Tome II : Le Nœud de Regigigas de Alecx

Julien était assis sur le lit de sa fille, Jade, un livre à la main. A côté de lui se trouvaient la petite fille en question et son frère jumeau, Florian. Tous les deux étaient âgés de six ans et écoutaient attentivement l'histoire que leur papa était en train de leur lire. Il était vraiment bon conteur. Il avait l'habitude de s'exprimer à voix haute de par son métier.

En effet, Julien était chercheur Pokémon depuis deux ans et, en attendant d'avoir les moyens de s'offrir un laboratoire avec tout le matériel nécessaire, il exerçait le métier de professeur. Pas à temps plein ni même à temps partiel, simplement lorsque le directeur d'une école, d'un collège, d'un lycée, d'une fac ou de n'importe quoi d'autre lui demandait de venir faire un cours. Cela pouvait parfois être pour remplacer un collègue absent mais il pouvait aussi avoir à faire son propre cours en tant qu'intervenant. S'étant spécialisé dans deux domaines complètement différents, les légendes et l'évolution des Pokémon, mais étant aussi compétent dans beaucoup d'autres matières, il était plus demandé que la plupart des personnes se trouvant dans le même cas que lui. Cela lui permettait de nourrir sa femme et ses deux enfants sans difficulté et tous vivaient heureux et sans problème dans le petit village perpétuellement enneigé qu'était Frimapic.
« Et le Roi s'en alla se reposer à jamais dans son temple de glace, à l'abri du temps. » Fin !
-Oh non, firent en chœur les deux chérubins.
-Et pourquoi il a caché la corde papa ? demanda Florian.
-Pour que personne de méchant ne s'en empare un jour, répondit Julien en souriant.
-Et pourquoi les méchants ils veulent la corde papa ? demanda à son tour Jade.
-Parce qu'elle est solide et qu'elle peut faire plein de choses magiques, répondit à nouveau Julien. Allez, maintenant, il est l'heure de faire dodo. On se couche ! Vous avez dit bonne nuit à maman ?
-Oui !
-Oui !
-Très bien. Bonne nuit.

Une fois que ses deux enfants furent couchés, il les embrassa, remonta leurs couvertures et quitta leur chambre. Ensuite, il descendit dans le salon, où sa femme, Ambre, regardait la télévision, un livre ouvert sur genoux. Il l'observa de loin. Elle était belle. Elle avait de jolis cheveux châtains foncés, presque bruns, qui lui descendait jusque dans le dos. Elle les coiffait tous les matins avec application. Ils mettaient en valeur son magnifique visage aux traits fins, sans doute dessiné un soir de pleine lune par un ange bien inspiré. Elle avait un regard noisette profond et pénétrant dont elle savait se servir à la perfection pour désarmer Julien et un sourire en coin malicieux qui la rendait passionnément mystérieuse.
-Les petits sont couchés ? demanda-t-elle.
-Oui, répondit-il.
-Que leur as-tu raconté ce soir ?
-Un classique… La légende de Regigigas.
-Ils ne s'en lassent pas ? dit-elle, amusée.
-Il faut croire que non. C'est eux qui me l'ont demandée.

Il s'avança et alla s'asseoir à côté d'elle en passant un bras par-dessus ses épaules. Il l'embrassa puis lui demanda :
-Que regardes-tu ?
-Ce sont les informations. Rien de spécial. Accidents, concours, vols… La triste réalité quoi.

« Et nous rappelons les principaux titres de l'actualité. Étranger : Le Championnat Régional de Course Pokémon se prépare, dans la région de Kanto. Il réunira de nombreux dresseurs de tous les horizons qui souhaitent se qualifier au Championnat Inter-Régional. Amateur ou professionnel, tentez votre chance ! Sciences : Le professeur à l'origine de la découverte de l'Énergie Optimum est toujours porté disparu. D'après l'inspecteur responsable de l'enquête, il aurait emporté l'intégralité des documents concernant cette nouvelle énergie. Les recherches continuent… Actualité : Lilian, le Maître de la Ligue Pokémon, a regagné son poste hier. Dresseurs, c'est le moment ou jamais ! Ne loupez pas la météo dans cinq minutes. Bonne soirée sur Féli-TV ! »

Et la journaliste disparut, laissant la place à un homme qui tenait une brosse à dent et vantait en souriant de toutes ses dents les mérites du nouveau dentifrice Blizz', pour une haleine aussi fraîche que la glace et des dents aussi blanches que la neige. Julien s'empara du programme TV pour voir quels films intéressants passaient ce soir à la télé.
-Si ça ne te dérange pas, commença Ambre, j'aimerais bien regarder le film sur FéliMotion.

Julien examina les programmes quelques secondes puis se tourna vers sa femme :
-D'accord, mais fais-moi penser à enregistrer le documentaire « Le moment de vérité du Mont Couronné », sur FéliNews.
-Tu n'as qu'à programmer le magnétoscope, suggéra-t-elle.

Ce qu'il fit aussitôt. Ils passèrent la soirée à regarder un film dans lequel un homme et ses deux Pokémon psys étaient téléportés à une autre époque par le biais d'un vortex. Les effets spéciaux laissaient à désirer, mais les décors avaient été magnifiquement bien faits et parmi les acteurs se trouvait le célèbre Brandon Strally, comédien réputé pour son talent et, chez la gente féminine, pour son physique.

