Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

The Kokonut Song was Koko-approved™
de Lutias'Kokopelli

                   



Si vous trouvez un contenu choquant, vous pouvez contacter la modération via le formulaire de contact en PRECISANT le pseudo de l'auteur du blog et le lien vers le blog !

» Retour au blog

.•o°o•. Le meilleur des mondes possibles ~ Chapitre V

Chapitre V ~ La démonstration que 1 = 2

« Considérons x = 1 : on a évidemment x² = x, donc x² - 1 = x - 1.
Puisque x² - 1 = (x - 1) (x + 1), en divisant de chaque côté par x - 1 on en tire : x + 1 = 1.
Puisque x = 1, cela donne 2 = 1. »
~ CQFD ~

~ Comme quoi, la division par zéro permet véritablement d'accomplir des miracles.
Un ballon. Un ballon de football, pour être précis.

Enfin, peu lui importait ; qu'il fût de football, de basketball, ou de n'importe quoi d'autre, cela faisait de toute manière toujours aussi mal lorsqu'on le recevait malencontreusement en pleine joue gauche. L'inspecteur Megure pouvait aisément le témoigner ; et bien que ses subordonnés ne ressentissent aucunement sa violente douleur, ils n'eurent aucun problème à se la représenter en voyant ainsi leur supérieur faire la grimace tout en paraissant trébucher soudainement, brusquement frappé par cet objet blanc et noir qui, au vu de l'angle si bien calculé, ne pouvait avoir été envoyé qu'intentionnellement.

Les trois Japonais, complètement perdus au milieu d'une cité qui leur était totalement étrangère, avaient longuement réfléchi avant de tenter de se repérer ; toutefois, ils n'eurent pas fait trois pas que ce projectile avait aussitôt stoppé leur marche. Par chance, il n'avait aucunement blessé l'inspecteur : la seule douleur survenue était en réalité plus celle de la surprise que celle d'un quelconque choc ; bien que sonné, l'homme n'était pas pour autant au sol. Mais il s'agissait toutefois tout de même d'une certaine provocation. Lorsque les agents Sato et Takagi s'étaient retournés vers l'origine de cette attaque surprise, tout ce qu'ils purent voir en dehors du paysage parisien fut un jeune adolescent qui avait aussitôt récupéré ce qu'il avait envoyé, et s'amusait désormais à le faire rebondir sur ses genoux tout en dévisageant les Japonais avec un regard froid, inquisiteur.
Megure dévisagea avec surprise ce jeune Parisien ; en effet, bien qu'il ne ressemblât aucunement dans le physique à ce lycéen qu'il n'avait plus vu depuis si longtemps, il ne pouvait s'empêcher de les comparer dans leurs attitudes : ce jeune homme aux cheveux courts et châtain-gris, cachés en grande partie par sa grande casquette brune, avait un regard soupçonneux très similaire au détective ; quant à cette manie de jongler avec les ballons de football tout en ayant les mains dans les poches, il allait de soi qu'il s'agissait d'un point commun pour le moins curieux. Néanmoins, cela ne devait n'être qu'une coïncidence ; il n'y avait aucune raison pour que ce fût dû à quoi que ce fût.

Takagi prit les devants, commençant de le réprimander tout en lui demandant pourquoi – dans la minuscule optique qu'il s'agissait possiblement d'un accident – il ne s'excusait pas ; et dans l'optique où c'était intentionnel, pourquoi évidemment les avoir ainsi attaqués. Le jeune homme continuait de le regarder de ses yeux froids et indifférents tout en jonglant inlassablement avec son ballon, attendant patiemment que son discours fût fini. Lorsqu'enfin le policier se tut, il laissa l'objet retomber au sol avant de l'y maintenir immobile à l'aide de son pied gauche ; puis il esquissa un sourire ironique avant de se mettre à parler dans une langue totalement incompréhensible.

Évidemment. Ce jeune homme ne parlait aucun mot de japonais, et n'avait strictement rien saisi de tout son discours. Et se mettre à parler français alors qu'il savait pertinemment qu'il n'allait pas être compris à son tour devait être sa manière de le rappeler.

Finalement, l'adolescent poussa un long soupir tout en sortant ses mains de ses poches, croisant aussitôt les bras.

« J'espère qu'au moins vous parlez anglais. Il y a pas mal de choses que j'aimerais vous demander, en commençant par une explication concernant votre soudaine apparition. »

Bien qu'il parlât avec un accent français très prononcé, son assurance dans ses paroles montrait à la fois – en partie – la raison pour laquelle il avait agi ainsi, à la fois sa grande détermination à parvenir à ses fins ; c'est-à-dire obtenir des réponses, probablement.
La jeune femme s'approcha à son tour, croisant les bras de même et toisant l'adolescent avec un regard réprimandant et adulte.

« Je vois. Mais tu sais, si tout ce que tu voulais était savoir ce qui est arrivé parce que tu nous as vus, tu n'avais pas besoin de nous envoyer ce ballon pour ça ; tu aurais juste pu nous interpeller, non ? »

Il haussa négligemment les épaules.

« Bon ; ben, "désolé" alors. Même si j'attends toujours des explications. Précises, s'il vous plaît. »

Apparemment, ce gamin était incorrigible ; toutefois, peut-être fallait-il, paradoxalement, y voir comme un espoir. En effet, d'un côté ils étaient complètement perdus dans une cité qui leur était inconnue ; d'un autre côté, ils avaient ce jeune homme qui, de toute évidence, connaissait parfaitement les lieux et qui s'intéressait à leur cas, puisqu'il affirmait avoir été un témoin oculaire de leur soudain passage de Tokyo à Paris, par un moyen de transport inconnu. Il s'agissait par déduction de la seule personne qui pût leur venir en aide.

Lorsque l'inspecteur se décida à expliquer qu'ils se trouvaient dans la capitale nippone jusqu'à peu et qu'ils ne voyaient aucune explication à ce qui venait de leur arriver pour la simple et bonne raison que ce n'était ni intentionnel ni prévu, le Français demeura au départ sceptique, les accusant de leur cacher leur véritable secret ; il fallut finalement préciser qu'ils étaient de la police japonaise tout en présentant les papiers le prouvant bien clairement pour qu'enfin il leur accordât une once de confiance, et commençât à les croire. En effet, il avait bien songé à inspecter chaque détail de chacun des documents qu'ils présentèrent, avant de confirmer gravement qu'il pouvait leur faire confiance. Même s'il paraissait douter de quelque chose, du moins leur cacher quelque secret.
L'adolescent regardait les alentours avec méfiance, tandis que les détails concernant la mystérieuse enquête, les disparitions, puis cet étrange “voyage” imprévu lui étaient relatés. Finalement, il avoua que son père était lui-même inspecteur de police – ce qui justifia toute cette méfiance, même une fois les documents de police entre les mains –, et leur conseilla de le suivre ; même s'il ne cacha pas qu'il doutait qu'une telle histoire fût crue par qui que ce fût d'autre que lui, qui était visiblement le seul témoin oculaire.
Tandis qu'ils marchaient en direction de la sortie du parc, Takagi reprit une fois de plus la parole :

« Au fait, nous ne connaissons toujours pas ton nom... »

Le gamin ralentit la cadence de ses pas, levant un regard pensif vers la cime des arbres en bordure du Champ de Mars. Puis, soudainement, sans prévenir, il répliqua tout simplement :

« Appelez-moi Charlie. »

Le bureau qui se présentait à eux était assurément dans un désordre monstre ; les piles de papiers posées sur la table menaçaient de s'effondrer à tout moment, et tant d'autres régiments semblaient surgir de partout, assaillant le propriétaire de la salle de toutes parts et ne lui laissant même pas le temps de les ranger. Ce dernier avait, par sa tenue mal arrangée, un aspect très négligé ; mais d'un autre côté, il n'attendait pas de visite : et les nombreuses cernes ainsi que son attitude presque endormie étaient une preuve accablante de son franc manque de sommeil. Assurément, le pauvre inspecteur Vergier, comme le nommait son fils, était totalement surchargé par le travail ; ce qui mit par ailleurs mal à l'aise les policiers japonais : ils se voyaient mal venir le déranger uniquement pour lui apporter des ennuis en supplément. Et pourtant, Charlie avait insisté pour qu'ils vinssent le voir. Le gamin paraissait avoir une idée derrière la tête, mais il n'en pipait mot, et tentait visiblement tous les moyens pour ne pas paraître suspect à leurs yeux.

