Nos secrets enfouis de Azuza

Kito et moi nous étions rencontrés deux ans auparavant, sous des circonstances que je n'aurais jamais imaginées.

Ma mère tenait une petite pension à l'extérieur de Mauville, à Johto. Grâce à elle, j'avais appris à communiquer avec les pokémons et à les mettre en confiance. C'est aussi elle qui m'avait donné mes deux premiers pokémons : Rosaphir, un Tarsal chromatique sorti d'un œuf qu'un de ses clients n'avait pas voulu récupérer et qui me protégeait des pokémons que je pouvais croiser en allant à l'école à Mauville, et Lys, mon Phyllali que j'élevais depuis l'œuf.

Vers l'âge de treize ans, alors que je parcourais les routes de Johto pendant l'été, un membre de la Team Rocket me proposa de rejoindre leurs rangs pour les aider dans leur entreprise. Pour des raisons qui me son aujourd'hui encore obscures, j'acceptai de les rejoindre. Puis, après l'été, je dus retourner à l'école. En rentrant, un soir, alors que la nuit était tombée, j'aperçus une lueur près d'un lac. J'imagine que c'était Suicune, au vu de sa couleur et de sa taille. J'approchai du lac et me retrouvai nez à nez avec le pokémon qui m'observait, sans ciller. Il était si proche que je pouvais sentir son souffle glacé sur mon visage. Le cœur battant, je le regardai disparaitre sur l'eau. « Jamais tu n'aurais dû les rejoindre » semblait-il me dire. Plus jamais je ne l'avais revu.

J'avais passé mon diplôme de dresseur l'année suivante et définitivement rejoint les rangs de la Team Rocket. Après son démantèlement, j'étais passée dans les rangs de la Team Magma d'Hoenn, la Team Galaxy de Sinnoh, puis la Team Plasma d'Unys. Pendant quelques mois, j'intégrai même la Team Snatch de Rhode. Même si ces années à manipuler et me faire manipuler ne font pas ma fierté, je dois bien avouer qu'elles ont réussi à forger mon caractère et m'apprendre à considérer la situation avant d'agir.

Bref, à propos de notre rencontre. Le temps passé à écumer les routes d'Unys sous les ordres de la Team Plasma m'avait permis d'en connaître une bonne partie. C'est pourquoi la Team Snatch m'avait envoyée sur place à la recherche de dresseurs puissants pour leur dérober leurs pokémons. Pour cela, j'avais, accrochée à mon bras, la machine qu'ils avaient créée pour permettre à des pokéballs de capturer les pokémons d'autres dresseurs : le snatcheur. Kito visitait Janusia, la ville des Dragons, et venait tout juste d'obtenir le huitième badge de la région, avec seulement trois pokémons dans son équipe. J'avais beau en avoir le double avec moi, quelque chose me disait que ce ne serait pas un combat aisé, et m'éclipser en pleine ville par la suite ne serait pas simple. Je l'attendis donc à la sortie nord de la ville, où il passerait obligatoirement pour se rendre à la Ligue.

Kito était un jeune homme à l'air rêveur à l'époque déjà. Un garçon de seize ans aux longs cheveux noirs dont les mèches recouvraient régulièrement les yeux verts en amande. S'il n'avait pas été toujours sur les routes pour accomplir son rêve de devenir maître de la Ligue d'Unys, nul doute qu'il aurait été un de ces garçons populaires comme ceux de mon ancienne école.

Lorsque je descendis du muret sur lequel je m'étais assise pour l'attendre, il me dévisagea, puis son regard se posa sur Lys, sagement assis à mes côtés. Ses yeux s'illuminèrent et, avant même que j'eus le temps de le défier, il me posa la question à laquelle je m'attendais le moins.

