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Ma Cactitude [OS] de dragibus57



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Informations

» Auteur : dragibus57 - Voir le profil
» Créé le 10/03/2012 à 19:52
» Dernière mise à jour le 19/12/2013 à 19:12

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Ma Cactitude
Cactitude : n. f. sens 1 : ensemble des attitudes et des actes d'une personne qui résiste (en référence à la capacité des plantes de la famille des Cactaceae à faire face aux longues périodes de sécheresse et à s'adapter aux terrains les plus difficiles).
sens 2 (figuré): agressivité extérieure dissimulant une grande richesse intérieure (toujours en référence aux cactacées dont les épines protègent les réserves de liquide et de nutriments).

Voir aussi : négritude (Aimé Césaire), bravitude (Ségolène Royale)

Bibliographie : dragibus, Ma Cactitude dans le topic [Défi] Concours "amateurs" de fics ! sur Pokébip, mars 2012.

***
« Non, je ne suis pas folle ! Hein mes chéris ! » La vieille qui murmure ces paroles de façon à peine audible est penchée sur une petite table coincée dans l'angle de la pièce et s'adresse à un cactus en forme de boule terminée par une couronne de fleurs jaunes. Elle tâte la terre du pot d'un doigt arthritique mais connaisseur. « Vous êtes encore bien humides, ça veut dire que je suis ici depuis une semaine, à peine. »

Elle s'approche en boitillant de la porte qui donne sur le couloir et pose l'oreille contre le battant. Personne. Elle l'entrouvre discrètement, écoute en retenant sa respiration et la referme doucement. Elle n'a pas entendu le bruit caractéristique du chariot de soin dont l'une des roues est voilée. Elle est donc maintenant sûre qu'aucune infirmière n'est sur le point de la surprendre. Rassurée, elle se dirige alors vers la minuscule salle de bain.
Elle prend au passage le pilulier posé sur la tablette roulante et regarde d'un air méprisant les gélules qu'il contient. « Ils croient qu'ils pourront me faire parler avec ça, mais je ne suis pas dupe ! J'ai bien compris que ces cachets ne servent qu'à affaiblir ma résistance mentale. Ils me prennent vraiment pour une demeurée ! »

Elle ouvre la porte de la salle de bain et s'avance jusqu'à la cuvette des WC. Puis elle presse délicatement sur l'une des gélules, tout en lui imprimant un mouvement de rotation, comme pour la dévisser, jusqu'à ce que les deux parties de la capsule s'ouvrent. Puis elle jette son contenu dans la cuvette.
Elle répète son geste avec les trois autres médicaments et tire la chasse. Une fois, deux fois, jusqu'à ce que le tourbillon d'eau ait évacué avec lui les dernières traces de poudre blanche. Elle rebouche ensuite chaque gélule et les remet à leur place dans le pilulier.

Tout à l'heure, quand l'infirmière Joëlle passera et qu'elle la grondera : « mais Mamie, vous n'avez à nouveau pas pris vos médicaments ! », elle fera la sotte tout en lui retournant son sourire le plus candide : « oups, j'ai oublié ! » et elle les avalera bien sagement devant elle. Hihi !
Bien sûr, Joëlle lui fera une fois de plus la morale avec son air de sainte-nitouche : « Mamie, vous savez que c'est important de les prendre, vous ne guérirez jamais si vous oubliez tout le temps ! » Gnagnagna...
Pfff... Guérir ! Mais de quoi donc ? Elle n'est pas malade. Vieille peut-être, mais certainement pas malade !

Elle retourne auprès de la table d'angle et caresse doucement les lobes d'un second cactus, plus grand que le premier, et dont certaines excroissances se terminent par une fleur couleur fuchsia.
« Il n'y a que vous qui me compreniez, que vous qui sachiez la vérité, que vous qui me connaissiez vraiment. N'est-ce pas ? On a traversé tellement d'épreuves ensemble. C'est pas eux, murmure-t-elle en pointant du menton la porte donnant sur le couloir, qui vont me faire croire que je suis sénile hein ! »
Elle tâte à nouveau la terre des pots et grommelle : « ah vous êtes encore suffisamment humides...», puis comptant sur ses doigts : « ça fait donc une petite semaine que je suis ici. »
Elle retourne s'assoir sur le lit médicalisé, attrape une revue qui traine sur la tablette à roulettes et la feuillette d'un air distrait. « Tiens, c'est bientôt les élections... »
Tout en lisant l'article, elle frotte machinalement son genou, puis fronce les sourcils, relève son pantalon et observe son genou. « C'est bizarre, pourquoi j'ai une cicatrice là ? » Elle passe son doigt sur la fine ligne blanche, puis caresse de sa main ridée la partie encore gonflée de l'articulation. « Hum, je sais : ils m'ont encore torturée... Mais je résisterai, comme je l'ai toujours fait ! Ils ne tireront jamais rien de moi, je mourrai avec mon secret !»

