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Echos Infinis de Icej



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Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 28/08/2015 à 04:11
» Dernière mise à jour le 31/05/2018 à 21:45

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 18 : Histoires Éparses
(Rixi)
La vitre du bus vibrait. C'était la seule chose qui s'imprimait en lui du monde réel. Le siège raide et inconfortable aux couleurs atroces, le flot de musique dans ses écouteurs, et Parsemille défilant par la fenêtre n'avaient aucune importance... tant qu'il n'arrivait pas à destination, il pouvait se laisser porter par le ronronnement du moteur, et les vibrations du bus.

Cette monotonie... et cette vie indifférente qui lui glissait dessus, sur laquelle il n'avait aucune prise... comment avait-il pu être aussi aveugle ?

Un instant il crut l'apercevoir et ce fut comme un éclair de vie dans le cœur et un flot d'air glacé dans les poumons. Les longs cheveux ondulés et les yeux presque trop grands pour le maigre visage mais surtout, surtout la démarche féline et sauvage, aux antipodes parfaits avec la vie réglée de la cité... Il se dressa sur son siège, comme foudroyé, s'accrocha désespérément des yeux à la silhouette qui se baladait hagarde sur le trottoir, sans même le remarquer !

Puis le bus remporta. Mais il avait déjà douloureusement fermé les yeux, atrocement déçu. Ce n'était pas elle. Aucune couleur ne correspondait. Prunelles vertes au lieu de rouges, crinière noire et non pas blanche... maintenant qu'il y pensait, l'allure de la passante ressemblait plutôt à la déchéance de l'alcool qu'au maintien aérien, presque irréel de San.

Comment avait-il pu être aussi aveugle ? Comment avait-il pu être aussi lâche !

Depuis qu'elle n'était plus là, les habitudes de la société, son propre quotidien, avaient perdu leur sens. Tout était fade et il se sentait de plus en plus incontrôlable, presque haineux... envers cette réalité devenue intolérable. Ces journées toutes plus insipides les unes que les autres, se répétant à l’identique et perdant peu à peu leurs couleurs. Un jour elle était apparue, une bouffée d'oxygène, une bulle de liberté éclatant soudain dans sa vie. Depuis il ne pouvait que la suivre, le plus loin possible.

La première fois qu'il avait rencontré San, c'était en haut d'une cascade. Il était jeune alors, en pleine désillusion, réalisant peu à peu qu'il n'était pas fait pour la vie de dresseur, et envisageant de se rediriger vers la médecine humaine. Le Bois des Illusions... était son dernier espoir, il s'y était rendu sur un coup de tête, pour méditer un peu... et s’était perdu dans la brume. Les sapins immenses. Il avait erré parmi les soupirs fantomatiques de la forêt, glissant sur le tapis d’épines humides, mille éclisses cédant mollement sous ses pas incertains.

Et il s’était trouvé devant une cascade majestueuse, nue, son tonnerre glacé fendant le brouillard comme une lame acérée, dominant la forêt d'un superbe outremer. Il s'était approché de sa base sans trop savoir pourquoi, levant son regard vers les cieux.

Et là il l'avait aperçue. Une silhouette vacillante, éloignée, à peine esquissée, noire contre le ciel bleu. Il s'était tendu, ses veines en feu. Soudain son cœur s’était emballé, dansant cent fois plus vite ; paradoxalement son souffle s'était éteint. Aucun de ses Pokémon ne connaissait Cascade. Comment allait-il la rejoindre ?

Sur la paroi rocailleuse sculptée de soleil, il percevait déjà des prises—il était sportif, il saurait faire... il saurait le faire !

Pourquoi ? Pourquoi s'était-il élancé à la conquête de la paroi ce jour-là, vers cette figure incertaine et inconnue ? Sur le moment, il ne se posait même pas cette question, simplement, il existait dans l'instant présent, baigné dans la sueur, sous le soleil, les mains brûlées. Mais il y avait longtemps réfléchi, durant les années d'après.

S'il s'était jeté corps et âme contre la cascade, c'est qu'il cherchait un but. Il n’avait plus d’objectif dans la vie à cette époque, avait abandonné de dressage et ses rêves d’enfant. Cette silhouette avait semblé être un objectif concret qu’il pouvait atteindre. L'idée de se fondre avec la figure l'avait possédé. C'était elle, c'était son essence ; être consumée par le présent...

