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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 18/10/2015 à 15:01
» Dernière mise à jour le 31/12/2018 à 11:04

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 21 : Télescopage
Coucou, voici le chapitre d'Octoooobre.

Plein de bisous pour vous.

EDIT : ai-je mentionné que grâce à un merveilleux ami, j'ai pu télécharger des jeux Pokémon sur ordinateur (pour dire élégamment la chose) et que je joue à N2 depuis le début de la semaine dernière ? Inutile de préciser que j'ai dépassé le stade des héros depuis longtemps. o/ Bref que du bonheur XD


(L'impensable)
L'escalier du nouvel appartement. Tout blanc, et propre, et lumineux. L'immeuble respirait le neuf, il était beau et bien décoré, il était luxueux. Lui se sentait comme un étranger, une ombre noire.

— Rixi ?

Il avait toqué. Elle avait ouvert. Sa frimousse ronde était à moitié éclairée dans l'entrebâillement de la porte, ses cheveux roux se parant d'or.

— J'ai besoin de... j'ai besoin de rentrer...

Elle le mena à son canapé en un acquiescement inquiet, et il se lova dans les coussins rouges. Elle l'embrassa, l'embrasa, du regard. Au bout de quelque temps, elle partit faire du thé. Rixi était complètement vidé. Le soleil se couchait au-delà de la fenêtre, il y avait aussi des klaxons, des cris, tout un monde en branle. Mais dans le salon rien ne bougea. Et elle, ne lui posa pas de question. Elle avait toujours été comme ça.

Le thé est posé devant lui. Il étouffa un sanglot.

— C-Carolina.

Elle sourit assez tristement, et posa ses yeux bleus sur lui, touillant son Pearl Grey. Il se releva difficilement, et tendit ses bras vers elle, attendant qu'elle les prenne, puis la serra si fort... mais il n'arriva pas à pleurer.

— Carolina.

Il trembla, ses muscles tendus, lui firent si mal, mais aucun moyen de pleurer, de se relâcher, il étouffait et brûlait à la fois...

— Rixi... souffla-t-elle, lui caressant doucement la tête, la nuque.
— I-Ils pensent que j'ai t-tué San, hoqueta-t-il.
— San ? sa voix était perdue.

... voix perdue ? Elle avait encore oublié San ? Brusquement, le seul contact avec Carolina l'écorcha, et il fut saisi de fureur, il la repoussa, il s'énerva.

— Tu ne te souviens plus de San ? siffla-t-il d'un air dangereux tandis qu'elle le dévisageait, s'éloignant vivement de lui.
— ... Non. J'essaie juste de savoir pourquoi tu es suspecté de meurtre.

M-Meurtre. Non. D'un coup Rixi fut paralysé. Une terreur, glaciale, s'insinua en lui à travers sa gorge, il inspira à grands coups. Rien que l'idée de San... rien que l'idée de San étendue à terre... morte... Rien que d'associer cette image à lui-même, à ses mains, était repoussant ! Lui – tuant – San, une combinaison de mots impensables, c'était impossible c'était...

— N-Non, balbutia-t-il, stupéfait.

La police ne l'avait pas suspecté en tant que tel, la lieutenant Varese ne l'avait pas arrêté... mais sa garde à vue s'était prolongée, mais les questions effleuraient le pire pour qu'il craque... les regards qu'on lui portait étaient étranges. Les mots discrets qu'ils entendaient à son sujet, glissé dans l'entrebâillement d'une porte, ne permettaient pas de doute : « il est fou ! ».

Carolina vint l'entourer de ses bras, encore. Il lui relata tout. La disparition, son attente. L'entretien au commissariat. Elle écouta en silence.

— Et ils disent qu-qu'elle... n'a j-jamais existé.

Toujours son silence. Rixi attendit que sa respiration se stabilise, contemplant une grand-mère étendre son linge à son balcon, dans l'immeuble d'en face. Il se sentait déjà plus fort.

— Elle n'aurait pas pu quitter le pays en avion, hein, Carol' ?
— Pas sans passeport, confirma doucement la Championne.

Un nouveau silence plus léger. Il se sentit épuré de craintes, de soupçons qu'il n'avait jamais osé s'avouer : que San l'ait quitté volontairement. Sauf qu'à présent se posait une nouvelle question... si San n'était pas partie de son plein grès... alors, où était-elle ?

— Rixi, débuta Carolina, prudemment, détournant avec gêne ses yeux bleus. Es-tu bien sûr que... San n'a pas... une autre identité ?

Il la dévisagea sans comprendre.

— Qu'est-ce que tu racontes ? et les yeux de Carol' se parèrent d'un gris d'acier.
— Je te demande, reprit-elle avec plus d'aplomb, si San ne t'a pas menti, si elle ne t'a pas manipulé. Ne l'as-tu jamais vu avec un passeport, un permis de conduire, une carte de crédit ?
— San ne conduisait pas, répondit-il. Sans intégrer les paroles de son interlocutrice. Sans comprendre.

San ne payait jamais pour rien, non plus.

— Mais COMMENT est-ce que tu peux ne serait-ce qu'insinuer une chose pareille ? explosa-t-il d'une voix suraiguë et douloureuse. Comment tu peux dire ça ? On s'aimait merde ! On s'aimait je...

Un doute atroce le saisit, une fois la colère retombée. Le courroux pouvait repousser les questions un temps... mais ils revenaient, toujours. Ils frappaient dès le vide installé. La légèreté précédente se dissipa en un souffle acide, remplacée par une lourdeur poisseuse et puante. Sa voix s'éteint.

— Tu sais, Rixi, intervint gentiment Carolina, parfois, on tombe sur des gens un peu étranges... et ce n'est pas de notre faute...

Le soleil se couchait toujours au-delà des toits en flammes, dehors. Un ricanement amer échappa aux lèvres de Rixi, tremblant.

— Tu sais quoi Carol'... elle avait même des sortes de pouvoirs... il énonçait cette conviction, qu'il n'avait jamais explicitée auparavant, d'un air songeur. Mais Carolina à ses côtés se ferma immédiatement.
— Rixi.

Il se tendit.

— Tu m'crois pas. Cette fois son ricanement était plus fort... plus acide... plus méchant. Tu m'crois même pas. Après toutes ces leçons sur la liberté et l'ouverture d'esprit, tu ne me crois même pas ! Mais quelle hypocrite !

Rixi se leva, il n'en pouvait plus, toute sa colère revenait et il sentait, il sentait qu'elle blessait Carolina, alors il tenta de la passer en faisant les cent pas et frappant un poing douloureux contre la vitre, mais rien à faire la fureur était écrasante, en ébullition, elle ne voulait pas partir elle brûlait !

— Elle est passé OÙ la Carolina que j'ai CONNU ? Depuis quand t'as autant, t'as autant CHANGÉ HEIN ? HEIN ?
— Depuis que je grandis, siffla la réponse de la championne, dure et implacable.

Elle se leva, lui attrapa le bras d'une poigne d'acier, et le poussa vers la porte. Ses yeux, étaient cernés, il remarqua pour la première fois qu'elle était maquillée, coiffée, en tenue de soirée, une longue robe brillante... sans doute attendait-elle Thomas. Celui qui l'avait remplacé.

— Si tu veux savoir elle est meilleure au pieu que toi ! cracha-t-il violemment mais elle poussa dehors et eut l'air le moins affecté au monde.
— Rixi, je commence à douter l'existence de ta « San ».

Et elle claqua la porte.
Il s'écroula.

Non, San n'était pas meilleure au pieu, en plus... un hoquet. Mais il l'aimait. Pourquoi était-elle partie, alors qu'il l'aimait ? Il allait même la demander en mariage quand... q-quand elle avait disparu...

— J... j'te retrouverai hein...

Oh oui il... Il allait partir à sa recherche...


(Un premier grain dans le sablier...)
Le couloir n'était pas blanc comme dans les téléfilms. Les murs étaient peints en rose et vert pastel. Le carrelage revêtait des teintes grises. Et les sièges matelassés étaient cousus de marron.

Seuls les néons envoyaient cette couleur trop pure, inhumaine.

Élineera Hei ne supportait pas d'être assise trop longtemps, alors elle faisait les cent pas dans le couloir. Ses yeux ne pouvaient se lever assez pour affronter les regards de Mélis et Syd, elle fixait ses pieds et serrait ses poings, elle ne voulait pas affronter ce problème.

C'était la première fois qu'elle mettait le pied dans un hôpital. Pourtant...

