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esPace de Ashenere



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Evaluation de Ramius

Expression


Ce n’est pas trop ce qu’on remarque le plus, mais je pense que la fic ne tiendrait pas debout si ton expression n’était pas à la hauteur. Tu as choisi de travailler avec une échelle temporelle compliquée pour un récit aussi court, et ça entraîne une myriade de pièges : la cohérence des temps, l’équilibre entre l’exposition et les dialogues, ou encore le risque de se répéter… Ce n’est pas pour rien que les bons textes étudiant ce genre de durée sont rares. Mais tu arrives à éviter tous ses pièges, parfois même à les retourner à ton avantage : je pense à l’insistance sur les multiples de cinq dans le chapitre 4, justement une répétition à laquelle tu donne du sens. Bref, je n’ai pas énormément à dire sur l’expression, mais elle ne présente aucun des défauts qu’on aurait pu craindre, et c’est une bonne surprise.

Tu utilise à une poignée d’endroits la nature algorithmique de la pensée de Porygon, l’exemple le plus frappant étant l’ouverture du chapitre 2. C’est une prise de risque assez modérée parce qu’elle ne dure pas longtemps, et qui permet déjà de suggérer que ça va être un Pokémon mignon d’ici à la fin de la fic… mais j’ai aussi l’impression que c’est un indice sur le teste du texte. On ne connaît pas explicitement les pensées d’Ada, mais la narration est plutôt aride et cela suggère qu’on a quand même droit à son point de vue, voire parfois à un peu de subjectivité.

Le dialogue de Porygon dans le chapitre 4 renforce ce soupçon, d’ailleurs. Je voudrais en profiter pour mentionner rapidement sa façon d’associer un concept à un autre, qui ressemble un peu à la programmation objet (où donner la propriété maison à l’objet hôtel consiste littéralement à écrire l’un un peu à côté de l’autre). Je n’ai aucune idée de ta familiarité avec l’informatique donc je en saurais pas dire si c’est volontaire mais pour le coup le parallèle est intéressant !

Un peu moins dans le détail, tu as plutôt tendance à utiliser des dialogues pour ralentir l’échelle temporelle quand tu te prépares à mettre l’ambiance sens-dessus dessous, même si ce n’est pas toujours les dialogues qui font ça. Il aurait été possible de rajouter quelques dialogues sans enjeu, des scènes un peu « intercalaires, » où l’histoire n’avance pas et où tout stagne mais où les personnages montrent un peu ce qu’ils sont : ça permettrait de rajouter un peu de développement et de rendre les dialogues utiles un peu plus surprenants. Ceci dit le but de l’histoire n’est clairement pas de surprendre son lecteur donc c’est secondaire ; je reviendrais quand même là-dessus à propos d’Ada.

Histoire


Je l’ai dit plus haut, c’est un joli coup de faire tenir quinze ans en six chapitres comme ça. Il est difficile de pousser le lecteur à s’attacher à une histoire qu’on pourrait critiquer comme proche d’un rapport succinct des progrès effectué au cours des années… et la façon dont tu fais ça est d’alterner régulièrement les hauts et les bas pour tes personnages. Un succès entraîne une déception ; un échec amène un espoir. Du coup l’humeur de la fic enchaîne les mouvements de balancier en cognant le lecteur à chaque passage, et c’est ça qui fait qu’on s’attache finalement à ce qui se passe. L’effet de style consistant à brutaliser le lecteur avec ce genre de changements d’ambiance n’est pas forcément difficile à mettre en place, mais les enchaîner d’une façon cohérente et à laquelle on ne s’habitue pas mérite d’être mentionné.

J’ai quelques points particuliers à relever. La dynamique de l’entretien d’embauche est très intéressante, tu as assez efficacement retranscrit la lutte cordiale mais acharnée que c’est. Ça aurait été un renvoi amusant de refaire le coup avec une réunion d’administration de la Sylphe, et je reviendrai là-dessus, ça n’aurait peut-être pas été de trop. Aussi, le chapitre 1 tout entier est une introduction en douceur à la dynamique temporelle de la fic : tu ne t’embêtes pas avec les questions générales de Nadzor et tu avertis directement le lecteur que tu as l’intention d’aller à l’essentiel. C’est une bonne chose de prévenir comme ça !

Du coup la Sylphe ; le terme du projet arrive un brin trop vite. Les scientifiques l’ont forcément vu venir, ça a littéralement dû être la plus grosse échéance de leur vie, et il n’a pris personne par surprise. Ils se sont battus pour obtenir un délai, ils ont juré qu’ils touchaient au but et qu’ils avaient juste besoin d’un peu plus de temps, et c’est l’annonce qu’on n’a pas l’intention de les écouter qui les écrase à la fin ; pas la fin du projet en elle-même. Je ne dis même pas qu’ils auraient dû le faire, je dis qu’ils l’ont fait, parce que rien d’autre n’est cohérent, et c’est un choix plutôt logique de ta part de ne pas l’avoir montré ou explicité parce que ça pourrait plomber un peu le rythme de la fin de l’histoire, mais je trouve quand même que ça aurait mérité d’être montré. Comme je le disais, peut-être présenter Ada faisant le boulot de Nadzor en réunion, et suggérer qu’elle s’est améliorée (ou pas).

