Le moulin sur la falaise (One-Shot) de illapa

Le moulin sur la falaise.


Lentement, précautionneusement, comme si elle craignait d'être vue, la jeune fille jette un œil discret à travers la vitre noire de crasse et chuchote :
-Tout est si calme... Tu le sens toi aussi ?
Seul au milieu de la pièce poussiéreuse, son mangriff la regarde d'un air triste.
-Man...
-Qui sait quand ils vont revenir ?
Lentement, la demoiselle se décolle de la fenêtre et va s'assoir sur des marches en bois pourri grises de poussière.
-Ca a été terrible. Tu te souviens, Pollux ?
-Man...griff ?
-Je n'oublierais jamais cette matinée... Quand ils ont débarqués, sur leurs bateaux noirs faits de métal, crachant une fumée nauséabonde aussi sombre que l'avenir qu'ils nous réservaient...

Avec un reniflement, elle sèche une larme qui perle dans le coin de son œil.
-Griff...
-Ne t'en fais pas Pollux. Je... J'ai juste une poussière dans l'œil.
Elle se prend la tête dans les mains, et ajoute d'une voix accablée et tremblante.
-Je n'oublierais jamais ce jour, Pollux. J'ai vu lorsqu'ils ont posé leurs pieds sur nos terres... J'ai vu les premiers sangs versés... Puis ils ont déferlés sur le village comme une nuée de dardargnan en furie... Tu étais dans ta ball, tu ne les as pas vu... Ils ont tué tout le monde, humain et pokémon, ils étaient sans pitié.... Ils n'ont épargné personne...
La voix de la jeune fille s'étrangle. Son regard se tourne alors vers le ciel, ou plutôt, vers le plafond du bâtiment. Un plafond haut, caché par une machinerie complexe faite de rouages et de ressorts désormais en sommeil depuis de longues années. Puis elle inspire et reprend :

-Leurs pokémon attaquaient les villageois... Les hommes avaient des lance-flammes qui ont brûlés nos maisons... Nos charmants petits chalets ne sont plus que cendres et souvenirs... Ceux qui tentaient d'éteindre l'incendie se faisaient occire, c'était un véritable carnage... Nos pokémons ont tenté de nous défendre... Nos chers pokémons... Ils ont lutté pour nous, jusqu'à la mort... mais nos envahisseurs étaient trop fort, trop nombreux...
Tout en regardant ses pieds d'un air triste, elle se lève et retourne à son poste d'observation, à la fenêtre. De là, elle a une vue dégagée sur les alentours. Elle se trouve dans un grand moulin qui n'a pas servi depuis de trop nombreuses années. Le moulin sur la falaise. Son refuge dans les moments de solitude. Son abri à elle. Son repaire secret.
-Qui étaient-ils ? Pourquoi ont-ils fait une chose pareille ? Pourquoi Pollux ?
-Mangriff ?

Après quelques minutes de silence, l'adolescente reprend :
-Je crois qu'ils venaient du sud, au delà de la mer. Je me souviens de l'étendard qu'ils brandissaient au milieu des flammes... Un étendard rouge comme le sang, et noir comme la mort... Un étendard qui représentait une tête de démolosse noire sur un fond d'enfer...
Grand-mère m'avait parlé de cet étendard. Elle m'avait parlé de ceux qui le suivaient... Une nation aussi puissante que maléfique, œuvrant pour la domination du monde... Mais elle n'est plus là. Plus personne n'est là... Sauf toi, mon Pollux. Toi et le chagrin qui persiste...
-Man...
Elle se tourne vers son compagnon, ferme les yeux et secoue la tête comme pour en chasser certaines idées.
-Ces gens souhaitent s'emparer du monde par la force. Ils le désirent ardemment en brûlant leurs ennemis. Ils détruisent ceux qui s'opposent à eux, et nous... notre village, notre pauvre petit village se trouvait sur leur route... Nous avions la malchance d'être au mauvais endroit, sur le chemin de haine qu'ils traçaient à travers ce monde...
-Man... griff...

La demoiselle tombe à genoux, se prend la tête, et continue d'une voix chargée de reniflements :
-Et maintenant Pollux ? Nous sommes les derniers survivants... nous avons fui, nous nous sommes cachés. Ce moulin sur la falaise est le dernier bastion de vie sur cette île, d'où nous pouvons contempler notre passé et notre avenir. Les pokémons sauvages qui vivaient sur nos terres ont été emmenés lorsqu'ils n'étaient pas tués... Il n'y a plus que nous, Pollux... Qu'allons nous faire, qu'allons nous devenir ? Nous avons cet abri. Nous avons des baies. Mais combien de temps pourrons nous tenir ? Quand reviendront-ils achever leur œuvre ici ? Même si nous pouvons les voir arriver d'ici, aurons nous la force de lutter ?

Après quelques minutes prostrée sur le sol à gémir, elle se relève et retourne à la fenêtre.
-C'est calme, mon Pollux. Beaucoup trop calme... Je m'attends à les voir ressurgir d'un moment à l'autre... J'angoisse de voir à nouveau la fumée noire s'élever et les flammes dévorer ce qui nous reste... Mais nous resterons ensemble Pollux. Jusqu'à la fin. Nous lutterons dignement, et nous leur ferons payer leurs crimes. Au plus grand nombre d'entre eux, même si le combat est désespéré. Tu es avec moi, Pollux ?
-Mangriff !
-Je savais que je pouvais compter sur toi, mon ami. Et s'ils ne reviennent pas...
-Mangriff ?
Le visage de l'adolescente devient dur, et elle serre maintenant les poings d'un geste de colère.
-Oui. S'ils ne reviennent pas, nous nous entrainerons. Nous deviendrons forts et c'est nous qui irons jusqu'à eux, porté par les ailes de la vengeance... Seul espoir d'une humanité condamnée face à ces monstres de cruauté... Chut ! Entends-tu Pollux ?

Soudain, tout devient silencieux dans le moulin poussiéreux. On pourrait presque entendre la saleté tomber. Puis une grande ombre apparaît derrière la porte et se faufile insidieusement à l'intérieur. Soudain figée, les yeux écarquillés, la jeune fille murmure d'une voix tremblante, en reculant légèrement et silencieusement de quelques pas :
-Ce sont eux, Pollux... Ils reviennent... nous ne sommes pas encore prêts...
Puis une voix se fait entendre de l'autre coté de la porte. Une voix forte, autoritaire :

-Yullis ! Tu es là ? Yullis, dépêches-toi de sortir de là !
Courageusement, l'adolescente sort, parée à faire face à son destin. Elle sait qu'elle n'y coupera pas. Elle va passer un mauvais quart d'heure. La voix n'est venue que pour elle, après tout...

-Yullis ! Combien de fois je t'ai dit de ne pas venir jouer dans cet espèce de vieux moulin délabré ? C'est dangereux ! Cette ruine pourrait s'écrouler à n'importe quel moment ! Et regarde Pollux, il est tout sale maintenant !
Prise en flagrant délit, la jeune fille regarde ses pieds d'un air accablé et marmonne :
-Je sais m'man... pardon m'man...
-Franchement... Tu ne peux pas t'amuser normalement avec les autres enfants de ton âge plutôt ?
-Mais m'man...je n'aime pas trainer avec eux... Ils n'ont aucune imagination...