Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Duel au sommet de olyn



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 19/10/2012 à 18:46
» Dernière mise à jour le 15/12/2012 à 15:17

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 15 : Vivian
Un silence suivit sa déclaration. Un silence de mort.

Ébranlée jusqu'au plus profond de moi-même, clouée sur place, je m'efforçai d'absorber l'information.

Récapitulons :

Vivian.

Mon frère.

Bien vivant.

Et accessoirement, un salaud de premier ordre.

Qui venait de tuer mon presque-mais-pas-vraiment-petit-ami.

Si avec tout ça je m'en sortais sans séquelles psychologiques, ce serait un vrai miracle.

Le silence s'étira tandis que nous nous fixions du regard. Extérieurement, je demeurai de marbre. Intérieurement, c'était le chaos. Un mélange d'émotions complètement opposées bouillonnait en moi, menaçant de déborder à chaque inspiration que je prenais, et si imbriquées les unes dans les autres que toute les nommer relevait d'une gageure intenable. Certaines étaient tout de même reconnaissables. De la rage, toujours. De la haine aussi, et l'envie dévorante de lui hurler à la figure qu'il mentait, que c'était impossible... et de l'autre côté, une satisfaction perverse à l'idée de l'avoir enfin retrouvé, d'avoir battu le jeu d'une manière ou d'un autre. Et quelque part entre les deux, une voix qui notait d'un ton détaché que tout ça faisait un peu cliché dans le genre Star Wars.

Ton frère est vivant et c'est le bras droit du grand méchant. Maintenant il ne te reste plus qu'à t'égosiller 'Noooonn !' et l'univers sera comblé.

Mais ma bouche resta résolument close. De toute façon, j'avais la gorge trop serrée pour parler, alors quant à crier...

Vivian...

Une minuscule parcelle de doute s'insinua en moi, craquelant l'assurance absolue qui m'avait saisie lorsque j'avais entendu son prénom. Était-ce vraiment lui ? Ou bien le destin me jouait-il encore un mauvais tour ? Je scannai son visage, cherchant mon frère au-delà du psychopathe. Il avait les yeux bleus, d'accord, mais beaucoup d'autres personnes aussi. Ses cheveux étaient plus longs que ceux du Vivian que je connaissais, et moins blonds, plus sombre désormais que la couleur des blés. Mon regard s'attarda sur la forme de son nez, la courbe de sa mâchoire, puis ses pommettes... Je conjurai mentalement l'image du Vivian de dix ans et comparai les deux.

Oui. C'était plausible. Son visage avait perdu toutes ses rondeurs enfantines et s'était affiné ; quant à ses yeux, leur douceur s'était envolée et ils étaient à présent froids et durs. Mais il y avait une ressemblance certaine. J'avais bien affaire à mon frère. Pourquoi ne m'en étais-je pas rendu compte plus tôt ?

Tunnel mal éclairé et corridors plongés dans la pénombre... et puis tu n'as jamais vraiment prêté attention à son visage. Sans compter que tu ne t'attendais pas à retrouver Vivian... pas comme ça, en tout cas.

Bel effort de la part de la case 'Logique' de mon cerveau. Et complètement bidon. Si j'étais honnête avec moi-même, je devais admettre que j'avais toujours su qu'il y avait quelque chose de différent chez ce Rocket-là. Et j'avais eu trop peur de découvrir quoi pour creuser davantage. Parce qu'au fond de moi, si profondément enfoui que je ne l'aurais jamais, jamais admis, je m'en doutais. Et maintenant, la vérité éclatait au grand jour.

- On en reste sans voix, sœurette ? s'amusa-t-il, une lueur de défi au fond des prunelles.

J'étais une telle boule d'émotions en furie que j'avais l'impression que j'allais exploser, et ce surnom ne fit qu'ajouter de l'huile sur le feu.

- Non, répondis-je, tremblante de tous mes membres. Je t'interdis de m'appeler comme ça. Tu. N'es pas. Mon frère.

Il eut un sourire indulgent.

- J'imagine que ce ne sont pas vraiment les retrouvailles que tu espérais... mais rien ne sert de nier la réalité, Léa.

Mon prénom dans sa bouche sonnait tellement faux... J'aurais voulu le lui interdire aussi.

- Mon frère n'est pas... commençai-je, mais ma voix s'étrangla et ma phrase mourut sur mes lèvres.

Le regard de Vivian ne me quittait pas. Je hoquetai, cherchant mes mots. Quelqu'un en trouva d'autres :

- Singe ! Colo, colossinge !

Teigne émanait la colère par tous les pores de sa peau. Un grondement monta de sa gorge, et je la vis se ramasser pour bondir...

Cliquetis d'acier.

Vivian avait braqué le canon de son pistolet sur elle.

- Faut-il aussi que je m'occupe de tes Pokémon ? s'enquit-il d'une voix qui suintait d'une feinte sollicitude.

Sa question me brûla comme si je venais de recevoir un coup de fouet. Je montrai les dents tel un fauve protégeant son petit et me plaçai devant Teigne, faisant rempart de mon corps. La rage que je ressentais prit le dessus sur tout le reste, et je trouvais enfin mes mots, ces mots si terribles et pourtant si vrais, les vomissant dans une tirade à moitié hurlée :

- Ta gueule, bordel ! T'as beau lui ressembler, t'as beau avoir le même prénom, la même putain de façon de plisser les yeux quand quelque chose t'amuse, tu n'es pas mon frère. Mon frère n'est pas un meurtrier. Jamais il ne pourrait l'être. Mon frère est gentil, mon frère est serviable, et il ne ferait pas de mal à une mouche ! Il est à mille lieux de ce que j'ai sous les yeux ! Même que la première fois qu'on a regardé Bambi ensemble, il a pleuré... Bordel de merde, Vivian, qu'est-ce qui s'est passé ?!

