de baguette magique ? De rage, je tapai du pied par terre, et ne réussis qu'à me faire mal au gros orteil.

La voix froide et posée d'Alakazam résonna dans ma tête :

Je m'excuse de mon incompétence.


- Y a pas moyen de suivre sa trace ? insistai-je en fixant l'endroit où s'était tenu l'Hypnomade.

Non. Il a brouillé son signal psychique, je ne suis hélas pas capable de le retrouver.

- Pas grave, lui répondit Zack. Il avait l'air trop puissant de toute façon, c'est une bonne chose qu'il ait déguerpi.

J'avais soigneusement évité de le regarder jusque là. Je risquai un coup d'œil dans sa direction, et détournai aussitôt le regard lorsqu'il se tourna pour contempler les alentours.

- On est bien de retour dans la réalité ? s'enquit-il.

Oui, confirma Alakazam.
Votre méthode pour sortir a complètement déstabilisé l'Hypnomade, et a provoqué l'effondrement de tous les rêves.

Notre méthode. C'était donc comme ça qu'on allait appeler ça. Je me passai la langue sur les lèvres. Je savais qu'en réalité rien ne s'était produit mais ça n'empêcha pas une vague de chaleur traîtresse d'envahir mon bas-ventre au souvenir de la bouche de Zack pressée contre la mienne.

Tu sais bien qu'il ne pourra jamais rien y avoir entre toi et Zack
, fit la voix qui se targuait d'être ma conscience.

Ah bon, pourquoi ?
demanda celle qui s'occupait exclusivement des décisions stupides.

Tu veux une énumération complète ? dit la première, relevant le défi. Très bien : un, il y a de très fortes probabilités qu'il ne soit qu'un programme informatique. Deux, tu lui caches la vérité quant à d'où tu viens. Trois, c'est trop dangereux avec Vivian dans les parages, tu en as eu la preuve avec Léonard. Et quatre, en parlant de Léonard, ça ne fait que deux semaines et c'est encore bien trop tôt pour te remettre en couple - même si techniquement, tu n'as jamais formé un couple avec Léonard. Des objections ?


N'empêche qu'il embrasse diablement bien,
opposa l'autre.

Tout ça me donnait l'impression d'être un peu schizophrène sur les bords.

- Couinos ? fit soudain Lostelle d'un ton plaintif, élevant la voix. Couinos, où est-ce que t'es ?

Les paroles du père de la fillette me revinrent en mémoire et je sondai les environs à la recherche d'une fourrure noire et orange.

- Alakazam, se contenta de dire Zack.

Le Caninos est évanoui dans ce buisson
, indiqua le Pokémon psy presque immédiatement.

- Couinos... souffla Lostelle en se précipitant vers le buisson en question.

Je la suivis et nous découvrîmes ensemble son Pokémon allongé sur le flanc. Les yeux clos, il respirait difficilement, bien qu'il ne semblait souffrir d'aucune blessure physique. Mais un affrontement contre l'Hypnomade n'aurait laissé aucune trace, et pouvait se révéler tout aussi dangereux pour la santé que des coups de griffes.

- Il va bien ? me demanda la fillette en posant une main sur la tête du chien. L'autre lui a pas fait trop de mal, dis ?

- Il va s'en remettre, lui assurai-je en tirant une Super Potion de mon sac. C'est un solide petit Caninos, et il ne va pas se laisser abattre par un Pokémon psy. Tout comme sa dresseuse, n'est-ce pas ?

Le visage de Lostelle fut éclairé d'un bref sourire, qui devint beaucoup plus éclatant lorsque le Caninos reprit conscience grâce à la potion et se mit en devoir de faire la fête à sa maîtresse.

- On n'a plus qu'à rentrer, constatai-je.

- Non, il manque Lili ! me contredit Lostelle.

- Lili ?

Lostelle avait-elle une sœur que son père aurait oublié de mentionner ? Je me sentis toute bête lorsqu'Alakazam tendit à la fillette une peluche d'Evoli. Lili. Bien sûr.

Voici ton faux Pokémon miniature, petite humaine.


Elle s'en empara et le serra contre son cœur.

- Maintenant on peut rentrer à la maison, dit-elle.

Aucun d'entre nous n'avait envie de s'attarder davantage dans le bois obscur, nous eûmes donc tôt fait de quitter le couvert des arbres. J'avais libéré Salade pour que Lostelle n'ait pas à marcher tout le chemin du retour : la fillette était si épuisée qu'elle se mit à somnoler presque aussitôt, blottie avec son Caninos et sa peluche sur le dos du Florizzare. Il faut dire que le balancement de la démarche de Salade procurait une sensation de ballottement assez réconfortante, qui m'avait donnée sommeil plus d'une fois.

Zack et moi avancions côte à côte, imités par Alakazam et Teigne qui nous précédaient. Ce qui s'était passé dans le rêve - notre baiser, autant appeler un chat un chat - flottait entre nous, un non-dit mâtiné de gêne et d'incertitude. À l'aller, il existait déjà une tension entre nous, mais sa nature était différente, beaucoup plus amicale. Là, ça virait carrément au malaise. Je ne voulais pas en parler et j'espérais que Zack n'allait pas mettre le sujet sur le table. C'était arrivé, OK. Ça ne se reproduirait plus. Point barre.

Je rangeai tout ça dans un coin bien obscur de mon esprit et me tournai vers le présent - spécifiquement vers Teigne qui n'avait pas dit un mot depuis la disparition de l'Hypnomade. Elle qui déjà ne se montrait pas bien bavarde en temps normale, là ça frôlait le mutisme. Je craignais que ça n'ait un rapport avec le rêve que lui avait fait vivre l'Hypnomade. S'il avait été du même genre que celui de Zack ou de Lostelle, cela ne m'étonnait pas qu'elle se renferme sur elle-même.

- Teigne, ça va ? l'interrogeai-je alors que nous longions la plage qui menait au pont du Lien.

- Singe, reçus-je en réponse.

- Ton cauchemar n'a pas été...

- Singe, m'interrompit-elle, avant de continuer. Colossinge, singe, colo, colossinge. Singe.

Hé bien. Je n'avais jamais entendu une phrase aussi longue de la part de Teigne.

Elle dit qu'elle a dû assister à nouveau à la mort de sa famille et que ce connard de Pokémon psy devra payer, mais sinon ça va, elle va bien, ça ne sert à rien de t'inquiéter pour elle car elle n'est pas faible, et tu devrais le savoir
, me traduisit Alakazam d'une seule traite.

- Ah. D'accord.

Je ne pouvais que reconnaître que j'avais été stupide de m'en faire pour Teigne. Le mental de la Colossinge était à l'image de son corps : d'acier.

- Et toi Alakazam, à quoi ressemblait ton cauchemar ? demandai-je pour changer de sujet.

J'ai dû faire face à plusieurs futurs qui se réalisaient tous
, révéla-t-il. Une expérience des plus énervantes. Il semble que l'Hypnomade savait précisément où nous frapper pour que ça fasse le plus mal.

Mais moi, il m'avait épargné. Il y avait pourtant matière à me donner des cauchemars, avec la mort de Vivian quand j'étais gamine et les pertes plus récentes que j'avais subies. Alors pourquoi ? La réponse m'échappait.

Nous parcourûmes le reste du chemin en silence. La nuit commençait à tomber lorsque nous traversâmes à nouveau le petit village pour rejoindre l'embarcadère. Le capitaine du ferry nous adressa un signe de la main en nous voyant arriver, puis sourit à Lostelle.

- J'suis bien content de te voir, ptichoune, lui dit-il. J'avais peur qu'y te soit arrivé que'que chose.

- Non, ça va, le rassura Lostelle d'une petite voix. Mais je veux rentrer chez moi maintenant.

- C'est comme si c'était fait ! lui répondit l'homme.

Il dût probablement dépasser la limite de vitesse autorisée car la traversée ne dura que cinq minutes au lieu du quart d'heure que nous avions mis cet après-midi. Pas que ça m'embête : au contraire, plus vite nous pourrions mettre cet épisode derrière nous, mieux ce serait. Je sentis plus d'une fois le regard de Zack se poser sur moi, et gardais les yeux résolument fixés sur l'horizon, projetant une attitude qui devait transmettre mon message ("Non, je ne veux pas en parler") plutôt efficacement.

Lorsque nous accostâmes sur l'Île 2, Lostelle titubait de fatigue. Je me sentais moi-même claquée. Les rêves que nous avait fait subir l'Hypnomade ne devaient pas compter comme du vrai sommeil, en fait ça semblait même être le contraire : j'avais l'impression d'avoir passé ces dernières heures à courir un marathon.

Le père de la fillette nous attendait sur le ponton en bois qui s'élançait vers la mer. Son visage passa de l'anxiété à la joie mêlée de soulagement quand il aperçut Lostelle. Cette dernière se précipita dans ses bras, suivie par le Caninos qui se mit à aboyer comme un fou en sautant autour du père et de la fille réunis. Teigne lui grogna très aimablement dessus, comme elle savait si bien le faire, ce qui le réduisit aussitôt au silence.

- Tu vas bien, ma petite puce ? s'enquit le père de Lostelle en lui caressant les cheveux.

- Il y avait un méchant Pokémon... et il m'a obligé à tuer des papillons... chuchota la fillette, des sanglots dans la voix.

Le regard de l'homme s'assombrit.

- Comment il a su pour Maman ? continua Lostelle. T'avais dit que ça serait notre secret...

- Je te promets que ça n'arrivera plus, ma chérie. Plus personne ne te fera du mal.

Il lui adressa un sourire rassurant.

- Tu veux bien aller t'occuper de Couinos un petit moment ? Je te rejoins dans un instant et ensuite on rentrera à la maison.

Lostelle hocha la tête. Tandis qu'elle allait faire des papouilles au Caninos un peu à l'écart, son père s'approcha de nous.

- Je ne pourrais jamais vous remercier assez de l'avoir retrouvée, nous dit-il. Je m'apprêtais à partir à sa recherche quand vous êtes revenus. Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? voulut-il savoir. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de méchant Pokémon ?

- Un Hypnomade, répondit Zack de manière laconique. Faudra que vous signaliez sa présence à la police, on a juste réussi à le faire fuir et il se pourrait qu'il revienne. C'est teigneux ces bêtes-là.

- Singe ?

- Non, pas toi, ajouta Zack avec un soupir.