L'odeur des antiseptiques et de la Bétadine, de tous ces médicaments pompés en intraveineuse, la désarçonnaient et l'angoissaient. Les couleurs neutres des murs, censés calmer le visiteur, ne faisaient que braquer la gamine. Pourquoi ? Elle n'avait pourtant aucun mauvais souvenir lié à ces bâtiments ou au corps médical en général, le docteur qui les visitait quand elle était petite avait toujours déclaré que la gamine avait une santé de fer, une véritable santé de Pokémon ! Élin s'était certes pris une piqure dans les fesses une fois, après qu'elle ait déclaré avoir mangé un peu de Sorbouboul...

Mais cela ne pouvait justifier l'angoisse, voir même la peur qui glaçait ses entrailles dès qu'elle risquait un coup d'œil plus loin que ses pompes... Seule la figure de Syd la calmait un tant soit peu… et encore.

Le concerné la fixait avec un sourire de son cru, un de ses rictus serrés mais tendres. Lui connaissait tous les codes de l'Hôpital, il y avait accompagné Otis si souvent... l'institut ne lui laissait qu'une impression d’amertume, un déplaisir auquel il s'était habitué au fil du temps. Son grand-frère n'avait jamais laissé filtré de trouble. Alors Syd s'était efforcé de l'imiter.

Aujourd'hui il aurait pu rassurer Élineera Hei, mais il pensait à la Team Plasma et au rendez-vous qu'il avait le lendemain. Aujourd'hui il aurait pu rassurer Élineera, mais il ne devait pas l'accoutumer à compter sur lui, il ne devait pas s'impliquer. Tous s'étaient déjà trop attachés de toute manière...

Cette décision avait été bien plus simple à prendre au creux de la nuit qu'en plein jour. C'était plus facile de se rappeler qu'il l'avait trouvée infernale par le passé, que de la traîner hors du lit avec le sourire de l'habitude... que d'anticiper ses répliques piquantes en levant les yeux au ciel...

— Comment tu fais pour rester assis ?

Elle lui lançait ces mots avec un ton de reproche, sa frimousse arborant cependant un sourire malicieux. Aha. Encore à le provoquer. Il ne pouvait pas savoir qu'à cause de Black, Élin éprouvait une peur viscérale du silence. Il ne connaissait pas la profondeur de ses liens avec White, l'admiration sans borne mêlée de peur qu'elle vouait à la patiente de la chambre numéro cinq.

— Contrairement à toi, certaines personnes aiment tenir en place.

Lui répondre parmi les vapeurs de Bétadine et les tons pastels l'ébranla. La blonde était une note discordante dans l'univers familier de l'Hôpital, son collier de Pièce Rune, ses prunelles noirâtres les éclats d'une anomalie. Otis ? Où était Otis ?

Malgré le ton bon enfant de leur conversation, il grogna et se prit la tête entre les mains. Détourna le regard. Et en l'absence de ses yeux, le sourire d'Élin qui avait semblé si vrai se serra faiblement, l'anxiété suintant par les coutures.

— Pfft ! Le monde appartient à ceux qui agissent, de toute manière ! répliqua-t-elle d'une voix légère.
— Tu t'es trompée d'expression, mais cela ne m'étonne plus tant que ça... répondit-il de son côté.

Sa voix ne dépassa pas le marmonnement. Il était déçu. Il n'arrivait pas à se concentrer Otis, des pensées parasites ne cessaient d'interférer, des questions sans rapport. Est-ce que Mélis dormait vraiment tout le temps ? Là, il ronflait. Ça allait être coton dans le désert. Où en était Oscar avec ses parents ? Il n'avait pas eu l'air content d'aller les voir. C'était vraiment bizarre. Syd, quant à lui, avait toujours été heureux de voir ses parents... Auparavant c'était les seules personnes qu'il chérissait, à l'école il avait noué des liens superficiels avec quelques filles mais les garçons ne l'avaient jamais intéressés, toujours à faire les cons ou à embêter les autres en bandes organisés.

— Monsieur, les enfants, vous pouvez rentrer.

Les adolescents concernés sursautèrent malgré la voix douce de l'infirmier, leurs prunelles si différentes se fixant sur l'intrus, une grande gigue au teint cireux. Puis les regards coulèrent vers Mélis, qui n'avait pas bronché et peinait à contenir une coulée de salive au coin de ses lèvres.

— Euh... monsieur ? Ça va ? s'enquit le professionnel, mal à l'aise, se penchant sur le jeune adulte inconscient.

Il effleura une paupière de ses doigts fins, peu méfiant, mais soudainement le dresseur légendaire sursauta et poussa un cri suraigu.

— AhAAH ! M-Qu'est-ce que vous faites sur moi ?

Brusquement l'infirmier se recula, piquant un fard sous les pouffements d'Élin. Effectivement son visage s'était tenu à deux centimètres des lèvres de Mélis, juste assez pour que l'auscultation désintéressée puisse être mal interprétée. D'ailleurs le jeune adulte se redressa et lança un regard noir à l'infirmier.

— Je ne joue pas dans cette équipe, monsieur, affirma-t-il d'un ton froid au professionnel, qui ne devait pas avoir un an de plus que lui.
— E-Eh bien... rétorqua le concerné, rouge. Il n'y aucune honte à être hétérosexuel, vous savez...

Élin ricana malgré son trouble, et cette fois ce fut à Mélis de piquer un fard si violent qu'il tourna au violet. Le dresseur légendaire grogna et repoussa l'infirmier en se levant—soit dit en passant, avec une énergie atypique—, se dirigeant vers la salle numéro cinq.

— Bon ça va, on peut la voir ?

On le fixa comme un Ramoloss qui aurait théorisé la Relativité Générale.

— Ouah Mélis tu bouges... lâcha Élin, faussement choquée. T'es sûr que t'as pas chopé le même truc que White ?

Malgré le regard orageux et les vives protestations du concerné, l'infirmier parvint à caser un « elle est stable, mais pas réveillée », ce qui valut de nouveaux débats sur si l'on devait ou non la déranger. Finalement le parti de la visiter quand même l'emporta, et Élin fut traînée pieds et poings liés dans la salle, toujours aussi mal à l'aise sans pour autant savoir pourquoi.

White reposait sur un lit de cette couleur pure et agressive, la couleur qui portait son nom. Sa tignasse châtaine s'étendait en rayons raides autour de son visage tendu. Elle fronçait les sourcils dans son sommeil, comme si elle était secrètement éveillée, comme si elle était en colère.

Élin se figea et frissonna, à peine consciente de la poigne de Mélis.

— Rhoon mais qu'est-ce qui t'arrive ce matin... gémit le jeune homme en tirant vainement, ayant vraiment l'impression qu'Arceus lui était tombé sur la tête.

Puis Syd poussa Élin par derrière, et elle s'écroula dans une chaise mise à côté du lit.
Mélis regarda sa main vide, Syd, puis la gamine docilement assise. Et Syd.

— Oui, c'est comme ça qu'il faut s'y prendre, souffla celui-ci, avec l'exaspération d'un éleveur professionnel qui voit un dresseur doucher son Pokémon Feu.
— Ahon.

Si White semblait furieuse, elle ne bougeait pas d'un centimètre, et le contraste entre la rougeur de ses joues, sa rigidité de cadavre... dérangeait profondément les visiteurs malgré leur calme apparent. Syd détourna le regard, essayant de ne pas se sentir concerné, le cœur lourd. Élin et Mélis pouvaient bien s'inquiéter, ils n'avaient jamais vécu des années avec une personne malade, n'avaient jamais eu à se réveiller au milieu de la nuit pour se précipiter à l'hôpital !

Petit, Syd tremblait à l'idée qu'un feu rouge leur fasse rater les derniers moments d'Otis, il criait pour que son père grille les feux rouges et sa mère lui criait dessus.

Et puis, et puis Élin et Mélis n'avaient jamais été témoins d'une crise ! Ils ne s'étaient jamais figés, impuissants tandis que les machines s'affolaient autour de leur être cher, perdus parmi les alarmes stridentes et les clignotements affolés ! Comme si Otis s'enfonçait dans la mort, comme si sa conscience se faisait aspirer vers le centre de la terre malgré le lit d'hôpital et malgré leur présence, comme si son âme les tirait avec elle et ne laissait qu'un immense vide dans leurs corps... Syd en avait fait des cauchemars...

Dégoûté, le dresseur s'approcha de l'unique fenêtre, contemplant avec résignation la maigre circulation d'une allée grise.