Je repris mon souffle, foudroyant Vivian du regard tout en le suppliant de m'apporter des réponses. Mon expression devait pour le moins être contradictoire.

- Quelle importance ? contra-t-il, l'air peu concerné par ma réaction.

- Il y a dû avoir un événement déclencheur, raisonnai-je, quelque chose qui a changé l'enfant adorable en...

Je ne terminai pas ma phrase.

- Ma sœur aurait-elle des velléités de se tourner vers la médecine ? fit-il semblant de s'étonner. Tu sais, être psy, ça ne s'improvise pas...

Dire de sa voix qu'elle était lourde de sarcasme aurait été un euphémisme grossier. Je serrai les poings.

- J'essaie de comprendre, c'est tout, croassai-je.

Un long silence qui s'étira, durant lequel nous nous affrontâmes du regard. Encore. Puis il cilla et eut un haussement d'épaules affecté.

- Tu veux savoir ce qui s'est passé ? Ce qui m'a changé ? Dix ans, Léa. Dix ans dans ce monde impitoyable, dix ans à essayer de survivre, dix ans à aller de désillusion en désillusion... Au début j'étais enthousiaste, bien sûr... Quel gamin fan de Pokémon ne l'aurait pas été en se découvrant projeté dans le jeu ? Une occasion de vivre une quête héroïque pour de vrai... Et puis j'ai vite compris que je m'étais fourré le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Mais malgré ma prise de conscience, je m'accrochais quand même à mes idées enfantines. Je voulais bien faire. Être un bon dresseur. (Il eut un rire bref.) Il m'a fallu du temps avant de m'apercevoir de l'étendue de mes erreurs... quoique la Team Rocket m'ait bien aidé sur ce plan-là.

Pour la première fois depuis la révélation qui avait brisé ce qui restait de mon cœur, Giovanni prit la parole :

- Julien nous a rejoint quand il a compris que c'était dans son intérêt. Il est très efficace dans son travail ; je n'aurais pas pu imaginer meilleure recrue.

On aurait dit un père fier des accomplissements de son fils.

- Vous lui avez lavé le cerveau, l'accusai-je, voyant clair dans son jeu.

- Non, me contredit Vivian. Giovanni m'a fourni une opportunité, mais le choix, c'est moi qui l'ai fait, et en toute conscience.

- Le choix de tuer des gens et de torturer des Pokémon ?

- Le choix de prendre le contrôle de mon destin, rétorqua-t-il.

Je restai sans voix. L'abîme qui séparait le Vivian de mon souvenir de celui-ci était sans fond.

- Et ça a suffit à faire de toi un monstre ? murmurai-je d'une voix éteinte.

Ses yeux bleus me transpercèrent de part en part.

- Un monstre, Léa... répéta-t-il. Tu entends ce que tu dis ? Suis-je un monstre parce que j'ai tué ce jeune homme que tu affectionnais tant ? Suis-je un monstre parce que j'aurai tué ce Colossinge sans hésitation ?

Teigne grogna un 'Singe' qui se passait de traduction. Moi, je laissai couler ces deux questions. Pour toutes rhétoriques qu'elles étaient, nos réponses respectives se situaient à l'opposé du même spectre.

- Tu aurais agi de même si tu en comprenais les enjeux... (Il secoua la tête.) Quand bien même, ce n'est qu'une question de perspective. Ils ne sont pas réels, Léa. Tu as bien dû le comprendre, non ? Toutes les personnes que tu as rencontrées depuis que tu es arrivée ici, tous les Pokémon que tu as croisés... Ce sont des programmes. Tout ça n'est qu'un jeu.

Le ton qu'il avait pris suggérait que j'étais stupide de m'être imaginé le contraire ne serait-ce que pour une seconde. Je jetai un coup d'œil à Giovanni. Il me rendit mon regard sans sourciller. Son absence de réaction face à ce discours indiquait que ce n'était pas la première fois qu'il l'entendait. Ça devait pourtant sembler complètement dingue de son point de vue à lui. Vivian l'avait-il convaincu de la véracité de ces propos, ou bien le boss des Rocket le prenait-il pour un fou et tolérait-il son comportement en vertu de l'excellent boulot qu'il faisait ?

- Peut-être, concédai-je. Peut-être que t'as raison, peut-être que tout ça n'est bel et bien qu'un putain de jeu. Juste des bouts de 1 et de 0 stockés quelque part sur un circuit électrique.

Je posai une main sur la tête de Teigne, et l'autre sur les Pokéballs à ma ceinture.

- Mais sans Teigne, continuai-je, sans chacun de mes Pokémon, je serais déjà morte dix fois. Ces petites bêtes que tu dénigres si facilement m'ont littéralement sauvé la vie. Ils se sont battus pour moi, ils m'ont surprise, m'ont fait rire, m'ont fait pleurer... Ils ont embelli mon existence et réussi à changer mon avis sur ce jeu, comme tu dis.

