Quand la vie ne tient plus qu'à un rêve de Sanaito

[size=4]ou quand on fait comprendre à une menteuse qu'on n'arrive pas à imaginer la vérité sortant de sa bouche, la diplomatie est préférable.[/size]
_____Le visage de Naryaku se décompose petit à petit au fur et à mesure qu'elle réalise le sens de mes précédentes paroles. La pupille laiteuse de son œil visible se rétracte au point d'en devenir presque invisible. Ses mains tremblent, je réalise que j'ai été trop dur avec elle.
_Je m'approche pour m'excuser mais elle fonce sur moi et martèle mon torse de coups de poings. Je m'aperçois bien vite qu'elle se retient pour ne pas me blesser plus sérieusement que des bleus.

_— __Tu ne peux pas exiger ça de moi, Kiirisss ! tempête-t-elle. Je refuse de risquer ma vie pour une inconnue, tu m'entends ? Oui, ce qui lui arrive est triste ! Oui j'ai une part indirecte de responsabilité ! MAIS ELLE NE M'ENGAGE PAS À ME TUER POUR ELLE !
_— __Mais nous ne pouvons pas demeurer sans agir... soupiré-je.
_— __Bah moi c'est pourtant ce que j'ai l'intention de faire justement, ne rien faire. Nous sommes dans un hôpital, abruti ! Les gens qui sont là sont pour la plupart tout autant condamnés à mourir que cette fille ! Alors je suis navrée mais je ne te suis pas sur ce coup. J'y ai beaucoup plus à perdre qu'à gagner, justifie-t-elle en s'éloignant vers la porte.

_Je la dépasse pour lui faire face et la saisir par les bras.

_— __J'irai seul si tu veux ! promets-je. Mais accepte au moins de nouer un lien télépathique avec moi pour me guider depuis la chambre de Ludovic !
_— __Je ne serai jamais capable de te guider sans support visuel... s'excuse-t-elle. C'est impossible, même si tu me décris les lieux, ils ont changé depuis mon bannissement. Je regrette, mais c'est mort, si je peux me permettre un mauvais jeu de mots.

_Je la libère, elle s'en va en silence, passant sous la porte. Je reste dans la chambre, ma culpabilité et mon impuissance pour seule compagnie.
_... Oui. C'est cela. C'est mort.

_____Ça fait des heures que j'erre dans la Forêt des Ombres, sans succès. Je suis même allé bien plus loin qu'à l'accoutumée. Malheureusement, difficile de trouver un petit champ de fleurs dans un bois grand comme Unys, ma terre natale. Cela représente la moitié de cette région.
_Je n'y arriverai jamais sans Naryaku. Mais elle a raison : je ne peux pas lui ordonner d'enfreindre les règles en venant ici. Si elle y est retrouvée, elle se fera immanquablement exécuter. Ça n'en vaut pas la peine.
_Si j'ai bien lu les notes médicales de mon Dresseur, cette enfant en a encore pour une quinzaine de jours, vingt tout au plus. Je dois trouver ces plantes dans le délai imparti.
_Ou je m'en voudrais pour l'éternité.
_Je ne veux pas revoir quelqu'un mourir à cause de mon impuissance.

_« Je ne réussirai pas... », me surprends-je à penser.

_J'utilise mes pouvoirs de métamorphose et m'élève dans les airs grâce à mon apparence de Roucarnage. Je redescends presque immédiatement. Le feuillage des arbres est trop dense, impossible de voir le sol, comme je m'en doutais.
_Je reprends mon exploration sous ma véritable forme, sautant de branche en branches, en essayant d'y mettre de la détermination. Mais je doute de plus en plus de mes chances de succès. Qu'est-ce que je vais faire ? Je ne peux pas laisser tomber cette pauvre jeune fille !
_J'entends soudain un sifflement ultrasonique. Malgré la distance nous séparant, j'arrive encore à l'entendre. Quelle bêtise a-t-elle encore faite cette fois ?

