Le Maître du Vent de supersian

Le lendemain vit l'arrivée officielle de Peter.

Le Maître des dragons déboula en début d'après-midi, et suivit la mise-en-scène réglée, celle qu'il adoptait pour toutes ses visites d'arène. La cérémonie avait lieu sur le toit, où un public hétéroclite, composé de simples curieux, d'invités officiels, et de fans absolus de Peter qui avaient profité de cette occasion de le voir, avait pris place dans les gradins. Il avait fallu refuser du monde, ce qui ne se produisait guère que pendant les matchs nocturnes.

Arrivé sur un sublime Dracolosse, le maître serra la main à Laurent. Crâmé le Dracaufeu et le dragon s'échangèrent un regard mauvais. Puis, Peter serra la main à tous les disciples, bien habillés dans leurs kimonos les plus classieux. Kyâ murmura "Mort à Peter" à l'oreille d'Albert pour le déstabiliser, mais celui-ci tint bon, et sourit à l'envoyé de la league Indigo, s'efforçant de couvrir son visage d'admiration.

Le Maître des dragons entama son petit discours rituel. Il n'intéressait personne à vrai dire, mais l'assistance était subjuguée par la prestance naturelle de l'homme. Il avait un air méprisant qui chez lui passait pour de la noblesse, comme s'il avait été élu par Mew lui-même. Ses yeux lançaient des étincelles, certainement d'agacement profond, car la tournée des arènes était une obligation très pénible, mais que tout le monde interprétait comme une aura de puissance. Enfin, ses cheveux dépeignés figuraient le grand homme toujours en voyage et embarqué dans des situations périlleuses, alors qu'en réalité il ne s'était pas donné la peine de se peigner pour aller à Mauville, et surtout dans cette arène perdue dans la forêt, et tenue par un champion de second rang.

La chanson "Mort à Peter" n'était pas innocente. Le comportement méprisant de l'homme expliquait le ressentiment que les gens qui avaient un tant soit peu de jugement éprouvaient à son encontre. Les autres, ceux qui ne voyaient qu'un magnifique jeune homme trop sexy avec des pokémons hyper balèzes, se contentaient de baver.

Albert étouffa un baillement.

Quand Peter eut terminé son discours, parlant du prestige des arènes, de la progression des challengers, du rayonnement du Champion et de ses disciples, et de tout un tas de banalités d'une niaiserie inégalée, eut enfin lieu le moment que tout le monde attendait.

Le combat officiel entre le Maître et le Champion.

Un des rares combats où le Champion pouvait mettre toute son énergie, et ne pas avoir à feindre des KO. Un vrai combat spectaculaire de haut niveau.

Les disciples rejoignirent les gradins, où ils avaient des places réservées au premier rang.

Pendant deux heures, la bataille fit rage. Les dragons étant la plupart du temps des pokémons volants, l'affrontement avait principalement lieu dans les airs, ce qui augmentait encore la prestance du spectacle. Laurent n'était pas dupe : il avait noté l'arrogance méprisante de Peter depuis longtemps, et il désirait plus que tout lui montrer qu'il était digne d'être Champion, ne serait-ce que par interim. Le Maître de la league, quant à lui, n'avait rien à prouver à personne, et commençait à s'irriter de voir le Champion mettre autant d'énergie au combat, ce qui l'obligeait à faire de même.

Pendant un instant, un sursaut d'effroi saisit Peter, quand il vit son Dracolosse au sol, très mal en point. Pour la première fois depuis pas mal de temps, il ressentit la peur de perdre. Laurent le vit, et ce simple sursaut lui suffisait. Nul besoin de gagner le match.

Finalement, ce fut bien entendu le Maître des dragons qui remporta le match, au terme d'une rude bataille à six contre six, où au moins quatre pokémons de chaque côté avaient été mis hors combat. Des applaudissements nourris fusèrent des gradins, puis une horde de folles se précipita sur Peter, qui se retrouva entourées de groopies.

Pendant qu'il déclenchait des vagues d'hystérie, les disciples discutaient tranquillement. Seul Lanmart jetait des regards admiratifs sur le maître de la league, mais c'était une réaction habituelle lors de la première année en arène. Généralement, entre les congrès et les visites officielles, on se rendait vite compte que Peter était un petit con arrogant, et que seul son talent était admirable. Sa capture du Léviator Rouge, par exemple, avait été relatée comme un exploit mais aussi comme un acte héroïque, puisqu'il avait ainsi préservé la sérénité du Lac Colère. En réalité, le lac aurait pu être dévasté sur des hectares, Peter n'en aurait pas été moins content, puisqu'ayant capturé son pokémon rouge et rare.

