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Duel au sommet de olyn



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» Auteur : olyn - Voir le profil
» Créé le 10/08/2012 à 15:17
» Dernière mise à jour le 10/08/2012 à 15:18

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Chapitre 12 : Le cycle de la vie
- Ficelle...

Le prénom de la Papilusion sortit de ma bouche avant même que je ne prenne conscience d'avoir voulu le prononcer. Je n'en croyais pas mes yeux. Ficelle me tournait le dos, faisant face au spectre. Était-ce encore une vision ? Une illusion provoquée par ce spectre si inquiétant ? Mon cœur manqua un battement à cette pensée. Comme ce serait cruel... Me faire miroiter la possibilité de la revoir, de lui parler à nouveau, pour ensuite briser cet espoir en mille morceaux.

Mais non, j'avais le sentiment que c'était bien elle, que c'était bien ma Ficelle et non pas un mauvais tour que me jouait ce fantôme si inquiétant. Contrairement aux autres apparitions, elle n'avait rien d'effrayant. Je ne l'avais même jamais vue aussi rayonnante. Ses deux grandes ailes étaient déployées dans toute leur magnificence, chatoyantes de poussière argentée, et une lueur d'un doux violet auréolait son corps. Elle ne portait plus aucune trace des blessures qui l'avaient tuée et voletait avec cette légèreté qui l'avait toujours caractérisée.

- Ficelle... répétai-je, en mode automatique.

Deuxième fois que j'énonçais l'évidence. Oui, je buggais un peu. Je l'avais vue mourir, j'avais tenu son cadavre dans mes bras, je l'avais enterrée, et maintenant elle se trouvait là, devant moi. Avouez qu'il y avait quand même matière à tiquer. D'accord, j'avais pénétré dans un endroit réputé hanté, et j'avais constaté par moi-même l'existence avérée des fantômes, mais tout de même, mon esprit rationnel renâclait un chouilla face à tout ça.

L'apparition spectrale, elle, ne partageait en rien mon étonnement. Elle poussa un sifflement rauque de colère et brandit sa massue osseuse en direction de Ficelle. Une voix enragée explosa dans ma tête, bien que de façon indirecte. Je me faisais l'effet d'une victime collatérale : j'avais reçu des débris mais je ne me trouvais pas au cœur du tumulte.

Toi ! Toi qui connaît la mort et comprend ma douleur, pourquoi t'opposes-tu au châtiment de cette humaine ?

- Papilusion, pi, pilusion... répondit Ficelle en agitant ses antennes.

Sa voix était douce et posée comparée à celle de l'apparition.

Alors tu commets une erreur, aveuglée par tes bons sentiments !

Ficelle rétorqua du tac au tac, continuant à s'exprimer au moyen de 'Pi, pi, lusion' et autres variantes tandis que le spectre demeurait immobile. Que pouvait-elle être en train de lui raconter pour qu'une telle créature daigne écouter ? Je ne m'étais jamais sentie aussi frustrée de ne pas pouvoir comprendre le langage des Pokémon. Du côté du spectre, j'avais droit à des formules cryptiques impossibles à décoder sans contexte, du genre 'Et pour preuve ?' ou bien 'Ce sont tous les mêmes'.

Au bout de quelques minutes de cet échange mystérieux, Ficelle se tut et l'apparition me toisa. Puis sa voix psychique résonna sous mon crâne, plus calme qu'auparavant cependant, et si elle vibrait toujours de rage, il s'agissait cette fois d'une rage contenue.

La Papilusion prétend que tu es différente des humains qui m'ont tuée... que tu les combats... Dit-elle la vérité ?

Je m'éclaircis la gorge. Dieu merci, Ficelle m'avait défendue.

- C'est vrai, répondis-je en priant pour le spectre comprenne que si ma voix tremblait, c'était de peur et non pas parce que je mentais. Les Rockets sont des dresseurs sans scrupules qui exploitent les Pokémon et agissent comme des truands, tout ça pour de l'argent. J'ai affronté leur chef et je continuerai à m'opposer à eux où que je les rencontre.

Vous autres humains, vous nous exploitez depuis la nuit des temps. Que ce soit pour ce que vous nommez argent ou pour autre autre chose, quelle différence ?

- Non, répondis-je, choquée du grain de vérité qui se trouvait dans ses paroles. Non, je n'exploite pas mes Pokémon. Enfin, j'essaie... Je les traite du mieux que je peux et je les considère comme mes amis. Et s'ils veulent partir, ils sont libres, je ne les retiens pas, ajoutai-je, la gorge nouée.

Et si je devais les perdre... alors je les laisserai faire leur choix. Leur bonheur m'importait plus que ma quête - pour peu qu'on puisse qualifier ça de quête.

- Mais les Rockets, continuai-je à l'intention du spectre, ceux qui t'ont tué... Eux, ils ne sont pas intéressés par l'amitié... juste le pouvoir. Ils se fichent pas mal de la souffrance qu'ils provoquent, tant qu'elle est lucrative.

Et pourtant tu as laissé cette Papilusion, ton amie selon tes propres dires, mourir.

SCHLACK. Coup de massue en plein dans le cœur. N'allait-on jamais cesser de me rappeler mes erreurs ?

- Je sais, je sais, je sais !

J'avais hurlé. Sous la peau mal cicatrisée, le sujet constituait encore une blessure à vif. Je respirai profondément et poursuivis :

- Et je le regretterai chaque minute, chaque heure, chaque jour de ma vie. C'était mon erreur, elle est morte à cause de moi, et ça me hantera à jamais.

Et tu t'imagines qu'éprouver du remord rachète ta faute ? contra le spectre d'une voix tranchante.

Une vague de nausée monta en moi. Un courant d'air froid claqua contre ma peau moite.

- Bien sûr que non, répondis-je, amère.

Je n'avais pas l'arrogance de croire que je pouvais m'absoudre moi-même. Seule la principale concernée pouvait me pardonner.

Alors en quoi es-tu différente de ceux qui ont pris ma vie ?

Une fois encore, le spectre touchait un point sensible. Pas facile de répondre à une telle question. Je savais que j'étais différente, mais articuler en quoi exactement relevait de l'exercice olympique.

- Je fais de mon mieux, commençai-je. Je ne suis pas parfaite mais j'essaie... j'essaie de faire le moins de mal possible... ou même des bonnes actions, quand je le peux. C'est pour ça que je suis venue ici. J'étais consciente qu'il y avait un problème dans la Tour Pokémon, et je voulais aider à le résoudre... réparer les erreurs des autres...