Malgré moi, mes yeux allèrent se fixer sur le corps de Léonard.

- Et Léonard... Il m'a prouvé qu'on pouvait élever des Pokémon et avoir un cœur... Il m'a accueilli chez lui et m'a offert son amitié sans rien demander en échange... J'avais envie de le connaître davantage, peut-être même de... (Ma voix se brisa. J'avalai ma salive et repris :) Et c'est ça qui compte. Alors oui, ptet bien que Léonard n'était qu'un PNJ, ptet bien que mes Pokémon ne sont que des pixels, mais lui et eux sont dix mille fois plus réel à mes yeux que tu ne l'es toi.

Il poussa un léger grognement, comme énervé par ma résistance.

- Si tu veux. Ce qui importe, c'est que tu sois prête à tout pour gagner cette partie. Moi j'ai échoué, mais toi tu peux réussir.

- Battre la Ligue Pokémon, tu veux dire ?

Cette fois, ce fut lui qui jeta un infime coup d'œil en direction de Giovanni. Tout n'était pas clair et net entre ces deux-là. Vivian devait lui cacher quelque chose.

- Pas seulement, dit-il finalement. Je te parle de la toute fin du jeu, de ce qui est considéré comme...

- Je connais pas la fin, le coupai-je.

Froncement de sourcils de sa part doublé d'un regard incrédule.

- Tu n'as jamais joué à Pokémon en dix ans ?

- Non. Considérant que tu es mort alors que tu étais en train d'y jouer, j'ai associé Pokémon à des souvenirs plutôt négatifs.

J'avais craché l'explication sèchement. Il ne se démonta pas.

- Ce sera la surprise, dans ce cas.

Pause. J'avais la tête qui tournait et les nerfs plus qu'à vifs, mais puisqu'il semblait disposé à parler, autant essayer d'obtenir davantage de réponses.

- Tu dis qu'on est dans le jeu... Comment on a pu rentrer dans une cartouche ?

- C'est le plus grand mystère de ma vie. Dix ans que je cherche à savoir.

Ou pas.

- D'accord. Peut-être que vous pouvez me dire ce que vous me voulez, alors.

Autrement, leurs commentaires quant à mon potentiel allaient me hanter jusqu'à la fin de mes jours. Ce fut Giovanni qui répondit :

- Tu as toutes les qualités requises pour nous rejoindre. Endurance, ténacité, volonté de fer... et des Pokémon qui constitueraient une belle addition à notre cheptel. Tout comme ton frère, tu serais un bel atout pour notre organisation.

Ma colère, jusque là centrée sur Vivian, changea brusquement de cible :

- Non mais rassurez-moi, vous plaisantez là ? Vous me demandez de vous rejoindre alors que vous passez votre temps à me pourrir la vie ? Oh, et puis n'oublions pas que vous venez de tuer mon ami ! C'est vrai, un détail comme ça, c'est si vite oublié !

- La mort de M. De Bellevue Junior est regrettable, oui... mais elle était nécessaire, pour le bien du plus grand nombre, se justifia le gangster. Obtenir les plans de la Masterball est une étape cruciale qui nous rapprochera de la réalisation de notre rêve. Joins-toi à nous, jeune Léa, et ensemble nous mettrons fin à la tyrannie de la Ligue Pokémon.

- Vous avez perdu la tête.

- Trouves-tu normal que tout les produits Pokémon soient fabriqués par une seule et même compagnie ? argumenta-t-il. Une compagnie, ajouterai-je, dont le PDG est par un heureux hasard le frère d'un membre du Conseil des Quatre ? Cela ne te semble-t-il pas injuste qu'il soit impossible de devenir dresseur sans l'aval du Conseil des Quatre ? Et que dire de cette nouvelle règle qui interdit de capturer plus d'un Pokémon par zone ? Petit à petit, la Ligue nous prive de plus en plus de droits et nous impose de plus en plus de devoirs. Nous vivons dans une dictature, et personne ne s'en rend compte... Une dictature impossible à renverser légalement. Nous avons donc choisi la voie de l'illégalité.

- Et tant pis si des gens ou des Pokémon doivent mourir pourvu que vous atteigniez votre idéal, pas vrai ? lui lançai-je avec hargne.

- On ne fais pas d'omelette sans casser des œufs, confirma-t-il d'une voix âpre.

J'avais presque envie d'y croire. Que cet homme, cet adulte que j'avais en face de moi, ne se voyait pas comme un salaud, mais comme le sauveur de tout un pays. Que l'organisation qu'il contrôlait n'était pas constituées de terroristes mais de combattants pour la liberté. Ça aurait donné un sens à la mort de Léonard. À celle de Touffu, aussi. Ils n'auraient plus été des victimes d'une organisation criminelle mais des martyres sacrifiés sur l'autel d'une noble cause.

Mais j'avais fait une promesse au spectre de la mère Ossatueur. Et j'allais m'y tenir.

- Allez vous faire foutre, répondis-je donc.

Et au diable les conséquences.

Giovanni soupira.

- Quel dommage d'en arriver là... Mais personne ne pourra dire que je ne t'ai pas laissée une chance. (Il fit un signe de tête à mon frère.) Tue-la.

C'était pourtant prévisible, mais je ne m'en trouvais pas moins frappée de stupeur. Il venait d'ordonner à mon propre frère de m'éliminer. La cruauté de cet homme ne connaissait-elle donc aucune limite ?

