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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 24/08/2015 à 07:05
» Dernière mise à jour le 06/04/2020 à 17:53

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 06 : Téléphone sonne
(Modifié le 04/04/20)

(La fugueuse)
— Même mon père…? 

La réplique sonna une seconde dans le silence. Tous les regards obliquèrent vers Élin, recroquevillée sur sa chaise, les mains crispées autour de son short sportif. Oscar inspira vivement, devinant à moitié la situation en se rappelant des confessions que lui avait fait la gamine hier. Syd et Elsa arquèrent un sourcil, confus et attendant la suite de la conversation… Les adultes froncèrent les sourcils, sentant bien qu’il y avait Serpang sous roche.

— Évidemment, répliqua Tcheren, ne voyant pas ou la petite Hei voulait en venir.
— Mais il est en préparation à la Ligue de Kalos, les appels aux compétiteurs sont prohibés normalement ! tenta-t-elle. Tcheren secoua la tête.
— Je suis Champion d’Arène, ils me laisseront passer un appel.
— Mais—
— Ne commence pas Élineera, on ne va pas y passer la nuit ! Tu viens avec moi appeler ton père et c’est tout !

Alors Tcheren attrapa une Élin terrifiée par les oreilles, et sous les yeux interloqués des autres la traîna au second étage de l’immense bâtisse. Le groupe resta demeura immobile, gêné, dans le salon sombre et humide.

Goyah secoua sa large tête d’un air désolé, ne comprenant pas tout à fait la situation, mais saisissant bien assez. La petite ne s’entendait de toute évidence pas avec son père. Lui qui avait connu Black à l’époque de l’Ancienne Team Plasma se rappelait très bien du jeune homme silencieux… tout le contraire de l’adolescente pleine de vie. Grandir avec lui n’avait pas dû être facile, d’autant plus qu’il avait adopté Élineera très jeune, à seize ans, dans des circonstances obscures.

Syd fit quelques pas vers l’escalier mais s’arrêta, les sourcils froncés. Il ne comprenait pas qu’Élin refuse de parler à sa famille… C’était pourtant normalement un moment de réconfort. Après une bataille acharnée comme celle de la veille, discuter avec ses parents permettaient de reprendre son souffle pour mieux se relever. Qu’est-ce qui lui arrivait… ? Après un temps, il partir s’asseoir sur un canapé, mais ne sortit pas son téléphone portable, perturbé.

Après un temps, Oscar marmonna une excuse—il était fatiguée, il voulait dormir....—et monta lui aussi au deuxième étage. Il devait savoir. Les confessions d’Élin à propos de son père et de son éducation résonnaient dans son esprit, le taraudaient. Il lui avait dit qu’ils étaient pareil, qu’il fallait se soutenir, et sentait que c’était justement le bon moment pour le faire. Une fois sur le pallier, il n’eut qu’à suivre les éclats de voix qu’il percevait à travers le dédale obscur et boisé du ranch jusqu’à une porte entrebâillée, qui donnait sur une immense bibliothèque sentant la poussière et le musc.

S’approchant sur la pointe des pieds, Oscar retint sa respiration et pria pour ne pas se faire remarquer. Il percevait un écran ouvert sur Skype, divisé en deux, avec un logo « en attente » sur le côté gauche. De toute évidence, ils n’avaient pas encore réussi à contacter son père.

— … attendons encore un peu, marmonna Tcheren.

Élin soupira. Son visage était caché par la pénombre et Oscar ne voyait pas son expression, mais il l’entendit murmurer :

— Tu sais qu'il ne va pas répondre, il est en plein préparatifs.
— On verra bien, répondit simplement le Champion.

Personne ne décrocha. Ils n'entendaient que la sonnerie de l'appel Skype. Oscar se rapprocha encore un peu plus de l’entrebâillement de la porte, tendu. Qui était le père d’Élin ? Comment se faisait-elle qu’elle connaissait Tcheren, Bianca, Goyah ?

Au bout d'un moment, la petite blonde commença à pleurer, et Tcheren raccrocha.