Ne suis-je donc qu'un 'problème' de plus à résoudre à tes yeux ?

Le spectre fit un pas en avant, et ses yeux de braise étincelèrent dans la pénombre. Une nouvelle vague d'émotions me frappa.

Le chagrin d'être partie trop tôt, d'avoir abandonné son petit...

L'amertume de savoir qu'il grandira sans nous...

L'envie dévorante de tous les faire payer...


Je clignai des yeux pour en dissiper les effets.

- Je... non, me défendis-je, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je ne te considère pas comme une étape dans ma quête... ni même comme une quête secondaire.

Et pourtant, c'était sans doute ce que le spectre représentait dans le jeu à l'origine. L'ironie de mon raisonnement m'aurait arraché un petit rire si je n'avais pas crains qu'une telle réaction soit mal interprétée.

- Tu souffres, ça je le comprends, mais ta rage t'aveugle. Et bien que ta douleur soit justifiée, elle ne te donne pas pour autant le droit de faire du tort à des personnes innocentes. Je ne parle pas des Rockets, me hâtai-je d'ajouter afin d'éviter tout malentendu, non, je parle des dresseurs qui voudraient venir enterrer leurs Pokémon ou tout simplement venir se recueillir sur leurs tombes. Dans ta colère, tu les prives de ce droit. Sans compter que ton attitude est contagieuse et que les Pokémon spectres de la Tour se mettent eux aussi agir de façon inconsidérée...

L'idée qui flottait dans mon esprit depuis quelques minutes se cristallisa. Je pris une grande inspiration et me jetai à l'eau.

- Alors si tu l'acceptes, je vais m'occuper des Rockets pour toi. Je vengerai ta mort pour que tu puisses reposer en paix.

Silence. L'apparition me fixait sans rien dire, son aura passant du noir au rouge et vice-versa. J'étais sur le fil, en attente de ma sentence. Si jamais elle décidait d'attaquer, je n'étais absolument pas certaine d'en sortir vivante, même avec l'aide de tous mes Pokémon.

Teigne et Salade n'avaient pas bougé d'un pouce durant toute notre conversation, et je me fis la réflexion que pour eux, la situation devait être encore plus terrifiante, car sans le Scope Sylphe, ils ne pouvaient pas voir la vraie nature du spectre. Sous quelle apparence se présentaient-ils à leurs yeux ? Sans doute rien dont je n'aurais souhaité être témoin...

Ficelle, elle, planait toujours devant le spectre, son halo violet formant un contraste saisissant face à celui rouge-noir de son vis-à-vis.

Finalement, le spectre quitta sa position agressive, abaissant sa massue osseuse. Son aura se stabilisa sur un rouge délavé, beaucoup moins inquiétant que toutes les nuances de couleur dont elle s'était parée jusqu'ici.

Tu ferais ça pour moi, petite humaine ? Tu me vengerais ?

Une touche d'étonnement habitait la voix mentale.

- Oui, répondis-je simplement.

Ses yeux rouge sang se fichèrent dans les miens.

Tu le jures sur le crâne ?

Drôle de formule. Mon regard s'égara sur le masque d'os du Pokémon. Laminé et couvert de traces d'impacts, on devinait qu'il avait dû être martelé avec acharnement. Malgré tout, il avait tenu le coup. Seule une unique fêlure qui courait d'une des deux pointes sur le sommet du squelette jusqu'à la base du cou témoignait de ce qu'il avait enduré. Il devait avoir beaucoup d'importance dans l'imaginaire de cette espèce Pokémon pour qu'il figure ainsi dans une demande de promesse solennelle.

- Je le jure sur le crâne, fis-je en amenant ma propre main à mon front.

Alors je pars en paix...

L'apparition ferma les yeux et s'effaça progressivement, comme emportée par un vent invisible. La brume suivit son exemple et régressa elle aussi jusqu'à disparaître complètement, tandis que la glace qui avait recouvert mes vêtements commençait à fondre. Un sourire naquit sur mes lèvres, un peu amer malgré tout. Elle m'avait confiée son fardeau et s'en était allée vers l'au-delà.

- Adieu, Pokémon dont j'ignore le nom...

- Papilusion, fit la voix musicale de Ficelle, et je sentis mon sourire s'accentuer.

Elle se tourna vers moi et je pus l'admirer dans toute sa splendeur. Ses yeux à facettes resplendissaient d'un rouge éclatant, et de face, le dessin de ses ailes blanches veinées de noir était encore plus saisissant.

- Piii, fit-elle en voletant vers moi - vers nous, devrais-je dire.

J'avançai une main pour effleurer ses ailes, mais elle passa au travers de son corps fantomatique. Évidemment. Le Scope Sylphe permettait de voir les fantômes, mais pas de les toucher. Ne rêvons pas. Je retirai ma main et me contentai de lui sourire.

- Alors comme ça tu me protèges même depuis la tombe ? fis-je à mi-voix, partagée entre tristesse de l'avoir perdue et bonheur de la revoir.

- Papiiii, confirma-t-elle en hochant la tête.

- Zarre ? intervint Salade.

Je baissai les yeux sur mon bulbe vert. Lui et Teigne jetaient des regards autour d'eux, l'air perdus. Ils devaient entendre les vocalisations de Ficelle sans être capable d'en identifier la source. Peut-être avait-ils cru comme moi que ce n'était qu'un mauvais tour des spectres ?

- Ce n'est pas un rêve, leur assurai-je. Regarde, ma grande.

J'ôtai le Scope Sylphe et le mis d'autorité à Teigne, ajustant le mécanisme pour qu'il soit à sa taille. Elle cligna des yeux, tourna la tête vers Ficelle... et sauta littéralement de joie.

- Singe ! s'exclama-t-elle en accourant vers la Papilusion - enfin, je suppose, vu que moi je ne la voyais plus.

- Lusion ! répondit Ficelle.

S'ensuivit une sévère séance de câlins. Teigne referma ses bras sur la Papilusion, colla sa tête contre ses ailes, lui caressa les antennes, et j'en passe. Je crus même deviner que la Papilusion se percha sur la tête de la Colossinge à un moment, vu la façon dont Teigne se mit à loucher.

- Zarre ? Zarre ! Zarre, Zarre ?

Pendant tout ce temps, un Salade tout excité harcelait Teigne, cherchant à atteindre le Scope Sylphe. Elle l'enleva et le lui offrit gracieusement au bout du trente-six millième 'Zarre'. Salade se servit d'une liane pour se mettre les lunettes devant les yeux, et ce fut à son tour de faire la fête avec Ficelle. Plus réservé dans ses émotions, mon bulbe vert se contenta d'une discussion enthousiaste, tandis que ses lianes s'étendaient occasionnellement vers la Papilusion.