Vivian, quant à lui, resta de marbre.

- Hé bien ? s'impatienta Giovanni.

- J'ai entendu, répondit mon frère. Vous la voulez morte, faites-le vous-même... chef, ajouta-t-il calmement.

- Se salir les mains, très peu pour moi, décida le boss des Rocket. Balafre va se charger d'elle.

Une Pokéball lancée d'une main experte tournoya dans les airs. Je reculai précipitamment, tandis que les poils de Teigne se gonflait en prévision de l'affrontement. Une bile amère monta dans ma gorge, je m'efforçai de la ravaler. Je n'étais pas préparée à ça. Moi qui était venue pour venger Léonard, je découvrais que mon frère était vivant, moi qui m'était préparée à tuer quelqu'un, je devais à présent me battre pour ma survie... C'en était trop. Trop, trop, trop. J'aurais voulu pouvoir appuyer sur le bouton 'Pause', partir me faire à manger, aller pleurer dans mon lit, passer la nuit entière à dormir, et puis revenir avec les idées claires et la tête froide... Mais je ne disposais pas d'un tel luxe. Par décret du destin, je me prenais coup dur sur coup dur aujourd'hui, et il fallait que j'encaisse et que je continue. Autrement j'étais morte.

Il y avait tellement d'adrénaline dans mon organisme que mon sang était probablement tout clair.

Le Pokémon choisi par Giovanni apparut face à Teigne. Je le détaillai du regard. Quadrupède, son corps était d'un violet clair et recouvert de cicatrices. Il possédait une corne sur son front, une paire de canines jaunâtres dépassait de sa gueule, et une crête de piquants courait le long de son dos, achevant de lui donner un air vicieux. Ses petits yeux brillaient d'un rouge furieux. Les muscles de ses épaules jouèrent sous sa peau alors qu'il s'avançait.

Il renifla et souffla par le nez.

- Nidorino !

Entre lui et les autres Nidorino que j'avais aperçus dans le parc Safari, il y avait une monde de différence. Eux n'avaient été que des spécimens typiques de l'espèce ; lui méritait l'appellation de 'machine de guerre'.

- Tue-moi ce Colossinge, et ensuite la fille, lui ordonna Giovanni.

Le Nidorino baissa la tête et chargea Teigne, ses pattes martelant le sol en moquette du bureau. Teigne resta campée sur ses positions. Elle savait ce qu'elle avait à faire : encaisser, puis riposter. Alors que la corne acérée de son adversaire lui rentrait dans le ventre, elle lui décocha un coup de poing dans les côtes qui arracha un halètement de douleur au Nidorino. Il se dégagea, secoua la tête, et se mit à tourner autour de la Colossinge. Teigne l'imita, prenant soin de ne jamais lui présenter son dos. Je notai que les bords de sa blessure avaient une teinte verdâtre et grimaçai. Le poison du Nidorino coulait d'ores et déjà dans ses veines.

Tandis que le Nidorino réitérait son attaque, corne en avant, je surpris le regard de Vivian sur moi. Il m'observait d'un air détaché, comme si rien de tout ça ne le concernait. Une nouvelle bouffée de violence m'ébranla aussitôt.

Tue-le. Tue-le maintenant, venge Léonard...

Oui.

Non.

J'oscillai entre les deux, ne sachant pas quoi faire. C'était mon frère, et c'était aussi un meurtrier, et ces deux morceaux là n'allaient pas ensemble. Je n'allais jamais parvenir à les réconcilier.

Un cri rauque me ramena à des préoccupations plus pressantes. Teigne avait réussi à monter sur le dos du Nidorino et lui comprimait la trachée de ses bras puissants. Elle arborait entre autres une deuxième plaie au ventre dont du sang jaillissait à chaque mouvement trop brusque, cascadant le long des flancs du Nidorino, mais elle semblait déterminée à ne pas lâcher prise. Une ruade soudaine de son adversaire la déséquilibra ; elle faillit tomber et seuls ses bras croisés sur le cou du quadrupède la sauvèrent. À force de pression exercée en continu, les pattes arrières du Nidorino finirent par flancher. Il s'affaissa et ses yeux se voilèrent.

Je crus que c'était gagné, mais dans un dernier sursaut de volonté, il parvint à rouler sur le dos, écrasant Teigne de son poids. Elle le repoussa d'un coup de pied fouetté à un endroit judicieusement choisi. Le Nidorino beugla de douleur et roula sur le côté avant de se redresser. Il s'était à peine remis sur ses pattes qu'il fonçait déjà à nouveau vers Teigne. Cette dernière esquiva son attaque d'un bond à la verticale et lui abattit ses deux poings sur le sommet du crâne, juste à la base de sa corne.

Le Nidorino s'effondra comme une masse tandis que Teigne se réceptionnait presque gracieusement. La Colossinge frotta ses deux paluches l'une contre l'autre, l'air satisfait.

- Quel gâchis, déplora Giovanni en faisant la moue. Un Pokémon si féroce entre les mains d'une dresseuse telle que toi. (Il se tourna vers Teigne.) Colossinge, c'est à toi que je m'adresse à présent. Viens avec moi. Rejoins les rangs de la Team Rocket, et tu participeras à plus de combats que dans tes rêves les plus fous.

Les oreilles de Teigne se dressèrent.

