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Extinction [One-Shot] de Misa Patata



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Informations

» Auteur : Misa Patata - Voir le profil
» Créé le 10/05/2018 à 22:23
» Dernière mise à jour le 03/08/2018 à 21:57

» Mots-clés :   Absence de combats   Absence de poké balls   Amitié   Drame   One-shot

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Chapitre unique
Il y avait une lampe étrange, au bout du couloir.

A dire vrai, les lampes étaient nombreuses dans le bâtiment. On en mettait un peu partout, parce que les néons électrique faisaient défaut à beaucoup de pièces et surtout aux couloirs. Une fois que la lumière du jour déclinait et qu'on discernait à peine le contour des choses, il fallait bien une solution. Les lampes entraient alors en jeu, toutes autant qu'elles étaient. Même la lampe étrange.

Posée sur un banal guéridon, elle passait la plupart du temps inaperçue. Quelquefois, on lui prêtait attention. Deux voies s'ouvraient alors. Ou bien on remarquait simplement sa présence pour l'oublier aussitôt, ou bien on se rendait compte de sa différence : elle n'était pas comme les autres lampes de l'établissement, toutes identiques. Elle semblait moins moderne, moins dans l'air du temps. Mais comme on ne se souciait nullement de mode ici, on ne l'enlevait pas. Du reste, tant qu'elle faisait son travail, pourquoi s'en débarrasser ?

Un employé ou deux avaient bien dû se dire que ça comblerait un peu les trous dans le budget, de vendre cette chose-là, avec son allure un peu mystérieuse, comme une relique d'un autre âge. Cette vague idée, si elle exista un jour, ne fut jamais formulée à voix haute : le risque qu'on soit raillé était trop grand. Et après tout, les vieilleries avaient tout à fait leur place dans le bâtiment. Une de plus ou de moins...

Alors pour cette lampe, les journées étaient toutes les mêmes, longues et ennuyeuses. C'était ainsi puisque ça devait l'être.


o o o

Ce matin-là, en plein milieu du gris mois de septembre, il ne passa pas grand monde près d'elle. Rien de spécial ne se produisit. Quelques membres du personnel, dans leur uniforme peu seyant, arpentaient les couloirs d'un pas rapide : l'habitude, certainement. Ces gens paraissaient toujours trop pressés.

L'après-midi ne fut guère plus enthousiasmant. Un pensionnaire manqua de tomber dans les escaliers, et ça fit grand bruit pendant dix, quinze minutes. Plus rien après ça, le calme plat. Personne n'entra dans la chambre du bout du couloir, sur laquelle veillait la lampe éteinte. Quelques bruits de pas et des voix diffuses rompaient le silence lourd et monotone, sans pour autant éloigner l'abattement habituel.

La lumière anima la lampe peu après dix-neuf heures. En réalité, on aurait davantage dit une lanterne, car une flamme semblait danser sous le verre épais. L'étonnant abat-jour noir empêchait l'éclat du feu de trop illuminer le couloir. Si étrange que soit ce phénomène, personne ne se l'expliquait. C'était peut-être bien une lampe magique, ou alors un mécanisme très perfectionné, un peu comme un briquet. La question n'avait que peu d'importance. On avait une lampe efficace, aucune en réserve pour la remplacer : les mathématiques s'en voyaient satisfaites.

Sans bruit, les couloirs s'assombrissaient, tandis que l'éclat des lampes prenait le relais. Il fallut bien attendre une heure de plus avant que des employés viennent s'atteler à la fermeture des volets. Dès lors, on ne pourrait presque plus entendre la chorale des oiseaux de nuit. Le dernier bruit de pas s'étouffa vers vingt-deux heures. Comme si c'était là le signal, les créatures nocturnes se mirent à brailler leur ballade.

Le luminaire fatigué s'éteignit pour un temps, bercé par la glaçante musique.


o o o

Des clignotements affolés fendirent un instant l'obscurité.

Puis ce fut le noir, de nouveau.

Enfin quelques secondes passèrent, et l'éclat de la flamme reparut, stable et puissant. Désormais le couloir était suffisamment éclairé pour qu'en en voie le fond. Les bruits se rapprochaient. Des pas, plus nombreux que d'habitude, et des bribes de voix encore ensommeillées. On pouvait aussi percevoir, en tendant l'oreille, le son sans caractère des roulettes d'un chariot contre la moquette épaisse.