Lorsque la porte s'ouvrit sur les étrangers, l'homme, qui devait avoir dans la trentaine d'années, leva un regard à la fois épuisé et distrait. Lorsqu'il remarqua toutefois que les visiteurs n'étaient pas de son quartier de police, il se redressa avec peine et prit une attitude la plus présentable et attentive possible, bien qu'une certaine nuance d'ennui résonnât dans ses propos.

« Ah, Charlotte... »

L'enfant grinça des dents dès que ce nom sortît de sa bouche. Takagi se pencha légèrement, répétant ce qu'il crut avoir compris comme étant le nom de celui qui les avait emmenés à ce poste de police parisien.

« Charlotte ? C'est ton nom ? »

Le concerné ne réagit pas, mais avait baissé la tête ; son père se leva doucement, invitant mollement les étrangers à entrer et allant à leur rencontre tout en rajustant sa cravate.

« Oui, c'est ma fille, expliqua-t-il en soupirant. J'espère qu'elle ne vous a pas causé trop de problèmes ; elle a toujours tendance à jouer aux détectives, et dès qu'elle trouve quelque chose ou quelqu'un de suspect...
- Attendez une minute, coupa Sato. Vous voulez dire que c'est une fille... ? »

L'homme leva un sourcil, avant d'acquiescer mollement. Mais il n'y prêta pas attention plus que cela, venant aussitôt leur demander la raison pour laquelle ils étaient ici ; Charlotte ne lui en laissa toutefois pas le temps, venant aussitôt au-devant de lui et faisant signe aux Japonais de la laisser s'entretenir avec son père, probablement afin de lui expliquer la situation. En effet, peut-être un père ferait-il plus confiance à sa fille qu'à de parfaits inconnus...

Ils discutèrent longuement, en français ; le père semblait totalement désintéressé et fatigué, n'écoutant les propos de l'adolescente que d'une oreille distraite. Charlotte s'emportait, plaidant probablement qu'elle avait bien vu de ses propres yeux ce qui s'était passé, donnant même des coups sur le bureau sur lequel s'était rassis l'inspecteur. Au bout d'un moment, elle se releva et alla demander à l'inspecteur Megure tout ce qui pouvait témoigner qu'il appartenait aux forces de police, ainsi que son passeport : ce dernier n'hésita pas à sortir tout cela de la poche intérieure de sa veste, le confiant à la jeune fille ; au lieu de les présenter directement à son père, elle en choisit aussitôt une seule et unique page bien précise qu'elle brandit bien en évidence. La première réaction du Français fut apparemment de se plaindre qu'il ne savait pas lire le japonais, mais sa fille s'énerva encore plus.

« Mais réfléchis un peu, pour une fois ! C'est pas parce qu'on parle pas japonais qu'on peut pas comprendre les chiffres ! »

Elle montra en effet que certains nombres étaient inscrits, ressortant bien parmi les caractères incompréhensibles qui constituaient la langue nippone ; Charlie pointa en particulier une petite série de caractères qui, visiblement, étaient plus ou moins une preuve de la véracité de ses propos : .

« J'ai demandé ce que ça voulait dire, et ils m'ont répondu que c'est la date d'expiration de son passeport.
- Sa date d'expiration ? T'es sûre ?
- Ben à ton avis, qu'est-ce que ça peut être d'autre ?
- Une preuve que ce sont de faux papiers ?
- Idiot. Qui serait assez stupide pour mettre une date d'expiration datant de dix ans ?
- C'est pas faux ; mais dans ce cas, prouve-moi que ces papiers sont vrais, alors. »

Le regard ombrageux qu'elle lui porta montrait visiblement qu'elle avait déjà parcouru tout ce cheminement, et était déjà parvenue à une conclusion solide, bien que peu probable.

« La photo.
- Oui.
- Regarde-la mieux.
- Eh bien ?
- Alors ? C'est la même personne, ou pas ?
- Ben oui. Mais tu sais, il peut porter un masque. Même toi, tu peux te montrer douée en déguisements. »

Encore un soupir.

« C'est ce que j'ai pensé ; mais je lui ai lancé un ballon dans la figure, tout à l'heure.
- Et alors ? Tu t'es excusée, au moins ?
- C'est pas la question.
- Tu t'es excusée ? répéta-t-il avec insistance.
- S'il portait un masque, il n'aurait aucune trace rouge à cause du coup qu'il s'est pris ; tu peux bien voir que c'est encore un peu rosé, sur sa joue gauche. »

Il marqua un temps de silence et d'immobilité, puis se pencha afin de mieux regarder le visage de l'inspecteur japonais ; il distingua en effet sans trop de difficulté la petite tâche rosâtre dont il était question.

« Bon ; alors au moins, la photo est bonne. Et les gens à qui on a affaire ne sont pas des imposteurs. D'accord. Et ensuite ?
- Tu sais bien que les faux papiers, de nos jours, c'est forcément bâclé. C'est trop dur de les faire avec exactitude. Alors pourquoi cette date ? »

L'adulte parut réfléchir un instant, puis soupira, s'avouant vaincu.

« En plus, reprit-elle gravement, je doute qu'on puisse changer si peu d'apparence en dix ans : ce type a quarante-trois ans, d'après le passeport ; alors soit il a cinquante-trois ans et n'a pas pris une ride, soit il y a dix ans il avait trente-trois ans et avait cette tête-là. T'es d'accord avec moi, les deux sont aussi impossibles l'un que l'autre. En bref, il ressemble beaucoup trop à la photo pour que ce passeport soit un faux, ou pour qu'il ait vraiment dix ans. En plus, on dirait vraiment qu'il a l'air neuf.
- Et tu crois vraiment que ça justifierait le fait qu'ils soient apparus, comme ça, au beau milieu du champ de mars ? C'est vraiment ridicule, enfin...
- Si tu veux mon avis, c'est pas beaucoup plus incroyable que ce qui est arrivé l'année dernière avec Napoléon, tu sais. J'irais pas jusqu'à dire que ça a un rapport, mais quand même... »

Encore une fois, il garda le silence.

« Et pour finir, si tu veux mon avis, ça a un rapport avec toute cette histoire. Tu sais bien que si j'étais au champ de mars, c'était justement pour enquêter sur le lieu des disparitions ; alors si maintenant on voit ces types sortir de nulle part, qui affirment qu'ils viennent d'un Tokyo des années quatre-vingt-dix...
- Je vois. Ils sont de toute manière impliqués dans cette affaire, et ce sont en plus des témoins précieux. C'est ça ?
- C'est exactement ça. En plus, si le passeport ne t'a pas convaincu, j'ai le mandat de police en bonus : ça, au moins, ça peut pas se falsifier facilement, pas vrai ? »

« J'ai toujours un peu de mal à reconnaître le quartier, même si pas mal d'éléments sont exactement les mêmes chez nous... C'est tout de même une belle coïncidence, non ? »

Hibiki haussa les épaules.

« Je ne sais pas. Au moins, ça fait toujours ça de gagné, Conan-kun et toi connaissez déjà un peu le coin d'un certain côté.
- J'ai tout de même remarqué quelque chose d'étrange, par contre, concernant tout cet univers... » répliqua Ran en penchant légèrement la tête, plaçant le bout de ses doigts devant son menton.

L'adolescente aux cheveux dorés lui demanda tout naturellement de quoi elle parlait : en réponse, son amie mentionna le fait que nombres d'appareillages faisant partie de la vie courante autour d'eux lui étaient complètement inconnus ; ainsi qu'à Conan, d'ailleurs.

« Je vais peut-être poser une question idiote, mais... en quelle année sommes-nous ?
- Nous sommes le huit octobre deux mille treize, répondit-elle tout naturellement, bien qu'ayant compris plus ou moins où elle voulait en venir. Tu veux dire que...
- Conan-kun et moi sommes originaires des années quatre-vingt-dix, avoua Ran. Alors je suppose que tout s'explique concernant— »

Elle n'acheva pas sa phrase.