« Ton Phyllali est magnifique ! Sa fourrure est brillante et parfaitement entretenue... Tu accepterais que j'en fasse un portrait ? »

Après avoir cligné des yeux une seconde, incrédule, je le regardai dans les yeux. Etait-il sérieux ? Ma future victime cherchait-elle réellement à dessiner mon pokémon ? Je ne savais même pas que ce genre de choses se faisait encore, à l'ère des holokits et des appareils numériques. Néanmoins, je me tournai vers Lys et haussai un sourcil. Le pokémon hocha la tête avec un glapissement d'excitation.
« Si ça ne le dérange pas, alors moi non-plus, répondis-je en haussant les épaules. Mais à une condition. Ensuite, on fait un combat.

- Marché conclus ! »

Il se mit à fouiller frénétiquement dans son sac en bandoulière. La quantité d'objets qu'il semblait y transporter m'interloqua, mais il finit par trouver ce qu'il cherchait : un bloc de dessin, un crayon à papier et une gomme. Il alla ensuite s'asseoir dans l'herbe, face au muret, et plaça son bloc sur ses genoux. Tout en tournant les pages à la recherche d'une feuille vierge, il demanda :
« Tu crois que tu pourrais t'asseoir contre ce muret et que ton Phyllali pourrait mettre ses pattes et sa tête sur tes jambes ? Ce serait un super tableau.

- Euh... Si tu veux. »

Lys coupa court à mon hésitation en attrapant le bas de mon pantalon entre ses dents pour me traîner vers le muret. Tout le temps que Kito passa à dessiner, incroyablement concentré sur son œuvre, je me demandai ce que je faisais. La Team Snatch était la limite de ma ligne de conduite. Jouer les méchants était une chose, mais voler les pokémons des dresseurs ? Cela ne m'avait pas vraiment préoccupée au début, mais avec le snatcheur attaché à mon bras gauche, cette histoire commençait à m'inquiéter. Mon regard descendit vers Lys, paisiblement reposé contre moi. Il me faisait confiance. Que dirait-il s'il me voyait arracher des pokémons à leur dresseur ? Il finirait certainement par me détester. Jusque-là, ce n'avait été qu'un jeu, mais pouvais-je vraiment aller aussi loin ?

C'aurait tout aussi bien pu être la situation inverse. Et si ce devait être à moi que la Team Snatch venait arracher les pokémons ? En parcourant des yeux la fourrure de Lys, je sentis mon cœur se serrer à la pensée que je pourrais ne plus jamais le revoir, ni revoir aucun autre de mes pokémons, les amis avec qui j'avais mené mes combats et qui m'avaient toujours soutenue et aidée à avancer.

Ainsi, lorsque Kito s'écria « Fini ! » et approcha pour me montrer son œuvre, ma décision était prise. Quoi qu'il se passât ensuite, je quitterais la Team Snatch. J'en avais assez de jouer les malfrats ; il était temps pour moi de passer à autre chose et de trouver un but dans ma vie.

« Tu dessines super bien, dis-je, émerveillée par sa superbe représentation de la scène.
- C'est gentil, répondit-il un peu gêné. Je m'entraîne beaucoup. Quand j'aurai fini ce voyage, je voudrais partir à la recherche de pokémons rares. Et puis, pourquoi pas publier un livre avec mes dessins pour permettre aux gens de voir la beauté de ce monde à travers mes yeux. »

Incapable de détacher mes yeux de son dessin, je hochai la tête. Quel jeune homme plein d'ambition et de ressources. Loin de l'image que je me faisais de lui.

« Le seul souci, c'est que dès que j'aperçois un pokémon sauvage rare il me fuit comme la peste. J'ai peur de devoir me contenter de pokémons domestiqués, soupira-t-il. »

Cela me sembla une fantastique opportunité de reprendre mes voyages. Aussi sautai-je sur l'occasion.

« Je peux t'aider, assurai-je.
- Vraiment ? Comment ?
- Ma mère tient une pension à Johto, alors j'ai appris à faire en sorte que les pokémons me fassent confiance, expliquai-je. »

Il m'étudia du regard pendant une bonne minute, comme pour décider si l'arrangement lui serait réellement profitable ou non. Finalement, il hocha la tête avec un sourire en coin.