- Je ne te briderai pas comme ta dresseuse le fait, poursuivit Giovanni. Tu seras même récompensée pour ta violence.

Elle pencha la tête de côté.

- Tu as tout à y gagner, conclut le gangster.

En réponse à son offre, la Colossinge lâcha un 'Singe !' très explicite et vint se placer à mes côtés. Je la remerciai mentalement. (Je ne pensais pas vraiment qu'elle allait déserter, mais il y avait toujours ce petit doute au fond de moi que je ne parvenais pas à faire taire.)

- Tu mourras donc avec ta dresseuse. Nidoqueen... Aplatis-les !

Le grand Pokémon bleu, qui n'était pas sans rappeler un Kangourex question taille et corps cuirassé, se secoua paresseusement avant de nous foncer dessus. Prise de panique, je trébuchai en voulant m'écarter, et eut encore une fois la vie sauve grâce à Teigne et ses réflexes qui lui permirent d'intercepter la charge de la Nidoqueen. Elle résista alors que l'immense Pokémon pesait sur elle, cherchant à la faire plier.

Adossée au mur, j'agrippai la Pokéball de Salade de mes doigts fébriles. Teigne ne tiendrait plus très longtemps comme ça. Je libérai mon mastodonte verdâtre afin qu'il prenne le relais. Il écrabouilla une chaise en se matérialisant, poussa un rugissement mâtiné de colère - c'est là que je réalisai que tous mes Pokémon avaient dû assister à mes retrouvailles avec Vivian depuis leurs Pokéballs -, et lança aussitôt ses lianes à l'assaut de la Nidoqueen.

- Poudre dodo, lui ordonnai-je, avant d'ajouter à l'intention de Teigne : Reviens par là, toi !

Le nuage de spores de Salade enveloppa les deux Pokémon femelles. Teigne éternua tandis que les yeux de la Nidoqueen se fermèrent doucement. La Colossinge la soutint dans sa chute jusqu'à ce qu'elle soit complètement allongée sur la moquette, puis recula d'un pas et leva le poing.

- Teigne ! Ici !

Elle bougonna, mais abaissa son bras et me rejoignit.

- Tranch'herbe, indiquai-je à Salade. Vise bien.

Je ne voulais pas de dégâts sur quelqu'un d'autre que la Nidoqueen... enfin, pas sur l'homme dont j'ignorais toujours l'identité qui observait la scène depuis derrière le canapé, ni sur le corps de Léonard. Vivian et Giovanni pouvaient aller se faire voir. Salade me comprit et éjecta un tir concentré de ses feuilles sur la Pokémon endormie. Elles écorchèrent son blindage, creusant de fines fentes dans les plaques osseuses jusqu'à atteindre la peau en-dessous.

Tandis que Salade se repositionnait pour envoyer une nouvelle volée de Tranch'herbe, j'examinai la blessure de Teigne. Elle était profonde ; il allait au moins falloir deux bouteilles de Superpotion. J'extirpai ce dont j'avais besoin de mon sac à dos quand le sol trembla. Un coup d'œil vers le combat m'apprit que la Nidoqueen s'était réveillée et avait chargé Salade. La collision avait dangereusement rapproché les deux Pokémon de la grande baie vitrée qui donnait sur la rue... trente mètres plus bas. Mais Salade était intelligent. Il ferait attention.

- Reste tranquille, ma grande, intimai-je à Teigne alors qu'elle grognait d'irritation en sentant le liquide bleu s'écouler dans sa plaie.

- Pourquoi s'embêter à la soigner ? lança Giovanni. Elle sera morte d'ici ce soir.

- La ferme, grinçai-je.

Il me renvoya un affreux sourire. Une feuille égarée vint lui couper la joue, faisant perler un peu de rouge. Salade ne l'avait probablement pas fait exprès, mais ce fut tout de même satisfait de voir le gangster grimacer. Il essuya le sang du revers de sa main et s'adressa à sa Nidoqueen.

- Fais-moi souffrir ce Florizarre !

La Nidoqueen à bout de souffle tenta d'obéir et, dans un dernier élan, se jeta de tout son poids contre Salade. Une liane claqua. Elle s'enroula autour d'une des jambes de la Nidoqueen, la déséquilibrant. Emportée par son élan, surprise par l'instabilité soudaine de ses pieds, le Pokémon femelle percuta le mur en lieu et place de Salade. Ce dernier lui administra un coup d'épaule dans la foulée. Le papier peint se retrouva tâché de sang et de bave alors que la Nidoqueen s'écroulait pour ne plus se relever.

Elle était à peine à terre que déjà le Pokémon suivant dans l'équipe de Giovanni, une Kangourex, prenait la relève. Les poings monstrueux du kangourou frappèrent le museau de Salade, l'étourdissant. Et la Kangourex ne s'arrêta pas, chacun de ses coups suivis par un autre plus violent que le précédent.

Un cri furieux déchira l'air :

- Singe !

La Kangourex se retourna, avisa Teigne, gronda... avant de délasser mon Salade. Je le rappelai en poussant un soupir. Le sommet de sa Pokéball était toujours d'un beau rouge vif. J'aurais voulu que ça reste le cas à jamais.