_— __Je suis là, que t'arrive-t-il encore ? soupiré-je.
_— __... Rien, dit simplement Naryaku.
_— __Mais alors pourquoi m'as-tu appelé alors que je suis terriblement occupé à chercher ces satanées fleurs ? m'énervé-je.
_— __... Parce que j'ai peut-être une solution pour que tu arrêtes de trimer pour rien !

_Je la fixe en silence, me répétant mentalement ce qu'elle venait de me répondre. Alors finalement elle a décidé de s'impliquer, même un peu ? Je savais bien qu'elle était capable d'être altruiste de temps en temps...

_— __Par contre, je veux à manger.

_... Moui, elle n'est pas si désintéressée, en fin de compte, je n'aurais pas dû rêver. Son estomac parle avant son cœur, c'est pourtant connu.

_— __D'accord, je vais te chercher quelque chose dans le bureau de Mathieu... soufflé-je.
_— __Oh non, cette andouille de docteur Pokevrst n'a que des barres de céréales allégées, ça nourrit que dalle ! se plaint-elle.
_— __Il faudrait savoir ce que tu veux ! répliqué-je.
_— __Pas ma faute si ton Dresseur est une femmelette qui se nourrit exclusivement de Special K et de Taillefine, ricane-t-elle.

_J'abandonne et m'assoie sur le lit de Ludovic qui semble vouloir créer un lien télépathique avec moi. Je ne cesserai jamais d'être étonné par la force psychique de ce garçon. S'il émerge de son coma, il sera sûrement doté d'un pouvoir de télékinésie, et cela seulement parce que sa Pokémon communique en pensée avec lui environ une heure par jour. Stupéfiant.
_Je m'ouvre à lui, et je suis aussitôt assailli par des plaisanteries qui ne manquent pas de me mettre mal à l'aise :

_— __Salut Kiki (il sait pertinemment que j'exècre ce surnom), ça baigne ? Toujours au point mort avec Na' ?
_— __Tu ne vas pas une nouvelle fois aborder ce sujet absurde ? Je t'ai déjà dit que je n'ai pas de tels sentiments pour elle, me défends-je.
_— __Mais oui, c'est ça ! J'ai du flair moi aussi, et dans ce cas précis beaucoup plus que toi ! riposte-t-il en gloussant.
_— __Cette expression n'est pas très appropriée, tu ne peux rien sentir avec ton masque à oxygène sur le visage, raillé-je.
_— __Snif snif... ça sent l'inquiétude à plein nez par ici, qu'est-ce qui se passe ? fait-il, un peu plus sérieux.
_— __Oh, tu as réussi à percer une partie de mes sentiments pendant qu'on parlait... tu progresses. En fait, ton père a une patiente qui est blessée indirectement par ma faute et celle de Naryaku. J'ai lu son rapport et il est mauvais. Elle va sans doute mourir d'asphyxie dans les semaines qui viennent, expliqué-je. Je culpabilise beaucoup...
_— __Oh, ce n'est que ça, marmonne-t-il d'une voix égale, ce qui me choque profondément, je dois dire. Na' m'a déjà dit tout ça. Mais elle m'a aussi dit ce qu'elle compte faire pour régler le problème.
_— __Tu permets que j'interrompe la discussion qu'on entretient pour l'écouter de mes propres oreilles ? demandé-je.

_Il me laisse couper le contact. Je me tourne vers la jeune Darkrai qui patiente en se mordillant la griffe du pouce, adossée au mur. Elle n'a visiblement pas cessé de me fixer depuis que j'ai commencé à m'entretenir avec son Dresseur.
_Elle prend la parole sans pour autant desserrer ses dents aiguisées emprisonnant son ongle tout aussi pointu. Comme elle dit souvent en plaisantant, l'avantage de la télépathie est qu'on peut parler la bouche pleine sans passer pour un malpropre.

_— __Alors, il t'a exposé le deal ?
_— __Non, je préfèrerais que tu te charges de cela. Après tout, c'est ton plan.
_— __Putain, ça va pas te plaire, va falloir que je te montre des trucs très durs à gober.
_— __C'est-à-dire ?
_— __Lis ça.

_Elle me tend un calepin que je reconnais immédiatement. C'est celui de mon maître ! Jamais il ne le lui aurait confié, pas même une seconde. Elle est allée jusqu'à le lui voler ! Elle exagère...