La montée avait duré peut-être deux heures, ou plus ; il ne se souvenait que d'images éparpillées, de la lumière aveuglante, de la fatigue, de l'obsession qu'il avait de grimper encore. La brume ne le touchait plus, elle fuyait, se rétractait vers l'obscurité des sapins. Lui était libre et pur, aérien. Et la cascade l'assourdissait. Elle le coupait du monde.

Puis il avait atteint le en haut.

La figure l'attendait. Il se rappelait ne l'avoir pas vraiment regardée, les détails importaient peu, seul lui parler comptait.

— Je—

Un soupir s'était étendu à travers le plateau nu, plus fort même que la cascade... il s'était figé, surpris, et elle s'était tournée si vivement vers lui qu'il avait cru faire face à une déséquilibrée. Une chanson soudainement avait vibré dans l'air, au rythme de l'eau. La musique s'envolait et chutait soudainement comme le tonnerre d'un fleuve entier s'écoulant d'une falaise, se suspendait un instant, immobile et aérienne comme le seul nuage les fixant depuis les cieux. C'était la fille qui fredonnait, ses iris sanguines peu à peu éclipsées par ses pupilles folles d'excitation, comme injectée de caféine, de vie.

Puis tout s'était arrêté. Même le bruit de la cascade.

— Sais-tu... avait commencé la fille, d'une voix éraillée, d'un autre temps. Sais-tu le malheur d'Unys ?

Il n'avait pas su lui répondre. Quel malheur ? Le chômage, la pollution, le racisme ? Toutes ces réponses étaient valables, pourtant il avait l'impression que son interlocutrice pensait à tout autre chose.

À quoi ?

— C'est beau, ici, non ? avait-elle poursuivi, ses prunelles tout à coup calme dérivant vers l'horizon sombre, l'océan d'arbre écumé de brume.

Et alors... comme s'il n'avait jamais rien vu de sa vie, les prunelles de Rixi s'étaient agrandies d'émerveillement. Comme après une douche froide, un sursaut glacé, une bouffée d'oxygène pur et givré, il avait tout vu. Il avait scruté la forêt dans les moindres détails, examinant jusqu’à ses plus fines épines de pin. Les nuances du ciel pâle s’étaient révélées peu à peu à lui, comme s'il décelait la profondeur de l'infini. La terre à ses pieds lui avait paru incroyablement riche, grouillante de vie. L'air avait semblé se coller et se décoller doucement de sa peau dans une danse sinueuse.

Il avait regardé la fille. Elle était plus vieille que lui, il en était sûr, peut-être seulement d'un ou deux ans—mais son regard semblait plus ancien. Les iris semblaient complétement déraillé. Ils paraissaient voir, derrière le calque de la réalité, une époque révolue aux embruns fanés... Tout en l'inconnue était lunaire. Son teint pâle. Sa frimousse creusée aux traits maigre. Sa chevelure longue, fine, coulant vers ses hanches en vagues après vagues, les ondes presque blanches tant elles étaient blondes.

Pourtant ses vêtements étaient si bariolés, amples et flottants, qu'elle semblait se noyer dedans. Chaque étrange étoffe était incrustée de perles, d'or et d'argent, dont elle ne paraissait pas sentir le poids. À chaque mouvement riaient les clochettes ceignant ses pieds et ses poignets... la fille souriait.

— Je m'appelle San.

Il avait écouté sa voix grave et éraillée, hypnotisante, et son cœur avait raté un battement.

— Et moi—
— Rixi.

Elle connaissait son prénom. Elle le lui avait dit comme si elle l'avait toujours connu. Il s’était senti englobé, dépassé, tout à coup compris et enlacé. Ça lui avait coupé le souffle. Soudainement plus rien n'avait existé d’autre que ses iris carmin et ses lèvres entrouvertes, soudainement rien n'avait plus existé d’autre que l'instant présent. Un voile s’était abattu devant ses ses yeux.

— C-c-comment ? avait-il balbutié, soudainement terrifié.

