Le Maître du Vent de supersian

Cela faisait deux heures qu'Alizée attendait, dos au mur, au milieu de la file qui s'étirait de la porte jusqu'à l'ascenceur.

Un homme sortit, l'air plutôt désemparé.

La dresseuse avait un avantage sur les autres. Elle savait que les questions de Laurent ne portaient pas sur les stratégies ou le caractère. Peu de gens étaient au courant d'ailleurs, si on en jugeait aux mines déconfites que tiraient les candidats en quittant la salle.

Mais son tour était venu, puisque le précédent venait de partir. Elle ouvrit la porte.

Elle venait d'entrer dans la salle d'entraînement du deuxième étage. Immense, le mur en face de son entrée avait été remplacé par une vitre, et les arbres tout proches donnaient l'impression d'être dans la forêt.

Alizée s'approcha de l'homme qui attendait à quelques centimètres de la vitre, les mains croisées derrière le dos, le regard tourné vers l'extérieur. A l'entente de ses pas, il se retourna.

Laurent dégageait, à l'instar de son Dracaufeu, une certaine puissance, visible et invisible, qui impressionnait la plupart des gens, surtout ceux qui passaient un entretien avec lui, seul, en face de ce colosse. Fixant ses yeux inquisiteurs sur la nouvelle venue, il prit la parole.

- Bonjour, mademoiselle. dit-il, d'une voix posée
- Bonjour... répondit la dresseuse, qui tentait de se donner une certaine contenance.
- Votre nom ?
- Alizée.
- Parfait. Dites-moi Alizée, aimez-vous vos pokémons ?
- Oui, bien-sûr.
- Avez-vous déjà perdu l'un d'eux ?
- Non, jamais.
- Vous pleureriez si l'un d'eux mourait ?
- Oui ! Evidemment !

La jeune fille se rappelait des conseils d'Albert, mais à ces questions-là, elle ne voyait pas d'autres réponses. Elle imaginait la mort d'Heltfield...

- Pourquoi pleureriez-vous ?

La réponse semblait évidente.

- Parce que je serais triste... J'aurais perdu un ami avec qui j'avais passé du temps... Je...
- Et s'il vous arrivait, dans un combat difficile, d'avoir envie d'appeler ce pokémon disparu, par réflexe. Que feriez-vous ?

Alizée repensa à son match contre Marc, le champion de Hoen. Son Milobellus, très puissant, possédait la capacité de se régnérer, mais restait dans l'eau. Hetfield était le pokémon idéal : sa Danse-Draco, effectuée en évitant les attaques à distance du serpent bloqué dans son environnement aquatique, lui avait permis d'accumuler suffisamment de puissance pour détruire le Milobellus en un seul coup, d'une Pique magistrale.

Mais si Hetfield était mort quelques jours avant ?

- Eh bien... Pendant un instant, difficile, je me souviendrais qu'il est mort, je serai un peu... Un peu triste, puis...
- Puis vous appeleriez un autre pokémon ?
- Eh bien oui...
- Sur le moment, pourquoi regretteriez-vous votre pokémon ?
- Mais... Pour les mêmes raisons que quand je pleurais ! C'était un...
- Un ami, oui. Mais pourquoi regretter cet ami à ce moment précis ?
- Parce que...

Là arrivait la vérité.

- Parce que je savais que grâce à lui j'aurais gagné, qu'il aurait été le pokémon idéal dans cette situation...

Elle s'imaginait devant le Milobellus sans Hetfield. Tout le reste de son équipe peu efficace contre ce puissant reptile des mers... Elle aurait aimé alors que son dragon bleu renaisse, mais pas pour le serrer contre elle, pour l'étreindre et le baigner de larmes. Non. Sur le moment, elle aurait voulu un guerrier pour régler son compte à son adversaire, et gagner son badge, et c'était tout.

- Bien, bien... approuva le champion en hochant la tête. Imaginons à présent qu'un de vos pokémons veuille vous quitter, pour retourner à la vie sauvage par exemple. Le laisseriez-vous faire ?
- Oui, oui, bien-sûr... S'il n'est plus heureux avec moi...
- Le laisseriez-vous faire ? répéta Laurent d'une voix calme.

Alizée prit son inspiration. Imaginons que Double-six, sa Coxyclaque, premier pokémon capturé, veuille s'en aller. D'abord, elle se sentirait vexée. Pourquoi voulait-elle la quitter ? N'était-elle pas heureuse avec elle ?

- Mademoiselle ?
- Euh... Je serais... Vexée. Mais quand-même, je pense que...
- Vexée ? Pourquoi ?
- Je penserais qu'elle ne m'aime plus, ou qu'elle n'aime plus les autres pokémons...
- C'est tout ?
- Oui...
- Et vous ne penseriez pas à un refus de combattre ?
- ...