_— __Oh, tu as le regard signifiant clairement « sale petite chapardeuse tu finiras brûlée vive en Enfer ! »... Je compte sur toi Saint Kiirisss, prie pour le salut de mon âme... (Elle joint ses mains et imite le Ponchiot battu*.)
_— __Arrête de débiter de telles sottises, tu m'empêches de me concentrer...

_Elle fait le mouvement d'un Branette refermant sa fermeture éclair et me laisse parcourir les écrits du docteur. Il est question de compatibilité sanguine élevée, de don d'organe...

_— __Attends, ce n'est pas possible... Je lui ai pourtant dit que j'avais les moyens de sauver cette fille, et il prévoit déjà de greffer son cœur à Ludovic... bredouillé-je, abasourdi.
_— __Il n'a jamais perdu de temps, suffit de voir à quel âge il est devenu papa. Retire neuf mois à la naissance de Ludo et tu sauras quand est-ce qu'il a perdu sa virginité, souffle-t-elle en haussant les épaules.
_— __Tu ne perds pas de temps non plus pour médire... grincé-je.
_— __Retire encore une semaine et tu sauras quand est-ce qu'il a rencontré sa femme pour la première fois, ajoute-t-elle en croisant les bras.

_Je l'ignore tout en me reconcentrant sur la lecture des griffonnages rapides caractéristiques de mon Dresseur. Plus je progresse, plus je sens mes poils se hérisser dans mon dos.

_— __M-m-mais... bafouillé-je.
_— __Ah, tu viens d'arriver au passage troublant, on dirait, grimace-t-elle en détournant le regard.

_Je relis encore et encore, refusant de croire le sens de ces phrases. Il veut ignorer volontairement tout traitement susceptible de retarder la progression du poison ! Y compris ma solution qui pourrait lui sauver la vie !
_Il... veut tuer cette jeune fille... pour soigner son fils...

_— __... Bien essayé, mais je ne mords pas à l'hameçon, lancé-je d'une voix dont la dureté m'étonne.
_— __Hein ? Attends attends attends, c'est quoi que tu comprends pas dans le groupe de mots "ignorer-tout-traitement" ? grogne-t-elle, agacée.
_— __Je sais parfaitement que tu sais imiter à la perfection l'écriture du docteur, je suis certain que ce ramassis de mensonges éhontés, c'est encore une manœuvre pour le calomnier ! tempêté-je en lui jetant presque au visage la feuille compromettante arrachée au calepin vert de mon Dresseur.

_À cause de sa légèreté, elle s'envole sous l'armoire métallique, hors de ma vue. C'est très bien ainsi. Je refuse d'avoir ne serait-ce qu'une seconde de plus cette infamie sous les yeux.

_— __... Tu n'es qu'un imbécile. Un fieffé imbécile, bougonne-t-elle après l'avoir récupérée, s'étant glissée avec aisance sous le meuble.
_— __Je n'ai pas d'insultes à recevoir d'une menteuse, riposté-je, mes griffes se durcissant sous l'effet de la colère.

_Je choisis ce moment pour m'en aller. Je ne tiens pas à en venir à la violence. Naryaku est excessivement impulsive, la moindre provocation et elle démarre au quart de tour, pour reprendre une expression triviale. Question contrôle de soi-même, je lui suis largement supérieur, alors j'estime qu'il est préférable de ne pas me rabaisser à son niveau afin d'éviter un combat qui se finirait forcément mal.
_J'ignore pourquoi elle agit de manière à m'inciter à la confrontation. Quel est l'intérêt d'accuser Pokevrst de la sorte ? Certes, il la tient responsable d'une chose dont elle n'est pas vraiment coupable... Un peu comme moi je la blâme au sujet de cette pauvre humaine... Cependant, elle ne fait pas non plus l'effort de prouver qu'elle vaut mieux que cela.
_Je repère grâce à mon odorat la présence du docteur dans la chambre de ladite humaine, j'entre en lui tendant son carnet. Il semble soulagé. Apparemment, il le cherchait. Il l'ouvre et fronce les sourcils un instant en constatant la page manquante.