- Un Hypnomade qui s'attaque volontairement à des humains ? D'habitude ceux du Bois Baies sont aussi inoffensifs que des Magicarpe, je ne comprends pas... Ça fait deux ans que Lostelle va cueillir des baies là-bas, et elle n'a jamais eu de problème jusqu'à aujourd'hui.

- On n'a pas compris non plus quelles pouvaient être les motivations de cet Hypnomade, dis-je en haussant les épaules. C'est probablement un mystère qui ne sera jamais résolu.

Personnellement, je penche pour de la cruauté pure et simple, couplée à une pointe d'ennui,
intervint Alakazam.

- En tout cas, Lostelle est saine et sauve grâce à vous, reprit l'homme. Vous avez toute ma gratitude, vraiment.

- Ce n'était rien, lui assurai-je. Mais pourquoi des papillons ? demandai-je après un temps d'hésitation.

La douleur qui s'inscrivit sur le visage de mon interlocuteur me fit regretter d'avoir posé la question.

- La mère de Lostelle nous a quittés il y a deux ans, expliqua-t-il, et je lui ai dit qu'elle s'était réincarnée en papillon pour atténuer un peu son chagrin. (Il soupira.) Lostelle adore les papillons...

Aïe. Voilà qui donnait une toute autre dimension au rêve de la fillette. Je glissai un regard dans sa direction : elle s'était blottie contre son Caninos et avait l'air de commencer à s'endormir.

- Vous auriez dû lui dire la vérité, lança Zack sur un ton critique. Les mensonges c'est bien joli mais ça ne mène jamais à rien, et quand ils éclatent en morceaux on s'y coupe très facilement.

- Parce que toi ça ne t'est jamais arrivé de mentir, peut-être ? rétorquai-je sans songer à tenir ma langue.

- Ça n'a rien à voir, fit-il en se tournant vers moi. J'ai pas délibérément raconté des conneries sentimentales à une gamine pour lui épargner de la peine qui l'aurait rendu plus forte si elle l'avait affrontée.

- Non, tu te contentes juste de mentir par omission. C'est encore plus fourbe.

- Et pour le coup tu t'y connais en fourberie, lâcha-t-il d'une voix dure avant de s'éloigner.

C'était quoi, son problème ? Je bridai ma colère le temps de dire au revoir à Lostelle et son père, puis acceptai une dernière fois les remerciements de celui-ci, avant de rejoindre Zack à bord du ferry. Il s'était accoudé au bastingage et m'ignorai ostensiblement. Mon énervement monta d'un cran. Bien sûr, monsieur avait décidé que notre conversation était finie, et il s'imaginait que ses envies faisaient loi. Hé bien non. Je m'approchai et montrai les dents, attaquant avec une pique pleine de sarcasme :

- Ce que j'adore chez toi, c'est ta facilité à admettre que tu t'es trompé.

- Et moi ce que j'adore chez toi c'est que t'es pas du tout rancunière, me renvoya-t-il sur le même registre.

Nous échangeâmes un sourire des plus carnassiers, tels deux loups affamés qui se résignaient à partager une carcasse car trop épuisés pour se battre - mais dès qu'ils auraient à nouveau le ventre plein, les deux prédateurs se jetteraient l'un sur l'autre pour un combat sanglant. Une métaphore appropriée, ou bien peut-être était-ce la fatigue qui parlait. Bref, l'équilibre des forces était délicat et nous choisîmes d'un même accord une trêve temporaire.

Il y eut un moment de silence tandis que le bateau fendait les flots. Le capitaine avait mis le cap sur l'Île 1, à une vitesse beaucoup plus raisonnable cette fois-ci.

- Léa... commença Zack.

Je me raidis, anticipant sa question sur la seule chose dont je ne voulais absolument pas parler. Mais j'avais tort :

- Comment t'as su ce qu'il fallait faire pour briser les rêves ? Et que c'était un Hypnomade le responsable ?

Sauf que ça non plus je n'avais pas tellement envie d'en discuter. Ma réticence n'échappa pas à vis-à-vis.

- Tu réfléchis au mensonge que tu vas me servir ? m'accusa-t-il alors que je restais sans répondre à contempler l'horizon.

- Non, mentis-je, avant de soupirer.

L'épuisement me grignotait toutes mes facultés de concentration et mes crampes dans les jambes revenaient en force, si bien que je cédai et finis par m'asseoir par terre. La colère qui m'avait portée tout à l'heure et que j'avais cru si puissante semblait avoir disparu. J'étais tout simplement trop crevée pour affronter ce bordel sans nom. Ce fut donc la vérité qui sortit de ma bouche, parce que c'était encore ce qui demandait le moins d'effort :

- J'ai eu de l'aide. Quelqu'un m'a dit ce qui se passait et ce qu'il fallait faire. Mais je sais pas si c'était vraiment lui ou juste une manifestation de mon subconscient.

- Qui ça, lui ?

Ah oui, j'avais oublié ce détail-là.

- Vivian. Julien. Le bras droit de Giovanni.

Il me restait tout juste assez de présence d'esprit pour me retenir d'ajouter "mon frère".

- Qu'est-ce que ce type foutrait à t'aider alors que tu cherches à détruire la Team Rocket ?

- Je sais pas, répliquai-je, ce qui n'était pas vraiment faux - fondamentalement, j'ignorais pourquoi Vivian était venu à mon secours. Écoute Zack, j'ai le cerveau en compote et j'ai franchement pas envie de continuer cette discussion.

À mon grand soulagement, il accéda à ma requête et le reste du voyage se fit en silence. Une fois sur l'Île 1, nous remontâmes l'allée qui menait au centre Pokémon sans échanger davantage de mots. Zack avait rappelé Alakazam en débarquant et j'avais fait de même avec Teigne. La Colossinge méritait une bonne nuit de repos après cette journée éprouvante.

Et moi aussi
, songeai-je alors que les portes du centre coulissaient pour nous laisser entrer.

J'enregistrai vaguement le "Bonsoir !" de l'infirmière aux cheveux roses et y répondis d'un hochement de tête. Le dortoir m'appelait à grands cris. Je pris tout de même le temps de confier mes Pokémon à la jeune femme avant d'aller enfin m'allonger sur le premier lit vide que je trouvais. Zack m'avait imité et par un coup du sort nos deux lits se trouvaient côte à côte.

Je calai ma tête contre l'oreiller, puis fermai les yeux, savourant le plaisir de pouvoir enfin me détendre. Et c'est là que je me souvins d'un détail à l'importance capital.

- Zack ? m'aventurai-je dans un chuchotement.

- Kesskya? grogna-t-il en réponse, déjà à moitié endormi vu son manque d'articulation.

- Je crois qu'il y a quelqu'un qui m'espionne par Pokémon psy interposé. Alakazam serait capable de m'aider ?

- Possible.

Ce n'était qu'un seul petit mot tout étouffé (il avait le visage dans son oreiller ou quoi ?), mais cela suffit pour apaiser la tempête qui menaçait de se déclencher dans mon esprit.

- Merci.

S'il y eut une réponse, je n'en gardai aucun souvenir.

***

Swoosh.


Le jet de flamme rasa la tête du Machopeur, le ratant de peu. Maraude fut trop lente pour éviter sa riposte et le poing de l'humanoïde vint la frapper au flanc, lui arrachant un grognement de douleur et l'envoyant rouler au sol. Elle se redressa presque aussitôt, effectua un dérapage dans le sable, et attaqua à nouveau d'un Lance-flammes sans que je lui en donne l'ordre. Cette fois-ci, son coup fit mouche. Le Machopeur beugla alors que la langue de feu lui léchait le visage, et tituba, momentanément aveuglé.

- Super, Maraude ! l'encourageai-je. Maintenant recule et envoie-lui un troisième Lance-flammes !

M'ignorant complètement, elle se rua sur le Machopeur, frappant le poitrail du grand Pokémon de ses deux pattes avant. Le choc le fit trébucher en arrière et il se retrouva étalé sur le dos, tandis que Maraude le toisait de haut, la gueule à demi-ouverte, prête à lui cramer la tête à bout portant.

- OK, reviens Raoul, déclara le dresseur que j'affrontais, signalant ainsi la fin du duel. De toute façon je pensais pas pouvoir battre quelqu'un qui a sept badges, ajouta-t-il en me tendant une poignée de Pokédollars.

- Sept badges et un Pokémon désobéissant, grommelai-je en fusillant la Goupix du regard.

Mais elle ne me prêtait aucune attention et s'était déjà éloignée.

- Blaireau, annonça Grignotte à mes côtés avant d'aller la rejoindre.

Je devinai qu'il allait tenter de lui faire entendre raison. Ce ne serait jamais que la trente-six millième fois. Le pauvre Sablaireau ne doutait de rien, à s'obstiner comme ça... Teigne commenta son comportement d'un grognement amusé.

- Peut-être qu'à force elle finira par me faire confiance, soufflai-je sans y croire le moins du monde.

- Singe, renchérit la Colossinge comme pour dire "Tu peux toujours rêver".

- On continue ? intervint Zack en s'avançant. Je vois mon prochain adversaire d'ici.

On alternait les duels depuis ce matin, affrontant à tour de rôle les personnes que nous croisions le long de la route Tison. Nous avions décidé d'un commun accord d'aller explorer les pentes du Mont Braise, remplissant ainsi le double objectif de choper des Pokémon rares et d'entraîner notre équipe. D'après Léo, on ne pouvait pas choisir meilleur endroit car c'était non seulement un lieu très prisé chez les dresseurs, mais également une réserve naturelle où vivaient certaines des espèces les plus rares de Pokémon - sans compter que c'était le plus accessible : il fallait un permis pour aller sur les autres îles non résidentielles et les demandes mettaient des mois à aboutir. Il nous avait expliqué tout ça tandis qu'il bossait sur un nouveau projet en compagnie de Ciléo - un projet auquel je n'avais strictement rien compris, d'ailleurs (pour changer).

Nous avions fait une halte à midi pour nous restaurer, et à présent nous avions presque atteint le pied du volcan. La route serpentait vers les hauteurs, promettant une longue et épuisante ascension, mais avant ça elle longeait une plage où venaient s'échouer des petites vaguelettes bordées d'écume. Alors que nous la traversions, je repérai le dresseur dont avait parlé Zack : une fille faisait des longueurs dans l'eau, encadrée par deux boules de poils blanches qui projetaient des éclaboussures partout - un Férosinge et sa forme évoluée.

- T'as vu ça, Teigne ? Ça te dit une petite baignade ?

J'ôtai ma chaussure droite et trempai un bout d'orteil dans l'eau.