Je le laissai discuter tout son soûl, puis je fis sortir le reste de la troupe. Grignotte, Souris, Plouf et Touffu, tous émergèrent de leur Pokéball. Certains étaient bien réveillés, d'autres encore à moitié somnolents, mais ils se tournèrent vers moi comme un seul homme - un seul Pokémon, pardon -, curieux de savoir pourquoi ils étaient tous là.

C'était l'heure de la grande réunion. Un à un, mes Pokémon endossèrent la paire de lunettes, découvrant le retour inespéré de Ficelle. Un retour qu'ils célèbrent tous à leur manière. La réaction de Grignotte fut identique à celle de Salade : beaucoup de paroles et peu de gestes physiques. Il baissa même la tête à deux reprises, comme embarrassé. Souris, elle, voleta autour de la revenante en poussant de petits cris aiguës, prélude à une course-poursuite qui la laissa essoufflée. Ficelle avait toujours été meilleure qu'elle à ce petit jeu-là, alors maintenant qu'en tant que fantôme elle ne ressentait sûrement plus la fatigue, Souris ne pouvait que perdre...

Je crois que Plouf se fit complimenter pour son évolution, et Ficelle approuva l'arrivée de Touffu avec forces 'Piii', ce qui se passait de traduction.

- Taliii ? s'enquit le chien électrique lorsque je lui mis le Scope Sylphe sur le nez.

Il tourna plusieurs fois sur lui-même, l'air surpris, avant de s'arrêter et de pousser un 'Liii !' d'étonnement à la vue de Ficelle.

- Herbizarre, lui expliqua patiemment Salade. Herbi, zarre, zarre.

- Singe, ajouta Teigne, ce qui voulait sûrement dire 'Sois gentil avec elle ou je te casse la gueule.'

Touffu aboya un joyeux 'Voltali !' et se lança dans une tirade de ce qui ressemblait fort à des questions à l'intention de Ficelle. Je laissa la Papilusion répondre, surveillant du regard mes Pokémon. Placés en demi-cercle, ils observaient avec bienveillance le plus récent membre de la troupe converser avec la revenante. Ils étaient heureux, ça, personne n'aurait pu le nier. Même Teigne rayonnait comme jamais je ne l'avais vue. Seul ombre au tableau : il manquait Princesse...

Quelques minutes plus tard, le flot de questions en provenance de Touffu se tarit enfin, et le silence revint. Teigne s'avança et récupéra gentiment le Scope Sylphe, puis elle me le tendit.

- Venez voir, intimai-je à mes Pokémon. Il est temps pour nous de dire au revoir à Ficelle...

Alors même que je prononçais ses mots, une autre idée s'invita dans mon esprit. Et si je lui demandais de rester ? Obéirait-elle ? Peut-être qu'elle pourrait nous accompagner sous forme de fantôme ? Ou bien je n'aurais qu'à revenir à la Tour de temps en temps pour lui parler ?

Non, fit une autre petit voix en moi. Non, ce serait égoïste.

Je reconnus la voix de la raison. Forcer Ficelle à demeurer ici simplement parce que je ne supportais pas de la voir partir... Je ne pouvais pas faire ça. Elle avait le droit de reposer en paix, le droit de renaître même, si la réincarnation existait dans le monde des Pokémon... S'il y avait bien une chose à laquelle j'avais envie de croire, en dehors de toute religion, c'était bien le principe de la réincarnation.

- Venez, répétai-je inutilement, car ils m'entouraient déjà tous.

Je m'accroupis à la hauteur des mes Pokémons tandis que Plouf se baissait lui aussi, et je tins le Scope Sylphe à bout de bras, le positionnant de façon à ce que tous puissent apercevoir Ficelle. Elle tournoya sur elle-même dans une nuée de spores argentées et émit un dernier cri flûté qui résonna comme un adieu. Puis à l'instar du spectre de la mère Pokémon tuée par les Rockets, elle s'estompa elle aussi, perdant forme et couleurs jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien d'elle.

J'abaissai le Scope Sylphe, les larmes aux yeux malgré moi. Mais c'était le bon type de chagrin, celui qui vous laissait l'esprit clair et le sourire aux lèvres lorsqu'il se dissipait. Je me relevai lentement et rangeai les lunettes dans mon sac. C'était terminé.

- Lâchez ça, bande de voleurs !

Ou non. La voix chevrotante et quelque peu étouffée était venue de l'étage au-dessus. Il me semblait l'avoir déjà entendu quelque part, mais pour le moment le souvenir précis m'échappait. Ça n'avait pas d'importance. Cette personne avait besoin de mon aide, et je n'allais pas la laisser tomber, même si j'en avais déjà largement fait assez pour la journée.

- On y retourne, les enfants.

J'inspirai, carrai les épaules, et m'engageai dans l'escalier. Trois secondes plus tard, il y eut un grondement qui fit trembler les murs derrière moi.

- Oh, pardon mon Plouf ! m'exclamai-je en me rendant compte de mon oubli.

Lui et les escaliers, ça faisait deux. Je le fis rentrer dans sa ball et le libérai aussitôt arrivée au sommet. Il se cogna la tête au plafond en sortant. Ici, l'espace était beaucoup plus réduit qu'aux étages précédents. Ce n'était pas tant une salle qu'un espèce de long couloir. Tout au bout, je repérai deux personnes en uniformes noirs qui encadraient un vieux monsieur. En plissant les yeux, je reconnus la personne que j'avais prise pour le Père Noël à mon réveil, quand Zack m'avait sauvée de la vindicte des spectres de la tour. Qu'est-ce qu'il fabriquait ici ?

Alors que je m'approchai, suivie de ma petite troupe de monstres, je le vis secouer la tête à mon intention. Il prononça une phrase, articulant avec exagération. Je crus lire le mot 'demi-tour' sur ses lèvres. Ça, pas question. J'avais fait une promesse au spectre de la mère Pokémon, et je n'étais pas du genre à renier un serment. Je réalisai soudain avec une clarté qui me faisait défaut jusque là que j'allais devoir mettre à bas la Team Rocket. Rien d'autre que leur totale disparition ne me satisferait.

Hé bien, on peut dire que je sais choisir mes combats, moi...