Oscar fit marche arrière, gêné d'espionner son amie alors qu'elle pleurait. Et il se cogna, pour la deuxième fois de la journée, contre le ventre rebondi de Goyah. Il se rattrapa avec peine sur le mur du couloir, jurant faiblement avant de lever les yeux vers l’imposant ex-Maître.

— La curiosité est un vilain défaut, p’tit gars, l’informa gravement celui-ci.
Oscar ne chercha pas à se défendre, soupirant simplement.
— Je m’inquiète pour elle.

Goya lui tapota le dos avec la force d'un Mackogneur.

— Eh bien, occupe-toi d'elle, sois un bon copain. C'est aussi ça, un voyage initiatique.

(Tirer les choses au clair)
Suite à l’appel, Élin descendit et se recroquevilla sur un coin du canapé. Elle ne dit mot à ses compagnons de voyage. Ensuite, Tcheren les rejoint et leur ordonna d’appeler leur propre parents—sous la surveillance de Bianca—afin qu’il ait l’ordinateur libre pour rédiger son rapport. Mais Goyah l’arrêta avant que les ados ne puissent réagir, un air grave sur le visage.

— Tcheren, j’ai réfléchit. Ce que les enfants ont décrit est inquiétant. Si les Sbires ont parlé d'un nouveau projet de « libération » des Pokémons, c'est peut-être qu'ils se forme une Team Plasma. Il faut localiser N et trouver Ghétis.
— Je sais cela, rétorqua le Champion, irrité. C’est pour cela que j’ai besoin de rédiger mon rapport au plus tôt !

Goyah resta impassible face à son énervement, resserrant tout simplement sa poigne sur la manche du plus jeune.

— Est-ce que, parmi toutes les inventions de Nikolaï que tu as récolté, il en existe une qui permettrait de retrouver N ou Ghétis ?
Tcheren plissa les yeux.
— Non. Seul Zekrom pourrait retrouver N, à ce stade... pas une machine de Nikolaï. Quant à Ghétis...
— Parfois, les Humains cherchent à rivaliser avec les Dieux, contra Goyah, qui croyait en Arceus. Nikolaï était l’un de ces fous et nous n’avons jamais pu l’arrêter.
— Mais c’est qui Nikolaï ? demanda une voix enfantine.

Tcheren sursauta, se dégageant finalement de la prise du roux imposant, et frotta son bras avec un air revêche. Il considéra les quatre adolescents qui l’observaient avec de grands yeux, et la fugueuse qui lui avait valu un bon mal de crâne l’heure d’avant.

— Vous êtes des enfants, ne vous en mêlez pas, grinça-t-il. Goyah, faites attention, vous ne pouvez pas parler de ces criminels devant eux !
— Ces criminels, ils les ont affrontés il y a moins de vingt-quatre heures, lui rappela posément l’ex-Maître, et ils les ont vaincus. Ils méritent de savoir ceux à qui ils ont liés leurs destins.
— Liés leurs destins ? s’exclama Tcheren, incrédule, ayant le sentiment de perdre son temps. En voilà des sornettes de religieux !

Goyah secoua la tête, souriant imperceptiblement. On ne pouvait forcer des sceptiques tels que Tcheren, Aloé, Strykna, ou Watson à croire… Le monde était divisé entre ceux qui prenaient les Dieux pour de simples Pokémon Légendaires, à capturer et utiliser comme des outils, et ceux qui les vénéraient en tant que tel. Goyah croyait. Il avait trouvé la foi après la mort de son Starter. Il était convaincu, comme tous ceux qui vénéraient Arceus, que les destins des Humains et des Pokémon étaient liés après une seule rencontre… qu’il suffisait d’un regard pour que deux vies s’influencent.

« Quand deux êtres se rencontrent, quelque chose naît ». Cette inscription, qui venait des plaques sacrées de Sinnoh, expliquaient comme fonctionnaient le destin de tous. Au grès des réincarnations, suivant la rosace infinie de Giratina, les âmes se retrouvaient et se mêlaient, vie après vie après vie.

— Nikolaï était un des plus grands… non, le plus grand scientifique qu’a connu Unys, céda finalement Tcheren, soufflant. Il a d’abord fait des recherches en médecine, une thèse sur les similitudes entre les soins pouvant s’appliquer aux Humains et aux Pokémon à la fois.