Les yeux écarquillés, la bouche légèrement béate, les mains crispées, elle se transforma soudainement en statue, sans prévenir. Elle demeura une demi-seconde dans cet état, avant de se retourner d'un seul bloc vers la dernière personne qu'ils avaient croisée.

Le lycéen en question, lui, n'eut pas l'air de réagir et continuait de marcher dans la rue en sens inverse, comme si de rien n'était, les mains dans les poches de sa veste bleu marine, d'un air totalement insouciant. Même s'il avait constamment guidé son regard vers le sol, droit devant lui. Comme pour s'assurer qu'il ne verrait le visage de personne.

« Ran-chan ? Qu'est-ce qu'il y a...? »

La concernée ne répondit pas à l'appel de la jeune femme. Conan jeta un bref regard à son amie, puis au lycéen qui continuait de marcher, lentement, ralentissant imperceptiblement le rythme de ses pas. Ran continuait de le fixer, tremblant légèrement, mais ne réagissant pas plus que cela. Mais cela ne devait pas tarder. C'était certain. Cet intervalle de temps était presque calculable, même. Il ne la connaissait que trop bien. Elle finirait bien par craquer. Très bientôt, même.

Trois.

Deux.

Un...


« Shinichi ! »

... Zéro.

La tête se releva soudainement, ses cheveux en bataille suivant le mouvement avec un très léger décalage. Puis le jeune homme se retourna, feignant la surprise. Il fixa avec un semblant de curiosité cette lycéenne qui tentait de le rattraper en courant, suivie de son amie et d'un petit gamin d'environ sept ans.
Elle s'arrêta à environ un mètre cinquante de lui. Elle le dévisageait avec incrédulité et angoisse.
Non. C'était de la terreur qui se lisait dans ses yeux. Parce qu'elle attendait quelque chose de lui, qu'il ne faisait pas.
Il ne paraissait pas la reconnaître. Il se contentait de lui jeter un regard relativement distant, de par son incompréhension et toutes les questions qui semblaient sortir de ces deux yeux habituellement si resplendissants de lucidité.

« Shinichi... » répéta-t-elle machinalement.

Des larmes commencèrent à apparaître au coin de ses yeux. C'était impossible. Pourquoi était-il ici ? Pourquoi ne la reconnaissait-il pas ? Ce n'était pas logique...

« Je... suis désolé de dire ça comme ça, mais... On se connait ? »

Quelque chose n'allait pas avec cette question. Sa voix tremblait, bien qu'il fît tout pour ne pas le laisser transparaître. Il avait du mal à la regarder en face. Intérieurement, bien qu'elle ne le vît pas, il se mordait la lèvre.
Mais ils s'étaient mis d'accord. Ran n'existait pas dans ce monde. Un Shinichi qui habiterait dans ce Tokyo-ci ne pourrait pas la connaître. Donc il devait faire comme s'il ne l'avait jamais rencontrée.

« Génial. Donc non seulement je n'ai pas retrouvé mon vrai corps, mais en plus je vais devoir me taper un clone qui, lui, a bien dix-sept ans ?
- Il faut croire... soupira Twilight. Je vais essayer de faire des recherches, mais pour le moment je ne vois aucun moyen pour réparer ça. Je n'arrive même pas à comprendre ce qui a bien pu se passer, alors pour régler un problème comme ça, c'est toute une histoire... »

Le jeune adulte s'était assis sur une pile de livres qui traînait au fond de la bibliothèque, en attendant d'être classés. Les mains dans les poches, il n'avait même pas essayé de masser sa joue qui, quelques minutes plus tôt, avait été fermement pincée à plusieurs reprises ; d'un autre côté, il aurait dû se douter qu'il penserait en premier lieu qu'il portait un masque.
Il poussa un long soupir inaudible, tout en baissant un regard désespéré.

Un clone. C'était ainsi qu'il l'appelait.
Il avait la même apparence que dans ses souvenirs, avant d'avoir pris ce poison. Mais justement, si leur témoignage était exact, alors ces souvenirs ne lui appartenaient pas réellement. Il s'agissait de la mémoire de Shinichi Kudo, celui qu'il avait cru être en se réveillant quelques dizaines de minutes auparavant. Mais qu'il n'était visiblement pas réellement. Il ne pouvait par conséquent affirmer qu'il avait été, un jour, ce petit Conan Edogawa qu'était le véritable détective lycéen.
Son existence était une erreur. Il n'était pas censé exister. Ou alors, dans le meilleur des cas, lui et cet autre “lui” étaient censés n'être qu'une seule et unique personne.
Un seul corps, un seul esprit. Au lieu de cela, ils avaient deux corps pour une seule mémoire qui leur était commune. Il devait en être de même pour leurs capacités de réflexion. C'était ce qu'avait affirmé la licorne, et c'était ce qui semblait le plus logique. Mais cela signifiait par déduction qu'il y en avait eu un avant l'apparition de l'autre. Et il était l'autre.

« Bon. Alors, qu'est-ce qu'on peut faire ? On ne pourra jamais le cacher jusqu'à la fin de cette affaire...
- Ce qui m'inquiète le plus, c'est plutôt ce qu'on va faire après l'enquête. On ne peut pas rentrer tous les deux, encore moins si je veux retrouver mon vrai corps...
- C'est sûr. Mais dans ce cas, pourrait-on vraiment le laisser ici...? »

Il s'était relevé, subitement, sans prévenir. Mais il ne s'était pas retourné vers eux.

« Hé, je suis là, vous savez. Je peux peut-être avoir mon avis sur la question. »

Silence.

« En attendant, en tout cas, on peut dire que le problème initial est réglé, tenta-t-il. On a l'excuse pour Shinichi, et on n'a pas besoin de chercher à expliquer la disparition d—
- N'y pense même pas. Il est hors de question que je continue à jouer Conan alors que toi tu joues Shinichi. C'est clair ? »

L'aîné baissa le regard, plongeant machinalement ses mains dans les poches de sa veste. Son ton si froid l'avait résigné. L'idée qu'il se trouvât si méprisant face à lui-même s'était aussitôt évanouie, car il n'était pas réellement lui. Et l'original le savait bien mieux que la copie. Peut-être parce que l'adolescent souhaitait, inconsciemment, que le contraire fût la vérité. C'était beau de croire qu'ils n'étaient qu'une seule personne. C'était plus réjouissant que de savoir qu'on n'était qu'une copie n'étant même pas censée exister.

Il entendit encore le son de sa voix en échos. Sa voix d'enfant, aux tonalités pourtant si adultes et si dures. C'était vrai. Il comprenait. Cela ne serait pas juste que ce fût la copie qui jouerait le rôle principal. Mais comment pouvaient-ils faire autrement ?

« De toute manière, rétorqua l'enfant en rajustant ses lunettes, peu importe le rôle que prend chacun, nous aurions tous les deux à jouer la comédie, dans ce cas.
- Exact. Conan continue, comme avant, de cacher sa véritable identité. Et Shinichi devra expliquer sa présence par le fait qu'il habite dans cet univers, et serait un alter-ego de celui que Ran connaît...
- Mais pour éviter tout soupçon de sa part, il faut qu'il n'y ait pas de Ran Mouri dans cet univers. Donc Shinichi ne doit pas la connaître. Il ne l'aura jamais vue de toute sa vie. »

L'enfant avait marqué une imperceptible pause, avant de continuer dans sa lancée d'un ton toujours aussi froid et grave.

« Si jamais tu montres un quelconque signe que tu la connais, soit elle partira à la recherche de son propre alter-ego même si elle n'en a pas, soit, dans le pire des cas, ça la mènera à découvrir le pot aux roses.
- Je sais. Tu n'as toujours pas compris que, puisque nos cerveaux sont identiques, nous sommes censés raisonner de la même manière ? »

Le petit garçon haussa les épaules tout en croisant les bras, lui tournant le dos.

« Bien sûr que si. Je tenais juste à te le rappeler, on ne sait jamais. Après tout, la tentation est grande, maintenant qu'il te serait possible de lui parler en face sans avoir à mentir. Alors je voulais juste m'assurer que tu connaîtrais les raisons pour lesquelles il faut résister à cette tentation. »

« Shinichi... Shinichi, c'est moi, Ran... »

Elle lui tenait fermement les épaules, bien que n'osant pas le secouer. Mais le lycéen se contentait de continuer de lui lancer son regard interrogateur et insistant.