Mais le pire était encore à venir : le repas officiel.

Pour le coup, trois disciples étaient recrutés pour faire à manger : la meilleure arène d'un point de vue culinaire restait sans conteste celle de Celadopole, avec la cuisine raffinée d'Erika. La plus immonde celle du Major Bob à Carmin sur Mer, où les frites, les pâtes et la viande rouge étaient de sortie quasiment tous les jours. Laurent tenait à ce que la nourriture dans son arène soit équilibrée et mangeable, quoiqu'il était difficile parfois de préparer quelque-chose convenant à tout le monde. Il se souvenait très bien de la fois où il avait cuisiné un gratin aux courgettes : il avait cru que le plat préparé avec amour qu'il tenait entre les mains en sortant de la cuisine était rempli de bave de Grotadmorv * .

L'ennui du repas officiel, où Peter présidait les deux tables réunies pour n'en faire qu'une seule, avec Laurent à sa droite et Albert à sa gauche, c'était que personne n'avait envie de faire la conversation au maître des Dragons, qui de son côté ne faisait aucun effort non-plus. Généralement, c'était un silence pesant qui accompagnait le repas.

C'est donc résigné que le Laurent le Champion prit place, et entama la riche salade qui constituait l'entrée. Mais il ne savait pas que ses disciples avaient comploté, afin que ce repas, le dernier qu'il prendrait à l'occasion de l'ouverture de la saison, soit inoubliable...

Pendant une heure, chacun raconta des histoires, véridiques ou non, les plus gores possible. Rien ne fut épargné. Du sang, du vomi, du sexe, le tout saupoudré d'humour noir.

- Mais si je te jure ! Parfois, les Rhinoféros, ils se sodomisent avec leur corne !
- Putain, ça doit faire mal !
- Et vous imaginez si elle se met à tourner !?

Ou encore :

- Dans mon caleçon ! Il a gerbé dans mon caleçon !
- Mais attends, c'est pas possible !
- Ah si ! Tu veux tester à la prochaine fête ? Il m'a fallu plusieurs jours pour tout virer, surtout que y'a des morceaux qui restaient coincés dans mes ...

Et puis :

- Et donc le Sabelette avait été piétiné par un Galeking. c'était pas beau à voir. Surtout que les boyaux avaient été répandus sur des mètres...
- Ah oui, j'avais vu ça, mais avec un Arbok... Bon, c'est moins intéressant à voir, mais le venin s'était répandu dans son corps, et sa peau avait pris une teinte verte...
- Ah tiens, marrant !

Et ainsi de suite.

Au début, Peter restait impassible. Mais il ne tarda pas à montrer des signes de dégoût et d'agacement, comprenant vite que ce sujet de conversation n'avait été trouvé que pour lui. Laurent, d'abord surpris, comprit la manigance de ses disciples, et se sentit immensément fier, quoique un peu gêné.

Fabio surtout brillait à inventer des anecdotes horribles, les racontant d'un ton froid qui sentait le vécu. Lanmart et Philibert restaient en retrait, un peu indignés de ces pratiques si vulgaires. La débat porta un instant sur la pokémonphilie.

- Moi j'ai lu un traité de pokémonphilie écrit par Domino, un expert mondialement connu. Ben je peux te dire que ça reste quand-même marginal ! décréta Alizée.
- Y'en a plus que tu ne le penses... sussura Mika d'un ton évocateur.

Tous les regards se tournèrent vers lui, légérement écoeurés.

- Mais non, pas moi !!! se défendit-il en comprenant ce qu'il avait déclenché.
- Moi je suis pas forcément contre, décréta Clarisse.
- T'as raison, vu qu'aucun mec veut de toi, il te reste que les pokémons ! lança Mika.

La jeune fille resta muette un instant, puis reprit la parole.

- Enfn, vous savez bien, la légende qu'on raconte, Ryusuke et sa Gardevoir ** ... C'était tellement beau, ça n'avait rien à voir avec de la dégénérescence...

Le silence qui suivit fit méditer toute l'assemblée. Clarisse lança un coup d'oeil à Mika, qui dut bien s'avouer vaincu : la pertinence de sa remarque effaçait la réplique gratuite du jeune homme...

Puis Fabio trouva une autre horreur à raconter, et le repas continua.


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Après-midi libre pour tout le monde : Peter étant parti après le repas officiel. Albert se retrouva de nouveau abandonné : Alizée passa son temps avec Luca, et Mika était parti retrouver son copain à Azuria. Le jeune homme aux cheveux bleus resta dans sa chambre, la musique à fond, lisant un magazine qu'il avait piqué à Mika. Très intéressant, avec des photos de jeunes hommes aux corps de dieux grecs. Albert les regardait d'un oeil pensif. Ils étaient très beaux, certes. Mais Albert se demandait tout de même s'il était vraiment homosexuel. Il était sorti avec un de ses amis, à quatorze ans. Mais cela n'avait pas duré longtemps. Depuis, il n'était sorti qu'avec des filles. Alors ?