Il n'avait pas obtenu de réponse. La fille avait tout simplement fait un pas en arrière, pu avait fermé les yeux, souriant.

— La Réalité n'a d'importance que celle qu'on lui accorde... avait-elle chuchoté.

Puis elle s'était laissée basculer dans le vide de la falaise.

[…]

Par la suite, il l'avait revue plusieurs fois. Elle réapparaissait souvent au détour d'un chemin, perchée sur un arrêt de bus, une bibliothèque, allongée sur son lit en attendant son retour. Il en était tombé amoureux. Mais il n'avait jamais compris comment elle avait fait pour sauter de la cascade sans mourir. Un parachute caché ? Une prise sur la roche au dernier moment ? Un Pokémon ? Elle aurait dû finir écrasée dans la rivière, transpercée les rochers ancrés dans son flot tumultueux, sa chair broyée...

Mais si San s'imposait régulièrement dans son quotidien, un sourire lointain aux lèvres, elle disparaissait tout aussi souvent. Et six mois auparavant…

Une voix plaisante trancha net dans ses réminiscences, ramenant tout le présent en un flot désordonné de sons et de couleurs.

« Prochain arrêt : Parsemille Centre. Prochain arrêt : Parsemille Centre. »

Oh oui. Le présent. Où Rixi se leva et claqua son Pass Navigo contre la porte du bus. Le présent qui l'amena dans une avenue ensoleillée mais froide, animée mais vide, sans aucune importance. Tout était hideux, taillé sur les grotesques contours de réalité. Le commissariat de police était aussi trop humain pour être beau.

— Bonjour. Je viens déclarer la disparition de ma petite-amie.

L'agent de police à l'accueil parut surpris un instant, levant des yeux trop bleus vers Rixi, et Arceus ce que c'était moche. La salle et l'homme étaient tout simplement vulgaires. Et une question, laide, décalée, sorti de la bouche trop grosse de l'agent.

— Cela fait combien de temps ?

Un souffle acide.

— Six mois.

[...]

La pièce était un désordre complet, et on lui expliqua que le commissariat venait de déménager. L'agente qui avait pris le relais du policier à l'accueil le fit asseoir une chaise en bois simple, lui lança un coup d'œil impassible. Rixi donna tout, numéro de téléphone, carte d'identité et de dresseur... à chaque information que la policière rentrait dans son ordinateur, il sentait son apathie croitre. Il était comme déconnecté de la situation. Il ne savait même plus pourquoi il était venu. Cette situation, ces gens, ces insignes, étaient ridicule. Dépourvus de sens.

— Pourquoi avoir attendu six mois pour signaler la disparition de votre petite-amie ? lui demanda-t-on.
— ... San est très spéciale... elle part parfois plusieurs mois d'affilée sans donner de nouvelles, alors j'ai d'abord cru qu'elle allait revenir...
— Combien de temps duraient ces absences ?
— Parfois quatre, cinq mois...
— Tout ceci sera vérifié.

Il s'en fichait. Le commissariat était sombre.

— M. Moro, donnez-moi le nom complet de votre petite-amie.
Il sourit gentiment à la policière.
— Je ne le connais pas.

Elle sursauta, et lui renvoya un regard noir, dubitatif, agacé. Elle ne devait pas recevoir ce type de réponse souvent, ou alors c’était de la part des fous qu’elle arrêtait. Rixi ne ressentit rien.

— San ne m'a jamais donné son nom complet. Je peux vous la décrire physiquement. Mais pas vous donner son nom de famille.
— Ou alors, vous pouvez me lister ses Pokémon. Je la trouverai dans notre base de données.
— San n'a pas de Pokémon.

Cette fois l'agente se crispa, et forma un poing avec la main qu’elle avait posé sur la table.

— Vous vous moquez de moi, monsieur.
— Non.
— Eh bien en ce cas, éclairez ma lanterne, car je commence à perdre patience, souffla la policière, plissant ses yeux noirs. Comment voulez-vous que nous retrouvions votre « petit-amie disparue » sur la base d'un simple prénom ?
— MAIS JE NE SAIS PAS !