Un craquement horrible retentit. Teigne tituba, puis porta une main à son nez. Elle revint rouge de sang, une couleur que l'on retrouvait également sur le poing de la Kangourex. L'immense Pokémon émit un bruit étrange, une sorte de halètement rauque répété à intervalles réguliers ; je crus au début qu'elle s'étouffait. Puis je compris qu'elle était tout simplement en train de rire. Son hilarité fut coupée court lorsque l'Ultimapoing de la Colossinge jaillit et fracassa son genoux.

Un partout.

- Ok Teigne, tu lui as affaibli une jambe, maintenant fauche-lui l'autre ! m'exclamai-je.

Le pied de la Colossinge fouetta l'air. C'était une attaque quasiment à bout portant, et pourtant son adversaire réussit je ne sais comment à l'éviter. Forte de son esquive inattendue, la Kangourex ré-asséna derechef un coup de poing sur le nez de Teigne.

Nouveau craquement.

La Colossinge vacilla sous l'impact et posa une main à terre. Son nez pissait le sang et sa fourrure s'en trouvait maculée de rouge. Le souffle rauque de sa respiration emplissait la pièce, inégal.

Il fallait en finir.

- Teigne. Ta dernière attaque apprise.

Ma voix était sombre. Nous ne l'avions jamais testée, je ne disposais que de la description du Pokédex pour prendre ma décision. Encore une prise de risque... Mais si ça réussissait, le combat serait terminé. Teigne se releva, toisant la Kangourex. Cette dernière leva un de ses poings, celui barbouillé de rouge, et émit à un nouveau rire éraillé. Ses yeux noirs brillaient de défi. Le message était clair : 'Tu la veux, ta raclée ? Viens la prendre.'

Teigne fit craquer les muscles de son cou. Poussa un grondement en réponse. Et sauta. Haut, beaucoup plus haut que je ne l'avais encore jamais vu bondir. Ses avant-bras se croisèrent, luisant d'une énergie mystique, et la tranche de ses mains vint frapper la Kangourex pile au-dessus de ses yeux. Le double coup croisé fendilla la plaque frontale osseuse. Il n'y eut pas de sang, juste un étrange bruit mou. Le poing armé pour riposter de la Kangourex retomba, flasque, puis elle bascula sur la moquette, inconsciente. Ou sans vie.

- Tout aussi coriace que ton frère... constata Giovanni, l'air énervé.

La silhouette massive d'un Rhinocorne se dessina dans l'air. Je fis sortir Plouf, et cette fois, ce fut sans le moindre remords quand à l'avantage de type. Il se coula tout autour de moi, érigeant un écran protecteur qui valait le meilleur des blindages. Le Rhinocorne, lui, gratta la moquette d'une patte, nerveux et impatient. Giovanni se contenta de nous désigner d'un mouvement de la tête à son intention, renonçant à donner ses ordres à voix haute.

Le Pokémon rhinocéros frappa le sol à trois reprises et se rua sur Plouf telle une locomotive lancée à pleine vitesse. Concentrée comme je l'étais sur ce qui se passait directement sous mes yeux, je ne compris pas pourquoi la queue de Plouf me fouetta soudain le côté droit, me propulsant à quelques mètres de là. Ce n'est qu'ensuite que je remarquai le morceau de placo-plâtre gros comme une voiture qui se trouvait à l'endroit où je m'étais tenue une seconde auparavant. Et ce n'est qu'après ça que je pris conscience de la douleur aiguë qui me martelait le flanc. L'impression qu'une petite dizaine de lames chauffées à blanc se baladaient sous ma peau... Même respirer me faisait souffrir le calvaire. Plouf avait dû me casser quelques côtes avec son sauvetage.

Une seconde partie du plafond s'écrasa avec fracas sur la grande table de conférence qui se brisa en deux. Un troisième morceau toucha Plouf à la tête. Le Rhinocorne l'avait acculé contre le mur d'en face et le harcelait de coups de tête. Je cherchai mon souffle, cherchai ma voix, l'ordre qui mettrait fin à tout ça se forma sur mes lèvres... et j'entendis Plouf gronder.

Un grondement que je commençais à connaître et qui constituait un prélude à...

- Non, Plouf !

Trop tard. J'entrevis une onde bleue, bénis le réflexe qui me fit prendre ma respiration, et une déferlante noya la salle entière. L'eau glaciale me gifla en plein visage, je titubai, mes mains engourdies cherchant quelque part où s'accrocher à l'aveuglette...

Rien.

Je sentis la gigantesque vague m'emporter. Je battis des jambes et des bras, cherchant à me ralentir ou à me diriger, mais rien n'y fit. J'avais autant de pouvoir qu'un fétu de paille dans une tempête. Mon dos heurta brutalement la baie vitrée en bout de course, et je me pris à espérer, à oser croire qu'elle allait tenir le coup... ce qu'elle fit. Durant une fraction de seconde. Puis le verre se brisa dans un bruit cristallin, et mon appui disparut.

Je basculai en arrière.

Droit dans le vide.

Au dernier instant, une main se referma sur mon poignet, stoppant ma chute. Mon flanc droit déjà rudement éprouvé vint frapper contre la vitre de l'étage du dessous. J'en eus le souffle coupé. Je pris une seconde pour expulser l'eau qui s'était infiltré dans mes poumons en toussant puis avisai ma situation. Mes pieds pendouillaient dans les airs et j'avais l'impression qu'on venait de m'arracher le bras sans anesthésie, mais la poigne de la personne qui m'avait retenue était forte.

Je relevai la tête.

C'était Vivian.