« D'abord, faisons ce combat, tu veux ? »

Ce fut l'un des combats les plus intenses de ma vie, et aujourd'hui encore je me souviens parfaitement de la dérouillée que j'ai prise ce jour-là. Ce fut un combat à trois pokémons contre trois. Jamais je n'aurais pensé que ses pokémons (un Jungko, un Luxray et un Carchacrok) auraient pu mettre les miens (mon Phyllali, mon Absol et mon Delcatty) au tapis si facilement. Ils étaient forts, mais surtout ils étaient rapides, bien plus que les miens. C'était un adversaire honorable en effet, et même si cette défaite fut amère, nous donner à fond pour un simple duel amical nous fit du bien à tous.

Finalement, après avoir fait un high-five à on Jungko en riant de bon cœur, le jeune homme se tourna vers moi et me tendit la main en me regardant droit dans les yeux.

« Bienvenue parmi nous. Enfin, si ça te tente toujours. Moi, c'est Kito. Et toi ?
- Hana. Je m'appelle Hana. »

Avec un sourire ravis, je pris sa main, et c'est ainsi que nous devînmes amis, ce garçon rêveur et moi.

Je ne crois pas que nous ayons jamais parlé du passé. Enfin, pas vraiment, en tout cas. Sur la route pour la Ligue d'Unys, Kito m'avait expliqué qu'il était originaire d'Hoenn, où il avait reçu son Arcko lorsqu'il était petit. Mais ses parents avaient beaucoup déménagé, et finalement il était arrivé à Unys à l'âge de quinze ans. Il ne connaissait pas grand monde, aussi n'avait-il eu aucun mal à quitter la ville où il habitait (Amaillide ou quelque chose comme ça) pour partir en quête de la Ligue.

Lorsqu'il m'avait demandé ce qu'était mon histoire, ce que je faisais ici, j'étais restée assez évasive. J'avais pris la route assez jeune, pendant les vacances, et depuis je quittais la maison dès que j'avais du temps libre. Chez nous, on pouvait passer notre diplôme dès douze ans, quand on se sentait prêts. Dans tous les cas, personne ne restait bien longtemps à l'école de Mauville. SI l'on voulait poursuivre ses études, il fallait aller dans les grandes villes. Et moi, je n'en avais absolument pas l'intention. Du moins, pas tout de suite. J'aimais voyager ma vie et je gagnais ma vie en faisant des petits boulots de-ci de-là et en gagnant des combats pokémon. Cela semblait lui suffire : il n'avait jamais reposé de question sur le sujet, à mon grand soulagement.

Nous avions pris le train pour Kalos, après sa confrontation avec la Ligue d'Unys. Nous y avions passé quelques mois et, finalement, nous avions pris le bateau à Port-Tempères en direction d'Hoenn. Kalos était une région splendide, mais l'un comme l'autre nous avions envie de retourner dans des paysages connus. Kito avait capturé un Abra, là-bas, et nous avions tous deux récupéré auprès du professeur Platane des Méga-Gemmes pour faire méga-évoluer nos pokémons, mais nous avions promis d'un commun accord de les utiliser avec parcimonie.

A force de me tourner et me retourner dans mon lit, le sommeil finit par m'emporter au pays des rêves. Kito souhaitait se rendre à Cimetronelle afin de rencontrer la championne, Alizée, et lui demander de le laisser observer son Altaria. Nous aurions donc de la route à faire dans les jours qui suivraient.




Le réveil fut difficile le lendemain. Le personnel du centre pokémon nous offrit le petit déjeuner, ainsi que des paniers repas pour le midi. L'objectif de la journée était de remonter la route jusqu'à Lavandia, d'y faire le plein de provisions et de continuer jusqu'à la nuit tombée en direction de Cimetronelle.

En route, nous fîmes la rencontre de quelques dresseurs, notamment un scout et une éleveuse qui nous demandèrent un combat. Je laissai Kito se battre et restai en retrait, les bras croisés, avec Lys à mes côtés. Depuis que j'avais déserté la Team Snatch, j'avais perdu le goût des combats. Pourtant, le snatcheur était toujours là, accroché à mon bras gauche. Kito était venu à penser que c'était un appareil qui soutenait mon bras gauche qui avait été blessé. Amusée par cette théorie, je n'avais jamais cherché à la réfuter.