Il avait crié ça. Il se sentait brûler. Soudain il ravala un sanglot. Il avait les larmes aux yeux, l'agente était figée, mais ne comprenait-elle pas ? Il avait tout simplement besoin qu'on retrouve San ! Même s'il devait éplucher leur base de données en fixant chaque photo d'identité une à une il la retrouverait !

San...

Un autre policier arriva, plus jeune, mais à la mine inquiète. Ça n'allait pas du tout à ses taches de rousseurs et ses yeux charmeurs...

— Lieutenant Varese. Aucune personne prénommée « San » n'apparaît dans nos bases de données.

Rixi retint un cri de douleur, de toutes ses forces, jusqu'à s'en faire mal. La Lieutenant Varese le fixa.

— Je commence à douter de l'existence de votre « San ».


(Bleu, blanc, noir)
Lentement, le soleil déclinait, emportant avec lui lumière et chaleur. Le ciel sombrait dans les ténèbres après une sanglante bataille, un glorieux effort de survie. Peu à peu, Pavonnay s'éclairait, se baignant dans la clarté dorée des lampadaires et le grésillement des néons. Seuls témoins du jour mourant, les pâles fenêtres des immeubles, embrasées par les dernières lueurs de juin.

Tcheren soupirait, appuyé contre une des vitres froides de son chez lui. Dehors, les élèves restés à l'étude rejoignaient enfin leur parent, accourant vers pères, mères, Pokémon de famille... Les trottoirs pavés résonnaient de leurs rires, de leurs cris joyeux. L'Académie Nationale de Dressage accolée à son arène son arène se vidait. Une nouvelle journée se terminait.

Il avait reçu un mail de réponse de la part d'Aloé. Oui, la conservatrice en chef acceptait d'examiner les MystèreBall dans les plus brefs délais. Il les lui enverrait demain par transfert PC. Ces Ball marquées du logo Plasma avaient pris beaucoup d'importance, avec la réapparition de la Team... Peut-être révèleraient-elles quelque chose sur les plans de l'organisation.

Mais pourtant l'instant, Tcheren ne pouvait rien faire. Il n'osait même pas appeler White. Elle allait encore lui rire au nez, balayer ses inquiétudes d'un rire aérien et inconscient. « T'as pas des choses plus importantes à faire que te miner pour un évanouissement, ô grand Champion Tcheren ? »

Alors il attendait. Il regardait les gens vivre de l'autre côté de la fenêtre. Depuis tout petit, Tcheren n'avait pas vécu comme il le voulait. Pendant son voyage initiatique, il pensait qu'être le plus fort et battre White suffirait à profiter. Il y avait une sorte de mur entre la vie et lui. Une sorte de fine paroi de verre, d’incompréhension. Un décalage avec les gens de son âge, un vide. Il avait pensé que seule la puissance pourrait abattre ce mur et lui permettre de triompher, de se venger de ses pairs... Mais il n'avait jamais réussi à atteindre la ligue, ni à briser la barrière de la distance.

Alors il s’était résigné. Il était devenu Champion d'Arène et avait consciencieusement rempli ses fonctions. Il avait répondu à l'appel de Mélis, Écho et Matis quand une nouvelle Team Plasma avait fait des siennes. Et si pendant une période, il s’était senti de nouveau utile… ce n'était maintenant plus le cas. La vie avait emporté ses amis. Bianca était partie se former auprès du professeur Green Chen, à Kanto. Écho souhaitait partir à l'étranger. Mélis enchaînait des tournois de haut niveau. Matis prenait soin de sa famille. White menait le quotidien dont elle avait toujours rêvé : luxueux et oisif.

Lui travaillait sans passion. Lui les contemplait, depuis l'autre côté de la vitre.

Il finit par s'en arracher. Il finit par allumer la télé, ce qu'il ne faisait jamais... sauf que, ce soir-là, il avait besoin de se vider la tête, d'oublier ce vague à l'âme.

Manque de bol. C'était une émission sur la Team Plasma.