Les Rockets n'avaient pas l'air d'être d'humeur à bavarder, car il libérèrent leurs Pokémons sans un mot. Six en tout : deux Rattatacs, un Soporifik, deux Nosferapti et un Smogo. C'était pratique, il y en avait pour tout le monde.

- Chacun se choisit un adversaire, et en piste.

Mes Pokémons s'élancèrent au combat.

Salade et Souris formèrent un duo contre les deux rats tandis que Teigne, de manière quelque peu prévisible, se choisit le Pokémon psy. Grignotte et Touffu, eux, faisaient équipe contre les Nosferapti, et enfin Plouf alla se mesurer au Smogo. Les Rockets avaient déjà l'air vaincu, et les battre dans les faits releva davantage d'une formalité que d'un véritable affrontement. Ils ne donnèrent même pas d'ordres à leur Pokémon, se contentant de les regarder faire. Ou plutôt se faire. Se faire taper dans le museau par Teigne, se faire traîner à terre par Salade, se faire tourner en bourrique par Souris. Se faire griffer, électrocuter, asperger d'eau...

Ils résistaient tant bien que mal, mais sans l'avis externe de leurs dresseurs (et j'utilise ce mot par défaut), leurs choix les menaient inévitablement dans l'impasse. On voyait également qu'ils n'étaient pas habitués à travailler ensemble : l'un des deux Rattatacs blessa son compère au flanc en voulant infliger une morsure à Salade, et le Soporifik se retrouva déboussolé par un ultrason qui, j'en étais sûre, ne venait pas de Souris. Mes Pokémon au contraire prêtaient une attention toute particulière aux positions de leurs camarades, et se sauvaient même la mise lorsqu'ils le pouvaient. Je remarquai qu'ils jetaient des coups d'œil réguliers vers Touffu. Peut-être avaient-ils conscience de son plus faible niveau. Le Voltali se débrouillait plutôt bien malgré cela, utilisant à son avantage son extraordinaire rapidité. Il n'était pas aussi efficace que Teigne ni aussi précis que Salade, mais il apprenait vite. Tout compte fait, la pierre Foudre n'avait pas été un mauvais choix.

Résultat, au bout de quelques minutes, tous leurs Pokémon gisaient au sol, hors de combat. Tous ? Non, un irréductible petit monstre résistait encore et toujours à l'envahisseur. Le Smogo avait tenu tête à Plouf et était encore debout - enfin, dans les airs. Mes Pokémon s'approchèrent de lui, l'enfermant stratégiquement dans un cercle de griffes et de crocs.

- Doucement, leur ordonnai-je. Pas tous à la fois.

Échange de regards. D'un commun accord, ils reculèrent tous, laissant Touffu face au Pokémon puant. Je souris. Ils lui offraient le coup de grâce. Même Teigne s'était mise en retrait. Là, c'était sûr, le chien électrique faisait vraiment partie de l'équipe.

- Voltaliii, fit-il, heureux, et il bondit vers le Smogo, le poil crépitant d'électricité.

La voix d'un des Rockets s'éleva :

- Smogo, Destruction.

Réflexe pur.

Ma main eut le temps d'effleurer la Pokéball...

Et le monde disparut, noyé par l'onde de choc titanesque de l'explosion.

Du blanc.

Du blanc.

Du blanc.

Du noir...

***

- La Team Rocket ? Comme c'est ambitieux de ta part...

Cette voix, à nouveau. Celle que je suis persuadée de connaître, mais que je ne parviens pas à replacer.

- Laissez-moi tranquille.

- Allons, je t'en prie, tutoie-moi. On se connaît assez bien pour ça.

- D'accord. Laisse-moi tranquille, connasse.

Un rire haut perché.

- Tut tut tut. Tu as été élevé mieux que ça. On ne jure pas sans raison.

- Auriez-vous l'extrême obligeance de ne plus envahir mes doux songes oniriques de votre présence nauséabonde, très chère madame ?

- Oh, mais ce n'est pas un rêve, très chère Léa. Tu es simplement inconsciente. Tu ne te rappelles pas ?

Silence. Non, je ne me rappelle pas.

- Qu'est-ce que tu veux en fait ? je demande. Et puis d'abord qui es-tu ?

Il serait tant qu'elle se présente, quand même, mon interlocutrice invisible.

- Je ne veux que ton bien. Et ta deuxième question est mal posée. La question serait plutôt de savoir qui je ne suis pas.

Que je suis lasse des devinettes.

- Et qui tu n'es pas ? je demande docilement.

- Je ne suis pas toi.

Méga utile.

- Merci, ça je le savais déjà.

- Non, pardon. Je me suis mal exprimée. Je ne suis plus toi.

- Quoi ? Qu'est-ce que c'est censé vouloir di...


***

J'ouvris les yeux. Une douleur sourde battait à mes tempes et l'arrière de ma tête me lançait. Je me frottai la base du crâne en grommelant. Le souffle de l'explosion avait dû me projeter contre le mur, ce qui expliquait pourquoi j'avais l'impression d'avoir percuté un bus...

L'explosion ! Je me relevai d'un bond, si vite que la tête me tourna.

- Holà, doucement, jeune fille... fit une voix chevrotante pas très loin. Tu as pris un sacré coup, il faut te ménager.

Pour la première fois, je remarquai la présence d'un vieil homme à mes côtés. Le Père Noël. Non. Comment m'avait-il dit s'appeler ? Peu importait. Où étaient mes Pokémon ? Je relevai la tête, fis un pas en avant, mais ma vue se brouilla et le sol monta à ma rencontre. Deux lianes me rattrapèrent avant que je ne m'écroule. Mon regard croisa celui de Salade, qui se trouvait juste à mes pieds.

- Merci, toi...

- Zarre... fit-il doucement.

Je repris appui sur mes jambes. Aucune trace des Rockets à l'horizon. Ils avaient dû prendre la fuite. Quant à mes Pokémon... Ce devait être eux là-bas, cette grosse masse de couleurs encore floue... Je clignai des yeux et ma vision s'ajusta. Oui, ils étaient tous là-bas. Ils se tenaient toujours en cercle et...

Mon cœur s'arrêta de battre quand je constatai qu'ils n'étaient que quatre... Cinq en comptant Salade. Non... Pas encore, non... L'estomac au bord des lèvres, je m'approchai sur mes jambes vacillantes. Je tremblai à l'idée de ce que j'allais découvrir au centre du cercle. Tremblai à l'idée de perdre à nouveau l'un de mes petits monstres. À l'idée de devoir en enterrer un autre.

Mes Pokémon s'écartèrent sur mon passage, et je découvris ce que j'avais tant redouté.

