Kaminari no Kage de Raidemo

Basho s'en était sorti sans peine. Les gardes l'avaient raccompagné aux dortoirs et le jeune garçon attendait maintenant le retour de son ami. Les heures passèrent sans que l'enfant s'en aperçoive, une sonnerie aiguë le sortit brusquement de son état de somnolence. Les gamins sortirent tour à tour de leur lit en gémissant, aucun d'eux n'avait suffisamment dormi ; leurs visages pâles
aux yeux cernés les faisaient ressembler à des spectres errants. Un homme entra dans la chambre et leur fit signe de le suivre. Les silhouettes inhumaines à la démarche chancelante s'engagèrent dans le couloir glacial.
Basho suivit le cortège enfantin jusqu'à la grande cafétéria en jetant des coups d'œil autour de lui dans l'espoir de distinguer Buson parmi cette foule de somnambules. En vain. Les pieds nus des enfants claquaient sur le carrelage gelé du self. Cinq gardes s'employèrent à placer les mioches sur différentes tables. Des plateaux remplis de bonnes choses leur furent apportés. Les visages
des gosses s'illuminèrent, ils se mirent à croquer à pleines dents dans les croissants chauds tout en avalant goulûment leur lait chocolaté. Les hommes en noir observaient cette masse d'où s'échappaient des rires joyeux. Leurs regards froids allaient d'un gosse à l'autre, ne s'attardant sur aucun de ces êtres frêles et piaillants. Du bétail, rien de plus.
_ Hé, toi ! beugla l'un garde, manges !
Basho sursauta, le type le fixait d'un regard dépourvu de sentiments. Le jeune garçon attrapa un croissant et en arracha une bouchée. Il se mit à mâcher frénétiquement en attendant que le garde détourne les yeux pour retourner à son spectacle sans intérêt. Il reposa le petit pain entamé pour examiner l'enfant qui lui faisait face. Il était bien plus jeune que lui et avalait à toute
vitesse tout ce qui lui tombait sous la main, sa bouche était cernée de chocolat et ses mains couvertes de miettes. Le mioche s'apprêtait à croquer dans une nouvelle pâtisserie lorsqu'il s'arrêta en s'apercevant de l'intérêt qu'on lui portait. Il avala bruyamment sa dernière bouchée et lança au garçon qui le dévisageait d'une petite voix :
_ Faut manger sinon tu vas être puni...
Basho observa le petit garçon joufflu au regard innocent. Il ne put s'empêcher de lui sourire.
_ Tu t'appelles comment ?
_ Miko, j'ai quatre ans.
Tout en parlant, le marmot lui montra sa main crasseuse dont le pouce était replié pour illustrer ses paroles. A cet instant, une porte claqua. Quelques enfants levèrent la tête pour voir ce qui se passait, mais la plupart continuèrent de se bâfrer. Basho déglutit en apercevant la grosse brute de la veille traînant son compagnon titubant. Buson n'était plus en état de marcher et le garde dut le conduire jusqu'à la table où il le lâcha violemment. Puis l'homme se tourna vers Basho, son sourire sadique était toujours présent.
_ T'as bien de la chance qu'on ait pas de temps à perdre, j'me serais bien occupé de toi à ma façon, gamin.
Sur ce, le garde tourna les talons et se dirigea vers la porte par laquelle il était entré. Basho se jeta sur son ami pour l'aider à s'asseoir, ses vêtements souillés par le sang se collaient contre sa peau humide et ses membres tremblants l'empêchaient de garder l'équilibre. Miko se mit à pleurer à chaudes larmes à la vue de ce spectacle, il abandonna son croissant pour cacher ses yeux
derrière ses mains sales en gémissant. Basho vint se placer sous le bras du garçon blond pour le soutenir et lui proposer un peu de nourriture. Buson repoussa le petit pain qu'on lui tendait et posa un objet sur la table. Il sourit à son compagnon en lui montrant discrètement qu'il s'agissait de la pokéball contenant l'Airmure. Stupéfait, le garçon lui lança un regard interrogateur.
_ Ces...abrutis... me l'ont laissé, parvint-il à articuler.

La journée fut épuisante. Les mioches furent soumis à une série d'entraînements tous plus durs les-uns que les-autres. De plus, Basho dut travailler pour deux en aidant son ami à suivre la cadence effrénée des exercices. Finalement, le groupe d'enfants harassés fut abandonné aux dortoirs pour la nuit. Basho s'effondra sur son lit en haletant. Il attendit quelques minutes puis se redressa pour voir si Buson avait réussi à s'installer ; il fut rassuré de constater que son ami avait pu atteindre son lit et dormait
profondément. Il chercha Miko des yeux et l'aperçut, assis dans un coin du dortoir. Le jeune garçon se leva difficilement et se dirigea vers l'enfant. Il s'agenouilla prés de lui et vit qu'il était à nouveau en pleurs.
_ Qu'est-ce qui se passe ? Tu t'es fait mal ?
Miko leva son visage trempé par les larmes et dit en sanglotant :
_ J'ai fait pipi...
_ Euh... mais c'est pas grave. Viens avec moi aux toilettes, on va nettoyer ça.
Le petit garçon essuya ses larmes et acquiesça.