« La Team Plasma. Chaque citoyen d'Unys connaît le nom de cette organisation, qui a sévit de 2989 à 2991, puis à nouveau de 2993 à 2995. Chaque fois, comme les Team des autres Régions, elle a été défait par des dresseurs de légende, guidés à Unys par White Bai... »

Une photo de White en position guerrière, un sourire prétentieux accroché aux lèvres—elle était... superbe. Puis, un flash : Black. Bianca. Tcheren. Le quatuor qui avait eu raison de l'ancienne Team Plasma. Ensuite on parla de Mélis, d'Écho, de Matis... Tcheren contemplait cela avec un sourire cynique, apathique. Oh ce qu'ils étaient ignorants du dessous des cartes, ces journalistes...

« Aujourd'hui, On ne nous dit pas tout s'interrogera sur les similitudes entre la Team Plasma et son homologue de Sinnoh, la Team Galaxie. Chacune des organisations ont différé des tendances mafieuses de la Team Rocket ou des hiérarchies brouillones des Team Magma et Aqua. À mi-chemin entre sectes religieuses et crime organisé, impliquées dans la politique de leurs régions, soutenues par une partie non-négligeable de la population, ces Team ont su acquérir une légitimité démocratique sans précédent, devenir une réelle menace pour les élites traditionnelles de... »

Tcheren fronça les sourcils. Serra les dents. Quel parti prenait donc cette émission ? La défense des Team ? « On peut tuer un mouvement mais pas une idée » ? « Légitimité démocratique », non mais ils se prenaient pour qui ? Ils ne l'avaient pas combattue, ils n'en avaient pas bavé comme Tcheren !

Soudain le téléphone sonna, l'arrachant à sa colère. Il éteint la télé, s'élança vers son PC, se prenant presque les pieds dans son tapis Hoennais mais se raccrochant in extremis à sa table à manger. Décidemment, même avec une maison bien rangée il tombait dans les galères, quelle connerie cette vie de Champion.

Rah et la sonnerie se faisait plus faible, bientôt il serait trop tard pour décrocher ! Dans un dernier effort désespéré, le Champion d'Arène bondit vers le PC, et répondit sans vérifier qui l'appelait, tout juste satisfait d'avoir appuyé sur le bon bouton à temps.

— Tcheren ! s'exclama Bardane d'une voix rocailleuse.
— Bonjour Pap' Bar—
— On a un problème.

Le sang du Champion se glaça devant le regard grave de son collègue.

— Que s'est-il passé ? s'enquit immédiatement Tcheren, la gorge nouée.

Il entendit à peine le « j'viens d'envoyer un p'tit rapport à notre Iris ! » tant ses oreilles bourdonnaient, son cœur battait. Un rapport. Forcément cela avait un rapport avec l'organisation qu'ils ne cessaient de combattre, encore et encore, cette hydre monstrueuse...

— En f'sant des r'cherches sur mon territoire comme l'a ordonné Iris, j'ai constaté qu'le r'fuge Plasma n'existe pus. Même el' bâtiment a été rayé d'la carte, 'cun reste, 'cun gravier, rien.

Quoi ?!

— Enfin ce n'est pas possible, souffla Tcheren, abasourdi.
— Eh bin si. C'est c'que j'ai vu, d'mes propres yeux vus.
— Mais... qu'est-ce que cela veut dire ?

Une attaque sur le Ranch d'Amaillide, puis au moins une centaine d'ex-Sbires selon le dernier recensement qui disparaissaient en même temps que leur Refuge...

— Les filous d'Sages Carmine et Azuro doivent 'ben être dans l'coup, affirma Bardane.

Quant à Tcheren, il perdait sa raison, il s'imaginait le pire. Tremblant. Pâle.

— Ghetis a dû sortir de sa retraite avec le Trio. C'était trop con d'abandonner les recherches, c'était trop putain de con ! s’écria-t-il. On aurait dû continuer, le trouver ! On aurait jamais dû le lâcher !
— Il n'tait nul part mon p'tit, ses servant l'vaient évacué, t'sais très ben qu'on a longtemps cherché...
— Et voilà qu'il la recrée, poursuivit Tcheren, n'entendant rien, n'écoutant plus rien que sa peur. Une troisième Team Plasma.
— Mais non on n’en sait rien... dis, on va s’faire une conférence dans quelques jours, 'vec les autres Champions...