Mélis l'observa avec un soupir. Le dresseur était agacé de se trouver ici de si bon matin—dix heures trente quand même—mais Bianca avait insisté pour qu'il accompagne les mioches, soi-disant pour accomplir sa première tâche de gardien légal. Soi-disant parce qu'elle avait du travail. Pfft ! Lui aussi avait du travail d'abord, il... enfin il pourrait en trouver, du travail, si on lui accordait assez de sommeil... s’il en avait besoin…

Il avait déjà vu White dans ce lit, si malade. Sa « grande sœur » autoproclamée, celle qui œuvrait d'une main de maître pour le caser avec de belles nanas, qu'il refusait toujours, indifférent. Elle s'en amusait autant qu'elle s'en offensait, car il était son défi personnel, son œuvre d'art en quelque sorte. D'autres s'en serrait indigné, mais Mélis était trop apathique pour y trouver un inconvénient. White, indomptable, lui facilitait grandement la vie avec ses conseils et ses ordres...

Mais là elle était inconsciente. Une antithèse magnifique avec son caractère irréductible. Une contradiction assez injuste pour le mettre en colère, le plonger dans une fureur froide qui l'empêchait de dormir et le pourchassait jusque dans ses rêves. C'était fatigant, les émotions...

Épuisé, le dresseur s'écroula sur une chaise vert pomme, se prenant la tête entre les mains. Évitant White du regard. Évitant le problème, tout simplement.

Élin ne pouvait plus éviter le problème. Elle fixait sa « tatie » avec de grands yeux, s'abreuvait de chaque détail. Ses prunelles noires cherchaient un mouvement, un mouvement quelconque, mais la jeune femme ne bougeait pas, elle avait tout simplement l'air de souffrir—son masque furieux révélait la douleur alors qu’il existait pour la dissimuler. Car chaque proche de White savait que quand elle souffrait, elle cachait sa peine par de la colère.

Élin entretenait un rapport complexe avec sa tante « de cœur ». Elle l'admirait immensément, aurait tant aimé être comme elle, aussi forte, toujours à obtenir ce qu'elle voulait. Et aussi elle s'était avoué parfois, avec honte, qu'elle aurait préféré… qu’elle aurait préférée être élevée par White. Dans le bruit et non dans le silence. Dans la joie et non dans le calme. Dès cette révélation, l'enfant avait appelé sa tante tous les jours, avait essayé de passer le plus de weekends possible chez elle, sans oser lui révéler son rêve de grandir avec elle. Mais un jour la brune l’avait traitée de pot-de-colle. Ne comprenant pas, Élin lui avait demandé de déménager à Vaguelone de manière permanente. Bien mal lui en avait pris… la dresseuse légendaire l’avait brusquement cassée, déclarant qu'elle n'avait jamais voulu d'enfant… et ne voudrait jamais d'une gamine braillarde comme elle.

Élin était la fille de Black. Black aimait Élin et Élin aimait Black.
Mais ça ne suffisait pas.
L'enfant souffrait d'une blessure que l'adulte ne pouvait soigner.
Et cette douleur connue des deux n'avait jamais été discutée.

(Élin était contente que son père soit ailleurs, Élin était contente que son père la sache en voyage ; elle ne voulait qu'il revienne, qu'il mette fin à sa période de grâce, elle voulait que ce voyage de deux mois dure pour toujours et que jamais elle n'ait besoin de le confronter—)

— Tu devrais la toucher, trancha rudement Syd. Lui serrer la main ou quelque chose. Pour les personnes dans le coma, on sait jamais, c'est possible qu'elles nous entendent ou nous sentent.

Comme une simple remarque peut changer des vies.

Élin sursauta, ses pupilles légèrement dilatées volèrent un instant vers Syd avant de s'accrocher de nouveau à la poitrine presqu'immobile de White. Docilement, elle tendit sa main, et la serra autour du membre de l'adulte.

Mélis eut tout juste le temps de soupirer. Ce fut la seule chance qu'il eut de changer le cours de leur vie, avant d'être irrémédiablement entraîné vers leur Destin commun, enchaîné au futur d'Unys. Un seul soupir.

Et les prunelles de White s'ouvrirent brutalement au simple contact d'Élin, les iris d'un bleu électrique s'embrasant quand elles rencontrèrent la gamine blonde qui bafouillait, pétrifiée. La dresseuse légendaire releva vivement son corps superbe et musclé, tendant tous ses muscles, et se jeta vers l'adolescent, retenue uniquement par les intraveineuses plongées dans son abdomen.

Syd fit volteface, éberlué.

— W-Whi...
— LA RÉALITÉ N’A QUE D’IMPORTANCE CELLE QU’ON LUI ACCORDE !

Puis l'adulte lâcha un hurlement strident, ses ongles s'enfonçant profondément dans les avant-bras immobilisés d'Élin—elle semblait comme possédée, totalement aliénée. Des alertes perçantes retentirent dans toute la chambre à mesure que le pouls de la dresseuse légendaire s'affolait, toutes les machines paniquant, les intraveineuses sur le point de craquer.

Là ! Syd venait de se ruer sur la paire, il tentait vainement de desserrer les doigts de White des bras d'Élin, et criait à Mélis d'appeler l'infirmier mais l'homme était déjà dans le couloir—il pouffa d'un air incrédule—Un instant sa ressemblance avec Elsa frappa Syd et il se figea, l'esprit soudainement complètement ailleurs.

Cet instant crucial le fit rater la dernière réplique de White, la seule qui franchirait ses lèvres carmines avant que les ténèbres ne la happent de nouveau.

— Bientôt Élineera Hei sera morte.

Élineera Hei sentit White s'écrouler dans ses bras, tout juste retenue par les draps emmêlés autour de ses jambes, par les intraveineuses. La jeune fille fixa les prunelles incandescentes qui avaient entraîné les siennes se voiler, puis s'éteindre abruptement. La dresseuse venait de perdre connaissance.

Alors—une convulsion violente saisit Élin. Chaque cellule de son corps se tordit ; autour d'elle le monde se distordit. Comme si la chambre d'hôpital changeait de couleur, toutes les nuances saignaient pour se fondre entre elles et adopter des teintes plus étranges encore... d'un autre monde... ou était-celle qui hallucinait ? Un doute lancinant se faufila dans ses entrailles ; elle toussa brusquement, mais chaque goulée d'oxygène lui fila davantage la nausée. L'air avait comme changé de saveur.

On lui dit quelque chose d'important, une masse sombre la soutenait mais elle ne pouvait distinguer de propos cohérents parmi les borborygmes. Des silhouettes floues s'occupaient de White à présent, une de ces tâches plus claires se penchant vers elle, l'assaillant d'une voix qu'elle croyait reconnaître, comme ces prunelles grises et presque bleues qui la scrutaient... Le monde perdit son sens.

Oui, seule une chanson magnifique s'élevait parmi cet univers creux, une comptine légère qu'elle chantait depuis sa plus tendre enfance, depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvienne. Un chant absolu, rythmé par le timbre éraillé des machines et le souffle haché des humain, tempéré seulement par les pastels de l'hôpital...

La Chanson l'envouta doucement, et, enivrée, Élin en oublia jusqu'aux dernières paroles de White.
Bientôt tu seras morte.


(White Teeth Teens ou : Let's hope highschool ends!)
Elle s'approchait de leur table, serrant son plateau-repas jusqu'à en blanchir les phalanges. Elle était pâle ; ses iris outremer ne décollaient pas du sol, verts de nausée, gris de timidité. Un seul souffle et elle se sentait prendre trop de place, exposée ; un seul coup d'œil au-devant pour s'orienter, et elle croyait attirer des dizaines de regards moqueurs. Elle était terrifiée... et si elle auvait pu se fondre dans la foule bruyante d'adolescent, jusqu'à oublier sa propre existence, elle l'aurait fait. Cette recherche solitaire parmi les tablées complètes était son lot quotidien.

Ce jour-là, c'était un mardi. Elle portait sur son plateau marron du poisson-pané et de la purée. Et—son cœur palpita de soulagement. Il restait une place libre à leurs côtés ! Il restait une place libre ! On la fixerait moins aujourd'hui ! Elle n'aurait pas honte d'être seule... peut-être que les filles seraient gentilles... s'il-vous-plaît faites qu'elles soient gentilles aujourd'hui.

Puis, Elsa avait levé les yeux et s'était arrêtée comme foudroyée au bord de leur table.

Seule la moins populaire l'avait remarquée ; elle lui avait jeté un coup d'œil de vague répugnance. Deux autres—mais lesquelles ?—écoutaient une troisième parler, avidement. Elles buvaient goulument les paroles, se délectaient de leurs sens implicites, leurs yeux luisant comme des braises. Cette absorption totale dans la conversation, cet intérêt incroyable pour l’échange en devenait vulgaire, il en devenait répugnant....