« Tu ne me reconnais vraiment pas... Mais pourquoi...?
- Je suis désolé... »

Il laissa sa phrase en suspens, bien qu'il semblât sur le point de continuer dans sa lancée.
Ran hésita. Puis elle relâcha son emprise et recula sur quelques pas, lentement. Même ses hochements de tête de gauche à droite étaient ralentis, preuve de son incompréhension et de son profond bouleversement.

« Ran-chan, coupa doucement Hibiki. Tu connais ce garçon...? »

Elle baissa le regard. Ses yeux étaient à moitié clos.

« Non... J'ai dû confondre avec quelqu'un que j'ai connu. »

Sa tête ne fixait désormais plus que le sol, si bien que sa mèche de cheveux noirs cachait totalement ses yeux tristes et désespérés.

« Excusez-moi... Ran-chan, c'est ça ? Vous chercheriez quelqu'un qui me ressemble...?
- Il s'appelle Shinichi Kudo, mais je ne pense pas que—
- C'est... C'est moi. »

Ses yeux s'écarquillèrent, de même que ceux de la jeune lycéenne se tenant en retrait, quelques pas derrière elle, au même niveau que le petit enfant aux lunettes. Celui-ci se contenta de lui adresser un regard laissant bien penser que ce n'était pas totalement vrai ; du moins, pas de son point de vue.

« Hé, Ran-chan, murmura son amie. Peut-être qu'en fait, c'est comme dans les bouquins, et que c'est un “alter-ego” de ton ami, ou un truc comme ça...
- Qu'est-ce que vous racontez...? » marmonna-t-il du même ton ignorant qu'auparavant.

Ran parut réfléchir. Qu'il fût de cet univers ou d'un autre, finalement, il était clair qu'il devait être aussi intelligent que celui qu'elle connaissait. Et il pouvait donc toujours être utile. On ne sait jamais.
Après de rapides messes basses avec Hibiki, il fut décidé qu'elles lui expliqueraient la situation en détail, à condition bien évidemment qu'il garderait le secret. Le lycéen faisait semblant de suivre comme s'il ignorait tout cela, acquiesçant bêtement de temps en temps pour laisser dire qu'il comprenait. Ce ne fut qu'à la fin de la discussion que son amie lui demanda si, sérieusement, il les croyait : il avoua qu'après réflexion, au vu de leurs réactions, il fallait vraiment qu'elles fussent particulièrement bonnes comédiennes pour que ce pût être faux.

« Donc cela voudrait dire que je suis en fait plus ou moins quelqu'un que tu connais... Mais je n'ai vraiment aucun souvenir de toi dans le coin ; cela voudrait dire que tu n'aurais pas d'alter-ego ici ? C'est quand même étrange...
- Oui... C'est vrai que c'est étrange... » approuva-t-elle gravement, la tête basse.

Soudainement, son poing vint s'abattre contre le lampadaire se trouvant à proximité, juste à quelques dizaines de centimètres du jeune homme. Ran avait esquissé un de ses sourires dont il valait mieux ne pas être le destinataire.

« ... alors tu crois sérieusement que je vais avaler ça ? »

Il recula instinctivement, fixant la misérable barre de métal complètement tordue suite à un tel coup, reprenant bien la forme du poing de la Japonaise à l'endroit où il s'était abattu. Il lâcha une interjection présentant parfaitement bien sa stupeur et sa frayeur subites.

Oups. Ça, c'est pas bon...

« Tu pensais vraiment pouvoir te faire passer pour un pseudo-alter-ego qui habiterait ici et ne me connaîtrait pas, c'est ça ? Non mais pour qui tu me prends ?! On n'a pas besoin d'être un aussi grand détective que toi pour se rendre compte que ton histoire ne tient pas debout, Shinichi !
- Je ne... comprends pas... »

Il savait qu'il était inutile de continuer de jouer l'innocent, désormais qu'elle avait tout découvert et était certaine d'avoir trouvé la vérité. Toutefois... il y avait toujours un espoir. Même si, si jamais il avait réfléchi un instant de plus, il se serait aisément rendu compte qu'il avait plus de chances de trouver la dernière décimale de pi plutôt que de parvenir à continuer de lui cacher la vérité.

« Si tu appartenais vraiment à ce monde et qu'il existe vraiment une logique à tout ça, alors tu devrais avoir au moins quinze ans de plus !
- De... De quoi tu parles...? Je suis né le quatre mai mille neuf cent quatre-vingt-seize ! Je ne peux pas avoir trente-deux ans, enfin ! »

Il avait enchaîné sur un rire nerveux tandis qu'il continuait de reculer instinctivement. Du côté de Ran, son regard soupçonneux et son sourire largement vexé ne l'avaient pas quittée.

« Tiens donc... L'année change, mais pas la date... C'est quand même une drôle de coïncidence, non ?
- Mais enfin, pourquoi je mentirais ?
- Aucune idée. C'est toi, le détective. »

Il allait répliquer, triomphant, que justement il n'avait aucune raison de mentir sur son identité, et que donc il ne mentait logiquement pas. Malheureusement, il n'en eut pas le temps : son amie avait visiblement eu une petite illumination.

« Oh, tiens, en parlant de détective... C'est bizarre, mais je n'ai vu aucun de tes fans te tourner autour, depuis tout à l'heure.
- Mais... pourquoi aurais-je des fans...?
- Shinichi Kudo, le détective lycéen. Il n'existe donc pas, dans ce monde ?
- Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ? »

Elle maintint soudainement un long silence. Mais son sourire n'était toujours pas parti.

« Shinichi. Je ne vois que deux explications logiques au fait qu'il n'y ait pas ce mythe du détective lycéen ici : soit c'est qu'il n'y a pas de crimes, soit c'est qu'il n'y a pas de détective lycéen. Pas vrai ?
- Bien sûr... Ce qui veut dire—
- Qu'il n'y a pas de détective lycéen, nous sommes d'accord. Mais, mon cher Shinichi, ce que tu as oublié est que je sais très bien qu'aucune affaire ne te résiste... »

Elle marqua une longue pause qu'il considéra avec angoisse.

« ... et que tu ne résistes à aucune affaire. »

Le silence retomba. Il la dévisageait avec un sourire nerveux, visiblement de plus en plus affolé.

« Hibiki-chan. L'engin que tu as sorti tout à l'heure...
- Mon portable ?
- Oui. Je peux te l'emprunter deux minutes ? »

Attends... Elle ne pense tout de même pas à ça... Elle n'oserait quand même pas...

« Je te laisse une dernière chance. Si tu habites vraiment ici, alors tu devrais savoir te servir de ça, non ? »

Ben si. Elle a osé.

« D'accord... Et qu'est-ce que tu veux que je fasse ?
- Hibiki-chan, qu'est-ce qu'il peut faire, ton téléphone ?
- Je ne sais pas... Il a une option pour prendre des photos... »

Elle lui tendit l'appareil d'un air défiant. Il s'en saisit naturellement, tandis qu'elle rétorqua :

« Bon ; alors fais un joli sourire, car Môssieu le détective va jouer le photographe ; tu ne trouves pas que la vue sur le port est excellente d'ici ? »

Derrière les adolescentes, Conan haussa les épaules ; cela ne devait pas être sorcier, tout de même. Même s'il n'avait aucune idée de comment se servir d'un rectangle noir sur lequel il n'avait encore distingué aucun bouton – en même temps, à cause de sa taille, il ne voyait l'engin que par le dessous –, il était certain que son alter-ego verrait quelque chose. De toute manière, il était le mieux placé pour démasquer tous les indices.

Elle aurait pu trouver quelque chose de mieux, quand même, pour “prouver” qu'il ne pourrait pas s'en servir. Elle devrait savoir qu'il n'aura aucun problème à le deviner...

L'enfant fut violemment pris d'un doute. Ran était largement assez intelligente pour savoir tout cela. Donc ce test n'était pas le vrai. C'était certain. Elle avait préparé autre chose pour le mettre à jour. Elle devait être en train de chercher une preuve irréfutable.