- Ah non, oublie ce que je viens de dire ! couinai-je en reculant précipitamment (et par "couinai-je" je veux dire "annonçai-je stoïquement").

Je n'aurais pas été étonné de voir de la glace se former sur mon doigt de pied.

- On n'est pas là pour ça de toute façon, me rappela Zack tout en faisant signe à la dresseuse.

Cette dernière infléchit sa course pour se diriger vers nous, regagnant la terre ferme en quelques mouvements de brasse. Elle fut bientôt assez proche pour que je puisse estimer son âge : probablement le même que le nôtre. Ses cheveux blonds étaient rassemblés en une longue tresse, laissant son joli visage entièrement dégagé ; des centaines de taches de rousseur parsemaient son nez et ses joues, et elle avait des yeux verts d'une étonnante clarté.

- Salut ! nous lança-t-elle amicalement en émergeant de l'eau. Belle journée, non ?

- Oui, acquiesçai-je, mais enfin de là à se baigner dans une mer à dix degrés, faut en vouloir...

- Je viens pas souvent ici, alors quand c'est le cas j'en profite, me répondit-elle.

Ses deux Pokémon s'ébrouèrent tels des chiens, nous aspergeant copieusement au passage. Je vis Grignotte et Maraude aller se mettre à l'écart ; la prudence du Sablaireau devait déteindre sur la Goupix.

- Partante pour un petit duel ? questionna Zack.

- Et comment ! répondit la dresseuse avec un sourire.

Je me demandais sur qui allait se porter le choix de Zack. Il faisait principalement combattre son Noadkoko et Patate la Rhinocorne ; son Roucarnage avait eu droit à quelques duels isolés lui aussi, toujours contre d'autres Pokémon oiseaux. En somme il mettait en avant les plus faibles de son équipe, une stratégie que j'avais également adoptée : je me servais beaucoup de Maraude et un peu de Grignotte et de Teigne, tandis que mes trois poids lourds restaient dans leurs Pokéballs pour le moment.

Je dus donc plutôt surprise de voir se matérialiser le Dracaufeu. L'immense bestiole expulsa un nuage de fumée par ses naseaux et fouetta l'air de sa queue enflammée, jaugeant du regard ses deux adversaires.

- Férosinge ! le défia le plus petit.

- Oui, tu peux commencer Crabouille, lui dit la fille.

- Je te propose un deux contre un, déclara Zack, ce qui lui valut deux regards étonnés - moi et la nageuse on était synchros.

- Prépare ton porte-monnaie ! accepta-t-elle d'une voix vive.

Elle et Zack s'écartèrent pour laisser la place aux combattants. Je fis de même, imitée par Teigne qui observait la scène avec intérêt. Les deux singes paraissaient vraiment minuscules face au Dracaufeu, mais je savais que la taille ne voulait rien dire dans les duels Pokémon. J'avais vu Teigne mettre à terre des géants qui la dépassaient de plusieurs mètres, après tout.

- Danse-flammes, ordonna Zack à son Pokémon.

Le Dracaufeu ouvrit la gueule pour créer un cercle de feu autour de ses deux adversaires, les forçant à se rapprocher l'un de l'autre et leur coupant toute retraite. Annuler l'avantage du nombre, pas bête comme coup d'entrée de jeu...

- Crabouille, Vantardise, et toi Néréa, Frénésie ! s'écria la blonde en retour.

Le Férosinge se mit à s'agiter sur place en baragouinant tandis que la Colossinge bondissait hors du cercle de flammes. Elle s'élança à l'assaut, frappant en plein dans le torse de son opposant d'une série de coups de poings rapides concentrés en un seul endroit, si rapides qu'il ne lui fallut qu'une seconde ou deux pour porter cinq coups à la suite. Accaparé par les mimiques de son deuxième adversaire, le Dracaufeu réagit avec retard - mais réagit tout de même, et riposta d'un Tranche sur les ordres de Zack. Ses griffes aiguisées balafrèrent Néréa, lui cinglant le visage avant de continuer sur toute la longueur de son abdomen, ouvrant la peau jusqu'au sang. La Colossinge fut projetée à terre dans une gerbe de fluide écarlate et atterrit tête la première dans le sable. Elle ressemblait tellement à Teigne que je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir mal pour elle à la voir ainsi malmenée. Elle partageait davantage que son apparence avec Teigne, car elle se releva aussitôt en grognant, la détermination brillant dans son regard. Le Dracaufeu secoua la tête, puis renifla l'air, paraissant hésiter. Il ouvrit ses ailes... et se prit un Coup-croix en plein sur le museau, accompagné du bruit mat des deux tranches de main frappant la chair vulnérable. Le Férosinge avait surgi d'entre les flammes, complètement inattendu - je n'avais même pas entendu la dresseuse lui en donner l'ordre. Son assaut fit reculer le Dracaufeu, la grande bestiole titubant sous l'impact.

Il y eut quelques secondes de flottement que le Férosinge mit à profit pour aider sa congénère à se relever. Cette dernière avait d'ailleurs l'air sérieusement blessée et je me demandais si la laisser combattre dans ces conditions était raisonnable. Ça aurait été Teigne, je l'aurais sans doute rappelée. Mais la blonde, elle, choisit de continuer le duel avec ses deux Pokémon.

- Lance-flammes, décida Zack, mettant fin à la mini-trêve.

- Frappe Atlas, ensemble ! répliqua la dresseuse.

Les deux singes se précipitèrent de concert vers leur adversaire, et se saisirent chacun au même instant d'un des pieds du Dracaufeu, parfaits miroirs l'un de l'autre. Je les vis bander leurs muscles, essayant de le renverser et de se servir de son propre poids pour lui faire mordre la poussière. Le Pokémon ailé renâcla, cracha un jet de flamme qui manqua sa cible en direction des deux gêneurs, et je retins mon souffle alors qu'il commençait à basculer. Un sifflement aigu retentit soudain. Comme sur commande, le Dracaufeu déploya ses ailes, trouva son impulsion d'un coup de queue dans le sable, et prit son envol agilement. La Colossinge lâcha prise, restant au sol, tandis que le Férosinge décollait avec son adversaire, agrippé à son pied griffu.

La main en visière pour contrer l'éclat du soleil, je regardai le Dracaufeu filer droit vers le haut. Il montait à une vitesse impressionnante et ne semblait pas vouloir s'arrêter.

- Où est-ce qu'il va comme ça ?

J'avais posé la question sans vraiment espérer obtenir de réponse, mais Zack m'en fournit une :

- Procédure standard quand il a un passager indésirable. Il prend de l'altitude et il s'en sert comme d'une arme.

Tout à coup, la silhouette lointaine qu'était devenu le Dracaufeu cessa de rétrécir et se mit à grossir. Le Pokémon plongeait vers le sol la tête la première. Je distinguai la forme blanche du Férosinge, toujours agrippé à sa jambe. Le Pokémon feu se rapprocha de plus en plus, son ombre masqua le soleil un instant, et alors qu'il allait s'écraser, il opéra un brusque virage qui lui fit faire plusieurs tonneaux. Le claquement de ses ailes si proches du sol envoya du sable dans tous les sens, quelques grains vinrent cingler mon visage. Le choc de la manœuvre couplé à la force centrifuge avait obligé le Férosinge à lâcher prise ; il effectua un long vol plané qui se termina dans les bras de Néréa, qui s'était tenue prête à le réceptionner. Elle plia les genoux sous le poids de son congénère et ils s'écrasèrent tous les deux dans le sable.

- Déflagration.

Je tournai vivement la tête vers Zack, m'apprêtant à protester. Une attaque aussi puissante alors que les singes étaient clairement à bout de force, à quoi songeait-il ? Je fus prise de vitesse par une tornade blanche à mes côtés. En un clin d'œil, Teigne rejoignit les deux blessés, leur bondit par-dessus, et fonça sur le Dracaufeu pour lui décocher un formidable Ultimapoing sous la mâchoire. La force du coup la força à se refermer dans un claquement, neutralisant les flammes qui avaient commencé à apparaître. Le Pokémon ailé laissa échapper un grondement sourd tout en fixant Teigne d'un regard incrédule. Teigne qui avait pris position devant les deux autres, avec la claire intention de les défendre.

- Rappelle ton putain de Pokémon, me lança Zack agressivement.

- T'avais gagné, rétorquai-je, cette dernière attaque était inutile. Teigne s'est contentée de mettre en pratique ce que j'allais te faire remarquer.

- Tu m'étonnes que tu perdes des Pokémon avec un raisonnement pareil.

Il m'aurait mis une claque que ça m'aurait fait moins mal. Je restai silencieuse, choquée par sa pique assassine.

- Ouais, t'as gagné, admit la blonde d'une voix légère. Mais j'ai pas de sous sur moi. Ça vous va si je vous paye une séance à la Source Braise plutôt ? Le gérant c'est mon oncle, alors je peux avoir des entrées à l'œil. L'eau chaude ça détend, et vous avez l'air d'en avoir besoin. Enfin moi j'dis ça comme ça...

Sa tentative d'apaiser la tension tomba à plat. Je me retins de regarder dans la direction de Zack, de peur d'être incapable de contenir ma colère. Il ne fallait surtout pas que je m'énerve : une seule étincelle et je risquais de mettre le feu au baril de poudre tout entier. Bien trop dangereux.

- Alors ? pressa la fille.

- OK, fit Zack en rappelant son Dracaufeu.

Je ravalai ma salive.

- On te suit, ajoutai-je.

Pour ma part, j'accueillais avec soulagement l'ajout d'une personne à notre duo. Sa présence eut l'effet de désamorcer quelque peu la situation entre Zack et moi, et nous échangeâmes des paroles banales mais bienvenues tandis qu'elle nous montrait le chemin de ces sources chaudes dont elle nous avait vanté les mérites. Nous apprîmes ainsi qu'elle s'appelait Claire, qu'elle venait sur l'Île 1 tous les étés pour aider son oncle avec l'afflux de touristes, mais qu'elle s'ennuyait à mourir quand elle tenait la boutique de souvenirs et qu'elle préférait largement être dehors à s'amuser avec ses Pokémon.

Je crus m'étouffer lorsque nous entrâmes dans la caverne qui abritait les bassins d'eau chaude. L'atmosphère lourde et humide me fit aussitôt transpirer. Claire échangea quelques mots avec son oncle, un homme aussi blond qu'elle, et nous fûmes autorisés à aller nous baigner. Après un bref passage dans les vestiaires pour nous mettre en maillots de bain, nous eûmes droit à la visite guidée des lieux, accompagnée des commentaires éclairés de notre hôte.