Oscar ! Oscar souriait à la plus belle et l'invitait chez elle ! Sympathisait tandis qu'elle se plaignait de ses parents ! Ses iris verdoyantes passèrent sur Elsa, elle en lâcha presque son plateau, cœur bondissant à sa gorge... mais il ne la voyait pas.

Il ne la voyait jamais.

— Cool, en tout cas j'espère sincèrement que tu seras dispo' !

Dispo' ! Cet enthousiasme lui avait collé au tympan, à la langue qu'elle avait traitresse. Ce mot, ridicule hors de son contexte, s'était répété dans ses entrailles comme un écho monstrueux, focalisant toute sa rancœur et sa douleur. Après toutes ses années, il murmurait encore à son l'oreille, doux comme la rumeur d'un ruisseau... Dispo !

Aujourd'hui les quatre n'étaient que des ombres grotesques, d'archétypes qui n'incarnaient plus que son mépris. Ce souvenir humiliant n'avait plus de saveur. Cet Oscar n'existait plus. Cette Elsa non plus.

Rien.

Il était cinq heures, la plupart des collégiens et lycéens sortaient des cours, longeant une allée bordée de frangipaniers. Le microcosme du bahut, l’école de la vie se déversaient sur les trottoirs d’un monde cruel et chaotique, qui l’était cependant moins que la hiérarchie terrible qui régnait dans l’enceinte.

« RAH mais tu pourrais faire attention quand même ! Tu connais pas le verbe « toquer » ou quoi ? »

Incroyable. Et dire qu'après avoir ardemment souhaité une diction normale pendant treize ans, ses premiers mots libres avaient traité de sa nudité, de sa culotte. C'était vulgaire. Oscar avait été le premier à les entendre... sauf que finalement... est-ce que cette version attentive et gentille d'Oscar était plus réelle que celle inconsidérée et distraite de la cantine ? Elsa en venait à en douter. La saveur magique de ce souvenir, propre à la vie, s'en évaporait aussitôt qu'Elsa y goûtait...
Elle ne sentait plus rien...

Quatre filles s'approchaient d'Elsa, souriantes sous l'ombre des frangipaniers. La brune amère, la belle à la peau mate, l’insipide et la blondasse, analysa-t-elle platoniquement.

« — C-Comment ? Que veux-tu dire, tu... t-tu ne bégaies vraiment plus ?

Une nouvelle fois, comme si elle leur avait refilé son handicap.
Et elle s'était surprise à ricaner, un peu agressivement, avec une amère incrédulité.

— Non Papa... ça y est je parle normalement... tu avais raison, ce voyage m'a vraiment changée. »


À quel point ? Les filles s'étaient arrêtées à quelques mètres, étonnées. Elsa les survola brièvement, ne ressentant que le choc de constater que leurs expressions n'avaient pas changé d'un iota, qu'elles s'habillaient encore à l'identique. L'école n'imposait pas d'uniforme mais parmi les populaires, seuls quelques types d'ensembles pouvaient se porter sans scandale... c'était pathétique...

« — C-Ce voyage ! Et tu me parles juste de voyage ! Ne me mens pas Elsa, madame Lenoir m'as contactée dès l'attaque terminée, je sais que tu te trouvais sur le Ferry ce jour-là !

Daniel Hirata était un homme aux tempes grisonnantes qui approchaient de la cinquantaine. Employé de bureau, il passait ses journées à aligner des chiffres, et se levait six fois par semaines aux aurores pour se rendre au lieu de son travail. Sa vie était réglée au millimètre depuis la mort de sa femme, et il avait connu un immense bouleversement quand sa fille avait débuté son Voyage Initiatique.

Si l'on ne devait dire qu'un mot sur Daniel Hirata, on s'arrêterait à « soupe-au-lait ». L'homme était incertain, vacillant, incapable de désirs profonds comme sa fille, et totalement étranger à la volonté de fer propre à feu sa femme. Il s'emportait souvent dans des réflexions fastidieuses et alambiquées, pour s'embrouiller et oublier son point de départ. De fait, il était facilement manipulable par son patron ou sa famille...

Elsa Hirata le savait. »


— Elsa ?

La question sonna encore plus faux que dans ses souvenirs. Évidemment que c'était elle ! Qui d'autre ? Un fantôme... Et les filles portaient leurs lèvres serrées, une ligne de sang et de rouge à lèvre. Seule une paire—mais laquelle ?luisait de gloss rose, luisait ternement. De pâles copies...

— Oh Arceus mais c'est trop cool que tu sois revenue ! Comment se passe ton voyage ? Tu t'es fait des… amies ?
— Arceus, on a entendu dire qu'Oscar avait été pris dans le même voyage que toi !

Vraiment, de pâles copies d'humain. Il n'y avait rien d'autre en elles.

« — Je ne t'ai pas menti.

La phrase avait été énoncée froidement.
Elle poursuivit :

— Oui, je me trouvais sur ce Ferry durant l'attaque, comme l'indique la liste des passagers. D'ailleurs je suis très heureuse que madame Lenoir t'ait rassuré.

Et son père toussa maladroitement, ravalant un sanglot, il s'approcha d'elle en un mouvement malaisé. Dans sa contrée d'origine on ne s'enlace pas facilement...

Elsa le prit dans ses bras pour ne pas qu'il perde la face, pour y mettre les formes. L'enfant a besoin du parent, et pas l'inverse... Sauf que là, son père retenait ses larmes, dépassé par une situation incompréhensible, totalement étrangère à son quotidien réglé. Une situation qui impliquait son enfant.

— Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu as c-changé ma chérie...

Elle ferma les yeux, emportée dans cette étreinte aigre-douce, écho d'un autre temps. Elle se revoyait, âgée de sept ans, enlaçant son père dans une chambre d'hôpital morne.

— Je sais, Papa. Je sais. »


Une des filles s'approcha d'Elsa, en une esquisse maladroite d'enthousiasme—comment imiter l'enthousiasme ? Elle était trop prise dans l'étrangeté pour sourire correctement—Elsa ne rougit pas, elle ne bafouilla pas, elle ne se jetta pas à leurs pieds... la fille trouva ça anormal. Ses pas et ses paroles se tarirent.

Elsa la considéra avec méprit, ses fines lèvres rouges s'enroulant, dévoilant un rictus moqueur. Toutes les filles écarquillèrent les yeux.

« — On va te retirer de ce voyage !

Et soudain elle se dégageait de l'étreinte traîtresse, ses pupilles se contractant, son expression se parant de la férocité d'un ouragan.

— JAMAIS !

Il balbutia.

— Jamais tu m'entends ! Je vais continuer ce voyage, j'en ai besoin, c'est grâce à lui que je pourrais devenir plus forte, pas en restant à Volucité ! Tu voudrais me punir parce que j'ai été prise dans cette attaque ?

Il sentit la bise glaciale de ses paroles éteindre complètement les braises inquiètes qui l'animaient. Tout à coup, Daniel Hirata se sentit comme plongé dans un bain gelé. Sa fille. Les boucles mal-peignées, les sourcils froncés, les prunelles sauvages. C'était—C’était son enfant.

L'homme souffla, tout simplement dépassé.
— Mais pas du tout, c'est pour ta sécurité Elsa... tu ne peux pas parcourir les routes seule alors que la Team Plasma se réforme, tu n'as que treize ans !
Ses prunelles agitées s'aiguisèrent.
— Mélis Grey nous accompagne. »


Elle avait répondu à son père avec tant de conviction, poussée par une explosion désespérée, un brasier émotif. Le seul qu'elle avait ressenti depuis l'attaque, depuis ce matin où elle avait vomi son dégoût. Monstre. Elsa ne voulait plus y penser. Peut-être l'étreinte avec son père avait rouvert la valve de ses sentiments ? Pourquoi lui avait-elle crié son envie de continuer, alors que la vieille elle prévoyait déjà d'interrompre son voyage ?

— Je ne veux plus être dresseuse...

En un souffle acide.
Elle avait oublié où elle se tenait.
Mais une des filles réagit, frissonnant sous la caresse fétide des mots d'Elsa.

— T-Tu... mais Arceus Elsa, tu ne bégaies plus ! Tu parles comme une personne normale !

Les trois autres ricanèrent un peu pour camoufler leur surprise. Elles considérèrent Elsa d’un œil vaguement dégoûté, inquiètes sans le savoir pourquoi.
Le monstre, l'anomalie devant elles parut se figer à ces simples paroles, prunelles sombres adoptant une lueur prédatrice.