On toque légèrement à la porte. « Oui ? »
Ah, c'est sa fille. Pas trop tôt, ça fait déjà un moment qu'elle l'attend. Plusieurs jours au moins.
« Bonjour maman, comment tu vas ?
- Ah c'est toi ! Ça me fait plaisir de te voir, ça faisait longtemps !
- Euh... Je suis passée hier... Mais c'est pas grave... Et ton genou ? »
Genou ? Comment le sait-elle ? Mmm... Sa fille doit être de mèche avec les hommes en noir. Elle a dû négocier avec eux un pourcentage sur le bénéfice de la découverte. Mais elle ne lui révèlera rien ! Son secret est bien au chaud au fond de son cerveau !
« Ah oui, mon genou. Il va bien, il cicatrise. »
Entrer dans son jeu. Donner les réponses qu'elle attend. Faire croire qu'on n'a rien deviné du complot.
« La rééducation se passe bien ?
- La rééducation... ? Euh oui... ça va. Ce matin, j'ai dû marcher sur un tapis roulant, d'abord en me tenant aux rampes de chaque côté, puis en les lâchant.
- Ah c'est bien, tu progresses ! Il y a dix jours, tu n'arrivais pas encore à te déplacer sans béquille. »
Dix jours ? Mais elle n'est là que depuis une semaine à peine, ses Pokémon cactus en sont la preuve ! Sa fille cherche certainement à lui embrouiller l'esprit, cette saleté ! Pour en être sûre, elle se lève et va toucher une fois de plus la terre des deux pots.

« Je vois que tu prends toujours bien soin des deux cactus que je t'ai apportés. Ils ont bien poussé depuis que tu ici ! »
Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? C'est pas des cactus, c'est des Pokémon !
« Tu veux parler de Cacnéa et de Maracachi ?
- Oui, si tu préfères. Je sais que tu leur as donné le nom de tes compagnons... C'est d'ailleurs pour ça que je te les ai apportés : ici, les Pokémon sont interdits, donc j'ai pensé qu'avoir des cactus leur ressemblant te ferait plaisir... »
Mais bien sûr... Voilà qu'elle cherche à lui faire croire que Cacnéa et Maracachi ne sont pas des Pokémon ! Mon dieu, sa propre fille !
Elle retourne s'assoir sur le lit et feuillette distraitement son magazine. Encore des élections ?

« Sinon, je suis passée comme tous les jours chez toi, à la maison. J'ai relevé le courrier, mais il n'y avait rien de particulier, juste quelques pubs. Tiens, je t'ai apporté le dernier catalogue de jardinage. J'ai aussi arrosé tes Baies et soigné tes Pokémon Plante : tout le monde va bien. »
Humpf ! Elle n'aurait jamais dû lui donner les clés de sa maison, c'était une grossière erreur ! Si ça se trouve, cette fouineuse a mis son nez partout dans ses affaires... Pourvu qu'elle n'ait pas découvert sa petite cachette secrète, celle où elle a planqué une coquette somme d'argent. Simple précaution au cas où « on » bloquerait son compte en banque...
Elle ne dit rien pendant un petit moment. Exprès. Elle voit bien que son silence gêne sa fille et que celle-ci cherche désespérément un sujet de conversation...

« Et qu'est-ce que tu as mangé à midi ? »
La vieille dame ferme les yeux, fouille dans sa mémoire et au prix d'un gros effort de concentration parvient à en extirper l'image d'une scène où elle se trouve attablée, une assiette garnie posée devant elle.
« Euh... De la viande en sauce, des pâtes et des haricots verts.
- Maman, tu dois te tromper : hier déjà tu m'as dit que tu avais mangé ça... »
Ouch, faute...
« Ah oui, c'est vrai, se reprend-elle avec un petit rire gêné, j'ai confondu le repas d'hier et celui d'aujourd'hui : c'était steak haché purée et carottes vichy.
- Pas grave... Tiens, je suis allée voir l'infirmière avant de venir : il faut encore compter deux bonnes semaines de rééducation avant que tu puisses retourner chez toi. »
Ah ça non ! Hors de question ! A la première occasion, elle fichera le camp de cet hôpital-prison ! Mais elle préfère ne rien répondre, pour ne pas se trahir.
« Oui, comme tu vis seule et qu'il y a des escaliers partout dans ta maison, il vaut mieux rester ici un peu plus longtemps, pour être sûr que ton genou soit complètement remis.
- Mon genou ?
- Ben oui, ton opération, la prothèse qu'on t'a posée.
- La prothèse ? »
Mais sa fille raconte n'importe quoi ! On ne lui a pas posé de prothèse, on l'a torturée ! TOR-TU-RÉE !
« Maman, rappelle-toi : tu es ici parce qu'on t'a posé une prothèse du genou suite à tes problème d'arthrose. Tu es ici en rééducation post-opératoire. »
Mon dieu, comme elle déteste le ton pseudo-pédagogique de sa fille ! Comme si elle était un tout petit enfant à qui on est obligé de répéter lentement et plusieurs fois les choses pour qu'elles rentrent !
Et la voilà qui en rajoute une couche !
« Ici c'est un centre de rééducation et de réadaptation post-traumatique. Les gens y sont admis pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois, le temps de se remettre de leur opération. Un genre de centre de convalescence si tu veux... »
Cause toujours ! Elle sait bien qu'elle est dans l'une des discrètes cliniques de la Team Rocket, qu'ils ont essayé de lui arracher son secret, mais qu'ils n'y sont pas parvenus. Si c'était le cas, elle ne serait plus en vie...
« Et ça fait déjà un mois que tu as été opérée, Maman. »
Impossible, la terre de ses Pokémon n'est pas du tout sèche, ça veut dire qu'elle n'est là que depuis une semaine.
Elle ne répond pas, faisant mine de se replonger dans sa revue. Tiens, il va y avoir des élections... Voilà qui devrait mettre fin à la visite. Ah, gagné, elle s'en va !
« Bon je me sauve, j'ai encore des courses à faire, je reviens demain. D'accord ?
- Oui c'est ça, à demain. »