Ses yeux agacés vissés sur Goyah, il ne vit pas Syd tressaillir. Il ne sut pas qu’il venait de changer le destin du garçon, de sa famille… et d’Unys.

— Il était brillant. Major de promotion à l’École de médecine de Janusia, la plus prestigieuse d’Unys et même de Poképolis. Il a même appris la mécanique et a créé des machines dont la technologie est en avance de vingt ou trente ans sur le niveau actuel de nos recherches. Watson et moi-même avons réussi à en récupérer après la chute de la Nouvelle Team Plasma… mais si nous pouvons nous en servir, nous ne comprenons toujours pas comment elles ont été construites. Nikolaï était vraiment… vraiment brillant.

Tcheren s’arrêta pour reprendre son souffle, fronçant les sourcils, à peine conscient des regards fascinés des enfants. Il était ailleurs, réfléchissant avec frustration au retard de la science sur la Team Plasma.

— Mais au fil du temps, ses recherches sont devenues de plus en plus extrêmes. Il a été radié de l’ordre des médecins. Il cherchait comme tirer le plein potentiel de la force des Pokémon, et comment ce potentiel était lié à la relation au dresseur… mais ses expériences avec l’isolement, les électrochocs et les drogues hallucinatoires allaient trop loin. Il aurait sans doute dû se contenter de la mécanique, jugea froidement le Champion. Mais comme je vous l’ai dit, il était fasciné par la médecine. Aucune université ne voulant de lui… il s’est tourné vers la Team Plasma.

On se leva et s’approcha avec hésitation. Tcheren sursauta, revenant à la réalité, et jugea le garçon—Syd—qui le fixait avec des yeux troublés.

— Nikolaï… il est encore vivant ? demanda-t-il, la voix posée mais empreinte d’une émotion que Tcheren ne savait identifier.

L’adulte plissa des yeux, se disant silencieusement que ce gamin n’était pas net. Goyah, à ses côtés, fronçait les sourcils et croisait les mains sur son ventre rebondi, intrigué.

— Si la Team Plasma se reforme, ATP ou NTP, il est en fait sûrement partie, murmura le Champion avant de se retirer.

Il avait quelques appels à passer.

(Les MystèreBall)
Tcheren s'assit devant le vieux visiophone de la bibliothèque et grommela. Il n'avait presque pas de réseau dans cette ferme et devait se rabattre sur ce PC antique. Il fallait espérer que la machine puisse supporter une conférence de quatre personnes. Soupirant, il repoussa quelques mèches de son front et redressa le col de sa chemise, se penchant pour discerner son reflet dans l'écran noir avant d'allumer l'engin.

Watson et Aloé répondirent immédiatement. Artie décrocha quelques secondes plus tard. Le champion de Volucité portait un tee-shirt à son effigie réalisé par des fans, et Tcheren réprima un éclair de jalousie.

— Bonjour à tous, débuta-t-il d'un ton très calme et très professionnel. Je vois qu'Artie va bien.

Artie arqua un sourcil avant de lui faire un sourire éclatant.

— Watson et Aloé ont aussi l'air d'aller très bien ! se précipita Tcheren. Je vais bien aussi. Tout le monde va bien. Tant mieux.

Un silence s'ensuivit. Aloé semblait amusée... Watson restait impassible. Tcheren sentit une goutte de sueur perler à sa tempe droite.

— Tu es sûr d'aller bien ? hasarda Artie.
— Oui ! s'écria Tcheren. Il déglutit. Je... je vous appelle pour discuter d'un incident qui a eu lieu à la ferme d'Amaillide, et puis de deux Pokéball que White a retrouvé dans un manoir abandonné sur le Mont Renenvers.

Il leur relata d'abord la tentative de vols des Ponchiot à la ferme, et expliqua que quatre adolescents s'étaient interposés. Aloé serra les dents en apprenant que son neveu était mêlé à l'incident et marmonna qu'elle allait devoir discuter avec lui. Elle lui posa ensuite quelques questions sur l'incident avant de parler de faits similaires ayant eu lieu à Maillard. Le nombre d'agressions de dresseurs et de vols de Pokémon avait triplé partout dans Unys depuis que la Team Plasma reprenait du service. Puis Tcheren pianota sur le clavier du visiophone et parvint à leur envoyer une photo des MystèreBall.