Le lycéen appuya sur le petit cercle concave en bas du petit appareil, qui s'alluma. Sans hésiter, il commença à poser son doigt sur l'aire rectangulaire à l'intérieur de laquelle un assemblage de pixels de couleurs était apparu, puis continua de faire danser son index droit, modifiant les images numériques qu'affichait l'écran. Finalement, il prit le petit engin comme il eut pris un appareil photographique normal, prenant les deux amies dans le cadre et leur demandant naturellement de lui accorder un petit sourire – qu'elles montrèrent sans problème – ; il posa son doigt sur le bouton sur lequel était dessiné un appareil photographique schématisé, puis il présenta l'image qui était apparue aux deux adolescentes avant de le tendre fièrement à son propriétaire.

« Bon, d'accord... Je suppose que ce doit être vrai, alors... Je suis désolée. »

Son regard triste et sa mine abattue étaient revenus ; Shinichi tenta de la réconforter, mêlant ses propres excuses à des paroles encourageantes.

« Mais, juste comme ça, tu peux m'expliquer comment ça fonctionne ? Je ne suis pas vraiment d'ici comme on t'a dit, alors je ne suis pas du tout habituée à ce genre d'engins...
- Ben regarde, c'est très simple : tu vois, il n'y a qu'un seul bouton ; ça veut dire que c'est le bouton d'allumage, qui permet d'accéder à un écran tactile. On peut aisément le savoir en voyant toutes ces marques de doigt, alors que tout autour on voit que c'est constamment nettoyé de toutes traces. Donc c'est une preuve que même si ton amie est très soigneuse avec son téléphone et l'essuie régulièrement, elle touche constamment l'écran ; ensuite, il y a une flèche en bas de cet écran, qui va vers le haut : alors si tu poses ton doigt en bas, puis que tu le fais glisser vers le haut dans le sens de la flèche, ça te donne accès à plein de petites icônes, qui devaient être logiquement des boutons puisque l'écran est tactile ; dès que tu vois celui-ci, qui ressemble à un appareil photo, il te suffit de cliquer dessus avec ton doigt pour accéder à un menu comme sur les appareils photos numériques habituels : il te suffit de viser en regardant le rendu sur l'écran ; pour prendre la photo, comme tu peux le voir en-dessous de l'écran il y a un petit bouton qui ressemble à un appareil photo schématisé, ce qui veut dire que—
- Que tu viens de déduire tout ça rien qu'en le voyant. Je me trompe ? Si tu ne venais pas d'en faire la déduction, tu te serais contenté de me dire comment tu as fait, au lieu de me détailler comment tu as trouvé comment faire... »

Son sourire avait repris place sur son visage, prenant une expression victorieuse, cette fois. La mine assurée du jeune homme s'effaça soudainement, tandis qu'il se rendait compte que cette volubilité naturelle avait été une erreur fatale. Car quelqu'un sachant déjà se servir d'un tel outil n'aurait pas donné autant de détails.
Conan enfouit discrètement son visage dans sa main.

« Aucune affaire ne te résiste... mais tu ne résistes à aucune affaire. »

De ce côté-là, c'était loin d'être faux. Dès qu'il avait l'occasion d'énoncer des déductions, il fonçait souvent sans réfléchir... Surtout lorsqu'il était Shinichi.

« Allez, avoue... Cette histoire pas comme les autres, c'est celle-là, et c'est parce que tu viens régulièrement ici qu'on ne te voit jamais chez nous... Pas vrai ? »

Tiens ? Alors comme ça, elle avait fait le lien avec l'autre affaire ? Bah, ce n'était pas si grave ; d'un certain côté, cela voulait dire que Conan avait désormais une couverture certaine.
Même si cela devait signifier qu'il allait être remplacé par un clone.

De son côté, le clone en question cessa de jouer la comédie, s'étant rendu compte qu'il était désormais impossible de nier quoi que ce fût. Ran paraissait s'adoucir, bien que continuant de fixer le sol et de serrer le poing. Lorsque le silence reprit le dessus, quelques secondes de calme régnèrent dans la rue.

« Tu ne m'en veux pas trop, dis ? » conclut-il honteusement, passant sa main droite derrière son crâne.

« Alors ? Elle frappe plus ou moins fort que Kogoro ?
- Devine.
- C'est sûr qu'elle t'a pas manqué, là, ricana le gamin aux lunettes d'un air ironique.
- En plus, j'ai encore les oreilles qui sifflent... marmonna-t-il en se frottant énergiquement l'oreille droite.
- Bah, avec tous ces “BAKA !” qu'elle a hurlés, je crois que tu n'es pas le seul. »

Il poussa un long soupir tout en se saisissant du sac de glaçons que venait de lui tendre son petit alter-ego, l'appuyant aussitôt contre sa tempe gauche.

« Bon, je te laisse. Elle va s'inquiéter si je ne reviens pas ; et puis, elle va finir par se douter de quelque chose si elle nous voit ensemble trop souvent. »

L'enfant s'éloigna, prenant la poignée de la porte et ouvrant cette dernière. Tandis qu'il s'éloignait, il prononça fièrement et sarcastiquement une dernière phrase :

« N'empêche, je te félicite. T'es complètement tombé dans le panneau. »

Tandis qu'il refermait la porte, son alter-ego considéra cette dernière avec scepticisme et cynisme ; il se consola en songeant qu'après tout, à sa place, il n'aurait logiquement pas fait mieux.

Le nom de Shinichi Kudo traversa rapidement l'Abyss d'un bout à l'autre, sitôt suivi d'une rapide présentation de celui qu'il désignait ; ainsi, le détective lycéen ami de Ran et de Conan fut bientôt connu de quasiment tout le monde au même titre que tous les autres, en grande partie grâce à cette dernière. Visiblement, la colère avait finalement laissé place à une joie d'enfant, rayonnante : celle d'avoir enfin retrouvé un ami qui avait disparu depuis si longtemps.
Le nouveau venu fut accueilli de manière plus ou moins chaleureuse selon les personnes, allant de la totale indifférence – Yukine Chris se contenta d'à peine le regarder de loin – à une attitude excessivement exagérée – le poney rose Pinkie Pie passa de longues minutes à bondir à ses côtés – par ailleurs, ne pouvait-elle pas se contenter de trottiner comme le faisaient ses amies ? – tout en le harassant de questions qui eurent tôt fait de lui donner la nausée.
Le détective lycéen faisait mine de ne connaître rien ni personne, mima un étonnement presque trop exagéré à la vue d'équidés doués de magie et de parole, mais en réalité toute présentation de base était inutile puisqu'il avait déjà passé la journée précédente en leur compagnie. Mais évidemment, il ne devait rien laisser transparaître ; s'il montrait un seul signe que rien de ce qui l'entourait lui était totalement inconnu, cela aurait aussitôt paru suspect.

« Alors c'est toi, le gamin dont tout le monde parle ? »

C'était l'Américain. Il s'avança, accueillant, lui racontant qu'il avait déjà entendu bon nombre de choses à son propos.

« Je m'appelle Phœnix Wright ; tu parles anglais, hein ?
- Disons que je m'en sors comme je peux, affirma-t-il en haussant les épaules. Vous êtes avocat, c'est ça ? Je reconnais le badge. »

Aucunement étonné, l'adulte paraissait soudainement presque déçu, sans raison apparente. Il demeura sceptique un instant, puis soupira, répliquant qu'après avoir entendu dire qu'il s'agissait d'un si grand détective, il s'attendait clairement à un genre de déduction d'un niveau bien supérieur à ce genre de remarques que même un gamin pourrait faire. Même le petit prodige à ses côtés aurait fait mieux, à son avis.
Toutefois, un petit sourire amusé prit place sur les lèvres de l'adolescent.

« Disons que je ne voulais pas aller jusque-là tout de suite, mais si c'est vous qui insistez... »

Il parut hésiter encore un instant, baissant légèrement la tête, puis fit la moue et soupira avant de reprendre son sourire sûr de lui.

« Tout ce que je peux dire rien qu'en vous observant maintenant n'est pas très impressionnant, mais je peux déjà affirmer que vous êtes gaucher. »

Le concerné haussa un sourcil, à la fois amusé et surpris.