Sa fille se lève, se penche vers elle et la serre longuement dans ses bras - elle peut sentir son parfum familier quand elle l'embrasse – puis elle quitte rapidement la chambre. Un observateur extérieur remarquerait les larmes qui perlent à ses yeux.
La mère se relève et va une fois de plus tâter la terre de ses cactus : « ah, vous êtes à peine humides mes chéris, donc ça doit faire cinq ou six jours que je suis ici. Encore un peu de patience, on rentrera bientôt à la maison. Demain. »

On toque à la porte, c'est l'infirmière Joëlle : « Mamie, il est 18h, il est temps de descendre au réfectoire. Vous voulez que je vous accompagne ou vous y arriverez toute seule ?
- Oh ça ira, je peux me débrouiller seule. »
Avant de sortir, la vieille dame fait un détour par la salle de bains pour se laver les mains et en profite pour se donner un petit coup de peigne. Non pas qu'elle veuille encore plaire à son âge, mais c'est une question de dignité. De même, elle inspecte sa tenue : pas de taches, pas de plis disgracieux. Elle ouvre le minuscule placard à vêtements et choisit un joli gilet, parfaitement assorti à son pull à fines rayures et à son pantalon noir en panne de velours. Voilà, à présent elle peut descendre.

Elle trottine à petits pas jusqu'à l'ascenseur devant lequel attendent deux autres personnes, l'une le bras en écharpe, l'autre, le cou enserré d'une minerve.
Dans le réfectoire, elle s'assoit à la première place libre qu'elle trouve.
« Ah non, intervient une aide-soignante en désignant une table plus loin, vous c'est là-bas. »
Elle la regarde d'un air désapprobateur. Elle a quand même le droit de s'assoir où elle veut, non ?
« Mamie, c'est là-bas votre place habituelle, vous vous rappelez ? Il y a votre pilulier avec votre nom dessus, » lui explique la jeune femme en souriant et en la prenant gentiment par le bras.
Humpf, raté. Elle qui pensait pouvoir échapper de cette manière à la prise de médicaments, il faudra qu'elle trouve autre chose.

Autour d'elle les tables se complètent progressivement, avec des jeunes et des vieux, des hommes ou des femmes, des gens en fauteuil roulant, d'autres en béquilles. Certainement des victimes de la Team Rocket, comme elle.
Pendant le repas, chacun papote de tout et de rien au milieu du cliquetis des couverts et des assiettes qui s'entrechoquent.
« Et vous Mamie ? C'était quoi votre métier, avant ? »
C'est à elle qu'on parle ? Il semble bien...
- Moi ? J'étais la fleuriste de Doublonville.
- Oh ! Celle qui donnait le Carapuce A Ô ?
- Oui oui, c'est ça. Mais maintenant je suis à la retraite, bien entendu ! »
Pendant un bref instant, la vieille dame n'entend plus le bruit ambiant, son esprit s'échappe vers sa boutique, bien des années auparavant.

Ah, ils en voulaient à mon secret, ces fameux hommes en noir, mais ils ne l'ont pas eu ! Le secret de la Gracidée... Il est là, dans sa tête, et personne ne saura jamais comment elle a réussi à obtenir cette fleur si rare, quels croisements, quels bouturages elle a fait pour aboutir à sa création. Héhé, ils peuvent bien continuer à la torturer, à la charcuter pour lui mettre de soi-disant prothèses, jamais elle ne leur révèlera où elle a caché ses précieuses graines !
Puis telle une bulle qui éclate, le souvenir disparaît, cédant à nouveau la place au brouhaha des conversations.

De retour dans sa chambre, le premier geste de la vieille est de tâter une fois de plus la terre de ses Pokémon : « hum, d'après l'humidité, six jours, sept au maximum que je suis là. »
Au même moment, l'infirmière Joëlle entre, un pilulier et un verre d'eau à la main : « Mamie Dragi, vous avez oublié de prendre vos gélules pour la mémoire au réfectoire. Et aussi, vos cactus étaient à nouveau tout secs ce matin, je vous les ai arrosés. »