— ... elles ne ressemblent à aucune des ball vendues dans le commerce, et leur numéro d'immatriculation est introuvable dans la base de donnée du gouvernement. Je vous ai envoyé une photo.

Aloé fronça les sourcils, se penchant vers son écran pour mieux voir les balles grises.

— Cela voudrait dire que l'on a modifié leur numéro d'immatriculation, ou que quelqu'un les a effacées de la base de donnée...
— ... ou que ces balls n'ont pas été créées par le gouvernement, suggéra Artie à voix basse.
— C'est impossible, déclara Tcheren. Tu le sais très bien. À moins que tu ne crois réellement qu'une Team de bandits peut voler des plans secrets au gouvernement, maîtriser un processus aussi complexe que la fission atomique et...
— Depuis quelques années tu peux trouver le code ADN de presque n'importe quel Pokémon sur internet, répliqua Artie. Donc on sait que s'ils arrivent à créer une Pokéball, cette partie là du processus serait facile.
— Je ne...

Watson tapa du poing sur la table et ils sursautèrent tous. Le visiophone de la bibliothèque grésilla.

— Nous ne savons pas ce dont est capable Nikolaï, trancha-t-il. La fabrication de Pokéball a été rendue possible par des scientifiques à l'issu de la dernière guerre... il n'est pas exclu que l'équipe scientifique de la Team Plasma parvienne au même résultat.
— Dans ce cas, il leur suffirait effectivement de piocher des génomes dans des articles scientifiques pour parachever les Pokéball, soupira Aloé. Artie a raison. Tout est disponible sur internet, de nos jours. Rien que l'équipe de notre musée a publié deux articles au sujet de l'ADN prélevé sur trois de fossiles hier...

Il y eut un silence pesant. Les yeux des adultes se fatiguant à observer le découragement pixélisé de leurs collègues. Artie s'éclaircit la gorge.

— Il faut aussi envisager qu'ils encodent l'ADN de l'espèce humaine dans leurs Pokéball.
— Quoi ? Mais non ! se récria Tcheren. Aloé secouait la tête, horrifié. Pourtant Watson acquiesça.
— C'est possible.

Tcheren ne protesta pas. Ses collègues connaissaient très bien les inventions de Nikolaï pour les avoir étudié. Cet homme était un génie. Il était peut-être capable de recréer des Pokéball tout seul dans son laboratoire et il en avait les moyens.

— C'est possible, répéta Watson d'une voix calme, et il faut faire des analyses. Je suggère qu'Aloé s'en occupe discrètement.

Quand l'ancienne championne acquiesça, il fit un bref sourire. Tcheren serra les dents. Il n'y avait pas vraiment de quoi sourire, si ?

— Nous discuterons de ces Pokéball le moment venu. Pour l'instant, il nous faut nous concentrer sur les élections parlementaires. Le parti royaliste n'est qu'une coquille vide et il faut considérer que les Sages Lilien, Glaucus, Azelan et Auric représentent toujours la Team Plasma. Nous devons lutter contre ces candidats et les empêcher d'être élus à tout prix, gronda Watson.
— Lilien est candidat à Volucité... soupira Artie. Heureusement, il y a des jeunes très enthousiastes qui veulent manifester contre lui devant le local du parti royaliste...

Tcheren ferma les yeux. Il savait très bien que la Team n’était pas, comme il l’avait cru adolescent, une organisation de malfrats autour de laquelle gravitaient des idéalistes manipulés. La Team avait des racines beaucoup plus profondes et trouvait ses origines dans la plus ancienne noblesse d’Unys. Tous les noms civils des sages contenaient des particules, Nikolaï trouvait les fonds pour ses recherches dans les poches des plus riches unyssiens. Si Team Plasma n’était qu’une dérive récente d’ultras, elle participait d’une lutte de pouvoir bien plus complexe au sein d’Unys. Les anciennes élites souhaitaient regagner du pouvoir et de l’argent, et ne s’arrêteraient pas sur les moyens pour parvenir à leur fin.