Revenir à l'Académie n'avait été motivé par un mépris latent... Ou peut-être Elsa voulait-elle entrevoir ce qui aurait pu être… Mais rien ne l’attendait dans ce bahut stérile. Rester à Volucité signifiait vivre avec la fange intellectuelle, ces collégiennes pitoyables. Tous ceux qui avaient pour unique fonction de se reproduire et de se croire dans une démocratie. Oui elle constatait qu'il n'y avait d'autre choix que de continuer le Voyage. Il fallait qu’elle s’accroche. Il fallait que tout rentre dans l’ordre et au plus vite—que White aille mieux, qu’Iris donne son feu vert, qu’Élin et Syd et Oscar se comportent exactement comme avant le Ferry. Ainsi tout serait parfait.

Oh, elle avait presque oublié les filles.
— Mais quelle perspicacité ! leur siffla-t-elle.

« — Tu... Elsa tu... tu n'es pas comme ça ma chérie, tu es une gentille fille et tu connais tes limites enfin...
— Je ne vois pas le rapport avec Mélis Grey.
— Je sais qui est Mélis Grey ! Il est très fort ! Mais qu'allez-vous faires si vingt Plasma vous attaquent ? Si tu es enlevée ? On ne peut pas tout prévoir—
— Ils n'ont aucune raison de nous viser particulièrement ! D'ailleurs madame Lenoir l'a compris puisqu'elle pense que Mélis suffit !
— Très bien !

Il revenait à la colère, se dégageait des courants troubles de ses pensées, tombait de l’échafaudage branlant de ses idées.
— Je veux parler à Bianca Lenoir ! »


— Vous savez... commença Elsa durement, regardant à peine les filles, tout simplement pas intéressée.

Ça y est—elle avait reconnu celle-qui-était-moins-appréciée, celle qui était un peu rouquine et qui tirait tout le temps la gueule. Elle n'était pas tout à fait en adéquation avec le groupe des populaires souriantes, toujours amère de se faire reléguer au rang de voisine d'Elsa. Cinquième roue du carrosse.

— Vous savez, je vous méprise. Elle marqua une pause, puis: Vous êtes vraiment trop connes.

Le mot vulgaire, dans sa bouche fine, prenait des allures distinguées. Il claquait d'autant plus. Le groupe ne s'empourpra même pas, assommé. Les quatre filles étaient pâles comme la mort.

— D'ailleurs, je ne sais même pas pourquoi je vous parle, médita Elsa. Ce n'est pas comme si vous pouviez vous rendre compte de votre propre bêtise.
— Mais qu'est-ce que tu racontes ! cracha la-moins-aimée. T'as juste les boules parce qu'on a jamais voulu de toi et maintenant tu reviens ramper, voilà ! S’il est si bien ton voyage, pourquoi t’es ici ?
— Elles se sont servies de ta personne pour m'exclure, répliqua Elsa. Comme ça elles se débarrassaient aussi de toi.

Une bourrasque. Les frangipaniers enveloppèrent le groupe et le monstre d'un nuage sucré, un parfum qui promettait l'Été. Elsa s'adoucit, sentant que vraiment, ce n'était pas la peine. Plus jeune, elle était timide, vulnérable, et elle avait été la proie de filles dans leur genre. C'était dommage... mais c'était comme cela. Et ce n'était de la faute à personne, car elles étaient vraiment trop bêtes, et elles ne perpétuaient que des schémas établis, inconsciemment appris pas des siècles entiers d'adolescents...

Toute la peur, la douleur de son enfance ressurgirent de ses entrailles pour se dissoudre parmi les frangipaniers.
Elle ferma les yeux et huma l'Été. Vœu de Voyage, de Désert.

— Au-revoir, Léa, Emma, Samira, Irène, leur dit-elle gentiment. Le mieux qu'on puisse faire, c'est s'oublier mutuellement.

Sous les injures d'Irène, les exclamations choquées des autres, Elsa disparut. Les frangipaniers l'entourèrent de leurs branches noueuses, fleurs toutes en courbes blanches. Sur les boucles noires de l'adolescent, de légers pistils d'or se répandirent, tombés d'un cœur jaune. L'odeur était saisissante, entêtante, comme la détermination qui animait Elsa à présent.

Adieu le passé, aujourd'hui elle pouvait façonner son Avenir. Elle partirait que son père le veuille ou non.


Yumeiideviantart

(La douleur n'est pas partie [Le sablier non plus])
Elle pesait sur son épaule, vacillant, sa masse chaude l'entraînant au détour d'un escalier en un élan un hagard. Évidemment, c'était quand ils ramenaient une Élin dans les vapes chez Artie que l'ascenseur de l'immeuble ultra high-tech bidule tombait en panne. Évidemment. Et la blonde à peine consciente souriait vaguement, ne réagissait pas aux remarques acides d'un Mélis épuisé—pour une fois que quelqu'un d'autre dormait et qu'il était éveillé, accomplissant tout le sale boulot !

Ce que c'était chiant, les gens endormis !—Syd serra les dents et s’empêcha de lui faire remarquer sa mauvaise foi—

Elle était un poids chaud, un sourire qui semblait timide, un air ailleurs. Elle se perdait dans le reflet en plexiglas des immeubles, sombres prunelles éclipsées par les rayons blancs du soleil. Comme si sa silhouette, si souvent animée d'une force surhumaine, de grimaces rebelles, s'effaçait doucement. Il ne la reconnaissait plus, titubant, elle se rendait complètement à son guide... à Syd.

Syd ne la reconnaissait plus.

Ça y est, sa dernière certitude s'était écroulée. Oscar et Elsa étaient chez leurs parents, Élin se taisait, Mélis les suivait partout...
... et il était agent des Plasma.

Tu parles d'un voyage foutu en l'air ! Franchement Syd avait du mal à y croire, il avait même du mal à réaliser qu'il utilisait le mot « foutu » ! Voilà qu'au moment où il se sentait bien, où ses amis allaient bien... voilà qu'une... attaque des Plasma leur tombait dessus et...

Paradoxalement, il n'avait jamais été aussi avancé dans la guérison de son frère.

Otis allait marcher et parler et manger et se laver et déféquer seul. Et il travaillerait il aurait une femme il aurait des enfants et des petits-enfants comme ça Syd n'aurait pas à en avoir, ça le faisait flipper.

Il faisait tout, tout pour Otis ! Et c'était le plus important, le principal, non ? La colère revenait, la colère qu'il avait toujours associée à l'accident de son frère, à l'Injustice.

Mais quand ils atteignirent le dernier pallier, Syd était vidé de toute son énergie, le cœur plombé et la gorge nouée, il—Arrête. Non. Non, il allait bien ! Il allait bien !

— Pff... pssch... haleta Mélis, s'appuyant lourdement contre le mur. Cin... cinquante-neuf...
— Plus qu'un... l'encouragea platoniquement Syd.
— C'est facile de dire ça... quand on a ton âge... siffla le dresseur en réponse.

Syd lui envoya un regard blasé.

— Vous avez vingt-deux ans.
— Ouououii et alors ? Il faut que je me ménage ! Aujourd'hui les jeunes, vous n'avez aucun respect !

Le garçon ne fit que lever les yeux au ciel, grognant quand Élin dérapa sur la première marche. Heureusement il put la rattraper, et ils poursuivirent leur ascension hésitante... Chaque bout de carrelage gris qui défilait sous leurs pieds redonnait un peu de courage et de force à Mélis ! Enfin ! Bientôt ! Bientôt, le calvaire se terminerait !

— Ouf... souffla-t-il une fois arrivé à l'étage d'Artie.

Le jeune adulte s'appuya contre un des murs, la cage thoracique en feu, diaphragme se contractant spasmodiquement. Décidemment, il vivait dangereusement... réveil à huit heures et soixante étages à pied... Si ses anciens profs de sport étaient au courant, ils feraient une crise cardiaque à coup sûr...

— J'ouvre la porte, d'accord ? soupira Syd qui se traînait toujours Élin.

La gamine sourit d'un air béat tandis qu'il fit jouer la clef dans le verrou, un air frustré imprimé sur le visage. Voilà que la serrure faisait de la résistance, et qu'Élin tanguait de plus belle, menaçant de s'écraser sur le sol ! Si sa tête heurtait le carrelage il ne donnait pas cher de ses neurones ! Déjà que...

Ça y est, Mélis s'était endormit contre le mur et glissait lentement à terre, de la bave s'écoulant du coin de sa bouche.

— Et merde...

Jurant de nouveau—décidemment, Élin était une bien mauvaise influence—il attrapa sa charge blonde et l'aida à s'asseoir. Malheureusement elle était si lourde que l'« aide » apportée ressembla plus à un dérapage contrôlé et c'est finalement la tête de Syd qui heurta le carreau.