- Ça, c'est le bassin principal, et également celui où l'eau est la plus chaude. Y a pas grand monde à cette heure parce que les gens en sont encore à digérer leur déjeuner. Là-bas, les deux bassins pour Pokémon, avec un petit très peu profond et un grand qui pourrait accueillir deux Léviator en même temps - enfin c'est ce que prétend mon oncle, le cas de figure ne s'est encore jamais présenté...

- Les Pokémon sont autorisés ? réalisai-je.

- Bah oui, me répondit Claire comme si j'avais posé la question la plus stupide qui soit.

Moi je m'étais cru à la piscine, où vous vous feriez vite rembarré s'il vous prenait l'idée d'amener votre chien... mais j'avais oublié que ce monde-là ne fonctionnait pas comme la Terre. Et de fait, je distinguai d'ici des formes Pokémonesques s'ébattre dans les bassins réservés à cet effet - cette chose jaune devait être un Boustiflor, et ça, c'était un Akwakwak si je ne m'abusais. Je retournai donc chercher mes Pokéballs que j'avais laissées bien sagement dans mon casier.

En revenant, je notai que le regard de Claire s'attardait sur le pendentif à mon cou : un morceau de météorite offert par Ciléo qu'Alakazam avait doté d'une sorte de bouclier psychique pour me rendre invisible aux yeux mentaux des Pokémon psy. Je ne le portais que depuis ce matin, mais pas question de le retirer, même si ça jurait affreusement avec mon maillot de bain. C'était ma seule protection contre Vivian et ses manigances, avoir l'air d'une débile en échange n'était pas cher payé.

Nous nous avançâmes vers les bassins pour les Pokémon, et je libérai ma petite troupe tandis que Claire faisait de même pour ses deux singes - Zack, lui, avait apparemment décidé de laisser ses Pokémon dans leurs Pokéballs.

- Florizarre ? s'enquit Salade en examinant les alentours, ce que je traduisis par "Mais qu'est-ce que c'est que toute cette vapeur ?".

- C'est le moment détente de la journée, leur expliquai-je. Vous pouvez aller patauger ou bien vous relaxer dans l'eau chaude. Soyez gentils avec les autres Pokémon et ne faites pas de bêtises !

J'avais à peine fini ma phrase que Teigne détala à toute vitesse en lançant un "Singe!" qui voulait probablement dire "Le dernier arrivé est une poule mouillée !". Plouf et Maraude relevèrent le défi, détalant à sa suite dans un concert de grognements, imité par les deux Pokémon de Claire. Salade secoua sa masse pesante et émit un "Zarre" à mon intention avant de se mettre en marche, suivi d'un Pleind'Soupe encore à moitié endormi et d'un Grignotte qui n'avait pas l'air très enthousiaste.

Puis ce fut à notre tour de nous plonger dans l'eau chaude. Je laissai échapper un soupir de bien-être en m'y immergeant jusqu'au cou. Bon sang ce que ça faisait du bien... Je fermai les yeux et me laissai aller tandis que toute trace de tension quittait mon corps. C'était le remède rêvé face au stress qui me rongeait les nerfs.

- Je suis bien contente qu'on ait croisé ta route, soufflai-je à Claire alors qu'elle venait barboter près de moi.

- C'est agréable, hein ? Quoique ça ne vaille pas un bon bain de mer.

- T'as de drôles de préférences, constatai-je.

- On croirait entendre mon oncle ! s'exclama-t-elle avec un éclat de rire.

Nous restâmes silencieuses un long moment, à savourer la chaleur de l'eau.

- Qu'est-ce qui vous amène sur l'Île 1 ? demanda enfin Claire.

Elle avait englobé Zack du regard bien qu'il soit trop loin pour entendre sa question : il avait préféré rester près du bord tandis que Claire et moi nous étions aventurées au centre du bassin.

- On est ici plutôt par chance, avouai-je, mais on en profite pour s'entraîner avant l'arène de Jadielle. Tes Pokémon ont d'ailleurs failli faire les frais de la méthode de Zack...

- Vous avez sept badges ? Mince, j'aurais jamais accepté si j'avais su... Je comprends mieux maintenant pourquoi il a agi comme ça. C'est le prix de la victoire.

- Mmh-bleuargh ?

Ça, c'était parce que j'avais voulu émettre un bruit de gorge genre "De quoi tu parles ?" et que j'avais inspiré de l'eau par le nez sans faire exprès.

- On voit ça chez tous les dresseurs qui parviennent aux portes de la Ligue Pokémon, m'informa Claire. Ils poussent leurs Pokémon dans leurs derniers retranchements et ne font montrent d'aucune pitié, dans les deux sens - que ce soit envers les Pokémon adverses ou les leurs. Et surtout, ils connaissent leurs Pokémon sur le bout des doigts. J'ai lu un bouquin là-dessus récemment, écrit par le champion actuel. Il expliquait que c'était la seule façon d'avoir une chance face au Conseil des Quatre, et que les duels se gagnaient avec la tête, pas avec le cœur. C'est pas à la portée de tout le monde, c'est sûr. En tout cas moi je pourrais pas, je tiens trop à Crabouille et Néréa.

Tout ça ne me disait rien qui vaille. C'était donc ça, mes choix ? Continuer comme ça et perdre ou bien prendre davantage de risques et espérer gagner ? Que se passerait-il si je décidais de faire comme Zack ? Je n'avais pas son talent en ce qui concernait les Pokémon, moi je me contentais de stratégies de base et de beaucoup de confiance... Les badges que je possédais ne prouvaient pas mes capacités de dresseuse ; je ne les avais obtenu que grâce à la ténacité et au courage de mes Pokémon. Sans eux, je n'avais pas ma place au sommet.

Je levai la tête, cherchant mes petites (et grosses) bestioles du regard. Salade était resté sur le bord, et observait d'un œil vigilant Teigne, Plouf, et les deux singes de Claire qui faisaient la course d'un bout à l'autre du bassin. Le ventre de Pleind'Soupe constituait l'obstacle principal du parcours. Quant à Grignotte et Maraude, ils se trouvaient dans l'autre bassin, et semblaient occupés à un étrange manège. Tour à tour, ils projetaient de l'eau sur l'autre, avant de s'enfuir puis de se laisser rattraper. Juste un jeu, j'en étais sûre, mais un jeu qui impliquait un élément dangereux pour eux deux, telle une danse à l'issue fatale. Je grognai intérieurement. Cette dernière partie m'était familière.

- Vous faites le voyage ensemble ? interrogea soudain Claire comme si elle avait lu dans mes pensées.

- Non, la détrompai-je. On a commencé en même temps, mais on est resté chacun de notre côté. Et ça sera à nouveau le cas très bientôt.

- C'est dommage. Les dresseurs qui arrivent à ce niveau-là du challenge de la Ligue sont des créatures trop solitaires.

Je n'avais rien à répondre à ça.

- Bon, il fait vraiment la gueule, là, continua Claire. Je vais aller lui remonter le moral.

Un coup d'œil vers Zack confirma ses propos. Effectivement, il avait les sourcils froncés et nous regardait comme si on venait de lui proposer d'aller regarder tous les films de la saga Twilight à la suite.

- Bonne chance parce que c'est pratiquement mission impossible... soupirai-je.

Tandis que Claire se lançait dans sa tentative certainement vouée à l'échec, je me mis sur le dos pour faire la planche et me laissai aller sans plus songer à rien. Mes yeux fixaient le plafond de pierre grise sans le voir. J'oubliai tout pour ne plus exister que dans l'instant présent. Ça faisait du bien pour une fois de ne plus avoir à s'inquiéter, de ne plus devoir courir à droite à gauche, de ne plus se confronter à des décisions impossibles. D'être, tout simplement, sans s'embarrasser du superflu. J'ignore combien de temps passa pendant que je me trouvais dans cet état second. En revanche, je sais exactement ce qui m'en sortit : un tsunami. Ou du moins ce fut mon impression.

J'avais fermé les yeux et je dérivai dans un océan de bien-être quand tout à coup une immense vague vint me frapper de plein fouet, me déséquilibrant totalement. Chassée d'un grand coup de pied au cul de la zone de bonheur total, je me redressai en crachotant. Et contemplai le désastre. Il y avait de l'eau partout. Littéralement partout. Comme si la salle avait été le théâtre d'une attaque Surf de grande envergure. Tous les clients étaient trempés des pieds à la tête, et l'expression de leurs visages aurait facilement pu rivaliser avec celle de Zack tantôt.

Qu'est-ce qui s'était passé ?

Je m'extirpai du bassin, inquiète, et m'avançai vers ceux réservés aux Pokémon. Je fis l'appel d'un rapide coup d'œil : ils étaient tous présents. Sauf...

Sauf Pleind'Soupe.

Oh non.


En m'approchant, je pus constater que le plus grand des bassins ne méritait plus son nom. Il n'y avait presque plus d'eau dedans, juste quelques malheureux centimètres de flotte. Et en plein centre, couché sur le ventre...

- Ronflex ? émit Pleind'Soupe en levant la tête d'un air perdu.

J'aurais parié toute ma fortune que ça voulait dire "Mais où est passé l'eau ?".

- Euh, Léa... s'éleva la voix nerveuse de Claire qui venait de me rejoindre. Je crois que tu ferais mieux de courir. Mon oncle va être furax, continua-t-elle alors que je me tournais vers elle. Je peux rattraper le coup mais il faut pas qu'il ait les coupables sous la main, sinon...

Sinon quoi ? aurais-je voulu demander. Qu'allait-il nous faire, à mon Pleind'Soupe et à moi ? Mais je choisis de ne pas poser la question.

Une main se referma sur mon avant-bras.

- Ne traînons pas.

Ça commençait à devenir une des remarques habituelles de Zack. Je me dégageai de son emprise.

- J'ai pas besoin de ton aide.

- Ah non ? fit-il d'un ton mordant en brandissant ma ceinture de Pokéballs.

Bon ok, peut-être que j'avais besoin de son aide.

- ...merci.

Une voix de stentor retentit soudain, nous écorchant les oreilles :

- Qu'est-ce que c'est que toute cette eau ? Qui a foutu le bordel ici ? J'exige de connaître le coupable, qu'il se dénonce tout de suite !

- Passez par la porte de derrière, je vais le retenir ici pendant que vous récupérez vos affaires, nous chuchota Claire avant d'aller à la rencontre de l'homme en colère.