Mais il avouait être dépassé devant cette nouvelle tactique de la Team Plasma. Il n'avait anticipé que les pseudo-Sages de la Team puissent fonder un parti politique en toute légalité et présenter une candidature aux élections parlementaires... Il n'avait pas anticipé qu'ils soient populaires auprès des unyssiens. Heureusement qu'aucun de ces bandits ne faisait campagne à Pavonnay.

— J'en discuterai davantage avec Artie, Strykna, Bardane et Zhu, conclut Watson. Nous nous rappèlerons au sujet des Pokéball de Tcheren quand Aloé aura des résultats préliminaires.

Tcheren raccrocha et regarda son reflet fantomatique dans l'écran noir, désemparé.

(Téléphone blanc)
Syd resta longtemps muet, ne remarquant même pas les regards perturbés des autres. Nikolaï… Pouvait-il soigner…

Otis.

Le garçon se redressa, soupirant. Il ne connaissait qu’une seule personne à qui se fier pour avoir plus de détails—sa tante Aloé. Et puis, lui avait correspondu sans interruption avec ses parents ces derniers jours, donc la possibilité de leur parler de vive voix ne l’effrayait pas du tout. Sans un mot, il gravit les escaliers et glissa le long du parquet antique des couloirs, s’arrêtant devant une porte où était accroché, en lettres d’or « Salle du PC ». Kitsch.

Kitsch, l’immense pièce que dissimulait la porte ne l’était pas du tout. Oscar n’avait pas pu tout à fait la détailler, étant absorbé par son espionnage, mais Syd la trouva véritablement impressionnante, telle une caverne d’Ali Baba.

Contre chaque mur se dressaient de grandes étagères étouffées tomes et cartes antiques, rependant des senteurs de moisi et de musc parmi les rainures du plafond. Les branches épaisses d’un chêne s’étaient introduites par les vastes fenêtres de la salle, qui avaient dû être réparées à la va-vite, brisées par les puissants appendices végétaux.

Autour des branches reposaient des feuilles mortes de l’année passée, balayées en un tas propre et coloré ; on avait aussi suspendu un hamac de toile blanche à deux des branches, et il se balançait doucement dans la brise qui rentrait par le mur brisé.

Syd se promena parmi les rayons de livres, effleurant leurs coiffes vermoulues de ses doigts légers. « Histoire d’Amaillide »… « Mille et une plantes médicinales »… « Jusqu’aux sources de la Nay »… tant de connaissances le caressaient, puis s’envolaient, oubliée à chaque pas qu’il faisait. Si seulement la bibliothèque possédait un livre sur la Team Plasma pour qu’il se renseigne sur Nikolaï…

Finalement, Syd s’arrêta devant un PC, antique selon tous les critères sauf ceux des livres patients de la bibliothèque, témoins silencieux du passage des années, des saisons, depuis aussi loin que la famille Camus s’en souvienne. Madame Lenoir était branchée sur une fenêtre Skype et il sursauta, ne s’attendant pas tout à fait à ce qu’elle soit déjà en ligne.

— Bonjour… fit-il prudemment, s’asseyant très proprement devant l’écran.
— Bonjour Syd, renvoya la scientifique un peu froidement. Avant que tu appelles ta famille, j’ai deux mots à te dire.

Elle lui fit la leçon pendant une dizaine de minutes, lui répétant de ne plus désobéir à ses directives et de la prévenir de ce qu’il faisait à tout moment—s’il changeait de ville, s’il gagnait un Badge, s’il avait un accident, il était censé le lui dire… au moins durant leurs appels hebdomadaires. Heureusement, voyant que Syd était sérieux et trouvait toutes ces requêtes parfaitement raisonnables, la thésarde s’adoucit et le félicita pour la capture de son Riolu.