Touffu.

Touffu immobile.

Touffu qui gisait à terre dans une mare de sang.

Touffu.

Mort.

Un sanglot me secoua toute entière. Je ravalai mes larmes et m'agenouillai près du Voltali, passant une main dans sa fourrure. Une petite décharge électrique me parvint, faisant tressauter les muscles de mon bras. Les restes de la dernière attaque de Touffu, celle qu'il n'avait pas pu porter. Celle qui l'aurait peut-être sauvé si on lui en avait laissé le temps.

Je serrai les dents.

- Ce n'est pas votre faute, m'entendis-je dire à mes Pokémon. Qu'aucun d'entre vous ne se sente responsables. Le seul fautif ici, c'est le Rocket qui a donné l'ordre. Lui, et personne d'autre, c'est compris ?

Une des lianes de Salade m'effleura le bras. Je la recouvris d'une main.

- L'un d'entre vous peut aller chercher mon sac ? demandai-je d'une voix éteinte.

Une des bretelles avait lâché je ne savais trop quand et il était resté contre le mur quand je m'étais levée. Plouf se dévoua, et le récupéra sans bouger pour autant grâce à une contorsion toute en souplesse, le ramenant au bout de sa queue.

- Merci Ploufi.

Le Scope Sylphe n'avait pas été endommagé par l'explosion. Je le portai à mes yeux et contemplai le monde par son biais. Touffu était là, juste en face de moi, frétillant de la queue. Sa forme spectrale ne conservait aucune trace de ses plaies et sa fourrure crépitait d'électricité fantôme. Son regard doré plongea dans le mien. Serein et calme.

- Je suis désolée, mon petit bonhomme... J'aurais bien aimé faire un bout de chemin en plus avec toi.

Il ferma les yeux, une lance d'électricité s'arc-boutant au-dessus de lui, puis se détourna et s'en fut. Il me quitta à pas de velours, bien loin de la façon dont il était entré dans ma vie. Je me forçai à sourire. Il était parti rejoindre Ficelle...

Je fis rentrer son corps brisé, désormais une enveloppe vide, dans la Pokéball. Mes traîtres yeux s'égarèrent un moment sur son sommet grisé, alors que c'était la dernière chose que j'avais envie de contempler.

Une main se posa sur mon épaule. Une main humaine.

- Viens, jeune fille. Tu as besoin d'un bon remontant.

Un bon remontant ? Quoi, de l'alcool ? Encore un peu sonnée, j'emboîtai le pas au Père Noël, et me retrouvai une dizaine de minutes plus tard avec tasse de thé entre les mains, assise sur le divan de sa maison. Pas d'alcool, donc. Ça valait mieux. Je ne m'étais enivrée qu'une seule fois et j'en gardais un très mauvais souvenir.

Mes Pokémon étaient restés à l'extérieur, dans le petit jardin adjacent. Je pouvais les entendre discuter à voix basse si je faisais l'effort de tendre l'oreille.

- Bois tant que c'est chaud, me rappela gentiment le Père Noël.

Je pris une gorgée du liquide brûlant. Argh. Ça décapait la langue, ce truc. Le goût était amer, si amer que j'en grimaçais, mais en ce moment ça me convenait parfaitement. Le Père Noël me sourit.

- C'est une bien belle action que tu as accompli, jeune fille. Grâce à toi, la mère Ossatueur s'en est allée apaisée vers l'autre monde.

Je répondis d'un grognement.

- Et tu m'as également sauvé. J'ignore ce que ces voyous me voulaient, mais ça n'aurait sans doute pas bien finir pour moi... Il en faut du courage à ton âge pour faire front face à une organisation criminelle telle que la Team Rocket.

Je grognai à nouveau, avant de boire un peu de mon thé.

- Je regrette que tu aies perdu un de tes Pokémon... Personne ne devrait laisser ses Pokémon apprendre des attaques telle que Destruction, c'est une abomination contre-nature.

- Comment ça ? voulus-je savoir.

- Je pensais que tu avais compris. (Il toussa, avant de reprendre :) Destruction, au même titre que Bélier ou Damocles, sont des attaques qui blessent également le Pokémon qui les lance. Des attaques-suicides, si tu veux. Le Smogo n'y a pas survécu.

Le Rocket avait donc envoyé son Pokémon droit dans les griffes de la mort, et ce dans l'unique but de me faire le plus de mal possible. Si c'était pas merveilleux... Je soupirai et me passai la main sur le visage.

- Tu peux rester dormir ici cette nuit si tu en as besoin, me proposa le Père Noël. Rondoudou te fera une place sur le canapé.

Ha, c'était donc ça la boule rose calée contre un des accoudoirs. Je l'avais prise pour un coussin particulièrement moche.

- Je crois que je vais accepter votre invitation, répondis-je.

- Oh, oh, oh, nous allons donc avoir de la compagnie, les enfants ! annonça-t-il, et je m'aperçus que le salon était plein de Pokémon.

J'avais déjà vu le Rondoudou camouflé en coussin ; il y avait aussi un Miaouss qui ronflait sous une chaise, un Roucool perché sur le rebord de fenêtre, et ce que je soupçonnais être un Caninos sous la bibliothèque, vu la couleur des pattes qui en dépassaient.

- Il va falloir que tu goûtes à mon ragoût, jeune fille ! s'exclama mon hôte. Je m'en vais te préparer ça, tiens !

Il s'éloigna vers la cuisine en fredonnant une balade à la gloire des Rondoudous. Je voulus prendre une autre gorgée de mon thé, et m'aperçus que ma tasse était vide. C'était comme ça, la vie. On pensait que ça ne s'arrêterait jamais, et on était toujours surpris quand le contraire se produisait.

Je restai assise sur le canapé jusqu'à ce Père Noël déclare que le repas était prêt. Nous partageâmes le fameux ragoût façon Lavanville avec les Pokémon de la maison, et les miens eurent également l'air de l'apprécier. Mon hôte respecta mon silence, me racontant diverses anecdotes sur les Pokémon qu'ils avaient recueilli sans exiger d'autres réponses que mes 'mmh-mmh' occasionnels.

Ensuite, l'après-midi fut consacrée à la mise en place d'un 'Plan pour Faire Tomber la Team Rocket' (affectueusement dénommé PFRTR, et non ça ne ressemble pas du tout au bruit produit par un pet, que racontez-vous là ?). Je m'isolai sur le canapé avec une feuille vierge et un stylo, notant toutes les idées qui me passaient par la tête.