_— __Est-ce que c'est toi qui l'as déchirée ? m'interroge-t-il en montrant du doigt la bande de papier inégale restée coincée dans la spirale en plastique du bloc.
_— __Non, je ne l'ai même pas ouvert, mens-je. Je l'ai trouvé par terre dans le couloir, tu as dû le faire tomber.

_Après tout, inutile de rajouter de l'huile sur le feu en lui avouant que la Darkrai qu'il insupporte a voulu lui mettre un meurtre avec préméditation sur les épaules... Dit aussi abruptement, ça ferait presque froid dans le dos.

_— __Hum... fait-il distraitement. Merci de me l'avoir rapporté, je commençais à m'inquiéter.
_— __Bon, je retourne dans la forêt chercher le remède, préviens-je. Je suis sûr qu'en une quinzaine de jours, c'est faisable.

_Quoique...

_— __Tu te donnes beaucoup de mal, mais tu sais bien que Naryaku est mesquine. Elle aime bien profiter de la naïveté des gens, et tu n'es pas une exception, au contraire. Cette histoire de fleur miraculeuse, ce n'est qu'une histoire à dormir debout parmi tant d'autres. Des plantes qui guérissent tout, ça n'existe pas. Sinon, quand bien même les Darkrai se seraient révoltés, les humains auraient envahis le Bois du Requiem pour les cueillir.

_Il s'assombrit avant de poursuivre :

_— __Et j'en aurais fait partie. Pour en finir avec le mal qui ronge Ludovic.
_— __Moi, j'y crois encore... avoué-je, refusant d'imaginer que le champ de Crépuscule ne soit qu'une affabulation.

_Je ne peux tout de même pas me résoudre à abandonner le faible espoir de racheter ma faute...

_— __Cette satanée Pokémon fait de notre vie un cauchemar. C'est sa spécialité, bien sûr. J'aurais dû la chasser avec un Vent Argenté** bien violent qui l'aurait envoyé valser. Après tout, si même les siens l'ont bannie, c'est qu'il y avait forcément une raison ! Mais au lieu de ça, je l'ai confiée à mon fils parce qu'il me l'a demandé trop gentiment. Tu vois où elle l'a mené ?
_— __Ce n'était qu'un concours de circonstances... tenté-je de tempérer.
_— __Mais oui. Évidemment.

_Il se lève et s'approche de la sortie et conclut avant de s'éloigner :

_— __Libre à toi de continuer de courir après un mirage pendant que ton soi-disant amie rit dans ton dos. J'ai cru pendant un temps qu'elle n'était pas aussi mauvaise qu'elle le laissait entendre. Mais il a bien fallu que je me rende à l'évidence. Tu ferais mieux de t'apercevoir à ton tour qu'il n'y a rien à en tirer. Tu n'es que son pion, comme l'est mon enfant et comme je l'ai été moi-même pendant trop longtemps.

_____Enfermé dans ma Poké Ball – restée dans la poche d'une des vestes de mon Dresseur – où je ne me réfugie que rarement, je réfléchis. Le silence absolu régnant dans le placard à vêtements me procure une agréable sensation de bien-être malgré toutes les questions encombrant mon esprit. Je peux facilement m'entendre penser, et ça m'aide beaucoup.
_Je m'efforce de trier mes convictions. Pokevsrt n'est pas un assassin. Naryaku n'est pas complètement corrompue. Les fleurs dont elle m'a parlé à plusieurs reprises existent.
_Elles existent.
_... Dieu Arceus, faites qu'elles existent.

_____Je secoue ma balle et m'en échappe. En poussant sur la porte du placard pour en sortir, je trouve la feuille arrachée au calepin punaisée devant moi, mais c'est le verso qui m'est présenté, soit la face où rien n'était noté auparavant. Toutefois, à présent, un message au stylo noir, dans une écriture trop soignée pour être humaine, m'est clairement adressé :



_*Chien battu.
_**Pokevsrt a un Pokémon Insecte qui sera révélé plus tard dans la lecture. Il est parfaitement au courant de la faiblesse des Ténèbres face à ce Type d'attaques.