Syd composa alors le numéro de sa mère, et quelle ne fut pas sa surprise de constater que son père, son frère et sa tante étaient aussi assis au bureau. Madame Lenoir leur raconta l’attaque de la Team Plasma, mais sa tante semblait déjà connaître la plupart des détails. Syd serra les dents, tendu, mais resta silencieux durant tout l'échange, laissant les adultes parler comme on le lui avait appris. Il attendit que la scientifique raccroche pour raconter sa propre version des faits.

Sa famille l'écouta et puis le gronda, le mit en garde, et puis le félicita. Son père le scrutait à travers l’écran pour vérifier qu’il n’était pas blessé. Son frère fit savoir que Syd avait été très courageux. Sa tante soupira. Elle n’aimait pas le voir mêlé à des affaires, mais elle était fière de lui.

Sa mère posa une main sur la caméra, comme pour poser une main sur son épaule.

[…]

Élin caressait tendrement Lucky, déterminée. Elle était plongée dans son monde, s’imaginant parcourir tout Unys, remporter tous les Badges d’Arène, défier la Ligue. Dans deux mois, elle serait assez forte pour vaincre son père et lui prouver qu'elle devait continuer son voyage initiatique.

Les yeux d’Oscar scrutaient chaque détail du sombre salon, s’attardant parfois sur un livre ouvert, une babiole luisante sous les lames sanglantes du soleil. L’obscurité se creusait avec la fin de l’après-midi, bientôt, il faudrait allumer les lumières, mais l’adolescent habituellement prompt à rendre service était plongé dans l’apathie. À quoi bon… À quoi bon appeler ses parents, après-tout, il était sûr qu’ils ne répondraient pas. Sans doute que son père avait trouvé une nouvelle activité excitante, peut-être de la plongée au large de Vaguelone, ou de l’escalade au Mont Couronné…

Elsa souriait, difficilement. Son père, Volucité… les mirages de son enfance, les garçons populaires, les filles qui rosissaient joliment, leurs bouches se tordant en des moues féminines, exagérées. Elsa se renvoyait observer les gens de sa classe à la cantine. Elle, elle était debout avec son plateau repas, pas encore assise, et des regards moqueurs lui firent peur. Elle retournait d'où elle venait. « Les bègues ne chantent pas ». Le père d’Elsa était un employé de bureau comme il y en avait tant ; il n’avait rien, rien pu faire. Sa fille n’avait jamais su trouver les mots ; pour lui, Elsa était tout simplement studieuse… le 12 juin 2999, à Amaillide, un caillot épais de cris, de protestations, de larmes contenues se forma dans la gorge d’Elsa, qu’elle ne put avaler. Il lui resta un cœur gros jusqu’au retour de Syd.

Elsa bondit vers les escaliers. Elle qui adorait tant lire, dévorer le temps avec les mots, elle ne remarqua même pas la bibliothèque, elle ne vit que le PC, madame Lenoir qui lui rappela les règles élémentaires du voyage… et bientôt le regard de son père.

— Bonjour ma fille chérie… l’accueillit-il, avec un large sourire, se pencha vers la caméra qu’il ne savait jamais cadrer, la moitié du visage disparaissant hors-champ.

Elsa lutta. Contre le caillot. Elle tenta de l’avaler, une fois, deux fois, encore ; mais madame Lenoir parla à sa place et raconta l’incident à son père décomposé. L’échange dura une dizaine de minutes avant que la scientifique ne raccroche, son père à moitié rassuré.

— C’est vrai tout ça ? s’inquiéta-t-il, scrutant sa fille à la recherche de blessure.

Et là… là, le caillot éclata.

— J-j’ai défendu le Ranch d’Amaillide contre la Team Plasma ! rugit Elsa.

Puis une de ses mains claqua contre sa bouche, elle se trouva horrifiée, alors que son père clignait des yeux et la fixait avec étonnement. Sa fille venait de crier. Peut-être pour la première fois de sa vie.

Elsa raconta tout, tout, tout. Son père fut tour à tour choqué, fier et inquiet. Il n’avait pas tout à fait compris l’ampleur de l’implication de sa fille en discutant avec madame Lenoir, mais la voir aussi fougueuse lui permettait de saisir… Elsa lui dit qu’elle voulait continuer le voyage, qu’elle avait réussi, qu’elle avait réussi à sauver la vie de quatre Ponchiot.