Tcheren hocha la tête sans comprendre et raccrocha, s'abandonnant au triste silence de son appartement, ses pensées volant à cent à l'heure. Dire qu'après le Ranch, alors que ses recherches et celles de ses collègues n'avaient mené à rien, il avait conclu à une farce, quelques fanatiques isolés... Aujourd'hui seul restait un constat amer : la paix qu'ils avaient douloureusement acquis semblait se désagréger peu à peu. Ils perdaient le contrôle.

Dehors, la nuit s'était installée, accompagnée d'un silence d'acier. Parfois le grésillement d'un lampadaire osait perturber le nouveau règne de ténèbres... mais il était aussitôt englouti.


(Sur les traces du Seigneur... Ou : Saint-Graal nous voilà !)
L'eau du Lac Vérité prenait des teintes violettes. La population locale racontait que ces reflets si étranges étaient le fait de Créfollet, le Pokémon légendaire censé habiter les lieux. Aussi, pendant des centaines d'années, on ne s'aventurait que rarement jusqu'aux rives immenses du lac. L'habitat naturel avait était resté inchangé depuis sa création, loin de la modernité. Jamais les humains n’y avaient érigé leurs temples de pierre, leurs châteaux, leurs usines ou leurs gratte-ciels. Les berges étaient figées malgré le passage du temps.

Cela profitait bien aux Keunotor, mais surtout aux Étourmis, qui avaient colonisé les lieux et s'attaquaient à quiconque dépassait la lisière de la forêt. À l'abri des légères branches des arbres, ils scrutaient méchamment le paysage de leurs petits yeux noirs, balayaient le sable et le lierre sauvage, les quelques îles fleuries du lac.

Sinnoh.
Le silence et l'harmonie de la nature.
Seulement brisés par deux silhouettes immobiles.

L'une d'entre elles était grande, maigre, donnait l'impression qu'une seule bourrasque de vent l'emporterait à jamais. Sa longue chevelure solaire tombait jusqu'à sa fine taille en rangées lisses, seulement dérangées par deux épis au devant du crâne. À ses côtés se dressait son exact inverse. Petite, boulotte, l'autre figure fronçait ses sourcils roses, semblant prête à détruire toute une montagne s'il le fallait. Elle fouillait le lac des yeux, prunelles framboise luisant légèrement.

— Ici non plus... lâcha-t-elle finalement.

L'autre posa une main légère, compatissante, sur son épaule. Elle serra un instant, cherchant les mots, mais ne trouvant rien de réellement rassurant. Finalement, elle sourit :

— Nous avons déjà parcouru bien des régions. Celle-ci n'a pas encore révélé tous ses secrets.

Mais la femme aux yeux roses ne se détendit pas, serrant bien au contraire ses poings, au point que les phalanges en deviennent blanches. Elle fit volteface, lançant un regard implacable à la blonde.

— Épargne ta salive, Concordia... Tu sais très bien que même découragée au point d'en être détruite, je continuerai à le chercher...
— Anthéa.
— Je n'ai plus besoin d'espoir pour avancer...
— Anthéa.
— ... cela fait longtemps que nous sommes mortes.
— Anthéa, siffla finalement ladite Concordia, avant de fermer douloureusement les yeux.

Un Étourmi se percha sur la branche d'un cèdre immense, non loin d'elle. Mais l'oiseau ne semblait même pas remarquer les deux femmes ; elles étaient comme transparentes pour lui, silhouettes ondulant au rythme des vagues et chevelures emportées par les roseaux. Bientôt, un chant aigu s'éleva autour d'Anthéa et Concordia, qui sourirent légèrement.

— Tu te rappelles du vieux Zi, celui qui sniffait de la poudre d'Oran à longueur de journée ? lança Concordia d'un ton joyeux.
— ... oui, répondit Anthéa. De ses lèvres charnues s'échappa un ricanement bref et involontaire, la laissant confuse.
— Eh bien il disait : « Si demain tu te réveilles sans espoir, c'est que tu ne t'es pas encore réveillée ».

Les deux femmes, amies, s'observèrent sans mot. En Concordia il restait des ruines de leur vie avant la Team Plasma. En Anthéa il ne restait rien. Leur mission était la dernière chose qui leur restait...

— Nous trouverons N, souffla Concordia.

Ses mots sonnèrent comme une promesse faite à l’esprit du lac.
Mais seul le vent en fut témoin.