Dès notre arrivée à Lavandia, nous allâmes au centre pokémon pour que Kito fasse soigner ses pokémons blessés. Du coin de l'œil, je remarquai deux hommes d'une trentaine d'années, adossés à un mur, occupés à discuter. Ils n'auraient certainement pas attiré mon attention s'ils ne portaient pas cet uniforme rouge typique de la Team Magma. Lorsque leur regard passa sur moi, j'approchai de Kito, accoudé au comptoir.

« Je vais au magasin, tu me rejoins là-bas ?
- Ouais pas de souci, à tout à l'heure. »

Lys me regarda, surpris, avant de se lancer à ma suite. A grandes enjambées, je sortis du centre pokémon et me rendis à la boutique la plus proche. J'entendais des bruits de pas derrière moi, mais je m'obligeai à ne pas me retourner. Je pressai le pas et zigzaguai entre les rayons du magasin pour essayer de perdre mes éventuels poursuivants. Lorsque, finalement, je jetai un œil par-dessus mon épaule, je m'aperçus que j'étais seule avec Lys. Personne ne me suivait. Je pris une grande inspiration pour calmer les battements de mon cœur. C'était mon imagination, rien que mon imagination. Il n'y avait aucune raison pour que ces types m'aient reconnue, de toute manière. Est-ce qu'ils faisaient seulement partie de la Team Magma à l'époque où j'y étais ?

Un sourire se dessina à mes lèvres et je me retins d'éclater d'un rire nerveux en sortant du magasin avec mon sac de courses. Mais en voyant les deux hommes adossés de part et d'autre de la porte, à l'extérieur, je faillis lâcher le sac. Mon sang se glaça dans mes veines et je me retrouvai bien incapable de bouger, sous leurs sourires narquois.

« C'est pas gentil de nous ignorer, Hana. Tu te souviens pas de tes vieux copains ? demanda l'un d'eux en s'accoudant contre le mur de la boutique. »

Bien incapable de répondre, je me forçai à garder mon calme et commençai à m'éloigner. Le deuxième m'attrapa par l'épaule et me fit faire volte face. Le cœur battant, je soutins son regard lorsqu'il prit la parole.

« Tu pourrais au moins nous dire bonjour. Qu'est-ce que tu deviens ?
- Je ne vois pas de quoi vous parler, marmonnai-je en me dégageant. »

Le regard baissé, je m'éloignai, Lys sur les talons.

« Max veut te parler. Il a pas été très content que tu nous lâches comme ça, s'écria le premier. »

Je me retournai et leur adressai un sourire sarcastique. Ils savaient aussi bien que moi que j'avais profité - comme de nombreux autres membres, d'ailleurs - de la chute de la Team Magma pour filer à l'anglaise.

Dès que je regardai devant moi, un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale. Kito était là, devant le centre pokémon, et observait la scène les bras croisés. Je me forçai à sourire et un rire nerveux m'échappa.

« C'est... C'est pas ce que tu crois, je peux t'expliquer, commençai-je.
- M'expliquer quoi ? Que tu as fait partie de leur Team ? demanda Kito, l'air sévère.
- Ou... Oui, mais...
- Alors c'est exactement ce que je crois. Laisse tomber, va... »

L'air dégoûté, il fit volte face et s'engagea dans la route au nord de la ville. En un rien de temps, il disparut au coin du centre pokémon. Mon cœur se serra. Que faire ? Comment réagir ? J'aurais sans doute dû lui courir après, lui expliquer que ce n'était qu'une erreur de jeunesse, que j'avais changé et... Le sac de courses me glissa des mains. Lys l'évita d'un bond en arrière, surpris, et posa ses yeux sur mon visage.

Une main se posa sur mon épaule.

« Eh ben, on dirait que t'as pas d'impératifs, ma grande, reprit l'un des deux membres de la Team Magma. Tu viens avec nous au repaire, hum ? »

Déboussolée, je fus bien incapable de réagir, et les suivis sans broncher.