— Tu… Tu es vraiment sûre de vouloir continuer ? demanda quand même son père, confus.

Son père pensait : « j’ai déjà perdu ta mère »—Elsa pouvait toujours le détecter, quand il pensait à sa mère. Mais M. Hirata fini par sourire d’une véritable fierté, et il cajola doucement la caméra, comme s’il pouvait le faire avec les boucles soyeuses de sa fille.

— Tu sais, dit-il après un silence, maladroitement. Je trouve que tu bégaies beaucoup moins.

[…]

Oscar se faufila discrètement dans les couloirs sombres du Ranch, parmi les peaux de Buffalon et les têtes de Pokémon empaillées. Ses pas étaient si légers qu’il ne faisait pas grincer les antiques lattes de bois ; comme si, à chaque pas, il pouvait être si doux qu’il ne briserait pas son secret en polichinelle.

« Salle du PC ».

Cette fois, il vit la bibliothèque proprement et la salle lui coupa le souffle. Le grand dadet se glissa le long des imposantes branches du chêne, ongles mal limés s’accrochant dans les rainures de l’écorce molle et mousseuse, des branches lovées au creux des ombres de la bibliothèque. Il s’arrêta devant le PC et salua madame Lenoir.

— Hmpf, souffla la scientifique, l’étudiant avec irritation mais une étrange résignation. Que puis-je te dire, jeune homme ? De ne plus écouter aux portes ?
— Vous pouvez, oui… marmonna Oscar, gêné.
— Pardon ?
— Rien madame…
Bianca soupira.
— … Mais tu as défendu une ton amie, et ça, je le comprends. Oublions cette affaire.

Oscar composa docilement le numéro du portable de son père. Puis, quand personne ne décrocha, il tenta celui de sa mère. Enfin, celui du fixe. Les échos se prolongèrent dans le silence et il n’osa regarder la professeure, affreusement embarrassé.

— Mes parents sont souvent en voyage… bafouilla-t-il.

Madame Lenoir finit par le laisser, un peu troublée. L’adolescent ne semblait même pas surpris. Ses parents étaient-ils si distants ou peu attentionnés que ça ?

Seul, Oscar ricana amèrement. Il s’y était attendu. Il s’était attendu à ne pas avoir de réponse. Cela n’empêcha pas son cœur de se contracter soudainement, comme gorgé d’acide, ou de venin, puis de chuter dans sa cage thoracique en une déception étouffante. Par devoir, il laissa tout de même un message sur le téléphone de sa mère.

« Salut c’est Oscar, mon voyage initiatique se passe super bien, j’ai reçu une Vipelierre comme première Pokémon… ouais elle est du genre très enthousiaste. Les autres dans le voyage sont Syd, un garçon, et Elsa, qui était en fait dans ma classe depuis la maternelle… elle est super gentille. Y a aussi une fille super qui s’est incrustée, elle s’appelle Élin et on est devenus assez potes… Hier soir on est arrivé au Ranch d’Amaillide, qui s’était fait attaquer par la Team Plasma et on a sauvé leur quatre Ponchiot en vainquant les Sbires. Voilà. Rappelez-moi si vous pouvez. Bisous. Bye. »

Demain ils repartiraient, Marie et Syd leur avait préparé des sandwichs pour la route… demain ils repartiraient, mais en attendant, Oscar attrapa un épais livre sans même en regarder le titre, et se laissa mollement chuter dans le hamac. Se préparant à dévorer quelques heures avec des mots.

Il caressa la couverture du gros tome, regrettant un peu son choix tant le livre lui paraissait épais. Il lisait d’habitude peu, préférant des séries, mais il doutait pouvoir streamer sur le vieil ordinateur du Ranch. Alors il ouvrit le vieux bouquin et s’arrêta sur ses toutes premières lignes :

 « Il existe beaucoup de mystères dans le monde, de contrées oubliées et de légendes enfouies sous les poussières de l'âge. Mais la plus grande aventure qu’on puisse entamer, le plus profond mystère qui demeure à percer, c'est le conte féérique des Pokémon ! »