« Depuis tout à l'heure, j'ai remarqué quelque chose d'intéressant : vous gardez toujours votre main gauche dans la poche de votre pantalon, alors que votre veste a, quasiment à la même hauteur, une poche dans laquelle il serait facile de mettre sa main. De plus, votre main droite, elle, est toujours libre : vous connaissez beaucoup de personnes qui ne mettent qu'une seule main dans leur poche ? Pas moi. La seule raison que j'y trouve est donc que cette poche en question contiendrait quelque chose à quoi vous tenez tout particulièrement ; je ne sais pas du tout de quoi il peut bien s'agir, mais là n'est pas la question ; je me contenterai de dire qu'il doit s'agir de quelque chose d'utile au quotidien, car sinon vous l'auriez probablement mis dans un lieu plus sûr que votre poche. J'en viens finalement à ma conclusion finale : un objet si important et si utile devrait être facile d'accès... donc proche de la main que l'on utilise le plus. Dans votre cas, c'est la main gauche. »

Il y eut soudainement un long silence. Finalement, l'Américain pinça ses lèvres et hocha nerveusement la tête.

« Okay, petit. T'es doué. Tu ferais des malheurs au barreau, crois-moi. »

Le Japonais lui adressa un sourire exagérément innocent ; lorsqu'il demanda par pure curiosité s'il pouvait connaître la nature de ce fameux objet, la réponse fut toutefois négative. En réalité, il avait déjà une petite idée sur la question ; mais parler du magatama aurait été de trop, pour quelqu'un qui était censé être arrivé moins d'une demi-heure plus tôt, et n'avoir pas assisté à l'explication de l'apparition des Américains dans l'Abyss.
D'ailleurs, il était bien curieux de connaître la véritable utilité d'un si petit objet. Tout ce qu'il savait était que, pour une raison ou une autre, cela avait été la cause de son voyage dimensionnel... Décidément, il faudrait lui demander un de ces jours.

« Une dernière chose, ajouta l'aîné. Dans une dizaine de minutes, on a prévu de se rassembler dans la pièce centrale pour essayer de comprendre ce qui se passe exactement, puisqu'il paraît que des choses inhabituelles sont en train de se passer par ici ; on peut compter sur toi ? »

Il acquiesça sans hésitation, montrant même son enthousiasme pour prendre part à leurs réflexions. Sur quelques dernières paroles, ils se saluèrent avant de partir chacun de leur côté.

Tandis que les trois amis s'éloignaient et qu'il les suivait du regard, il ne put s'empêcher de constater l'étonnante ressemblance entre les deux garçons ; de dos, ils avaient réellement un grand air de famille. De face aussi, d'ailleurs, même si les lunettes cachaient un peu cette similitude. Et leurs capacités de déduction basées sur une observation approfondie des moindres petits détails étaient analogues... Ils auraient aisément pu passer pour des frères ; mais ils ne portaient pas le même nom de famille, et avaient affirmé n'avoir aucun lien de parenté proche lorsqu'il avait fait part de sa remarque.

Quoique, il était aisé de mentir sur son identité. Après tout, Conan était quand même un drôle de nom pour un Japonais... Et ce verrou-psyché qui apparaissait chaque fois qu'il mettait en évidence quelque détail anodin concernant une certaine maturité du gamin, cela voudrait-il dire qu'il avait une raison pour cacher sa véritable identité ? Mais alors...

Non, c'était complètement stupide. Cela n'avait pas de sens.
Il devait simplement prendre le détective lycéen pour une sorte de mentor ou de modèle et s'amusait à jouer les détectives, sans se rendre compte que ce qu'il disait était bien plus que simplement pertinent...

Décidément, il réfléchissait beaucoup trop.

« Hé, Rapha... Raphie. Désolé, t'as vraiment un nom imprononçable en anglais. J'vois pas comment ils font, les autres, car j'y arrive vraiment p—
- Qu'est-ce que tu veux ?
- T'en penses quoi, exactement, de ce qui se passe en ce moment ?
- Que quand on rentrera chez nous, personne ne nous croira quand on devra expliquer ce qu'on aura fait pendant tout ce temps. »

Les deux adolescents marchaient sans réel but à travers les couloirs de l'Abyss, jetant des regards aux alentours de temps en temps tout en discutant de tout et de rien. Ils en avaient pris l'habitude depuis qu'ils s'étaient rendu compte que Carmache et Fondue avaient une fâcheuse tendance à courir dans tous les coins, probablement déçus de ne pas pouvoir sortir aussi facilement qu'ils le voudraient, ou tout simplement à cause de l'ennui ; en tous les cas, leurs maîtres respectifs trouvaient la plaisanterie peu amusante, et c'était souvent avec lassitude qu'ils fouillaient de long en large chaque salle du sous-marin à leur recherche.
Brice haussa les épaules, esquissant un sourire sarcastique.

« Bah, ça, c'est pas un problème quand t'as pas besoin de raconter quoi que ce soit à qui que ce soit. L'avantage, quand tu voyages seul, c'est que personne n'a besoin de prendre de tes nouvelles. Bon, y'a ma mère, mais ça c'est pas grave. Elle a l'habitude du silence radio, alors pour elle ça changera rien. »

Le jeune Français se stoppa subitement dans sa marche, pensif. L'autre continua encore quelques pas, avant de se rendre compte que son compagnon s'était immobilisé, tête baissée, mains dans les poches, l'air grave.

« Hé. J'ai dit un truc qu'il fallait pas ? »

Silence.

Le dresseur s'approcha, cherchant en vain à comprendre ce qui aurait pu offenser son compagnon dans ce qu'il avait pu lui dire.

« Essaie juste de comprendre qu'il y a des gens qui pensent à toi et s'inquiètent pour toi. Je comprends pas ce que raconte ton “Carmache”, mais je pense qu'il doit souffrir du fait que tu ne lui consacres pas assez d'attention, si tu agis avec lui comme avec ta mère. »

Il le regarda avec surprise. Un éclat qu'il ne connaissait pas venait de traverser son regard. Cela ressemblait à une certaine amertume, ou presque du dégoût, mais mélangé à une profonde tristesse... Il n'avait encore jamais vu cela, et s'en trouva totalement désemparé.

« Hé... ça va ? Tu te sens bien ?
- C'est rien. Ça te concerne pas. »

Il eut soudainement un regard complètement sceptique. Bien sûr que quelque chose n'allait pas avec lui. C'était sûr, il lui cachait quelque chose qui lui permettrait de comprendre ce qu'il avait.

« Sérieux, c'est quoi ton problème ? Un traumatisme d'enfance ou quoi ?
- Je t'ai dit que ça te concernait pas ; alors lâche-moi avec ça, okay ?
- Oh, du calme, je voulais pas t'énerver ! »

Il lui lança encore ces yeux noirs. Même s'il s'était tu, il lui en voulait visiblement toujours. Mais qu'est-ce que ça pouvait bien être ?

« J'y pense, tu sais pas ce que Marie m'a dit !
- Allons bon. Qu'est-ce que t'as, encore ? »

Le dresseur prit soudainement un air légèrement sournois, affichant un sourire à la fois ironique et complice.

« Ah, ça, je te le dis seulement si tu me racontes ! »

Le roux lui adressa un regard des plus sceptiques au monde, montrant qu'il n'était absolument pas dupe et que cette histoire tournait au ridicule.

« Si tu allais me raconter que Marie a des vues sur quelqu'un comme ce Shinichi ou même toi, ou quoi que ce soit d'autre qui me rendrait soi-disant jaloux et me ferait avouer quelque chose dont je n'ai aucune utilité du fait que je le sache, alors si, je sais ce qu'elle t'aurait dit, dans ton délire de mythomane. Alors si tu veux bien m'excuser, j'aimerais que tu me laisses tranquille avec ça, maintenant. »

Ce fut au tour de Brice de se stopper dans sa marche ; mais cette fois, ce n'était pas pour la même raison. Et cette fois-ci, Raphaël ignora complètement l'air désemparé de son compagnon, continuant de marcher dans les couloirs d'un pas rapide et tendu ; parce qu'il essayait d'oublier cette histoire, mais n'y parvenait pas.
De son côté, l'adolescent se reprit soudainement et trottina quelque temps pour le rattraper. Mais lorsqu'il l'atteint, il ne trouva rien à dire ; de toute manière, le jeune homme à lunettes continuait de l'ignorer complètement.