Plan pour Faire Tomber la Team Rocket, par Léa Norelle.

Tous les tuer.

Tous les battre en duel.

Les ramener dans le droit chemin grâce à mes incroyables pouvoirs rhétoriques (option speech du pouvoir de l'amour).

Leur envoyer un chèque d'un million de Pokédollars afin de régler tout leurs problèmes d'argent.

Euh...

Je tapotai mon stylo contre mes dents. Bon, Giovanni avait aussi laissé entendre qu'ils poursuivaient un but précis. Peut-être que lorsque ce but serait atteint, la Team Rocket se dissoudrait d'elle-même ?

...

Ouais, bon ça va, hein. Que celui qui n'a jamais eu d'espoirs stupides me jette la première pierre.

Bref. Le soir venu, je n'étais pas plus avancée. Après un repas préparé encore une fois par le Père Noël, je partis me coucher la tête bouillonnante de plans foireux qui ne mèneraient nulle part. Je dormis plutôt bien compte tenu des circonstances, et notai avec bonne humeur une absence totale de rêves bizarres.

Le lendemain, je décrétai une journée de pause. J'avais beaucoup de choses à faire avant de ne serait-ce que songer à reprendre la route. Levée à l'aube, je commençai par le plus difficile : enterrer Touffu. J'avais délibérément choisi une heure où il n'y aurait personne à la Tour, afin d'être seule avec mes Pokémon pour cet ultime adieu. Seulement, c'était sans compter sur mes exploits (enfin, moi je n'y étais pour rien, je m'étais juste contentée de me pointer dans la Tour). La nouvelle que les étages supérieurs étaient à nouveau accessibles s'était répandu comme une traînée de poudre, et même à huit heures du matin, les allées du cimetière s'en trouvaient très fréquentées.

- Où est-ce que vous pensez qu'il aurait aimé être ? demandai-je à mes Pokémon tandis que nous arpentions le troisième étage.

J'avais déjà été voir du côté de la Pokéball de Ficelle, mais tous les emplacements alentours avaient déjà été pris. Ils se dispersèrent pour chercher - tous sauf Plouf qui était resté dans sa Pokéball. Il y avait trop de monde pour qu'il puisse sortir, je ne voulais pas qu'il écrase quelqu'un par accident. J'espérais qu'il pouvait voir ce qui se passait depuis là où il était.

- Sablaireau, m'interpella Grignotte depuis l'autre côté de la salle.

Il avait déniché l'endroit parfait : une stèle avec une irrégularité dans la pierre qui ressemblait à un éclair.

- Bien trouvé, Grigri, le félicitai-je.

Je déposai la Pokéball grise dans le renfoncement. Elle se mit en place avec un léger clic. Je restai quelques instants à la contempler, puis me relevai et essuyai les larmes qui perlaient à mes yeux. Une envie d'aller me rouler en boule sur le canapé du Père Noël me prit. Non, m'interdis-je fermement. Non, je n'allais pas retomber dans la déprime qui m'avait frappée après la mort de Ficelle. J'avais des tas de choses à faire aujourd'hui, et par tous les dieux du monde Pokémon, j'allai les faire !

Je redescendis les étages un à un, le cœur lourd. Alors que j'arrivais au rez-de-chaussée, j'eus la mauvaise surprise d'y trouver un Rocket, manifestement en train de discuter avec la femme à l'accueil. L'homme en uniforme noir me tournait le dos, ignorant pour le moment tout de ma présence.

- Singe ? s'enquit Teigne.

- Non, pas de violence. On va le voir et on lui explique gentiment qu'il n'a rien à faire ici et qu'il a intérêt à déguerpir vite fait s'il tient à ses fesses.

Je mis ce plan parfait à exécution, m'approchant du Rocket pour l'interpeller.

- Hé, le croque-mort ! Vous n'avez rien à faire ici ! Votre petit commerce avec les crânes d'Osselait, c'est terminé ! Fini ! Kaput ! Pigé ?

Il se retourna lentement. J'étouffai une exclamation de surprise. C'était lui. Le Rocket bizarre, celui qui me filait les jetons. Teigne se mit à gronder. Je l'attrapai par les oreilles pour lui signifier que non, ce n'était pas l'heure de la curée.

- Tu m'interdis donc de venir me recueillir sur la tombe d'un de mes Pokémon ? fit-il d'une voix aimable.

Bouche bée, la Léa. La jeune femme de l'accueil me jeta un regard sévère, comme si c'était moi la délinquante. Le Rocket m'adressa un sourire.

- Tu as l'air étonnée. Ai-je bousculé ta vision du monde ? Tu t'imaginais sans doute que venir rendre hommage à un de ses Pokémon décédés était une exclusivité réservée aux bons dresseurs comme toi.

On aurait dit qu'une insulte se cachait derrière son accentuation du mot 'bons', mais je ne voyais vraiment pas laquelle. Je ramassai les morceaux de mon cerveau en miette et répliquai :

- Ne faites pas semblant. C'était par votre faute à vous les Rockets que les gens ne pouvaient plus venir ici sans risquer leur vie.

- Je le reconnais, répliqua-t-il, toujours aussi aimablement, et je te remercie d'avoir rectifié la situation.

Hein ? Non, il disait parce qu'on était en public... Impossible qu'il le pense vraiment.

- Bien. Ce petit interlude était charmant, mais à présent si mademoiselle me le permet, je vais monter à l'étage, continua-t-il.

Je hochai la tête. Aucune raison de lui chercher des noises s'il était disposé à être parfaitement civil. Il me rendit mon hochement de tête, puis commença à s'éloigner. Une question fusa de ma bouche, le rattrapant.

- Quel Pokémon ?

Deux petits mots bien dangereux. Trop tard pour les retirer. Lorsque le Rocket se retourna pour me répondre, il y avait une lueur que je n'avais encore jamais vue dans son regard. Sa voix, elle, demeura inchangée.

- Mon tout premier.

L'image fugace de Salade me traversa l'esprit.

- Désolée...

Désolée ? Mais qu'est-ce qui m'avait pris de sortir ça ? Je devais être folle.

- Les excuses sont pour les faibles, me rétorqua-t-il. Et de toute façon, il est mort il y a des années.

Là-dessus, il fit demi-tour et s'engagea dans l'escalier. Je le regardai monter les marches jusqu'à ce qu'il disparaisse.

- Bizarre... fit Salade, omettant seulement la première syllabe de son nom.

- Pas mieux, répliquai-je.