Et puis, ce n'était pas la question à se poser. La question était : avec quel être se sentait-il suffisamment en confiance, pour pouvoir lui dire un sincère "je t'aime" ? Et peu importe le sexe de cet être ; il suffirait qu'il existe, ce serait déjà pas mal.


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Nuit. Albert déambulait dans le couloir, venant de rentrer de la Tour Chétiflor, seul. Il ne s'était rien passé, et heureusement, car il aurait été capable de ne rien faire.

En soupirant, il poussa la porte d'une des salles du premier étage, et se posa sur le canapé, quand soudain il entendit une voix s'élever :

- Qui est-ce qui vient de s'écraser sur moi ?
- Lanmart ? hasarda Albert, qui pensait avoir posé sa tête sur un coussin. Qu'est-ce que tu fais là dans le noir ?
- J'essaye de dormir. Je n'ai rien contre le fait que vous posiez votre tête sur mon postérieur, mais tout de même, jurez-moi que cela s'arrêtera là !
- Laisse-moi deviner, Lanmart, commença le jeune homme en s'asseyant. Alizée a de la visite ?
- Tout juste. Heureusement que Philibert n'est pas au courant ! Bonté divine, il en ferait une maladie !

A cet instant, on entendit des pas qui se précipitaient vers la porte, laquelle s'ouvrit pour laisser sortit une silhouette.

- Euh... Je crois que c'était Philou... hasarda Albert.
- Stupide ! s'insulta le chevalier, d'un ton amer. Albert, vous feriez mieux de m'étouffer sous un coussin !
- D'un autre côté tu pouvais pas voir qu'il était sur le fauteuil à côté, vu qu'il fait noir...
- Certes, certes... Mais enfin... La dame de son coeur m'a tout de même ejecté de notre digne chambre Roucool pour copuler avec un autre ! Que faut-il de plus pour réduire à néant un esprit aussi sensible que le sien ? Mais laissons-là mon erreur. Et vous, que faites-vous ici ?
- Eh bien, comme toi. Mika a de la compagnie, alors je suis aussi en vadrouille *** ...
- Mais enfin ! Est-ce une arène ou une maison de passe !? s'exclama le chevalier, aterré.

Albert sourit. Le réglement de l'arène stipulait que l'on pouvait accueillir n'importe-qui dans l'arène, en dehors des horaires d'ouverture, et tant que l'on répondait de cette personne. Ainsi, quand l'occupant ou l'occupante d'une chambre souhaitait passer une nuit romantique, il demandait gentiment à son colocataire d'aller dormir plus loin. Bien entendu, le disciple s'engageait à faire de même dans le cas inverse, et à ne pas envoyer son compagnon de chambre découcher trop souvent.

- Eh bien, vois-tu Lanmart, cela fait partie de notre, euh... Condition d'humain. Mais toi, tu n'as personne dans ta vie ?

Le chevalier rit.

- Ah, si vous saviez ! Mes parents m'ont promis à une peste, qu'on appelle Jezabelle. En plus d'être hargneuse, je crois qu'elle a des penchants pour le sadomasochisme. j'ai décrété que, pour être digne d'elle, je devais devenir un excellent dresseur, ce qui, entre nous, m'a permis de gagner un répit. Mes parents ont accepté ma requête, et je me suis inscrit ici.
- Et après ?
- Je m'enfuis ! JE ME BARRE !!! QU'ELLE AILLE SE FAIRE ... Ahem, pardonnez-moi.
- Tu es tout pardonné, décréta le futur Champion dans un sourire.
- Et vous même, Albert ? Coeur à prendre ?
- Coeur à prendre, en effet, soupira le jeune homme. Mais on a le temps, non ?
- Tout notre temps. Bonne nuit, Albert.
- Bonne nuit Lanmart !

Les deux disciples s'endormirent l'un sur l'autre sur le canapé.


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* J'aime pas les courgettes.

** Eh oui... Je vous rassure, Par Delà les Frontières n'a rien à voir avec de la pokémonphilie, c'est une histoire certes longue, mais magnifique et poétique. En bref, allez la lire !

*** Pour ceux qui ont lu Moi, Charlotte Simmons de Tom Wolfe, ( excellent bouquin !) vous reconnaitrez le fameaux "sexil" ! Je vous laisse deviner les deux termes qui ont donné cette expression !