Au bout d'un long moment de silence, Raphaël parut brusquement se replonger dans ses pensées. Finalement, il s'arrêta une fois de plus et enfouit sa tête dans sa main droite, marmonnant un juron. Apparemment, il venait de se souvenir de quelque chose qui désormais le tourmentait ; mais pas de la même manière.
Brice lui demanda tout naturellement ce qu'il avait ; après une brève hésitation, il haussa les épaules avant de répliquer :

« C'est rien. C'est juste que comme j'ai été kidnappé, j'ai posé un lapin à quelqu'un, hier soir, alors que j'avais fixé un rendez-vous.
- Hein ? Alors c'est pas Marie, ta copine ? »

L'adolescent à lunettes lâcha une interjection à la fois gênée et énervée.

« Idiot, je parle pas de ça !
- Ah bon ? Ben alors c'est quoi, ce “rendez-vous” ?
- Laisse tomber, tu peux pas comprendre. De toute façon, ça te concerne pas. »

Vingt-trois heures moins deux. Encore deux minutes. Et une poignée de secondes.

Tous les policiers étaient en place, attentifs, bien à leur poste. Il en était certain, cette fois son plan ne possédait aucune faille. Une souris n'entrerait ni ne sortirait de ce musée sans avoir affaire aux forces de l'ordre. Donc il ne passerait jamais.

« Comment vous l'appelez, déjà, ce voleur ?
- Fantôme R. Il a déjà dérobé un grand nombre d'œuvres d'art diverses, et a toujours échappé à la police. Mais cette fois, il ne passera pas. C'est sûr. »

L'inspecteur Megure ne put s'empêcher de constater que l'attitude de Nakamori était similaire à celle du Français. Visiblement, même les échecs répétés étaient un point commun pour le moins... troublant.

« Lui aussi est un magicien ? » demanda Takagi, qui apparemment avait eu un raisonnement similaire.

Il eut pour unique réponse un long silence à la fois lassé par les nombreuses questions qui semblaient le déranger, à la fois étonné par cette dernière.

« Pas du tout. Mais comment ça, “lui aussi” ?
- Chez nous, un voleur magicien fait rage depuis quelque temps ; il parvient toujours à s'enfuir avec ses tours et ses illusions... D'ailleurs, il s'était manifesté à Paris il y a une vingtaine – enfin, plutôt une trentaine – d'années. Ça vous dit quelque chose, si je vous parle d'un certain “1412 – Kaitou Kid” ?
- Jamais entendu parler. »

Il voulut l'interroger encore, mais il s'abstint ; il n'était pas question de Kaitou Kid cette fois-ci, mais d'un voleur apparemment similaire. Dans ce cas, il ne fallait pas les perturber dans leur manœuvre et les laisser rester concentrés tout du long.
La tension se faisait ressentir tout autour du musée. Pourtant, rien ne se passait. Ce n'était pas encore l'heure. Il leur semblait que le temps ralentissait son cours, juste pour leur laisser savourer ce moment d'attente dans l'angoisse. Mais rien ne se passait.

Megure, finalement, jeta un coup d'œil rapide à sa montre, succombant à la tentation. Il était vingt-trois heures et une minute environ. Il considéra ces deux aiguilles avec scepticisme, se retournant au bout de quelques secondes vers l'inspecteur chargé de l'opération.

« Insaisissable ou pas, ce Fantôme n'a pas l'air aussi ponctuel que Kaitou Kid... »

Vergier fixait le musée avec un mélange de terreur et d'incompréhension. Sa main droite, qui tenait le talkie-walkie près de sa bouche légèrement béate, tremblait légèrement et s'abaissait inéluctablement.
Lorsqu'il se rendit à l'évidence, sa paupière gauche tiqua, formant durant un instant un pli de plus parmi ses nombreuses cernes.

Cela paraissait totalement inconcevable. Mais il fallait se rendre à l'évidence.

Le légendaire Fantôme R venait d'accomplir un acte qu'il n'avait encore jamais osé faire. Il n'était pas venu à un rendez-vous qu'il avait lui-même fixé.

« Conan-kun ? Où vas-tu ? C'est par là qu'ils ont voulu se rassembler pour parler de cette affaire, non ? »

En effet, tandis qu'ils s'approchaient de la salle de “réunion”, le jeune garçon avait commencé de s'éloigner, marchant distraitement les mains dans les poches. Le concerné se stoppa soudainement, puis hésita avant de répondre sans se retourner, se contentant de baisser légèrement la tête.

« Oh, euh... Je ne me sens pas très bien, je crois que je vais rentrer à l'hôtel pour me reposer un moment.
- Ah bon ? Je pensais que tu aurais voulu rester avec eux, pourtant...
- Bah, Shinichi-niichan va tout me raconter plus tard. Pas vrai ? »

Il avait tourné une tête enfantine et innocente vers le Japonais, esquissant toutefois un sourire trop prononcé pour ne pas laisser transparaître qu'il s'agissait d'un faux. Le destinataire de ce sourire forcé perçut parfaitement la nuance “En fait je te hais, mais on est obligés de se serrer les coudes alors je fais comme si de rien n'était” qui s'y cachait, mais il se contenta d'acquiescer naturellement avant de demander à son amie de le laisser partir.

« C'est quand même bizarre, laissa-t-elle échapper dans un murmure légèrement inquiet. Lui qui aime tant jouer aux détectives d'habitude, ça ne lui ressemble pas... »

Shinichi prêta un œil discret à son alter-ego qui s'éloignait, montrant une expression totalement indéfinissable. On eut dit au premier abord qu'il s'agissait d'un regard hautain et distant, et pourtant s'y reflétait également une certaine tristesse accompagnée de nombreuses nuances d'une étrange compassion ; comme si l'enfant cachait des raisons bien plus profondes à ses actes, et qu'il les comprenait sans même sembler les connaître.

« Bah, ne t'en fais pas, marmonna-t-il distraitement. Tout ce qu'on a vécu a dû l'épuiser ; après tout, il y a eu tant d'événements depuis hier... ça peut être difficile de supporter tout ça, surtout à son âge. Il ne faut pas oublier que c'est un enfant... »

Cette dernière phrase sonna bizarrement faux ; mais elle ne le remarqua pas, ou du moins ne le fit pas remarquer. Ran, après une subite hésitation, se contenta de hocher rapidement mais mollement la tête en signe d'acquiescement.

« Allez, viens. On va être en retard à cette “réunion de détectives”, si ça continue. »

Lorsqu'il parvint enfin à sa chambre d'hôtel, il s'effondra dans son lit, dévisageant tristement le plafond. Il ôta ses lunettes, les posant à même les draps à côté de lui, avant de se passer la main sur le front tout en poussant un long soupir inaudible. Décidément, depuis la veille, tant d'évènements aussi improbables qu'étranges étaient arrivés... Un peu plus et sa raison en eut pris cher.

Les univers parallèles, bien qu'étant une vérité bien extraordinaire et difficilement concevable, représentaient de loin la réalité la plus admissible et la plus vraisemblable qui l'entourait. Le Noise était quelque chose de bien mystérieux, mais son existence n'était plus à démontrer, et son origine était désormais en partie connue. Les poneys parlants, une fois habitué on n'y prêtait plus réellement attention. La magie maîtrisée par les licornes, même si cela demandait un petit effort pour vraiment commencer à accepter son existence, était quelque chose de, finalement, facilement admissible.

En bref, tout ce qu'il avait découvert la veille commençait à paraître de plus en plus normal. Donc il n'eut pas eu besoin de s'absenter ainsi pour se remettre les idées en place s'il n'avait jamais commis cette stupide erreur. S'il n'avait jamais parlé à Twilight de cette histoire, si elle était parvenue à le raisonner tant qu'il en était encore temps, si – au mieux – elle avait réussi son sort, il n'en serait pas là. Ou plutôt ils n'en seraient pas là, désormais.

Il esquissa un sourire mi béat, mi sarcastique. Que c'était étrange de devoir parler de soi-même au pluriel. Que c'était difficile d'admettre que, d'un certain côté, on se trouvait à deux endroits à la fois, ou plutôt que deux êtres quasiment identiques se mouvaient indépendamment l'un de l'autre. Que c'était insoutenable de devoir jouer le rôle d'un gamin alors que l'autre pouvait agir à sa guise. Surtout quand Ran s'en mêlait.
Par ailleurs, il valait mieux éviter de les laisser seuls ensemble, ces deux-là. Il ne leur faisait pas confiance. Surtout pas à l'adolescent. Ran, encore, il pouvait comprendre. Mais lui, il agissait en toute connaissance de cause. Mais quand même, il devrait vraiment le surveiller. Il n'avait vraiment pas intérêt à faire de bêtises.