— MERDE !

Il s'appuya difficilement sur ses coudes, tempe droite le vrillant. Il voyait triple... Mais il était sûr que Mélis venait de le regarder en coin, là...

— Rah mais faut vraiment que je m'empêche de jurer... eh vous, aidez-moi !!

Cependant leur « gardien » ne bougea pas d'un iota, lâchant à la place un sublime ronflement. De son côté, Élin souriait toujours. Béatement. Non, Syd n'était vraiment pas aidé ! Serrant les dents, il ravala un dramatique sanglot et se traîna vers l'endroit où il lui semblait que les clefs étaient tombées.

Cependant il avait beau palper le froid carrelage, il ne trouvait rien d'autre que poussière et restes d'emballage... Son corps entier se crispa, parcouru de sueurs froides. Voilà, il était finalement tombé aussi bas qu'il le pouvait. Sbire Plasma, à quatre pattes sur un pallier public, abandonné par son « gardien » et par son amie hyperactive-mais-dans-les-vapes.

Vraiment, il avait dû faire quelque chose de terrible comme tuer cent bébés Ponchiot pour mériter une situation pareille.

— Raaah...

Ses yeux dérivèrent jusqu'à la frêle silhouette d'Élin. Il ne s'était jamais rendu compte combien son corps pouvait être fragile, alors que son âme était si forte... Mais elle détestait marcher, s'essoufflait vite, et subissait ce malaise nerveux... peut-être était-elle asthmatique, ou quelque chose dans le genre ? Pas possible, elle leur aurait dit...

Quoiqu'il en soit, elle allait mal. Et Syd s'était juré que ses proches pourraient toujours compter sur lui. Il s'était convaincu que sa personne n'avait aucune d'importance, comparée à celle d'êtres courageux comme Otis. Syd, après tout, était juste un gamin normal. Banal.

Il serra les dents, pensa qu'Élin avait besoin de repos, c'est ce qu'ils avaient dit à l'hôpital. Alors il se releva, et se traîna le long du mur, enjambant maladroitement Mélis pour atteindre la porte d'Artie. Son index hésitant alla frapper la sonnette.

Ses pensées dérivèrent...

— T'as pas les clés ?
— AH !

Il sursauta, rougissant tandis que la porte dévoilait un Matis inquisiteur. Ce n'était que lui... Lentement, le cœur de Syd se calma, et il parvint à articuler avec embarras :

— Non, j'ai perdu le seul jeu que l'on possédait...

Des yeux d'un gris implacable le balayèrent vivement, recueillant chaque détail derrière une tignasse sombre. Le jeune homme acquiesça d'un coup rapide de tête, et Syd fut saisit par l'impression de brusqueté que dégageait sa silhouette tendue, ses prunelles vibrantes.

— Comment va White ? le questionna Matis. Cependant Syd eut à peine le temps de répondre que les yeux du dresseur se plissèrent dangereusement. Mélis est pas avec vous ? J'l'ai cherché partout hier.
— Ah... il dormait, je crois... répondit Syd, déboussolé. Enfin, là il est avec nous, il s'est endormi juste dehors. Cependant c'est Élin qui a besoin d'aide—

Matis n'enregistra même pas sa phrase. Il prit tout simplement un air furieux, dégagea le gamin de l'entrée, ignora Élin, et localisa un Mélis somnolant. Le temps se cristallisa tandis qu’il le foudroya sombrement des yeux. Un bond, et il attrapait le dresseur par le col, muscles se bandant brutalement.

— Le temps n'a rien changé, siffla-t-il. T'as toujours la technique pour te casser au bon moment !

Il revoyait ces années de voyage défiler, Mélis s'esquivant dès qu'il fallait faire la vaisselle, ou nettoyer la caisse des Pokémon aux Centres. C'était toujours Matis ou Écho qui se tapaient le sale boulot ! Et la flemme monstrueuse du « petit-frère » de White semblait pire encore, quand il s'endormait devant les Plasma, baillait en acceptant un Badge d’Arène ou se défilait de toute conversation gênante ! Pourtant Mélis avait vaincu la Ligue, pourtant Mélis n'avait jamais eu à gérer les conséquences de ses actes.

— J'vais t'en faire voir des conséquences, cracha le brun, appuyant de tout son poids contre la gorge de son ancien compagnon.

C'était juste trop injuste !
Et l'injustice, Matis, ça le faisait enrager !

— B-Bon... souffla difficilement le coupable. Qu'est-ce... que j'ai fait... encore…

Élin s'était écroulée, trop ailleurs pour comprendre ce qui se jouait. Et Syd fixait la scène sans oser respirer, plongé dans une fascination morbide de cette violence... cette violence qui trouvait un écho dans ses souvenirs, dans son avenir.

— Qu'est-ce que t'as fait ? ricana Matis, ricana encore. Mais rien ! Rien justement !

Cela faisait deux jours qu'il marinait, cherchant Mélis dans l'appartement, tournant en rond comme un Trioxhydre enragé. Depuis le départ d'Écho il ressassait toutes les méchancetés qui s’étaient dites dans le « Groupe », la bande de White, toutes les fois où il avait vu des larmes furieuses briller dans le regard de son amie. Elle les avait fui. Elle les avait carrément fui jusque dans une autre région.

— Je comprends pas... souffla Mélis, qui sentait la pression sur sa gorge se relâcher. Il anticipait une distraction de Matis, Matis s'emportait toujours trop. Il fallait qu'il saisisse la distraction. Dis-moi... c'que j'ai fait...
— Tu sais où est Écho au moins ? répliqua amèrement son agresseur, secouant déjà de la tête car il connaissait la réponse de Mélis.

Non.

Mais pourtant le dresseur cherchait, fronçant les sourcils. Quand l'avait-il vu déjà... ? À la toute fin de l'attaque peut-être, avant que Bianca ne lui ordonne d'accompagner White à l'hôpital... Oui ce devait être ça ! Alors elle était toujours dans l'appartement d'Artie, non ? C'était logique, pas vrai ?

— Dans sa chambre... souffla-t-il difficilement, priant, espérant follement que ce serait la bonne réponse, et qu'on pourrait enfin le laisser tranquille.
— Mauvaise réponse ! trancha Matis.

Et l'expression de Mélis s'assombrit, revêche. On lui parlait comme ça ? Eh bien Matis était con de ne pas remarquer à quel point sa prise était fragile ! Le dresseur châtain, contrairement au brun, savait se sortir de situations épineuses, il s'y était habitué pour mieux gruger du sommeil et de la tranquillité. Il ne se laisserait pas intimider.

— Alors où ? répliqua-t-il calmement, le regard impassible.
— Comme si tu méritais de le savoir, rétorqua hargneusement l'autre jeune homme. Tout c'que t'as besoin d'entendre, c'est qu'à cause de toi elle a fui Unys ! T'as compris, nada, rien, elle s'est cassée ! Tout ça parce que toi et White et les autres, vous l'avez manipulée !

Ça y est, son langage, sa prise, glissaient complètement. Matis avait tenté de bien apprendre à parler, d'ailleurs c'est Écho qui l'avait aidé. Avec ses expressions populaires, il n'était jamais à sa place. Mais dès qu'il s'énervait il perdait toute logique, prestance et concentration, pour sa petite sœur c'était pareil ! Pourtant il tentait de s'améliorer, pour combattre l'injustice ! Pour combattre des méchancetés telles que celles qu'Écho avaient subi...

— Tu l'as draguée pour amuser White, et après, vous l'avez jetée ensemble, avec Bianca ! C'est vraiment des actes de bâtards !

Mélis avala une goulée d'air froid, ses yeux s'écarquillant. La prise. La prise était complètement relâchée. Vivement il se détendit complètement et glissa sur le côté—prit dans son élan, Matis s'écrasa contre le mur. Mais ce n'était pas fini, avec une virulence anormale chez lui, Mélis poussa son ancien compagnon et lui fila un coup de pied assez fort pour qu'il s'écroule contre le mur opposé, titubant.

— Si tu veux savoir, je regrette énormément ! souffla-t-il gravement, ses yeux noirs de colère. À l'époque ça ne semblait être qu'un jeu, mais maintenant je sais que ça ne l'était pas.
— De toute façon t'as jamais pensé aux autres, t'as aucune empathie, cracha Matis, se relevant, essuyant une pommette qui saignait légèrement.

Mélis respirait difficilement, haletant. Mais il ne laissa pas paraître sa fatigue ou ses remords. Son regard bleuté s'était fait d'acier, et il était plus que jamais conscient des deux gamins qui les fixaient, de la manière dont ils s'étaient donnés en spectacle alors qu'ils devaient donner l'exemple.