Jusque là, l'image du Rocket me servait d'illustration pour l'entrée 'psychopathe' dans mon dico mental. Le voir se rendre sur la tombe d'un ancien Pokémon ne collait pas avec ça. Il m'avait peut-être menti... mais c'était un menteur de haute compétition, alors, car il m'avait paru drôlement sincère. Je me secouai mentalement. J'avais mieux à faire que d'épiloguer sans fin sur le caractère d'un membre de la Team Rocket.

Prochain arrêt : le centre Pokémon. Je courus sous la pluie qui s'était mise à tomber jusqu'à l'entrée de l'antre des infirmières Joëlle. Un silence feutré y régnait. À cette heure-là, la plupart des dresseurs de passage dormaient encore à poings fermés. Je m'approchai d'un PC et bidouillai sur le clavier. Il était temps de récupérer Princesse... À la vue des autres Pokémon qui étaient stockés dans le PC, j'hésitai. Ma rencontre avec le spectre avait remis en question mes rapports avec mes petites bestioles. De quel droit les gardais-je enfermés sous forme de données numériques alors qu'ils auraient pu gambader dans les prés ? C'était pas une vie, ça. Mais qu'est-ce que je pouvais y faire ? Impossible de me balader avec mes onze Pokémon derrière moi...

Ah, si. La solution venait de m'apparaître dans toute sa splendeur. Je me saisis de mon téléphone et farfouillai dans le répertoire. Là. J'appuyai sur 'Appel'.

Elle décrocha à la première sonnerie malgré l'heure matinale.

- Maman ? Je ne te réveille pas, j'espère ? fis-je en adoptant une voix toute guillerette.

- Mais enfin, Léa mon petit bout de chou, tu sais bien que je ne dors jamais !

- Ah. Bah, euh, tant mieux alors.

Pause. Je pouvais presque la voir avec son sourire flippant à l'autre bout du fil.

- Je t'appelle pour savoir si ça te dérangerait d'avoir mes Pokémon à la maison, poursuivis-je. J'veux dire, ceux qui ne m'accompagnent pas.

Re-pause.

- Maman ?

- Mais biiieeenn sûûûrrr, mon petit sucre d'orge ! roucoula-t-elle. Tes amis sont mes amis !

Heureusement que je n'étais pas diabétique vu le sucre qui suintait de mon téléphone.

- Cool, merci. Alors je t'envoie, euh...

Je vérifiai l'écran.

- Bzz la Concofort, Bouffi le Chétiflor, Zozio la Piafabec, Gonflette la Machoc, Mistigri le Miaouss et enfin Bouh la Fantominus.

- Oh, tu leur as donné des surnoms trop choupis ! s'extasia ma fausse mère. Mais dis-moi, ton voyage se passe bien, mon Roudoudou de miel ? Tu sais, je regarde la télé chaque jour afin de voir s'ils ne parlent pas de toi aux infos !

- Oui oui, très bien. C'est cool. Au revoir.

Je raccrochai avant qu'elle ne me réponde. Sauvée ! Je me frottai les mains (moitié satisfaction, moitié désucrage). Statut du deuxième problème : expédié. Maintenant, il fallait que je m'attaque à l'opération 'informer Léonard'. Ça tombait bien, j'avais déjà le téléphone en main. Je composai son numéro.

- Salut, c'est moi, dis-je dès qu'il décrocha. Léa, ajoutai-je rapidement, vu que 'c'est moi' n'était pas très spécifique.

Je l'entendis rire.

- J'avais deviné, précisa-t-il. Alors, qu'est-ce que tu deviens ?

Trois réponses se présentèrent dans mon esprit. Un : j'ai eu le badge Prisme. Deux : j'ai rencontré le chef de la Team Rocket. Trois : j'ai perdu un nouveau Pokémon. Je choisis la moins épineuse.

- J'ai à présent quatre badges à mon actif. Pas mal, hein ?

- Pas mal du tout, même ! acquiesça-t-il. Quatre, c'est là où je m'étais arrêté quand j'avais tenté d'aller jusqu'à la Ligue y a quelques années. Koga m'avait stoppé dans mon élan, et je m'en suis jamais remis.

- Parce que tu as perdu des Pokémon ?

Je ne voyais que ça qui aurait pu arrêter un dresseur visant la Ligue.

- Mon équipe toute entière, confirma Léonard.

Aïe. Alors que la première syllabe du mot du mot 'Désolée' se formait sur ma langue, je me rappelai de ce que m'avait dit le Rocket.

Les excuses sont pour les faibles.

Qu'il aille se faire foutre. Je n'étais pas faible et je m'excusais si je voulais.

- Je suis désolée, Léonard...

- Bah, t'inquiète... tempéra-t-il. C'est du passé. Mais promets-moi que tu feras attention, ok ? Koga joue sur le poison et les jeux d'esprits... alors si tes Pokémon te paraissent désorienté, rappelle-les, même si ça signifie que tu perdras le combat. Ne tente pas le diable comme je l'ai fait.

- Promis.

Je faisais beaucoup de promesses ces derniers temps...

- Préviens-moi dès que ton voyage t'amènera à Safrania. Je te ferai visiter la ville. Je connais un petit resto pas loin de la Sylphe SARL qui est extra.

Y avait plus qu'à prier pour que d'ici là l'accès à Safrania soit réouvert.

- D'ac ! répondis-je néanmoins.

Après un échange de 'Bye Bye', je raccrochai, le sourire aux lèvres. L'opération 'informer Léonard' s'était soldée par un succès. Je n'avais plus qu'à me renseigner pour savoir comment aller à l'arène de Koga, et je pourrais reprendre la route. Et tout ça avant midi ! Quelle efficacité quand je m'y mettais.

Mon portable sonna.

- Bah alors, on a oublié de me dire quelque chose ? m'amusai-je en prenant l'appel de suite.

- Léa, fit une voix masculine, mais pas celle à laquelle je m'attendais.

Douche froide.

- Zack, répliquai-je.

- Alors, combien ?

Quelle finesse dans son entrée en matière. Je restai toute aussi laconique.

- Quatre. Toi ?

- Idem.

Une pause.

- Tu perds pas le rythme, c'est bien, dit-il. Il me faut un adversaire qui soit à la hauteur.

- Là-dessus, tu vas pas être déçu, lui garantis-je.

- Des nouveaux Pokémon depuis notre dernière rencontre ?

Tu veux dire la fois où tu m'as sauvée la vie ?

- Trois. Mais je viens d'en perdre un.

Pourquoi est-ce que ça ne me dérangeait pas d'en parler avec lui ? Peut-être parce que je savais qu'il n'y aurait aucune pitié de sa part. Aucune tentative de me consoler.