A vingt-trois heures, lorsque le film fut terminé, le couple monta dans sa chambre. Ils discutèrent un instant avant de se coucher.
-Tu n'as toujours pas de travail ? demanda Ambre en se déshabillant.
-Non, répondit Julien, qui enlevait ses vêtements lui aussi. Et toi, que fais-tu demain ?
-Je vais continuer mon livre, dit-elle. Je sais que ce n'est pas vraiment un métier, mais je sais aussi que je n'aurais pas le temps de me pencher dessus une fois que j'aurai du travail. Tu as envoyé ta lettre à l'agence ?
-Oui, ils passeront mon annonce demain. Bien que je pense que cela ne serve plus vraiment pour toutes les institutions scolaires ; les directeurs savent depuis longtemps que je suis disponible.
-Vivement que tu ne le sois plus, dit Ambre en se glissant sous les draps.

Une heure plus tard, ils s'endormirent. A quatre heures, Julien, qu'un cauchemar déjà oublié avait réveillé, se leva pour aller boire un verre d'eau et attendit quelques minutes assis sur son canapé pour retrouver le sommeil. Seulement il se sentait en pleine forme et n'avait strictement aucune envie de dormir. Ne sachant pas quoi faire, il décida de regarder la cassette qui devait maintenant être le support du reportage qu'il souhaitait regarder. Il faut que j'en profite, se disait-il, dans quelques années je n'arriverai plus à me coucher tard pour me lever si tôt.

Julien avait vingt-cinq ans, un an de moins que sa femme. Il était encore jeune et plein d'énergie, il le savait, et il voulait justement profiter de cette vivacité pour se plonger dans le travail activement. Et plus tôt il se paierait son laboratoire, plus tôt il pourrait commencer ses études et recherches. Et Ambre aussi. Tant qu'ils vivaient à Frimapic, aucun des deux ne pourrait commencer à travailler réellement. Ambre, diplômée en psychologie, avait besoin d'un cabinet pour consulter ses patients. Un jour, pensa-t-il, ils déménageraient vivre dans une grande ville proche de l'océan. Ses enfants n'avaient jamais rien vu d'autre que les rives gelées de Frimapic.

Il passa deux heures et demie à regarder la télé. Ce reportage était vraiment étonnant. En tant que scientifique, il ne savait pas vraiment qu'en penser. Etait-ce possible ?

Ne sachant pas et ne voulant de toute façon pas faire d'hypothèses qui ne pourraient jamais être approuvées, il décida de sortir. Il était tôt et il faisait froid. Après s'être habillé chaudement, il partit faire sa promenade. Il marcha là où le menait ses jambes pendant une vingtaine de minutes dans une neige fraîche et blanche telle que l'on n'en trouvait nulle part ailleurs. Frimapic était un village magnifique. Lorsqu'il leva la tête, il était arrivé près du temple. Un bâtiment aussi vieux que beau. Devant son entrée se trouvait une gardienne. Elle renvoyait quiconque s'approchait trop près du temple. Et apparemment, ce fut le cas de Julien.
-Vous là-bas, cria-t-elle. Éloignez-vous s'il vous plaît.
-Oui madame, répondit Julien. Excusez-moi.

Et il fit demi-tour pour rentrer chez lui. Alors qu'il avançait tranquillement le long du chemin qu'il avait emprunté pour venir, il observa un phénomène étrange. Tout était paisible autour de lui comme un frais matin du mois de janvier lorsque soudainement, les sapins à sa droite remuèrent. Il savait qu'à quelques centaines de mètres dans cette direction se trouvait le Lac Savoir mais le mouvement était juste à côté de lui. Il vit tout un troupeau de Pokémon divers – Blizzi, Farfuret, Etourmi… – s'éloigner du village comme si celui-ci prenait feu. Ou bien du temple. Ou peut-être de lui.

A ce moment, une douleur cuisante lui traversa la main, comme si l'on appliquait dans sa paume un fer à marquer chauffé à blanc. La douleur le submergea, la tête lui tourna, des étoiles dansaient devant ses yeux. Sonné, il tomba sur ses genoux, plongea sa main dans la neige qui fondit avant même qu'il n'ait pu la toucher. Un flot d'images lui envahit le cerveau. Il ne voyait plus ce qui se trouvait autour de lui, il ne comprenait plus ce qui se passait, il était enfant, il regardait par la fenêtre enneigée de sa chambre les flocons tomber en rafales sur le temple lointain, à demi effacé par le blizzard. Il était adolescent, il serrait le nœud de sa cravate avant de partir pour un long voyage. Il était maintenant adulte, il était lui, il se battait de toutes ses forces contre le cauchemar de cette nuit qui revenait le hanter jour après jour sans qu'il ne parvienne à se souvenir de quoi il avait peur. Le monde s'écroulait sous ses pieds, son corps explosait, son âme se désintégrait et il voyait le monde, et le monde le voyait. Et son prénom qui résonnait dans sa tête, l'appel lointain du temple qui lui disait de venir, qui lui parlait du monde, d'une prophétie. Le Nœud et est danger disait cette voix. Le temple qui l'appelait…

Il s'évanouit. Son corps inerte s'affala dans la neige. Sa peau brûlante de fièvre entra en contact avec la matière glaciale. Enfin, une puissante lumière vint le réveiller. Elle traversa ses paupières pour venir éveiller ses sens. Lorsqu'il ouvrit les yeux, le soleil était haut dans le ciel. Ambre allait s'inquiéter. Étonnamment, il parvint à se relever très facilement. Il n'avait pas mal à la tête ni à la main et il ne semblait pas s'être blessé durant sa chute. Un miracle. Cependant, ses vêtements étaient trempés. Qu'est-ce qui avait bien pu lui arriver ? Encore abasourdi, il tourna la paume de sa main vers ses yeux.

Là, dans le creux de sa main, noir comme le charbon, se trouvait un symbole. Un signe. Un point noir au milieu de deux rangées verticales de trois points. La Marque de Regigigas. Après des années de repos, son destin venait l'appeler.

Une bataille sans précédent allait bientôt s'engager.