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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 24/08/2015 à 07:03
» Dernière mise à jour le 04/04/2020 à 05:03

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 03 : Sous les rayons de l'aurore...
(Modifié le 04/04/20)

(Les réalités d’un voyage)
Nos héros étaient finalement en route, s’élançant à l’aventure sur des chemins détrempés. Les quatre adolescents avaient sorti leur Pokémon et humaient l’air pur de la campagne, contemplant la prairie qui se teintait d’or sous les rayons de l’aurore… La journée s’annonçait belle et tiède—une légère brise chatouillait leurs bras exposés... Un silence serein s’était installé sur la route 19…

Il ne dura malheureusement pas longtemps. En effet, nos héros trouvèrent le moyen de se disputer malgré le paysage enchanteur. Syd trouva qu’Élin faisait trop de détours, puis qu’elle parlait trop fort posait trop de questions ; Élin se plaignit qu’il marchait trop vite, se comportait comme un rabat-joie et monopolisait la carte…

— Mais t’as fusionné avec ton portable ou quoi ? Et puis comment tu fais pour regarder la carte alors que t'es scotché à ton écran ? Franchement c'est inquiétant. On est très inquiets.
— Je discute avec ma famille.
— Oh la laaa, pardon monsieur « moa j’ai de nobles raisons de partir en voyage »… ! J’avais oublié que tu ne pouvais pas faire un pas sans parler à ta môman.
— Je ne discute pas avec ma mère mais avec ma tante Aloé.
— Bref on te tient la main à chaque étape du voyage, t’es un p'tit bébé !

Ou encore :

— Arrête de crier, tu me casses les oreilles.
— Ça s’appelle chanter, t’es sourd ou quoi ?
— Non. Mais là, tout de suite, j’aimerais bien.
— C’était pas la peine de nous suivre si c’était pour être aussi désagréable !
— Tu ne m’as pas laissé le choix je te rappelle, idiote.
— Hey tu veux te battre ?

Leurs disputes pouvaient même devenir encore plus puériles.

— Il faut aller à gauche pour suivre le ruisseau.
— Non, à droite, Amaillide est entourée de collines et y a des rochers à droite, donc faut aller à droite.
— Tu n’as de toute évidence aucun sens de l’orientation, ce n’est pas comme ça qu’on trouve une ville !
— Bah si en suivant des traînées de gratte-ciels c’est possible d’arriver à la Ville Noire, alors pourquoi pas suivre des rochers pour Amaillide ?
— Parce qu’il y a des rochers partout dans Unys !
— M’en fous, à droite.
— … Non, à gauche.
— À droite !
— À gauche !
— NON, À DROITE !

La gamine pensait qu’elle obtiendrait ce qu’elle voulait en criant le plus fort possible, comme une gamine riche et pourrie-gâtée.

… Souvent elle réussissait très bien. Elle hurlait si bien que tous s’empressaient de la satisfaire. Ou alors elle faisait « voter » les autres qui, voulant mettre fin à la dispute, abondaient tout le temps dans son sens.

À ce stade, soit la dispute dégénérait en ébauche de combat Pokémon, soit Syd ne trouvait plus ses mots et soufflait simplement un « RAH ! » éloquent. Il n’y pouvait rien, cette gamine l’énervait ! Elle perdait du temps à débusquer tous les Chacripan d’un chemin pour les écraser sans aucune once de compassion, faisait des pauses, des détours et le ralentissait dans son objectif !

S'il avait pu, Syd aurait voyagé seul.

Il avait comme en tête une idée de pureté : il était une flèche de couleur noire, simple et efficace, et son corps de flèche filait vers un seul objectif, trouver un remède pour Otis. Il avait tellement étudié toutes les possibilités, il les avait si longuement tournées et retournées dans son esprit, qu'il avait déjà tracé toutes les étapes qu'il devrait accomplir pour trouver ce remède, les personnages qu'il devrait rencontrer, les compromis à faire. Ainsi son corps de flèche n'avait qu'une seule route à suivre et devait ignorer le monde extérieur. Battre tous les Champions, payer à Otis l’hôpital la plus chère de Volucité et attendre.
 