- Pas de bol. Moi j'ai décidé de concentrer mes efforts sur ceux que j'ai déjà. Les Pokémon qu'on rencontre à l'état sauvage sont trop faibles, ça prendrait trop de temps pour les mettre au niveau.

Son raisonnement tenait la route. La différence de niveaux dont avait souffert Touffu avait sûrement contribué à sa mort.

- Au fait, t'es au courant ? ajouta-t-il. Paraît que les Rockets sont tombés sur un os à Lavanville. Une jeune dresseuse les a chassés de la Tour, et ils ont filé la queue entre les jambes.

La réalité avait été quelque peu embellie, c'était le moins qu'on puisse dire.

- Ah bon ? feignis-je de m'étonner. Non, je ne savais pas. Elle a du courage, dis donc, cette dresseuse.

- Ouais, ou alors elle est complètement fêlée.

Le bâtard. Il n'était pas dupe un instant.

- Va falloir que je te laisse. J'suis sur la piste cyclable et y a un motard qui me reluque depuis tout à l'heure. J'vais devoir lui apprendre à respecter les puissants.

Son ego se portait toujours à merveille, à ce que j'entendais. Une minute. Il avait bien dit piste 'cyclable' ?

- Tu t'es acheté un vélo ?

- Nan, j'ai pas les sous. Pépé m'a restreint mon budget alors je dois me serrer la ceinture. Il se trouve que j'ai juste eu de la chance, un vieux fou m'a donné un coupon pour un vélo gratos à Carmin-sur-Mer.

Grrr. Et voilà, j'étais jalouse. Enfin, pas moi. Mes pieds. Mes pauvres petits petons auraient aimé échapper à toutes ces heures de marche auxquelles je les soumettais chaque jour.

- La chance, ouais. Bon, moi aussi je dois te laisser. J'ai une longue journée devant moi.

Parmanie se trouvait plein sud si je ne me gourais pas, et je comptais bien y arriver avant monsieur. Une demi-journée de pause, ça suffisait amplement.

- Ouais, tu m'étonnes. Gaffe aux Rockets.

Et là-dessus, il raccrocha sans me laisser le loisir de répliquer. Dommage. Je lui aurai bien répondu 'Gaffe à tes chevilles.' Mais d'un autre côté, on venait juste d'avoir une conversation entière sans s'engueuler. En échange d'un fin un peu abrupte, ça valait le coup.

- Zaaarre... souffla Salade sur un ton moqueur, mais je ne voyais pas du tout ce qui le faisait rire.

Je retournai vers le PC pour réintégrer Princesse dans l'équipe. Elle se frotta sur tout le monde au sortir de sa Pokéball, miaulant avec application, certaine d'être désirable - et désirée. Teigne la repoussa du pied mais les autres lui firent bon accueil. Son ronronnement servit de bruit de fond tandis que je quittai le centre pour retourner chez le Père Noël.

- Tu es revenue goûter à ma cuisine, n'est-ce pas ? blagua-t-il quand il me vit revenir.

N'empêche que son ragoût était délicieux. Pour midi, il nous fit des lasagnes, et je me régalai une fois de plus. Puis vint l'heure de mon départ.

- Tu es bien sûre de ne pas vouloir rester plus longtemps ? me demanda le Père Noël. Je crois que ta présence fait du bien au petit Osselait orphelin... Il est trop timide pour se mêler aux autres pour l'instant.

Ah, c'était donc ça le truc blanc que je remarquais parfois juste à la limite de mon champ de vision. Je souris, sachant qu'il grandirait dans une maison pleine d'amour.

- Je repasserai, assurai-je au vieux monsieur.

- Avant de partir, accepte ceci en cadeau.

Il me tendit une jolie flûte en bois noir, ornée de torsades d'argents. Enfin une personne qui me donnait un truc sans me le balancer à la figure !

- Merci... fis-je en la prenant entre mes mains de néophyte tout en me demandant ce que j'allais bien pouvoir en faire.

Sérieusement, la musique et moi, on n'était pas copains. Mes parents s'étaient mis en tête de faire de moi une mélomane quand j'étais gamine, et depuis j'avais développé une sévère allergie à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un instrument de musique.

- C'est une Pokéflûte, pour réveiller les Pokémon endormis, m'informa le vieil homme.

Tiens donc. De tous les cadeaux qu'il aurait pu m'offrir, son choix s'était porté pile sur l'objet qui allait m'être utile. J'avais beau essayer d'en faire abstraction, la logique 'jeux vidéo' persistait à se rappeler à mon bon souvenir.

- Donc, ça fonctionnerait sur un Ronflex en pleine sieste ? Un Ronflex bloquant la route vers Parmanie, par exemple ? m'enquis-je pour en avoir le cœur net.

- Oui, je pense.

- Mais alors, vous saviez que j'en avais besoin ?

Il s'empressa de me détromper.

- Non, non, j'ignorais qu'un Ronflex bloquait la route... je ne lis pas souvent le journal.

- Ha, bon. Hé bien votre cadeau va servir, en tout cas, lui dis-je en glissant la flûte dans ma poche.

- Mieux vaut ça plutôt qu'il prenne la poussière chez moi ! s'exclama-t-il.

Il m'adressa un 'au revoir' de la main puis rentra chez lui.

- Vous êtes prêts ? demandai-je à mes Pokémon.

J'obtins un concert de grognements, piaillements, et autres petits cris en guise de réponse.

- Alors allons-y.

Je pris la route du sud, quittant Lavanville et son cimetière dans lequel reposaient désormais deux de mes Pokémon.

***

Oh bah tiens, une fin de chapitre non stressante ! *jette des confettis*

Le chapitre 12, ou le retour de la malédiction du Nuzlocke. J'ai galéré pour écrire la mort de Touffu, elle est trop injuste et j'avais paaas enviiiie. Mais c'est la dure loi du Nuzlocke.

Je me suis servie de lui contre les Rockets du sommet de la tour car je voulais l'entraîner, il avait à peu près le même niveau que leurs Pokémons. Sa vie était quasi au max quand le Smogo a fait Destruction, et je l'ai regardée se vider jusqu'au bout en piaillant des 'Non mais non arrête-toi là ça suffit !'. Elle ne m'a évidemment pas obéi. Voilà, donc sur ce coup-là, c'est le Rocket le responsable, pas moi. :p


Équipe actuelle :
SaladeTeigneSourisGrignottePloufPrincesse

Cimetière :
FicelleTouffu