Ce fut bientôt un véritable tintamarre qui secoua le nocturne couloir. Des sanglots étouffés se mêlaient aux timbres patients des employés. On apporta le chariot, avec du café. Personne n'osa se servir, parce que l'heure n'était pas à la fête. Sur les murs, la lumière projetait des ombres inquiétantes et difformes, qui dansaient étrangement. Un employé dit quelque chose, un autre posa une main compatissante sur une épaule, et on ouvrit finalement la porte de la chambre. Celle du bout du couloir, la chambre sans histoires.

Ils entrèrent tous, un à un, dans la pièce, délaissant la sentinelle lumineuse. Elle ne s'éteignit pas cette fois. Il fallait qu'elle assure l'éclairage de la chambre elle-même, pour ne rien brusquer.

A l'intérieur, le silence s'installa comme un vieil habitué, seulement interrompu par les sifflements d'une respiration rauque. Une forme fatiguée remuait tout doucement sur le lit grinçant. De temps en temps, une latte craquait un peu. Le son pourtant anodin devint une cacophonie. Chaque étranger dévisagea le vieillard malade, dans sa dernière chambre d'hôtel. Il paraissait ne voir personne.

Nul ne bougea pendant un long moment. Ni la petite-fille aux yeux baignés de larmes, ni le fils pâle comme une bougie, ni la belle-fille s'efforçant de rester stoïque, ni l'épouse qui regardait dans le vide, ni les aide-soignants nerveux comme jamais.

Les gémissements plaintifs finirent par cesser, et le vieux corps s'immobilisa sur le matelas, dans un fouillis de couvertures en laine. Il faisait pourtant chaud. La tension ambiante y était peut-être pour quelque chose. On pensa à ouvrir la fenêtre, mais on ne proposa pas : détruire le silence aurait des allures de sacrilège, dans la dernière demeure du grand-père.

Prudemment, l'un des employés s'avança vers l'être en fin de vie, dont les lèvres remuaient pour prononcer des mots muets. Le vieillard fut saisi par les épaules, et doucement reprit ce qui lui restait de conscience pour donner une directive, ses lèvres presque collées à l'oreille du garçon. L'employé fronça les sourcils et demanda au vieux de répéter. Les mêmes mots quittèrent la bouche sèche du mourant.

Son Pokémon ! Il voulait son Pokémon : mais quel Pokémon ? Certainement pas le Posipi que la petite-fille tenait entre ses bras, alors quoi ? Rien dans cette pièce ne ressemblait à un Pokémon : puisqu'il n'y avait rien sinon le lit. Soudainement, un noir total s'empara de la chambre. Il y eut quelques exclamations et mouvements étonnés. Puis la lumière se ralluma, différente. Une flamme violette en lévitation, encadrée par deux yeux sans consistance, flottait littéralement dans l'encadrement de la porte ouverte.

Un frisson général saisit le groupe. La température sembla chuter de plusieurs degrés. Pourtant la fenêtre restait obstinément fermée, et le vent du dehors ne faisait pas voler les rideaux. La petite-fille serra un peu plus fort le lapin : de surprise, celui-ci émit un gémissement. Même l'épouse avait recouvré la vue pour observer l'apparition.

Ce fut pire encore lorsque la chose avança vers l'intérieur de la pièce, tout droit, en direction du petit lit et de son vieil occupant. Personne n'osa bouger ni protester : chacun regardait, attentif, la forme spectrale. On devinait les contours d'une lanterne étrange. Naturellement les employés reconnurent la lampe du couloir. Seulement, aucun deux ne fit mine d'arrêter le fantôme : à quoi bon ?

Allongé, dans un dernier sursaut de vitalité, le vieillard accueillit son Pokémon dans une étreinte lumineuse. La flamme s'éteignit à nouveau et ne se ralluma pas. Quelques minutes passèrent, interminables. On choisit de recourir à l'interrupteur du mur. La lueur de l'ampoule, brutale et aveuglante, brûla tous les yeux.

Excepté ceux du vieillard, pour qui la lumière resterait éteinte.