— Syd, débuta-t-il impassiblement, tandis que l'adolescent sursautait, tiré d'une profonde torpeur. Aide-moi. On va porter Élin à l'intérieur.

Il tourna le dos à Matis, priant pour que le dresseur ne l'attaque pas à nouveau, pour qu'il se comporte en adulte. Peut-être que c'était hypocrite de dire cela maintenant, après avoir autant blessé Écho... sans s'être jamais excusé. Cependant, Mélis estimait que reconnaître ses erreurs était un progrès important, alors il était méritant et—

— J'me casse. Et j'veux plus jamais voir vos tronches, toi et les autres !

Mélis se raidit, muscles se bandant pour ne pas laisser filtrer le choc. Il fit volte-face, cherchant des mots, n'importe quoi—mais le regard foudroyant de Matis le cloua sur place. Et d’un geste de rude, le dresseur dévala une marche d'escalier, lançant un regard rageur à l'ascenseur.

Mélis resta figé.
Se réunir à nouveau avait été une catastrophe.

[...]

Bianca avait travaillé toute la journée, vérifiant ses résultats de la veille, un sourire aux lèvres. Elle aurait besoin de plus d'informations, évidemment, mais elle dégageait déjà un rapport clair entre la confiance entre dresseurs et Pokémon et la force de ces derniers ! Que le bon traitement des bêtes augmente leur force était une théorie qui flottait déjà depuis longtemps parmi les scientifiques, mais grâce aux données d'Élin, Syd, Elsa et Oscar, elle voyait un lien bien plus précis ! Peut-être même pourrait-elle en dégager une formule... Une formule pour calculer la force des Pokémon en fonction de la confiance du dresseur !

La thésarde replaça une mèche blonde derrière son oreille, remonta ses lunettes rouges. Elle soupira de satisfaction. Sa chambre était d'une tranquillité absolue, comme si le temps s'y était suspendu. Dehors, le soleil se couchait.

— DRIIIIING !
— GAH !

Le cœur bondissant, elle chercha vivement l'engin qui lui vrillait les oreilles. Son portable. Il était posé sur un coin du bureau et allait tomber si les puissantes vibrations continuaient—Bianca l'attrapa vivement, toujours aussi surprise. Peu de personnes possédaient ce numéro, tout au plus ses parents, ses amis et... ah... les parents du groupe...

L'écran affichait « Daniel Hirata » en lettres bleues.

— Allô ?

Sa voix, peu utilisée durant la journée, se cassa légèrement sur la dernière syllabe. La thésarde déglutit difficilement, gorge sèche.

— Bonjour madame, répondit une voix plus grave, fatiguée. Je vous appelle à propos d'Elsa.
— Oh, c'est une fille merveilleuse, je suis ravie qu'elle soit dans mon programme... souffla Bianca… saisie d'un mauvais pressentiment.
— Ah... eh bien à ce propos, je...

L'homme était gêné. Elle avait raison, la discussion se profilait mal...

— Je compte peut-être la retirer du programme.

Elle cligna des yeux. Digéra l'information. Et repéra immédiatement les non-dits, logés comme des caillots dans l'embarras du Monsieur Hirata, lourds et sensibles. Après l'attaque, le père avait trop peur pour sa fille. Il reprochait à Bianca, responsable des adolescents, d'avoir lancé le programme à l'instant où la Team Plasma se reformait. Pourtant elle n'était pas responsable—qui aurait pu le prévoir ?

Peut-être ne faisait-il pas confiance à Mélis.
Sa fille avait très certainement dû lui parler de Mélis.
Pourtant...

— Eh bien, il... Il n'y a qu'une chose que je peux vous dire, Monsieur Hirata. Tout simplement, la décision que vous prenez est sensée.

Elle sentit une surprise muette à l'autre bout du fil. Ses doigts se resserrèrent sur son portable, inquiets. Elsa s'était-elle battue pour continuer son voyage ? Venait-elle de condamner son élève ? Elle repensa à son propre père, qui avait été jusqu'à Méanville pour tenter de la ramener... son cœur se serra.

— Eh b-bien merci, finit par articuler le père. J'espère que vous passerez une bonne journée, je vous recontacterai pour les formalités...
— Attendez ! Bianca ne pouvait couper l'herbe sous le pied de son élève—elle se lança précipitamment, trébuchant sur sa langue : avant de retirer Elsa du voyage, il y a une chose que vous devez savoir. C'est—c'est une élève brillante, vous savez, elle est très certainement promise à un brillant avenir... et aussi... enfin je ne sais pas si elle vous en a fait part, mais... votre fille fait partit des quatre adolescents qui ont eu une importance décisive pour libérer le Ferry. L'ex-Champion Zhu m'a rapporté que votre fille a éliminé au moins une dizaine de Sbires, selon le nombre qui a été retrouvé en salle des machines, et aussi... Elle était sur le point de le sauver quand je suis arrivée sur le Ferry en personne.

Une pause. Biance venait de lui révéler qu'elle avait été sur le Ferry, il possédait une information scandaleuse à révéler aux médias, mais il avait maintenant une preuve de son implication et de son dévouement...

— ... votre fille est une personne formidable. Et pour ma part, je n'abandonnerai jamais mes élèves.

La thésarde entendit, un souffle saccadé, peut-être un sanglot ? à l'autre bout du fil. Elle cligna des yeux, elle-même soudainement fatiguée, soudainement éreintée. Le travail de la journée lui pesait sur les épaules. Son combat contre la Team Plasma revenait à elle, semblant plus vain que jamais...

— M-Merci, balbutia l'homme. J-Je n'ai aucune doute que ma fille mérite de faire ce voyage. C'est juste une décision difficile à prendre, vous—vous comprenez ? Quelque chose pourrait lui arriver à l'autre bout du pays, même un accident tout bête, et je serais à des c-centaines de kilomètres d'elle...

Bianca retint un ricanement amer, repensant à son propre père. Il avait dû exprimer le même genre d'inquiétudes envers sa mère, s'angoissant pour sa petite fille si loin de la maison... sauf que Monsieur Hirata était seul. Sans compagne ou compagnon...

— C'est le lot de tous les voyages, Monsieur Hirata... Laisser son enfant voler de ses propres ailes, sans filet de sécurité, est l'une des épreuves les plus difficiles qu'un parent doive traverser. J'en suis désolée...

Une dernière ambre brillait dans le ciel, fouettant encore quelques gratte-ciels. Les écrans publicitaires s'éveillaient, à présent.

— ... Je rediscuterai avec ma fille. Merci d'avoir eu cette conversation avec moi.

Sur cette phrase maladroite il raccrocha.
Bianca regarda l’ambre solaire chuter au-delà de l’horizon.

[...]

Mélis et Syd déposèrent Élin sur un pouf multicolore. La blonde semblait reprendre conscience peu à peu ; ses prunelles sombres s'éclairaient parfois d'une lueur perdue. Le soleil s’écoulait en reflets sanglants sur sa chevelure et sa poitrine, jouant avec l'or de la Pièce Rune.

Syd détourna les yeux, essoufflé, tandis que Mélis balaya le salon d'un regard orageux. Une marque violacée s'étendait sur sa gorge à présent, preuve indélébile de la hargne de Matis... Une violence que Syd avait cru voir disparaître avec le Ferry mais qui revenait à présent, la veille de son rendez-vous à la Mélodie du Répit...

Mélis bougonna une phrase dans lequel figurait le mot « chambre » puis se traîna en dehors de la pièce, ne leur jetant pas un seul regard.

Désœuvré, Syd se laissa tomber sur un fauteuil non loin d'Élin et lui caressa les cheveux sans même s’en rendre compte, soupirant. Cette journée, entre l'hôpital et le retour avec la gamine inconsciente, avait été réellement épuisante, et il mourrait de faim à présent. Cependant il était à court d'ingrédients et n'osait pas fouiller le réfrigérateur d'Artie, ce serait décidemment trop malpoli. Alors il se recroquevillait en espérant faire passer les douleurs qui parcouraient son estomac vide...

Son cœur se serrait, ses pensées tournaient en rond, parfois son poing se crispait autour des mèches d'Élin. Angoissé, il attrapa une télécommande qui traînait et alluma la télévision. Le visage policé de Clara Chazal apparu, cheveux rouges en queue-de-cheval flamboyante. Ce devait être le bulletin de fin d'après-midi... ?

— En bref dans l'actualité Pokémon, la Ligue de Kalos a officiellement débuté aujourd'hui après une période d’entraînements intensifs des candidats ! Parmi les grands dresseurs d'Unys participe Black Hei, dont nous espérons bientôt avoir de bonnes nouvelles !