Mais ce qu'il n'avait pas anticipé, sortant rarement du cadre de sa famille, c'est qu'il est impossible de tout le temps contrôler son environnement. Élin était comme un grain de sable qui avait enrayé les rouages bien huilés de son plan. Elle les emmenait vers le Ranch d’Amaillide, souriant, courant, criant trop fort. Seulement lui ne pouvait pas se permettre de se faire entraîner, de faire des zigzags le long de sa route. Ce serait trahir sa promesse envers son frère, son Idéal. Maudite Réalité. Maudits sentiments flous, hésitations. Le dresseur de Gruikui soupira, observant les ombres du matin se dissoudre.

Au moment de manger, Syd installa une tente et s'enferma dedans, à la grande surprise du reste des adolescents. De l'intérieur de la toile flottèrent des odeurs d'oignon, d'ail, de bacon, de bon riz blanc et de sauce poisson... bref, d'un délicieux riz frit. Les senteurs alléchantes se répandirent dans l'air humide du matin, et désespérèrent les autres ados, qui n'avaient pas vu de nourriture depuis l'aurore...
 
Problème : ils ne savaient pas cuisiner. Aucun d'entre eux.
 
— J'ai faiiiim, gémit Oscar.
— Je vais... mourir... soufflait quant à elle Élin avec un sens remarquable de la théâtralité…
— F-f-f-f-ai-aim... bredouilla Elsa, au bord des larmes. 
 
Finalement, Élin se traîna vers le peu de provisions qu'ils avaient apporté, trouva une immense casserole en fouillant dans les affaires des autres. De désespoir, elle mélangea tous les ingrédients, baragouinant une phrase ressemblant à ceci « whala la recette de la potion magique, maintenant faut pas tomber dedaaaaaans ». Bientôt la mixture devint noire, et une odeur rance s'éleva.
 
Élin avait mélangé du poisson, des épinards, de la sauce soja et du pesto.
Quand Oscar et Elsa rapprochèrent leurs visages du chaudron, dégoûtés, l'odeur les assaillit si violemment qu'ils devinrent verts et tournèrent de l'œil, leur chair maladive se fondant parmi la flore.
 
— Pfft, n'importe quoi, souffla Élin, vexée. Je parie que c'est bon !
 
Pour défendre ses talents de cuisinière, elle plongea une large cuillère en bois dans le ragoût et le goûta... mais elle ne put que le recracher tant elle crut vomir. En plus c'est cet instant précis que choisit Syd pour sortir la tête de sa tente et annoncer, perplexe :
 
— Ça pue. Il doit y avoir des gaz toxiques.
 
Il n'en fallut pas plus pour offenser Élin, qui partit devant en tapant du pied. Déçus, ados et Pokémon durent se remettre en route le ventre vide... sauf pour Syd et Gruikui, qui s'excusa auprès de ses collègues Starters, gêné. 

Après quelques heures, Élin se détendit et apprit à connaître Oscar. Rapidement les adolescents échangèrent des informations de base : « Élineera mais Élin c'est mieux — sexe féminin — douze ans — Ville Noire — fan de touuus les Pokémon — ambition : devenir maître Pokémon pour être plus forte que mon père ! » – « Oscar ça va très bien — Pistil — sexe masculin — treize ans — Volucité — fan de beaux Pokémon notamment Chinchidou ! — ambition : bahhh j'sais paaaas... ».

Oscar Pistil était ce que l'on pouvait appeler un baba-cool. D'ailleurs ses vêtements lâches et bariolés, mi-hipster mi-hippie, reflétaient très bien sa personnalité gaie et détendue. Le garçon détestait les prises de tête—enfin, « détester » était un bien grand mot pour lui, tout au plus pouvait-on dire qu'il entretenait une vague aversion pour les maux de crâne–-en conséquence de quoi, il étudiait à peine, ne faisait jamais ses devoirs, et du haut de ses treize ans adorait faire la fête. Aussi, s'il avait étudié à l'Académie Nationale de Dressage de Volucité depuis qu'il était assez grand pour marcher, il savait à peine dresser un Pokémon et comptait principalement (lire : totalement) sur son Pokédex.
 
Le fait que ses parents n'étaient jamais à la maison, se lançant dans des aventures romantiques aux quatre coins d'Unys et même du monde en le laissant seul des semaines entières, ne l'aidait pas à se mettre sérieusement au boulot.
 
Par contre, Oscar Pistil n'avait aucun mal à se faire des amis. C'était peut-être dû à son physique. Il était grand, mais un minimum musclé, faisant partie de cette catégorie enrageante de personnes qui ne prend jamais un pet' de graisse après trois fast-foods. Les traits de son visage d'un ovale parfait étaient fins et équilibrés, ses cheveux couleur bronze étaient soyeux, et son teint éclatant ; encore que le plus beau chez lui demeuraient ses iris clairs et verdoyants. En plus, son style vestimentaire attirait facilement l'attention dans la cours de récrée... 
 