Sans plus nous attarder, je rappelai mes Pokémon et Zack et moi détalâmes. Je glissai sur le sol humide alors que nous longions le bassin désormais vide, percutai quelqu'un, lâchai un "Oups pardon, madame", et repartis de plus belle. Pendant ce temps-là, l'oncle de Claire s'égosillait en vociférations toutes plus féroces les unes que les autres, abreuvant nos oreilles d'insultes très colorées. Je redoublai de vitesse sur les derniers mètres, pressée à ce déluge d'invectives. Et puis finalement la sortie : nous retrouvâmes le soleil, le vent, et l'air du large. Une véritable bouffée de fraîcheur après être restés si longtemps dans ce qui s'apparentait à une cocotte-minute.

- T'as des Pokémon complètement cons n'empêche, me souffla Zack. Un Ronflex qui veut faire un plat, n'importe quoi...

Nous échangeâmes un regard chargé de tension, pour ensuite éclater de rire. Un fou rire qui dura une bonne minute, et à cause duquel je finis par avoir les larmes aux yeux. Pauvre Pleind'Soupe... Il avait eut l'air tellement déçu d'avoir atterri au fond du bassin. Et le pire c'est que je crois qu'il n'avait toujours pas compris pourquoi ça n'avait pas marché. Ce moment d'hilarité partagée détendit l'atmosphère entre moi et Zack, si bien que nous en étions de nouveau à échanger des petites piques moqueuses lorsque nous nous faufilâmes dans les vestiaires pour repartir avec ce qui nous appartenait - une amélioration en flèche de notre relation, pour compenser la descente rapide des dernières heures. Le tout ressemblait de plus en plus à un parcours digne des meilleures montagnes russes. Je redoutais vraiment l'incident parce que les rails étaient on ne pouvait plus branlants, mais pour le moment le wagon poursuivait sa course tant bien que mal et je m'en accommodai donc.

Après nous être rhabillés, nous entamâmes l'ascension du Mont Braise, comme prévu dans notre planning de la journée. Ses pentes escarpées eurent tôt fait de nous fatiguer les mollets, et nous effectuâmes une halte à peine une demi-heure plus tard, le temps de souffler. Si tout le reste était du même acabit, je doutais qu'on atteigne le sommet d'ici ce soir. Dommage parce que la vue valait sans doute le coup d'œil...

À notre grand dam, nous n'avions encore croisé personne, ni dresseur ni Pokémon sauvage. Zack se tenait sur ses gardes, son Alakazam présent à ses côtés. Moi j'avais relâché Teigne, Grignotte et Maraude, et ils gambadaient joyeusement aux alentours. Étonnamment, même la Goupix semblait s'amuser : elle et le Sablaireau se couraient après dans les hautes herbes. Teigne ne participait pas à leur petit jeu, se contentant de leur grogner dessus à intervalles réguliers.

Nous continuâmes ainsi pendant une heure de plus, et je commençais à penser que l'une des bonbonnes de Repousse que je trimbalais avait dû se mettre à fuir dans mon sac quand un bruit de cavalcade me fit soudain dresser l'oreille. Un immense cheval déboula de nulle part, faisant jaillir des mottes de terre sur son passage. Sa crinière flamboyante et ses naseaux d'où s'échappaient de la fumée ne laissaient aucun doute possible quant à son espèce.

- Galopa ! hennit-il furieusement avant de se ruer sur la cible la plus proche : Alakazam.

Ce dernier brandit ses cuillères et les sabots du Galopa se heurtèrent à une barrière dorée au lieu de frapper la chair. Presque aussitôt, je vis l'air vibrer entre les deux adversaires. Le cheval parut ne pas apprécier l'assaut mental. Ses muscles puissants se tendirent, il renâcla, hennit de plus belle, et se dressa à nouveau sur ses deux pattes arrière. Une fois encore, son attaque n'aboutit pas : il fut aspiré dans la Pokéball lancée par Zack bien avant. Pokéball qui remua une fois, deux fois, trois fois... et s'immobilisa avec un clic sonore.

Putain la chance.


- Un Galopa, dis-je à voix haute. Pas mal.

- Y a plus rare mais je m'en contenterai, acquiesça Zack tandis que la Pokéball disparaissait, transférée au centre Pokémon. Je pensais bien qu'on tomberait sur des Pokémon de type feu vu l'environnement.

- Apparemment ils se sont donnés le mot pour tous se planquer, remarquai-je quelques minutes plus tard lors d'une nouvelle halte.

- Tu as déjà la Goupix comme type feu de toute façon, me répondit Zack. Et t'es pas du genre à vouloir un Pokémon pour sa rareté, alors c'est pas plus mal, nan ?

Il n'avait pas tort. Mon équipe était au complet, je n'avais pas besoin d'un Pokémon de plus. Je m'attendais simplement à en capturer un parce que quelque part, c'était le jeu. Un jeu dont je ne parvenais pas à me détacher, semblait-il...

Je me relevai et m'étirai.

- Repartons. On perds du temps, là.

- C'est toi qui a voulu faire une pause, me rappela Zack.

Lui n'avait pas l'air du tout fatigué. Je me demandais comment il faisait. Je n'avais pourtant pas le physique d'une limace : depuis un mois que je crapahutais sur les routes de Kanto, mon corps avait subi un entraînement forcé et j'aurais sans doute pu en mettre plein la vue à mon prof de gym. Sauf qu'à côté de Zack, je faisais piètre figure ; lui avait la forme d'un athlète olympique.

- Désolée de te ralentir, monsieur le futur champion, raillai-je aimablement, ce qui était devenu le registre principal de toute communication avec mon cher rival.

- Dans mon immense magnanimité, je te pardonne.

Que voulez-vous répondre à ça ? Heureusement, une exclamation de Teigne me sauva la mise, m'évitant d'avoir à aller chercher une autre réplique cinglante. Son "Singe !" avait été crié d'un ton mi-indigné mi-furieux et je crus un instant que Maraude l'avait à nouveau attaquée. J'avais tort : ce n'était pas la Goupix qui se trouvait aux prises avec la Colossinge, mais un curieux Pokémon bipède au corps rouge et jaune. Il y eut un premier échange de coups, puis Teigne et lui roulèrent au sol tandis que j'accourais dans leur direction. Je pus voir la crête épineuse le long de son dos lorsque le Pokémon sauvage se redressa pour flanquer un coup de poing à Teigne tandis que sa queue terminée par une flamme fouettait l'air simultanément. La Colossinge bloqua l'attaque sans effort apparent et lui renvoya la monnaie de sa pièce avec les intérêts. Beaucoup trop d'intérêts, même. Le Pokémon feu en fut pour ses frais, KO sans concession. Il s'effondra dans l'herbe, le bec à demi-entrouvert.

- Singe, gronda la Colossinge en me le désignant de la tête.

- Il manque le paquet cadeau, ma grande.

Elle me regarda d'un air perplexe.

- Je plaisante, Teigne. T'as encore fait du très bon boulot. Ça va, il t'a pas trop secouée ?

- Singe ! me rassura-t-elle en sautillant.

J'observai durant quelques instants ce nouveau Pokémon bien étrange. Des bras puissants recouverts d'écailles, des mains à cinq doigts si semblables aux miennes, et un visage dominé par sa bouche en forme de bec. Des motifs de flammes couraient sur tout son corps, comme un panneau d'avertissement planté dans ses gènes adressé au reste du monde : "Attention, Pokémon de type feu !". Je m'attardai plus particulièrement sur les espèces de menottes en métal noir qui encerclaient ses jambes et son cou. Étaient-elles purement décoratives ou bien jouaient-elles un quelconque rôle ?

- Un Magmar... fit Zack alors que je capturais le Pokémon en question, la Pokéball tenant le coup face à ses tentatives pour se libérer. Putain, Léa, comment tu fais ? T'as pris un abonnement pour Pokémon puissants mais galères à dresser, c'est ça ?

- C'est le destin, répondis-je machinalement.

- Je crois pas au destin.

M'aurait étonné.

- Hé bien j'en sais rien alors, trouve une autre raison pour laquelle Vésuve a croisé ma route aujourd'hui.

- Vé-quoi ? releva Zack.

- Vésuve, répétai-je.

Le Magmar était un spécimen mâle d'après le Pokédex.

- Tu changes tes habitudes ? J'aurais pensé que tu allais l'appeler Flammes ou un autre surnom débile dans le même genre.

- C'est le nom d'un volcan.

- Ah, ça te ressemble déjà plus... Mais j'en ai jamais entendu parler. C'est dans le coin ?

- Plus ou moins, éludai-je, avant de me détourner pour reprendre l'ascension.

Nous continuâmes à avancer en silence. Le chemin qui montait en lacets serrés finit par nous mener à une grotte, sans autre possibilité que d'y entrer : impossible d'escalader les parois trop abruptes qui nous faisaient face, et lorsque je suggérai que le Roucarnage de Zack nous fasse bénéficier de ses ailes, je n'eus droit qu'à un grognement négatif en retour de la part de son dresseur. Je choisis de ne pas insister et nous nous enfonçâmes donc sous terre, dans une série de couloirs tortueux. Nous nous retrouvâmes vite bloqués par des rochers en plein dans le passage, ce qui fut l'occasion pour Teigne de mettre en pratique une technique que je lui avais apprise par CT un peu plus tôt dans la journée : Éclate-roc. La Colossinge se positionna face au problème caillouteux, beugla un "Singe !" guerrier, et donna un grand coup de tête en plein sur la pierre. Qui se craquela et se fendit en deux, avant de s'éparpiller en plein de petits morceaux. Efficace.

Nous repartîmes, Teigne ouvrant la marche afin de déblayer la route si nécessaire. Et ce fut le cas à peine dix minutes plus tard. La Colossinge s'avança, la mine réjouie à l'idée de réduire en poussière ces pauvres petits cailloux.

- Attends, s'écria Zack, c'est pas un rocher mais un...

- Gravalanch ! beugla le rocher qui n'en était pas un.

Oups.


Teigne ne se laissa pas surprendre et son front percuta violemment le Pokémon sauvage dans un autre Éclate-roc parfaitement exécuté. L'attaque eut toutefois beaucoup moins d'effet que sur les tas de pierres précédents, esquintant à peine le Gravalanch qui répliqua en se jetant sur la Colossinge. Il y eut un échange de coups de poings si rapide que j'en vins à douter qu'il ait vraiment eut lieu, puis une brève lutte s'engagea tandis que les deux combattants s'agrippaient mutuellement, chacun essayant de faire reculer l'autre. Le Gravalanch avait l'avantage de ses quatre bras, mais Teigne le surpassait en force brute comme en détermination, et elle eut vite raison de son adversaire. Alors que le Pokémon de roche perdait du terrain et pliait face à elle, la Colossinge enchaîna par un Ultimapoing qui cueillit l'autre par en-dessous et le projeta dans le décor. Il retomba lourdement quelques mètres plus loin, faisant trembler le sol, et ne bougea plus.