Un étrange bruissement mécanique le sortit soudainement de ses pensées. Il le reconnaissait bien, et pourtant il s'étonna profondément de l'entendre en un moment pareil.
C'était son badge de détective qui sonnait ; un de ces nombreux gadgets qu'avait inventé le professeur Agasa. Mais s'il sonnait, cela signifiait qu'un autre possesseur du badge était en train d'essayer d'entrer en contact avec lui. Et pourtant, les Detective Boys, comme ils aimaient s'appeler, étaient censés se trouver à Tokyo, dans le monde qu'il connaissait. Pas dans celui où il se trouvait actuellement. Et donc, logiquement, si tout était normal, son badge ne devait pas être en mesure de capter quoi que ce fût.

Donc tout n'était pas normal. Autrement dit, quelque chose n'allait pas.

Subitement angoissé, Conan se releva aussitôt pour sortir l'objet en question qui continuait de sonner avec insistance. Tout en appuyant sur le bouton qui lui permettait d'entrer en contact avec celui qui essayait de l'appeler, il alluma l'écran radar de ses lunettes. Il vit alors clairement trois points clignotants, rassemblés vers un lointain nord-est ; mais ils devaient encore être dans les limites de la ville.

Pourquoi pouvait-il capter leur signal ? Qu'est-ce que tout cela signifiait ? Ils n'auraient tout de même pas...

« Ah, quand même ! On pensait que tu ne décrocherais jamais ! »

Il reconnut la voix de Mitsuhiko. Bien qu'il parût énervé, cela ne devait être dû qu'au fait qu'il avait tardé à répondre plus qu'à un quelconque problème. Mais cela ne voulait rien dire. Ces enfants ne voyaient pas toujours le danger quand il y en avait un.

« Où est-ce que vous êtes ? demanda-t-il d'un ton pressé. Pourquoi vous êtes ensemble ? Ne me dites pas que vous êtes sortis ?!
- Ben si ! Quand la police a dit que Ran et toi avez disparu depuis hier alors que vous aviez échappé au début de l'attaque, on a pensé que—
- Vous avez pensé quoi ? Que vous pourriez mener l'enquête ?! Mais vous êtes malades de sortir alors que vous pouvez vous faire tuer à tout moment !
- Mais on s'inquiétait pour vous ! répliqua la voix aigüe d'Ayumi. Et puis ne t'en fais pas, on reste dans les parages ! On n'est pas sortis du quartier de Beika, alors tout va bien, non ? »

Beika. Ils étaient restés à Beika.

S'il calculait bien, ses lunettes-radar donnaient une direction et une distance toute autre. Donc cela signifiait logiquement que le résultat était faussé parce que les émetteurs ne se situaient pas dans le même univers.

Alors s'ils pouvaient communiquer, cela signifiait qu'en ce moment-même il y avait une sorte de lien ou de passage entre leurs univers, de même que celui qu'ils avaient accidentellement emprunté en arrivant ici. Mais pourquoi ? Dans quel but ? Était-ce un hasard ? Que se passait-il, au juste ?

« Mais Conan, vous êtes où en fait ? Tu n'as pas répondu à cette question ! »

Subitement sorti de ses réflexions, le concerné sursauta en se rendant de nouveau compte avec horreur que, tant qu'ils ne seraient pas en intérieur, ils seraient en danger dès que le Noise apparaîtrait.

« Ne me cherchez pas, c'est clair ?! Où que vous alliez, vous ne pourrez pas me rejoindre, alors rentrez chez vous, ou le professeur, ça m'est égal ! Mais ne restez pas dehors alors que ce Noise peut vous attaquer n'importe quand !
- Le “Noise” ? répliqua la voix de Genta d'un ton intrigué. C'est quoi ça, ça se mange ?
- Hé, Conan, coupa aussitôt Mitsuhiko, tu parles de ces machins bizarres ? Comment tu sais que ça s'appelle comme ça alors que même la police n'a aucune idée de ce que c'est ? »

Le gamin se plaqua une main devant la bouche, se rendant compte que ce mot avait été de trop. Il soupira, puis s'énerva.

« Tout le monde sait ce que c'est là où je suis si vous voulez savoir, mais je vous interdis de venir me chercher, compris ?! Ran et moi sommes en sécurité, mais je peux pas en dire autant de vous ! Alors allez immédiatement vous mettre à l'abri ! »

Il n'obtint aucune réponse. Pas plus de signes de résignation que de mouvements d'obstination. Il demeura d'abord immobile et incrédule, fixant son badge avec étonnement, puis avec inquiétude, finalement avec angoisse.

« Mitsuhiko ? Genta ? Ayumi ? Vous m'entendez... ? » appela-t-il le plus distinctement possible, une nuance d'angoisse étouffant ses mots dans sa gorge nouée.

Il eut pour seule réponse un long silence pesant. Lorsqu'il prêta de nouveau attention au radar que présentaient ses lunettes, aucun point rouge clignotant n'était là où ils étaient tous auparavant. Ni nulle part ailleurs. Leur signal avait tout simplement disparu.

Il lui fallut plusieurs longues secondes pour qu'enfin il acceptât la dure réalité : il venait de perdre le seul contact qui lui restait avec eux. Il n'avait aucun moyen de savoir s'ils lui obéiraient ou non. Ni même s'ils étaient en bonne santé, ou au contraire en danger de mort. Tout simplement parce que le passage qui, apparemment, reliait bizarrement ces deux univers, venait de se refermer. Ou alors il s'était rouvert de telle sorte que la limite des vingt kilomètres fût désormais atteinte, ce qui les empêchait de communiquer.

Et il ne pouvait strictement rien y faire.

Son poing se referma soudainement, s'abattant avec violence contre ses draps. Mais son coup fut totalement muet, les grandes épaisseurs de tissus élastiques ayant totalement étouffé à la fois sons et puissance de frappe. Il ragea, jurant dans des murmures inaudibles.

Si jamais quoi que ce fût devait leur arriver, il ne se le pardonnerait jamais.

Une feuille blanche. Une petite liste de noms y figurait, se faisant discrète parmi les autres paperasses d'où, pourtant, elle ressortait bien plus sur le moment. Parce que l'on s'apprêtait à s'en servir.
En effet, une main vint prendre un crayon de bois, puis inscrivit aussitôt un semblant de phrase en japonais en bas de la page.
La mine fine et bien taillée remonta ensuite une à une les différentes lignes ; il s'agissait d'une liste de noms assignés à une localisation se limitant à un nom de ville et de pays, puis à une liste de ce qui ressemblait à des coordonnées incompréhensibles.

Alors que le crayon s'approchait de ces caractères japonais, un sourire se profila sur son visage ; un trait de graphite vint s'ajouter par-dessus ce qui devait être un nom appartenant à une personne japonaise, tandis qu'une voix satisfaite retentit dans un murmure.

« Check. Elle a finalement décidé de venir, cette petite brebis perdue... Bah, après tout, comme on dit... Il vaut mieux tard que jamais. »

Chapitre VI ~ Les théorèmes de Bernoulli

Note de l'auteur

Le chapitre le plus long que j'aie jamais écrit. Vingt-quatre pages Word format A4, les gens, c'est quand même pour moi un gros record. Sortons le jus de pomme ! /o
Sinon, je suis désolée pour les caractères japonais (car je sais qu'il y a des japanophobes...), mais je tenais vraiment à les mettre. Pour la date, pas de secret, il suffit de réfléchir un peu pour comprendre qu'il s'agit du 26/02/2003 (bawi, en japonais comme en chinois on commence par l'unité de temps la plus grande) ; pour cette ligne incompréhensible de la fin, même Google Traduction vous sortira un truc correct, c'est-à-dire "Shinichi Kudo, Tokyo, Japon, 4869." Après, interprétez-le comme vous voulez, la réponse est dans le chapitre suivant. o/
Article ajouté le Vendredi 25 Octobre 2013 à 02h30 | |

Commentaires

Chargement...