- Qu'est-ce que tu fiches ? sifflai-je.

- Parce que ce n'est pas évident ? répliqua-t-il.

- Je t'interdis de me toucher.

- Tu es sûre que tu veux que ça prenne effet immédiatement ?

Sans tenir compte de son sarcasme, je tentai de lancer une jambe pour prendre appui sur le bord de l'étage. Une pique de douleur m'élança dans les côtes et je renonçai avant même de l'avoir à moitié soulevée.

- À borné, borné et demi, murmura Vivian.

Puis il me hissa à la force d'un seul bras, ses doigts verrouillés sur mon poignet. Je le laissai faire, et me dégageai d'un mouvement brusque une fois en sécurité. Sauf que j'étais toujours proche de lui. Et qu'il avait oublié de protéger un de ses atouts. Dès l'instant où mon regard tomba dessus, je réagis d'instinct. Ma main gauche s'empara du pistolet qui dépassait de l'étui sur sa hanche et je reculai, pointant l'arme sur lui.

Ce salopard m'adressa un sourire moqueur.

- Tu ne tireras pas, déclara-t-il.

- Ha ouais, comment tu sais ça ? rétorquai-je, une boule au creux de l'estomac.

- Tu ne peux pas tuer ton frère.

Il avait l'air tellement sûr de lui...

- T'as cessé d'être mon frère dès l'instant où tu as commis un meurtre.

- À 10 ans, alors.

J'exhalai une inspiration sifflante.

- Quoi ?

- C'était un accident, mais il n'empêche que le dresseur est mort par ma faute, clarifia-t-il. L'attaque de Nutella a raté son Pokémon et l'a atteinte lui. Il a succombé sur le coup.

Nutella. Il y avait une Pokéball dans la tour à Lavanville qui portait ce nom. Et avec ce qu'il m'avait dit quand j'avais eu la surprise de le croiser là-bas...

- Ton tout premier Pokémon ?

- Ouais, confirma-t-il. Une Salamèche, très vive mais grognonne comme pas possible.

Il eut un sourire nostalgique, et durant un instant je crus retrouver le Vivian d'antan. Puis l'image du corps de Léonard flasha devant mes yeux. Mon doigt trembla sur la gâchette.

Se faire justice soi-même... parce que personne d'autre ne va le faire à ma place.

C'était ma seule chance.

Vivian demeurait immobile, sa posture relâchée, s'offrant à un jugement dont il pensait déjà connaître le verdict. Le métal de l'arme à feu était glacé contre ma peau. Il me semblait que de seconde en seconde son poids s'alourdissait. Mon cœur battait trop fort et le sang bourdonnait à mes oreilles.

Je m'humectai les lèvres. Un autre coup de feu que celui que j'avais potentiellement au bout de mon index résonna dans ma mémoire.

Pour Léonard, affirma quelqu'un.

Tuer ton propre frère ? C'est ça la solution ? demanda un autre.

L'instant s'étira et devint éternité...

Et puis tout à coup, tranchant de réalité, un flash de lumière violette. Je clignai des yeux. Vivian avait disparu.

Je restai debout encore une poignée de secondes, les mains crispées sur le flingue, les mâchoires serrées, puis je lâchai tout d'un seul coup et tombai à genoux. M'effondrai comme une marionnette dont on aurait coupé les fils. Une envie de vomir monta en moi et je me fis violence pour ne pas y céder. Mon corps entier était parcouru de tremblements irrépressibles.

Et au-delà des symptômes physiques, ce doute, terrible, comme une ombre sur tout ce que je pensais être. Sur toutes mes convictions. L'aurais-je fait ? Aurais-je pu tuer mon frère ? Je n'en savais rien, et c'était peut-être ça le plus terrible.

Pour la deuxième fois de ma vie, j'éclatai en sanglots.

***

Les funérailles eurent lieu cinq jours plus tard.

Dans les films, il pleut toujours aux enterrements, mais là on était dans la vraie vie, et c'était tout le contraire. Il faisait un soleil radieux et le bleu du ciel n'était entaché par aucun nuage. Je trouvai ça injuste que le monde continue son petit train-train quotidien sans même daigner s'arrêter un instant pour pleurer la perte de Léonard. Il aurait dû pleuvoir. J'aurais voulu des nuages gris, des flaques d'eau, et des parapluies. Ce beau temps me semblait être une insulte à sa mémoire.

Le cimetière de Safrania... Gigantesque, très fleuri, et presque accueillant. Je le haïs aussitôt. Je traversai ses allées ombragées les yeux baissés, sans prêter attention à ce qui m'entourait, me sentant comme une intruse parmi tous ces hommes et femmes habillés couleur de deuil. Beaucoup de monde s'était déplacé pour assister à la cérémonie ; la famille de Léonard avait de l'influence.

Je reçus comme un choc en découvrant à nouveau son corps. Revêtu d'un costume d'un noir impeccable, il reposait dans son cercueil, les bras croisés sur la poitrine, l'air serein. Endormi, peut-être - si je voulais vraiment y croire. Je scrutai son visage, songeant avec amertume que c'était la toute dernière fois que je le voyais. Mon Léonard. Ensuite, ils allaient l'ensevelir sous deux mètres de terre froide, et il disparaîtrait de ce monde à jamais.