- Parfait, Teigne. Tu vois, aucun problème, ajoutai-je à l'intention de Zack.

- Ton Pokémon vient juste d'envoyer balader la matriarche d'une famille de Gravalanch et de Racaillou qui ne vont probablement pas tarder à nous tomber sur le râble. Aucun problème, ouais.

- ...tu plaisantes ?

- Si seulement, soupira-t-il.

Les parois de l'étroit couloir gagnèrent soudain de nombreuses paires d'yeux, puis se mirent à remuer. Durant quelques effrayantes secondes, je crus que le passage allait se refermer sur nous et nous avaler. Au lieu de ça, des dizaines de Gravalanch et de Racaillou s'extirpèrent de la roche, nous encerclant rapidement sans nous laisser la moindre possibilité de retraite. Sur l'échelle des catastrophes, c'était légèrement en-dessous, mais pas de beaucoup.

- On fait qu... ?

Le "oi" resta bloqué dans ma gorge, l'un des Racaillou venait de se propulser dans ma direction. Teigne l'intercepta de justesse puis le renvoya vers ses congénères. Sa trajectoire suivit une parabole, et lorsqu'il toucha le sol, ce fut le signal de la curée. Les Pokémon roche se précipitèrent sur nous, leur lourde cavalcade faisant trembler le sol. Nous ne fûmes sauvés d'une mort atroce que par l'intervention de nos propres Pokémon. D'un côté, Alakazam, auquel Zack ajouta vite son Noadkoko et sa Rhinocorne, et de l'autre, Teigne, Grignotte et Maraude, qui repoussèrent les assaillants en leur opposant leur propre férocité.

Un concert de grognements, de cris rauques et de bruits sourds envahit le tunnel tandis que les deux camps se heurtaient encore et encore, les vagues d'assaut des Gravalanch et des Racaillou s'écrasant contre le rempart incarné par nos Pokémon. Les attaquants alternaient les Charges et les Jets de Pierre d'une violence inouïe, et se déchaînaient contre nos défenseurs. Je vis même un Gravalanch tenter ce qui était sans doute un Séisme, mais Teigne le stoppa net d'un seul Ultimapoing, l'envoyant valser.

La Colossinge gérait la situation et ne semblait pas avoir besoin de mon aide ; je me concentrai donc sur Grignotte et Maraude. Le Sablaireau lançait Tranche sur Tranche sans s'embarrasser de stratégie, je ne voyais pas vraiment comment améliorer ses performances. Un Tunnel était hors de question : réduire le nombre de Pokémon entre moi et ceux qui voulaient me réduire en charpie aurait été du suicide - et ses autres attaques ne faisaient pas le poids.

- Continue Grignotte ! l'encourageai-je simplement.

Je tournai mon attention vers Maraude, qui elle était déjà plus difficulté. Elle crachait du feu sur trois Racaillou qui avaient l'air de s'être ligués contre elle, mais ses flammes n'en touchaient jamais qu'un seul à la fois et elle ne parvenait pas à éviter les assauts répétés des Pokémon roche.

- Maraude, derrière toi !

Elle réagit trop tard ou choisit simplement d'ignorer mon avertissement, ce qui permit au Racaillou qui s'était glissé dans son dos de lui asséner un coup de poing à l'arrière-train. Se dégageant vivement, la Goupix montra les crocs et répliqua d'une langue de feu, puis esquiva une nouvelle attaque d'un bond agile. Elle avait ainsi mis un peu de distance entre elle et les Racaillou, et elle voulut profiter de ce moment de répit pour reprendre son souffle - la pauvre haletait beaucoup trop rapidement. Sauf que ses trois adversaires se ruaient déjà sur elle.

- Onde Folie, Maraude ! lui conseillai-je.

Elle ouvrit la gueule et émit une sorte d'aboiement qui se répercuta dans l'espace restreint du tunnel. Le Racaillou qui s'apprêtait à la frapper se stoppa dans son mouvement, puis se jeta soudain contre son congénère le plus proche, leurs deux corps de roche s'entrechoquant brutalement. La Goupix se retrouva face à un seul adversaire, les deux autres étant occupés à leur propre duel.

- Lance-Flammes.

Ma voix était calme, énonçant l'évidence. J'ignore si Maraude m'obéit ou si cracher du feu lui semblait être l'attaque la plus appropriée, mais en tout cas elle s'appliqua à faire rôtir le Pokémon roche restant. Ce dernier battit en retraite sous le déluge de flammes, et partit se cacher derrière un gros Gravalanch que Teigne était en train d'affronter.

Durant un instant, la Goupix posa son regard d'ambre sur moi. Je n'osai rien dire de peur de tout foutre en l'air - ce début de confiance était trop fragile pour le gâcher avec des mots -, alors je lui souris. Elle resta de marbre, puis se détourna pour replonger dans la bagarre.

Un petit pas en avant... peut-être.


À côté de moi, Zack dirigeait également ses Pokémon, donnant des ordres à voix haute à la Noadkoko et à la Rhinocorne (qu'il était d'ailleurs obligé d'appeler Patate, ce qui me fit sourire malgré le sérieux de notre situation). Je jetai des coups d'œil dans leur direction de temps à autres tout en continuant à coacher Maraude, ainsi que Grignotte à quelques moments. La Goupix avait apparemment décidé de m'obéir, et elle fit des ravages dans les rangs ennemis, rivalisant avec Grignotte. Un bel exploit pour la petite renarde, d'un niveau plus faible et pas encore évoluée.

Petit à petit la masse des Pokémon sauvages diminua. Certains disparaissaient, repartant blessés d'où ils étaient venus, choisissant d'abandonner face à notre défense en béton. D'autres ne se relevaient tout simplement pas, ou se retrouvaient réduits en morceaux par les coups de nos Pokémon. Lorsque le dernier Gravalanch tomba enfin, écrasé par la masse de Patate, le reste des Racaillou prit la fuite, et nous fûmes à nouveau seuls dans le tunnel, à mon grand soulagement.

Je distribuai des potions à mes trois Pokémon, m'assurant en particulier que Maraude se remettait de ses blessures. Teigne voulut refuser, en bonne tête de mule, mais je la pschitai quand même - je préférais largement devoir lui demander pardon maintenant que d'avoir des regrets plus tard face à son cadavre.

- Comment t'as su pour cette histoire de matriarche ? demandai-je à Zack alors qu'il rappelait son Noadkoko et sa Rhinocorne, ne conservant qu'Alakazam..

- J'ai rencontré un groupe de ce genre dans la Grotte Sombre, et j'ai fait la même erreur que toi, révéla-t-il. J'ai retenu la leçon.

Un savoir qui n'était pas académique, mais appris directement sur le terrain ? Ça, c'était à ma portée... La mention de la Grotte Sombre me rappela que je n'avais toujours pas élucidé le mystère de ce qui s'y était passé.

- Tu n'as rien remarqué qui sorte de l'ordinaire dans cette grotte ? en profitai-je pour demander.

- Non. J'aurais dû ?

Je haussai les épaules, peu désireuse de lui raconter l'expérience étrange que j'avais vécue.

Nous repartîmes. Ça montait encore, et plutôt durement. Il y avait même ici et là quelques marches taillées dans la roche, preuve de présence humaine. À un moment, nous quittâmes le couloir de pierre pour franchir un raidillon escarpé à l'extérieur, avant de retourner sous terre. Nous croisâmes quelques Machoc et même un Machopeur, que nos Pokémon respectifs mirent rapidement en fuite. Et puis enfin, au bout de ce qui m'avait semblé être des heures, nous atteignîmes le sommet du Mont Braise, débouchant sur une esplanade rocheuse qui offrait une vue magnifique sur le reste de l'île. La chaleur sèche qui nous accablait depuis ce matin était atténuée par les rafales de vent qui soufflaient ici. J'offris mon visage à la brise et m'étirai, pas mécontente d'en avoir fini avec la grimpette. Je m'avançai ensuite vers le bord pour contempler le paysage en contrebas. Les pentes du volcan, la plage, la source Braise, et même le village... on voyait tout d'ici. Le toit du centre Pokémon ajoutait une minuscule tache de rouge au milieu de ce festival de jaune, de vert, et de marron. Et puis au-delà, la mer elle-même, d'un bleu sombre à la lumière déclinante du soleil couchant.

- Il faut qu'on parle, déclara soudain Zack.

Oh non. Le ton de sa voix m'indiquait exactement de quoi il allait être question. Je gardai le regard fixé sur l'horizon.

- Ah oui, de quoi ?

- On s'est embrassé.

Merci, Sherlock, j'avais remarqué.

- Et alors ? répondis-je de façon aussi neutre que possible.

Je l'entendis s'approcher dans mon dos.

- Et alors, depuis tu fais comme si rien ne s'était passé. Il y a un moment où se voiler la face ne sert plus à rien, et où il faut affronter la vérité. Et je crois bien que ce moment est venu.

- OK. On s'est embrassé, je l'admets sans peine. Ça te va ?

- T'as aimé ça, asséna-t-il avec force comme s'il jouait son atout.

- Oui, et alors ? lui rétorquai-je.

Pour ensuite soupirer de frustration.

- On ne peut pas être ensemble, continuai-je en obligeant les mots à sortir de ma bouche. Toi et moi... ça ne peut pas marcher.

- Pourquoi ?

- Parce que.

Oh, super, Léa. Avec ça il sera convaincu, c'est sûr.


- Tu me dois une réponse, insista Zack.

Je me retournai pour lui faire face, serrant les poings malgré mon intention de rester calme.

- Je te dois que dalle, OK ? exposai-je en détachant les syllabes. Tu m'as sauvée la vie une fois, la belle affaire. Ça ne te donne pas le droit de connaître toutes mes pensées, et certainement pas celui d'exiger quoi que ce soit de moi.

Zack se passa la main dans les cheveux avant de ficher son regard dans le mien. Implacable.

- J'exige rien. Je veux juste savoir pourquoi tu penses que ça marcherait pas entre nous.

Une pause.

- S'il te plaît.