Piégée. L'idée qu'un pokémon veuille retourner à la vie sauvage juste par dégoût des combats ne l'avait pas effleurée. Elle se rendait compte de son aveuglement. Un pokémon était un combattant pour elle, avant tout... C'était pourtant évident. Si les pokémons s'affrontaient à l'état naturel, c'était pour manger, se défendre, pourvoir à leur premiers besoins. Les affrontements dirigés par des Hommes étaient artificiels. Elle le savait, oui, mais elle ne voulait pas le savoir.

- Non, je n'y aurais pas pensé... avoua t-elle.

Le Champion haussa les sourcils, et laissa passer quelques secondes.

- Dernière question, maintenant. Stéréotypée, mais intéressante tout-de-même... Vous êtes dans une montgolfière, avec vos pokémons en liberté, dans la nacelle. Mais vous êtes trop lourds, et vous risquez de vous écraser. L'un de vous doit se sacrifier, et vous devez prendre une décision. Que faites-vous ?

Alizée réfléchit à toute vitesse. C'était horrible d'envisager ce genre de situations... Surtout qu'en pratique, elle serait montée sur Hetfield, et ses autres pokémons se seraient envolés... Le problème ne se serait même pas posé.

Franchement, la meilleure réponse serait celle de la dresseuse qui se jette elle-même, pour sauver toute son équipe. Mais elle ne serait pas capable de le faire, elle le savait. Tout comme elle ne serait pas capable de choisir l'un d'eux pour sauver les autres.

- Rien. Nous nous écraserions tous ensemble je pense.

Sans laisser paraître si la réponse le satisfaisait ou non, Laurent la remercia, et reprit sa posture initiale, les yeux plongés sur la forêt en dehors.

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Alizée descendit l'escalier, le ventre noué. Elle croisa un jeune homme aux boucles noires, plutôt mignon, qui ne lui prêta aucune attention.

La dresseuse s'envola pour une clairière de la forêt où était convenu son rendez-vous avec Albert, loin des yeux indiscrets. La journée des entretiens, les disciples avaient quartier libre, histoire de se reposer avant les épreuves finales, qui demandaient beaucoup d'attention.

La jeune fille comptait s'entraîner, sa confiance dans sa force de dresseuse et dans celle de ses pokémons étant supérieure à celle des réponses hasardeuses de l'entretien : ainsi, elle espérait bien se démarquer un maximum sur ce qu'elle estimait être son point fort.

Alizée libéra ses pokémons. Hetfield l'Altaria fut rejoint par Double-Six la Coxyclaque et Shooté le Airmure. Il y avait déjà longtemps que la dresseuse s'était séparé de ses autres pokémons non-volants, retournés à l'état sauvage : seuls restaient ces trois-là.

Albert utilisa ses appeaux pour appeler Somnia sa Roucarnage, et Manigance son Dodrio, qui arriva en courant, portant Clown, son Hoothoot, juché sur son corps malingre.

Les deux jeunes gens s'entrainèrent très professionellement. C'était la première fois qu'ils s'adonnaient à ce genre de choses tous les deux : ils n'avaient jamais vraiment parlé de pokémons entre eux. Et puis, le milieu de la musique en général, et du métal en particulier, était souvent anti-pokémon, c'est-à-dire opposé au dressage, au combat, au voyage initiatique. Comme ils s'étaient tous deux connus à un festival de métal, évoquer les pokémons dans l'aspect technique restait assez difficile.

Albert avait d'ailleurs toujours autant de difficulté à se retenir de rire quand Peter venait faire sa visite officielle à chaque arène au début de la saison, en songeant aux dizaines de fois où lui avait hurlé, seul ou au milieu d'une foule enragée "MORT A PETER ! MORT A PETER ! MORT A PETEEEEER !!!". Quand il se rendait à des concerts, il veillait à dissimuler ses appeaux, et évitait en règle générale de trop boire pour ne pas se mettre à parler de pokémons. Les deux passions des deux jeunes gens étaient assez inconciliables, mais comme ils n'imaginaient pas abandonner l'une d'entre elles, ils continuaient à les faire co-exister de leur mieux.

Vers le milieu de l'après-midi, les deux dresseurs et leur combattants firent une pause, et se gavèrent de gâteaux secs, assis le dos contre un arbre.

- C'est bizarre... commença Alizée en projetant des miettes partout, là-bas, on dirait que quelque-chose a brûlé...
- Mouais, répondit Albert, qui ouvrait un autre paquet. J'ai vu ça en t'attendant... Y'a un tas de cendres, des bouts de bois et de tissus crâmés... Je sais pas ce que c'est...
- Bah, c'est pas très important... conclut la jeune fille. Dis-donc, comment tu fais pour que Manigance fasse des triplattaques d'un seul type ? J'avais jamais vu ça !
- Oh, j'y suis pour rien. Chaque tête produit son rayon, mais il s'agit du même pokémon, donc je me doutais que si elle voulait, chaque tête pouvait lancer un rayon du même élément... Avec un peu d'entraînement, Manigance à réussi à faire trois rayons du même type... Suffit juste de pas en rester aux attaques de base figées.

La conversation se poursuivit, pendant qu'une petite brise fraîche achevait de disperser les cendres.