Il y eut un discours de prononcé, mais je ne l'écoutais pas vraiment. On ne pouvait pas résumer la vie de quelqu'un en quinze minutes. Ni même en cent. Je me demandai furtivement ce que Léonard aurait pensé de tout ça. Est-ce que ça lui aurait fait plaisir, de voir tous ces gens réunis en son honneur ? Ou bien est-ce qu'il aurait ri et se serait exclamé : 'Tout ce beau monde rien que pour ma pomme, tu te rends compte ?'

- Qu'est-ce que t'en dis, Léonard ? murmurai-je.

Seul le bruissement du vent dans les arbres me répondit.

Le cercueil fut descendu en terre et la foule se divisa en petits groupes qui commencèrent à discuter. Je m'apprêtai à partir quand un homme s'approcha de l'endroit où je me tenais, en retrait de tout ces gens. Je reconnus le quinquagénaire aux cheveux grisonnants que j'avais sauvé par inadvertance en interrompant Giovanni et Vivian. Le PDG de la Sylphe SARL, avais-je appris plus tard. Et le père de Léonard.

Il me tendit la main et je la serrai machinalement.

- Melle Norelle, c'est bien ça ? s'enquit-il d'une voix grave. Je n'ai pas encore eu l'occasion de vous remercier pour ce que vous avez fait.

Après le départ de Vivian, je m'étais enfuis comme une voleuse, et n'avait recroisé le PDG que très brièvement lorsque je m'étais rendue au poste de police pour la déposition.

'Inutile de me remercier', voulus-je dire. Au lieu de ça, ma bouche traîtresse lâcha un :

- C'est de ma faute si votre fils est mort.

- Non, non, ne pensez surtout pas ça. Même s'ils ne vous avaient pas impliquée, ils l'auraient tué. La Team Rocket n'a aucune pitié, et le sang de mon fils est sur leurs mains, et leurs mains seulement.

Je n'en étais pas si sûre, mais ne cherchai pas à le contredire.

- J'ai quelque chose pour vous, déclara-t-il avant de plonger une main dans la poche de son smoking.

Il en sortit deux balls, l'une normale, rouge et blanche, et l'autre couleur crème assortie de deux nuances de violet, surmontée d'un M stylisée sur son sommet.

- Un prototype de notre projet le plus récent, la Masterball, m'expliqua-t-il, et un Pokémon venant de notre labo.

- Je ne peux pas...

- J'ai entendu tout ce que mon fils a dit, m'interrompit-il.

Il hésita, et j'anticipai intérieurement ses questions sur ma relation avec son fils, ou même sur notre folle théorie à Vivian et à moi, selon laquelle il n'existait pas vraiment. Rien de tout ça n'arriva.

- Je pense qu'il aurait voulu que vous les preniez, dit-il simplement.

Probablement. J'acceptai donc ses cadeaux, me sentant tout de même un peu gênée. La mère de Léonard dont j'avais oublié le prénom nous rejoignit. Elle tenait Eilie par la main et ne m'accorda qu'un bref regard avant de glisser un mot à l'oreille de son mari. Ce dernier hocha la tête.

- T'étais là quand Nanard est parti ? me demanda soudain Eilie d'une toute petite voix.

Ma gorge se noua. Comment pouvait-on avoir autant de difficultés à répondre à une question aussi simple ?

- Oui, j'étais là, répondis-je finalement.

- Y va me manquer.

- À moi aussi.

- Mamie a dit de prendre bien soin du bébé, ajouta-t-elle d'un air sérieux.

Un hoquet m'échappa. La mamie de Léonard savait que c'était une chimère, qu'il n'y avait jamais eu de bébé et qu'il n'y en aurait jamais... mais la petite fille de six ans, elle, l'avait pris au pied de la lettre.

C'en était trop.

Je m'enfuis.

***

Plus tard, lorsqu'ils fussent tous partis, je me rendis sur sa tombe.

- Hey...

Je me sentis stupide à parler dans le vide, mais je persévérai.

- Je sais même pas pourquoi je fais ça... T'es plus là, et aucun de mes mots n'y changera rien...

Silence.

- C'est juste que... y a un truc que j'ai pas pu te dire lors de notre dernière conversation. Un truc que t'aurais dû entendre avant de mourir.

Silence.

- Je pensais qu'on avait le temps. Qu'on avait toute la vie devant nous. Et maintenant c'est trop tard.

Silence.

- Et c'est pas juste. Mais tu les mérites, ces deux mots, alors je vais les dire quand même.

Silence.

- Moi aussi.

Puis je dis adieu à mon ami, et partis sans un regard en arrière.

***

Cette nuit-là, alors que je luttais pour trouver le sommeil dans mon lit, je fus prise d'un fou rire. Je venais de réaliser qu'il m'était arrivé plus d'une fois de traiter mentalement le Rocket de fils de pute.

Merde alors.

***

Personne n'est mort dans ce chapitre. *danse de la victoire*

Par contre pour compenser j'ai une mauvaise nouvelle : en novembre je vais faire le NaNoWriMo (un défi qui consiste à écrire 50 000 mots en un mois... moi quand j'en écris 15 000 c'est la fête alors je vous raconte pas la taille du défi), donc je vais mettre la fic en pause pendant ce temps. Mais voyez le bon côté des choses, je ne vous laisse pas sur un cliffhanger. :)


Équipe actuelle :
SaladeTeigneGrignottePloufPrincesse

Cimetière :
FicelleTouffuSourisPoilue
Poilu