Putain. Zack qui demandait poliment un truc. Le ciel allait nous tomber sur la tête, là.

Je pris une profonde inspiration afin de remettre de l'ordre dans mes pensées. Il voulait des explication ? J'allai lui en fournir.

- Il faut avant tout qu'on se concentre sur la Ligue et le Conseil des Quatre, tu l'as reconnu toi-même, commençai-je posément. On n'a pas besoin de ce genre de distraction, et on est rivaux dans l'histoire, si on sort ensemble ça va tout compromettre. Et puis c'est trop dangereux avec la Team Rocket, ils savent qui je suis... Et...

J'avalai ma salive et m'endurcis le cœur face au semi-mensonge que j'allai prononcer.

- Et je pense encore à Léonard.

Semi-mensonge parce qu'évidemment que je pensais encore à lui - tout les jours -, mais j'avais l'impression de le trahir en me servant de lui comme un bouclier contre l'affection de Zack. Léonard n'aurait pas approuvé, j'en étais sûre. Il aurait voulu que je sois heureuse - tellement cliché, et pourtant tellement vrai.

- C'est que des conneries qui sortent de ta bouche, me répondit Zack. Un écran de fumée. Je veux la vraie raison.

L'intensité de son regard me fit frissonner, mais je n'appréciai pas du tout son ton péremptoire. Il pensait me connaître mieux que moi, carrément. Comme s'il savait ce que je ressentais...

- La vraie raison... répétai-je, goûtant à la douce amertume de ces trois mots. Y en a pas une seule, OK ? Ce serait trop simple, et c'est toi qui m'a dit que la vie ne serait jamais simple, qu'il y aurait toujours des problèmes. Hé bien voilà, ils sont là, les problèmes ! Entre toi et moi.

- C'est pas la seule chose qu'il y a entre toi et moi, me renvoya-t-il du tac au tac d'un air suffisant.

- Un baiser, Zack. Un seul, lui rappelai-je. Dans un rêve, en plus. Ça ne veut vraiment rien dire.

- Tu es vraiment douée à ce petit jeu-là, tu sais ? fit-il d'une voix mordante.

- Quel jeu ?

- Celui de te mentir à toi-même.

Sa réplique me laissa sans voix. Il s'approcha de moi, jusqu'à ce qu'on se retrouve littéralement nez à nez. Une torsade pulsante de fièvre se déroula au niveau de mon estomac. Je me rappelai de respirer, lentement, profondément.

- Admets-le, souffla-t-il, ses lèvres beaucoup trop proches des miennes.

Je répondis par un rire désabusé, parce que c'était la seule défense qui me restait encore.

- Quoi, que tu es l'amour de ma vie ? "Ô Zack, soleil qui éclaire mes jours, sans toi tout est gris." C'est ça que tu veux entendre ? Va te faire foutre, sale petit connard prétentieux !

- Au moins je suis honnête avec moi-même.

Il était toujours aussi calme, mais la tension entre nous avoisinait les dix mille volts. On se regardait dans le blanc des yeux, chacun décidé à ne pas céder le premier. Son regard brûlait de désir, et je me sentais perdue, titubant au bord d'un précipice. Qu'est-ce que je ressentais ? De la haine ? Du désir moi aussi ? Les deux à la fois ? J'avais autant envie de l'embrasser que de le frapper...

Un cri perçant brisa soudain notre affrontement, suivi une fraction de seconde plus tard d'une vague de chaleur étouffante. Nous levâmes la tête en même temps, découvrant l'intrus dont la silhouette se découpait sur le bleu du ciel : un oiseau au plumage de feu qui plongeait sur nous, une fournaise crépitant au fond de son bec entrouvert.

Danger !
me cria la partie primaire de mon esprit, celle qui était précédemment occupée à s'égosiller "Saute-lui dessus ! Embrasse-le !".

Mes muscles s'actionnèrent par réflexe et je tentai de m'écarter de la trajectoire de la boule de feu naissante. Je heurtai le sol à plat ventre, m'éraflant la paume des mains sur les cailloux, serrant les dents alors que le souffle brûlant de la déflagration me léchait la peau. Quelque peu désorientée, je restai quelques instants allongée à récupérer, inspirant un air imprégné d'une odeur de souffre et de feu de bois. À travers mes paupières plissées, je distinguai de légères étincelles dorées qui m'entouraient, et compris qu'Alakazam m'avait protégée. Ça expliquait pourquoi je ne m'étais pas fait carbonisé et avais juste l'impression d'avoir reçu un bon coup de soleil.

Je me redressai finalement en jurant. Qu'est-ce que c'était que ce Pokémon ? Au moins personne n'avait été blessé, constatai-je avec soulagement en jetant un regard aux alentours. Mes bestioles se tenaient à l'écart, le nez tourné vers le ciel, tandis qu'Alakazam occupait sa place habituelle aux côtés de Zack, qui lui se trouvait déjà sur pieds. Il avait relâché son Dracaufeu, et y ajouta son Roucarnage puis son Léviator.

- Vous deux, à l'attaque, harcelez-le autant que vous pouvez, énonça-t-il. Et toi, tu attends mon signal pour l'Hydrocanon.

Ses Pokémon lui répondirent d'une seule voix, s'empressant de suivre ses ordres. Il y eut un appel d'air qui m'envoya mes cheveux dans les yeux lorsque les deux créatures ailées prirent leur envol.

- Singe ? interrogea Teigne.

- Non, lui répondis-je. Y a pas besoin de le combattre, ajoutai-je à l'intention de Zack en replaçant les mèches rebelles derrière mes oreilles. Ça doit être son territoire, c'est pour ça qu'il nous attaque. Si on repart par les tunnels, on sera en sécurité et il nous laissera tranquille...

- Hors de question, décréta-t-il avec un grognement énervé. Je ne vais certainement pas laisser Sulfura me glisser entre les doigts.

Il rejeta la tête en arrière pour observer l'affrontement qui avait lieu à haute altitude. Je l'imitai. Là-haut, le Roucarnage et le Dracaufeu rivalisaient d'adresse avec l'oiseau de feu, évitant les gerbes enflammées qu'il produisait tout en répliquant à coup de serres et de crocs. Les seuls sons qui nous parvenaient étaient les cris rauques du Dracaufeu qui accompagnaient chacune de ses attaques. Il volait de façon bien plus vive que son compère, sans doute moins handicapé que lui par le déluge de feu que leur faisait subir le Sulfura.

Malgré la différence dans leurs approches, les deux Pokémon agissaient en tandem, et au terme d'une manœuvre habile, ils réussirent à forcer l'oiseau à descendre. Il était à présent suffisamment bas pour que...

- Maintenant ! indiqua Zack à son Léviator.

La bête expulsa un jet d'eau d'une infinie puissance, droit vers le Sulfura. Ce dernier vira de l'aile au dernier moment et dessina dans l'air une succession d'arabesques complexes, laissant une traînée de braises incandescentes dans son sillage. L'Hydrocanon se perdit dans le lointain, les gouttelettes retombèrent en pluie sur les flancs du volcan.

Je fis sortir Plouf de sa Pokéball alors que le Sulfura remontait vers les hauteurs.

- On aura plus de chances de l'avoir à deux, me justifiai-je auprès de Zack qui me dévisageait.

- Singe ?

Je hochai la tête à l'intention de Teigne.

- Tu tentes un Tomberoche dès que possible, Grignotte je veux un Éboulement, et toi Maraude essaie une Onde folie s'il passe à portée.

La Goupix détacha son regard de la forme enflammée du Sulfura juste suffisamment longtemps pour me signifier son accord. Elle et Grignotte surveillaient le ballet aérien, visiblement accaparés par les figures de haute voltige déployées par les trois Pokémon ailés. Je levai moi aussi le nez en l'air, à l'instant précis où un cri de douleur retentissait. Le Roucarnage avait le plumage en feu. Il tenta désespérément de stabiliser son vol, mais échoua et dégringola en chute libre, la friction de l'air attisant les flammes qui gagnèrent son poitrail. J'ouvris la bouche pour ordonner à Plouf de lancer un Hydrocanon sur l'oiseau, la refermai lorsqu'un rayon rouge vint le toucher. Alors qu'il allait s'écraser, le Roucarnage fut aspiré par la Pokéball. Zack la replaça à sa ceinture d'un geste nonchalant.

- Dracaufeu, Déflagration ! hurla-t-il pour se faire entendre de son Pokémon qui évoluait plusieurs centaines de mètres au-dessus de nous.

Le dragon effectua un virage serré afin de se rapprocher du Sulfura, ouvrit la gueule, et vomit un torrent de flammes à bout portant sur son adversaire. Un cri strident nous parvint. Une seconde plus tard, le Sulfura s'échappa du nœud de feu pour plonger droit sur nous. La peur me paralysa les jambes malgré l'adrénaline que charriait mon sang. Dès que l'oiseau fut à portée, ce qui prit une poignée de secondes, Plouf et son congénère lancèrent un tir croisé d'Hydrocanon. Faisant preuve d'une maîtrise et d'une réactivité impressionnante, le Sulfura louvoya entre les deux jets d'eau, et continua à descendre.

En un clin d'œil il fut parmi nous, ses coups d'ailes semant une pluie de braises sur son passage. Alors qu'il se stabilisait en vol stationnaire, son regard incandescent croisa le mien, embrasant tout mon être. Et son bec s'ouvrit.

S'ouvrit en grand.

Je demeurai figée, le cœur battant à tout rompre. À l'instant où la langue de feu prenait naissance et fusait vers moi, un jet d'eau jaillit de la direction opposée. Les deux attaques s'entrechoquèrent à mi-chemin, s'annulant mutuellement dans un grand nuage de vapeur. Je cillai, aveuglée. Une forme sombre venue de la droite que j'identifiai comme étant un rocher fusa vers le Sulfura à une vitesse inouïe, immédiatement suivi d'un autre qui arriva de la gauche. L'oiseau les évita tous les deux en se propulsant promptement vers le haut, tandis qu'un énième Hydrocanon traversait l'espace là où il s'était tenu une fraction de seconde plus tôt. Un jappement de Maraude me crissa aux oreilles, mais le Sulfura était déjà trop loin pour être affecté.

Il se mit à planer, cherchant une ouverture dans notre défense sans prêter attention au Dracaufeu qui s'efforçait de lui faire perdre de l'altitude.

- Une idée ? demandai-je à Zack.

- Il va bien finir par se fatiguer, fut sa réponse.