Ensuite, il y a un petit nid-de-poule temporel au bout du chapitre 3 : tu repasses sur une narration un peu plus abstraite qui fait penser que l’échelle a repris du recul et qu’on voit des événements se déroulant sur plusieurs jours, mais non pas du tout, on reste autour de la minute. C’est sans doute pas évident de trouver un équilibre entre les deux échelles entre lesquelles la fic alterne, la distante et la rapprochée, mais ici on se retrouve sur la mauvaise et c’est un peu embêtant.

Enfin, je peux me tromper, mais en me basant sur le numérotage des prototypes (H IJ KL MN OP) je n’atteins pas tout à fait cinq ans pour la première phase dans laquelle Ada est impliquée. De même, avec ses deux ans d’ancienneté Madrek doit avoir rejoint le projet vers D ou E, ça serait peut-être pas mal de noter explicitement qu’il n’était pas là dès le début.
Ça je pense que c’est le paragraphe qui va chercher le plus loin dans le pinaillage, c’est vraiment du détail !

Personnages


Globalement, les personnages tiennent la route. Ils sont très esquissés, très effacés, on a des lignes globales et une poignée d’éléments leur donnant de la profondeur : l’origine de « Porygon » pour Madrek, l’amusante citation d’Ada sur le prix Nobel. C’est peu mais dans le cas de Madrek tu n’as pas eu besoin de plus.

Par contre c’est insuffisant pour Ada. Bien sûr, elle est effacée en tant que personnage, elle se dédie entièrement au projet et même s’il occupe moins de 40% de sa vie à la fin de l’histoire, on peut littéralement la résumer à « informaticienne pour esPace ». Et ce n’est pas un mal en soi ! On peut absolument se lier avec le personnage et être triste en voyant tous ses efforts être réduits à l’inutile par la Sylphe. Mais je pense qu’elle aurait mérité une peinture un peu plus explicite, quelques détails de plus. Y a-t-il eu un soir où elle a entendu sonner son téléphone pendant qu’elle travaillait, l’a regardé, et puis s’est détourné ? Qu’est-ce qu’elle a sacrifié, avec quels regrets ? Je ne parle pas de beaucoup de détails, juste une ou deux scènes qui n’auraient pas été reliées à l’intrigue (une fois de plus) et assez tôt dans la fic. De fait on a pas mal de matière à la fin, mais autour du chapitre 4 par exemple c’est un peu insuffisant. Dans le même ordre d’idées, ça aurait été bien d’avoir un aperçu entre son enthousiasme au début du projet et l’état d’esprit plus sec qui lui fait soulever tout de suite les projets cinq ans plus tard.

L’échelle de la fic donne naturellement l’impression qu’elle est courte et tu as su louvoyer autour de cet écueil, mais je pense que rajouter une poignée de traits sur Ada t’y aurait aidé. C’est à mes yeux le détail qui aurait le plus bénéficié à la fic dans tout ce que je soulève, parce que vu comment Ada s’implique totalement dans le projet, ça aurait impacté et bonifié toute la fic.

Très ironiquement, le personnage le plus développé est Porygon. En première lecture je m’étais demandé s’il n’était pas le protagoniste plutôt qu’Ada (deux lignes avant qu’elle ne finisse en prison, et je ne te cache pas que ce changement d’ambiance est pour moi le plus puissant de la fic). Tu utilises sa candeur étrangement automatique pour introduire des thèmes philosophiques assez profonds, et tu as choisi de ne pas t’encombrer à les traiter trop en profondeur : c’est pour le mieux, la fic aurait eu du mal à l’avaler. Ça n’empêche pas du tout le lecteur de se creuser la tête un instant, une petite tangente qui apporte à la fic autant que les lignes de code-surprise. Et naturellement, il y a la petite morale fournie par Ada à la fin, qui touche juste et pourrait sans doute être méditée un bon moment.
Soit dit en passant, bien joué pour avoir mentionné presque tout ce que le Pokédex dit de sa famille. (Je reconnais que la terraformation, c’était impossible à caser !)

Avis


Tu es déjà à un doigt du Panthéon, et pour une seconde fic, c’est assez impressionnant ! J’ai vu un petit peu trop de points qui auraient pu être améliorés pour l’atteindre, mais je pense que tu n’as d’ores et déjà plus besoin de mes conseils et que tu l’atteindras la prochaine fois. En tout cas, c’est toujours un plaisir de lire tes fics, parce que tu arrives à faire quelque chose de très touchant à partir d’un élément qu’on aurait eu vite fait de négliger. Alors à la prochaine !

6 chapitres lus, évalué en 10/2022

Note : 17.6 / 20