Un murmure... Il baissa brutalement le son et se tendit, cherchant la source du chuchotement. Puis il sentit le visage d'Élin remuer sous ses doigts. Il se rendit alors compte de ce qu’il avait fait pour l’apaiser et se figer un instant avant de retirer ses mains, embarrassé. Mais c'était trop tard, les prunelles noires d'Élin avait trouvé les siennes et elle souriait gentiment...

— Mon papa...
— Oui, souffla-t-il, crispé. J’ai entendu.
— Si ça se trouve il va être rentré... dans un mois...
— Cela fait longtemps que l'on n'a pas vu nos familles, commenta Syd, mesuré.

Lui, depuis qu'il leur avait menti à propos de l'avis de Bianca sur leur voyage. Finalement ils l'avaient autorisé à poursuivre...

— J'ai vu White... répondit Élin indolemment. Et Syd se tendit encore plus.
— Les docteurs ont dit que tu as fait une crise d'hyperventilation. Comment ça se fait, Élin ?

Mais elle restait béate, ailleurs, elle ne se souciait de rien. Comme portée par une musique qu'il ne pouvait entendre.

— On s’en ficheeee... j'me rappelle de rien...
— Mais si, cherche ! rétorqua-t-il nerveusement. Elle t'a touché et tu t'es comme déconnectée !
— Naaan...

Il plongea son crâne en ses mains, doigts raclant ses cheveux crépus, s'accrochant aux fines mailles. Sa mâchoire et même ses oreilles tressautaient de tension contenue.

— Élin, il faut que tu te rappelles ! C'est important que tu saches te débrouiller seule si ça recommence !

Les soucis s'empilaient, Otis, la Team Plasma, puis la santé d'Élin... la situation sentait vraiment, vraiment mauvais, tout se télescopait et Syd était en plein milieu du fuseau mortel !
Mais Élin était ailleurs...

— Pas grave... j'ai toi et Oscar et Elsa... et le regard d'Élin se voilait, son sourire se fanait avec la mollesse du sommeil. Elle tendit un bras faible vers lui. J'ai toi...

Sa proximité. Sa confiance aveugle.
Syd paniqua, se relevant et s'éloignant brusquement de la blonde somnolente.

— M-Mais ne comptes pas trop sur moi Élin, t'as pas besoin de... t'as pas besoin...

Des mots flashèrent dans son esprit avec violence. T'as pas besoin d'un traitre comme moi ! Mais elle s'était déjà endormie, et elle souriait. Il l'enviait, elle et sa naïveté, son monde tout rose. Il enviait ses rêves vifs et sa confiance innocente. Et il la détestait aussi !

D'humeur sombre, il se précipita hors de la pièce. Et dans leur chambre, enfin seul, il retrouva ses Pokéball et fit de prudents préparatifs pour son rendez-vous avec la Team.

[...]

Bianca somnolait à présent, enfouie dans la chaise de son bureau. Quelques rayons de soleil se languissaient aux coins du meuble en verre, se reflétaient sur ses lunettes rouges. Tout était paisible.

— DRIIIIING !
— GAH !

Rah mais c'était la deuxième fois que ça lui arrivait ! Elle avait cru faire une crise cardiaque bon sang ! Affolée, la scientifique se redressa trop vite, ressentant pleinement les courbatures qui suivaient une sieste au bureau, et lâcha un cri de douleur. Elle ne rattrapa pas son portable à temps. Le diable d'engin était tombé sur la moquette !

Grinçant des dents, elle plongea à quatre pattes et se jura que si c'était Monsieur Hirata, elle l'enverrait bouler, Elsa ou non, et puis elle éteindrait cet engin et malheur et se jetterait dans son lit douillet !

Cependant, le correspondant n'était pas Daniel Hirata.
Le nom qui s'affichait à l'écran était celui d'Oscar Pistil.

— M-Madame L-Lenoir ? S-S'il-vous-plaît venez, v-venez ils m'ont gardé toute la nuit...

Ce fut comme si on avait plongé son cœur dans un bain glacé. Toutes ses articulations se tendirent brusquement, elle déglutit difficilement. Les rayons de soleil n'avaient jamais semblé aussi sanglants.

— O-Oscar ? Qui ça, « ils » ?

Il y eut un sanglot à l'autre bout du fil, si bien qu'elle ne distingua pas très bien les paroles au premier abord. Mais quand Oscar parvint enfin à articuler, Bianca pu clairement distinguer le mot « police ».


(Dilemme)
Elle se rua hors de l'appartement, mais au moment de passer la chambre des enfants elle hésita. Un battement de cœur. Deux. Elle ouvrit finalement la porte pour voir si quelqu'un s'y trouvait. Syd. Il sursauta et pâlit plus qu'elle ne l'en aurait cru capable, la fixa d'un regard orageux et se précipita vers elle.

— Q-Qu'est-ce que vous voulez ?

La thésarde ne tiqua pas. Peut-être, si elle avait eu le temps, si Oscar n'était pas en garde-à-vue, aurait-elle pu comprendre ce que l'adolescent préparait ? De toute façon, à ce stade-là c'était trop tard, l'engrenage était lancé.

— Syd, débuta-t-elle avec un sourire crispé. Je ne serai pas là ce soir ni demain, mais ne vous inquiétez pas, rien de grave. Si tu vois Artie, enfin je sais qu'il est en réunion avec les instances de Volucité, mais tu pourras lui dire de m'appeler quand même ?

Un visage fermé, refusant de laisser filtrer le soulagement.

— Bien sûr.

Bien sûr.
L'engrenage était lancé.

[...]

On l'accueillit très professionnellement mais Bianca ne pouvait cacher sa fureur. Tout humain parti en Voyage Initiatique était considéré comme un adulte, mais pour elle cela ne justifiait pas que l'on garde un adolescent toute la nuit en garde-à-vue ! Il avait treize ans, treize ans bon sang ! Qu'avait-il bien pu faire pour mériter une surveillance aussi étroite ? Rien, elle en était convaincue !

— J'espère pour vous que ses parents sont au courant ! menaça-t-elle l'officière qui la guidait vers le lieu où Oscar était détenu.
— Justement, c'est ses parents que nous cherchons.

Bianca se figea. L'officière repartit. La voix avait retenti clairement dans la pièce. C'était un homme aux airs calmes et gentils qui avait parlé, la cinquantaine, une moustache bien entretenue. La thésarde le détailla avec suspicion : l'étiquette accrochée à son uniforme portait « INSPECTEUR LI » en majuscules.

— Je veux voir Oscar, asséna-t-elle brusquement.
— Très bien, je vous mène à lui, répondit patiemment l'homme.

La paire se trouvait dans un couloir peu éclairé, garni de quelques chaises, d'une machine à café. L'officier n'en avait pas pris.

— Qu'est-ce que vous voulez à ses parents, au juste ?

Dans l’expression de l’Inspecteur Li se détacha un soupçon de peine, mais il la regarda droit dans les yeux. C'était quelqu'un qui avait l'habitude de ce genre de situation, qui avait l'habitude de déchirer des familles et d'affliger des proches.

— Monsieur et Madame Pistil se sont endettés de plus de cinq millions de Pokédollars et ne remboursent plus leurs ardoises depuis le début du voyage de leur fils. Nous voulons qu'il les appelle et tienne une conversation assez longue avec eux pour que nous puissions les localiser.

Les lèvres de Bianca restèrent entrouvertes. Elle s'était figée, choquée. Garder un enfant vingt-quatre heures pour le faire craquer ? Demander à un enfant de trahir ses parents ?

— Mais que—qu'est-ce que vous allez leur faire après ? s'étrangla-t-elle, dépassée.
— ... Les arrêter. Ils seront ensuite aidés par une commission de redressement et pourront se déclarer en faillite personnelle pour effacer leurs ardoises. Mais ça, c'est à la Justice de voir...

Quand il la fit entrer dans la pièce, elle mit un temps à distinguer Oscar, perdu dans un crépuscule douloureux. Mais l'adolescent, lui, la remarqua tout de suite et le blanc de ses yeux écarquillés se fixa sur elles, si brillant dans le noir.

— Pitié, non, Bianca... j-j'veux pas... j'veux pas !

-

DUNDUNDUNDUN. Quelle était cette mystérieuse « crise d'hyperventilation » à l'hôpital ? Que décidera Daniel Hirata ? Que se passera-t-il à la Mélodie du Répit ? Et aussi, Oscar appelera-t-il ses parents ? Vous le saurez dans le prochain épisode... à paraître durant les vacances...

*Auteure OUT*