Pour ma part, je n'en étais pas si sûre. Malgré les coups qu'il s'était pris de la part du Roucarnage et du Dracaufeu, l'oiseau de feu semblait en pleine forme. Alors que je me faisais cette réflexion, il se laissa à nouveau tomber vers nous. Le Dracaufeu le suivit dans sa chute contrôlée, plus lent. Je me préparai à être la cible d'un autre assaut, mais au lieu de ça le Sulfura décrivit un large cercle au-dessus de nous, sans essayer de nous attaquer. Il se contenta de cracher du feu sur le sol, nous enfermant Zack et moi dans une prison de flammes alors que l'herbe rase du sommet s'embrasait dans un craquement sec.

- Surf ! ordonnai-je à Plouf, reculant pour échapper à la morsure de l'incendie grandissant.

Mon dos heurta celui de Zack.

- Surf ! répéta-t-il à l'intention de son propre Léviator.

Je fermai les yeux en prévision. Les deux vagues d'eau nous trempèrent des pieds à la tête, brutales telles des gifles glacées ; je parvins à rester debout en m'appuyant contre Zack. J'aspirai une goulée d'air frais, puis rouvris les yeux et constatai que notre tactique pour neutraliser le feu avait fonctionné à merveille. Le Sulfura aurait été bien en peine de recommencer son petit tour à présent. Pourquoi l'avait-il fait la première fois d'ailleurs ? Quel intérêt à viser le sol au lieu de nous ? Je compris sa stratégie lorsque je le repérai à nouveau : il avait fourni une diversion aux Léviator afin de pouvoir s'attaquer aux Pokémon les plus faibles. En l'occurrence, Teigne, qui était particulièrement vulnérable face au type vol.

Je vis le bec du Sulfura s'abattre sur la tête de la Colossinge et mon cœur chavira. Mes mains humides glissèrent sur sa Pokéball, je lâchai un juron bien senti puis parvins enfin à m'en saisir. Je rappelai Teigne alors que le bec acéré de l'oiseau allait frapper une seconde fois ; il ne trouva que le vide. La réaction de Sulfura ne se fit pas attendre : il ajusta son vol d'un seul coup d'ailes pour se rapprocher de Maraude. Je la fis également rentrer dans sa ball, ainsi que Grignotte. Alors seulement je cessai de trembler.

- Qu'est-ce que tu fous ? s'écria Zack. On a besoin du plus grand nombre de Pokémon possible !

- C'est trop dangereux ! répliquai-je, ma voix se brisant sur la dernière syllabe.

- T'as rien compris, Léa. Si t'as autant peur que tes chers Pokémon se blessent, fallait devenir éleveuse ou toiletteuse, pas dresseuse !

- Comme si j'avais eu le choix !

Des trombes d'eau se déversèrent soudain sur nous, une douche verticale qui coupa court à notre dispute. Je retins ma respiration, tous les arguments que j'avais encore en tête au bout des lèvres. Le déluge s'arrêta quelques secondes plus tard.

- Léviator, nous gronda Plouf après nous avoir arrosé.

Un Pokémon qui nous faisait la morale... N'empêche qu'il avait raison, ce n'était pas le moment de se disputer. Zack et moi tournâmes notre regard vers le Sulfura, qui était à nouveau aux prises avec le Dracaufeu, haut dans le ciel.

- Léviator ? s'enquit le Pokémon de Zack.

- On vous dira quand frapper, déclara mon rival.

Nous observâmes ensemble le combat des deux Pokémon ailés. Le Dracaufeu s'obstinait à rabattre l'autre vers le bas, le harcelant de morsures et de coups de griffes qui rataient quasiment toujours leur cible, mais remplissaient leur office. Petit à petit, le Sulfura se rapprochait du sol. Vint le moment où il fut à portée de tir. J'attendis néanmoins avant de donner l'ordre de lancer Hydrocanon à Plouf, car l'oiseau nous avait prouvé par le passé qu'il était plus que capable d'esquiver une telle attaque. Il fallait donc qu'il soit distrait si on voulait que ça fonctionne. Zack devait avoir suivi le même raisonnement que moi car il resta également silencieux. Ce fut seulement lorsque le Sulfura nous tourna le dos pour répliquer du tranchant de ses serres à l'une des morsures du Dracaufeu que nous nous exclamâmes d'une même voix :

- Maintenant !

Les deux gerbes d'eau fusèrent, fendant l'espace comme projetées depuis des lances à incendie. Et touchèrent au but. Le Sulfura vacilla sous l'impact, puis émit un cri de détresse lorsque les flammes de son aile droite et de sa queue s'éteignirent durant quelques secondes. Il voulut remonter, mais le Dracaufeu en profita pour l'agripper et l'empêcher de s'enfuir, sa queue lui cinglant les ailes alors qu'il le plaquait contre lui. L'oiseau se débattit, l'abreuvant d'une grêle de coups de bec vicieux.

- Tiens-toi prête, on va l'achever, à mon signal... m'indiqua Zack d'une voix qui résonnait déjà des accents de la victoire.

- On va toucher Dracaufeu, objectai-je.

- Il survivra.

Une certitude que je ne partageais pas.

- Tu peux pas en être sûr, argumentai-je, il est déjà bien amoché et il épuise vite ses forces à maîtriser le Sulfura. Non, je refuse de prendre ce risque.

- C'est ça ton problème, ricana Zack. T'as peur. Peur de tuer des Pokémon, peur de perdre tes Pokémon, peur des sentiments que tu éprouves pour moi.

- Ta gueule, putain ! vociférai-je. J'en ai plus qu'assez de tes remarques désobligeantes, de tes suppositions bouffies d'orgueil, de ton caractère de chien !

- Léviator ! réitéra Plouf d'un ton hargneux.

- Non, Plouf, cette fois-ci une douche n'y changera rien, lui répondis-je. Je ne mettrai pas la vie de Dracaufeu en danger parce que son dresseur fait une fixette sur les Pokémon rares !

- Très bien, rétorqua sèchement Zack. J'ai pas besoin de ton aide de toute façon... Léviator, Hydrocanon !

Le Pokémon rugit et cracha un immense geyser d'eau qui alla frapper de plein fouet le Dracaufeu et le Sulfura entrelacés. Le choc les sépara, brisant leur étreinte, et ils plongèrent tous deux vers le sol, leurs ailes ne battant plus. L'oiseau de feu paraissait encore conscient, même si ses flammes avaient diminué de moitié et vacillaient dans le vent, mais le Dracaufeu, lui, avait bien perdu connaissance. Je n'arrivai pas à voir si sa flamme caudale était encore là à cette distance. Alors qu'il se rapprochait, Zack le rappela en plein vol comme pour le Roucarnage puis me montra la Pokéball, tapant de l'ongle sur son sommet rouge avec un sourire arrogant. J'aurais voulu le gifler.

La vision du Sulfura qui s'écrasa à quelques mètres de nous sur l'esplanade rocheuse prit la priorité. Le magnifique oiseau de feu heurta la terre durement dans un bruit de plumes froissées, puis, repliant ses ailes contre ses flancs, il nous toisa de son regard d'or. Son poitrail se soulevait à intervalles très rapides, ses flammes n'étaient plus que des flammèches, et pourtant, même blessé et à notre merci, il nous défiait.

Zack s'empara d'une Hyperball, fit quelques pas en direction du Sulfura, et la lui lança dessus d'un geste expert. La ball jaune et noire décrivit une courbe avant de venir frapper les plumes de l'oiseau, puis elle s'ouvrit, l'absorba à l'intérieur, et retomba au sol. Le silence le plus absolu se fit au sommet du mont Braise. Cinq paires d'yeux se fixèrent sur l'Hyperball.

Qui remua.

Une fois.

J'eus l'impression fugace de la voir vibrer sous l'effort fourni par le Pokémon oiseau pour se libérer.

Deux fois.

Non, ce n'était pas qu'une impression, elle vibrait bel et bien.

Trois fois.

Au moment où le clic aurait dû retentir, l'Hyperball explosa en une gerbe d'or et de feu démesurée, une détonation silencieuse mais colossale dont l'onde de choc m'ébranla jusqu'aux os. L'éclat lumineux fut tel qu'il m'aveugla durant une poignée de secondes. Lorsque je recouvrai la vue, il ne restait plus aucune trace de la ball, et le Sulfura avait disparu. Zack se tenait immobile face à l'endroit du blast, marqué au sol par une immense tâche noire de suie. Je me sentis mal en me rendant compte que ses vêtements étaient brûlés et que quelques mèches de ses cheveux avaient noirci. Moi je n'avais rien, j'étais demeurée suffisamment en retrait pour ne pas souffrir de ce qui s'était passé... Mais Zack, lui, s'était tenu à seulement deux ou trois mètres de l'explosion. Et s'il était blessé sérieusement ? Je me précipitai vers lui, la gorge sèche.

- Ça va ? m'enquis-je d'une voix rauque, malaisée.

Il me repoussa violemment sans même me regarder.

- J'ai dit que j'avais pas besoin de ton aide, putain... croassa-t-il.

Le silence retomba sur l'esplanade rocheuse. Je déglutis, intensément frustrée. On en était donc arrivé là. Nous avions confronté nos points de vue, et cela nous avait mené au désastre, comme je l'avais craint. Le Sulfura avait été l'étincelle qui avait enflammé la proverbiale poudrière. Et à présent, dans les cendres du champ de bataille, une ligne tracée d'amertume et d'incompréhension se dressait entre nous, délimitant des camps opposés.

- Zack, tentai-je à nouveau, et m'arrêtai, parce que je n'avais pas la moindre idée de ce que j'allai dire ensuite.

De profil, l'expression de son visage était indéchiffrable. Il gardait le regard fixé sur la tâche noire, sans même ciller. Et puis tout à coup, il y eut un scintillement violet, et il ne fut plus là. Tout comme son Léviator et Alakazam.

Je lâchai un cri de surprise mêlée de rage.

- Putain, Zack...

Les mots ne venaient pas. Je n'en trouvai qu'un seul, inutile et stupide, égaré sur le bout de ma langue.

- Reviens...

Seul le vent me répondit.

***


Un chapitre plus long que d'habitude... J'ai essayé de voir si je pouvais le couper, mais il fonctionne vraiment comme une seule unité, avec la relation de Zack et Léa qui passe par des hauts et des bas avant de se crasher, et le thème de la chaleur et du feu en général.

(Je vous raconte pas l'exclamation que j'ai poussée quand je suis tombée sur le Magmar... Je savais même pas qu'il y en avait dans le coin. ^^)


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