À treize ans, Oscar avait déjà séduit un grand-nombre de fille, et il était fier de dire qu'il avait déjà roulé sa toute première pelle, eh oui, il avait réalisé un bisous Kalosien !
 
En plus de ses conquêtes féminines, Oscar avait à son actif un grand nombre d'amis « mecs » avec lesquelles il buvait avec fierté des canettes de « bière Vaututrice » et s'infiltrait en boîte de nuit—une fois l'adolescent avait aperçu le légendaire Mélis de loin, ce dont il se rappelait avec grand orgueil ! Il traînaillait en permanence chez les uns et les autres, au point que les parents de ses potos s'inquiétaient de ne jamais le voir chez lui, à travailler ou passer du temps en famille. Parfois, gênés, ils devaient le renvoyer à la maison pour que leurs enfants se reposent un peu... en tous les cas, les parents de ses amis le connaissaient mieux que les siens. 
 
C'est ce que l'adolescent se disait un peu amèrement, durant des soirées passées seul devant la télé. Mais il préférait ne pas s'attarder sur des pensées aussi sombres ! Car Oscar Pistil était homme à aimer le nouveau, le joyeux, le cool ! C’est pour cela qu’il n’avait pas d’ambition particulière : aussitôt qu’il se promettait de travailler pour quelque chose, un songe nouveau venait le remplacer.

— Ah bon, tu n'as pas de rêve ? s'étonna tout de suite Élin, qui n'avait songé qu'à accomplir un voyage initiatique depuis aussi loin qu'elle s'en souvenait.
— Naan pour l'instant j'veux juste découvrir le monde, lui répondit Oscar avec un sourire vague et confiant.

Wah, on aurait dit qu'il était aussi mou qu'un mollusque, seule l'admiration des beaux Pokémon lui tirait une quelconque émotion. Mais bon, ce n'était pas grave, elle ne le comprenait certes pas sur ce point mais il y avait tous les goûts dans la nature ! Son père Black était d'ailleurs bien différent de sa tante, White. Mais penser à sa famille lui faisait mal au cœur, alors Élin se força à rigoler et poursuivit sa discussion avec le garçon.

Ensemble, ils décidèrent de renommer sa Vipelierre :

— Peut-être un surnom en rapport avec « l'épisode du jeans », suggéra Élin, pensive...
— Ah oui oui t'as raison ! piailla Oscar. Ses yeux brillèrent et il déclara : je vais l'appeler Jeans !
— Jeans, c’est décidé ! sourit Élin.

Pendant ce temps, Elsa les observait, le cœur gros. Élin avait bien essayé de lui parler, mais elle avait trop longuement bégayé et la gamine était passée à autre chose. Tout juste avait-elle réussi à lui tirer confirmation de son prénom :

— Je m'appelle Élin, et toi ?
— E-E... Sa.
— Sa ?
— N-Non E-E-S-Sa.
— Sasa ?
— N-Non L-Lsa !
— Ah, Elsa !

Ah, dire qu'elle avait espéré qu'avec ce Voyage Initiatique, tout changerait, elle se ferait des amis... mais ses démons et défauts la rattrapaient, et puis, les dynamiques du groupe étaient enclenchées. Certains pouvaient prétendre à un titre, d'autre courraient après un peu de reconnaissance, et il était très dur de changer le cours des flots de l'amitié. « Les bègues ne chantent pas » comme sa mère disait. Elsa été coincée car dès le premier jour, elle n'avait pas su réagir... Comme à la rentrée du collège. À la rentrée de sa primaire. Ou avant… 

Oscar oubliait tout le temps son prénom. Il lui lançait « Ah Gretza, t’as vu ce Pokémon ? » ou « Zaza, ta Moustillon s’est encore perdue ! » et à chaque fois, elle n’osait lui rappeler son prénom. Car, depuis toute petite…

— Elba, est-ce que tu peux demander à ta Starter de laver le bas de mon pantalon ? Jeans est encore remontée dedans et elle était couverte de boue !

Elsa sursauta, tirée de ses souvenirs. Elle jeta un regard vexé au dresseur, blême. Mais elle se résigna et se prépara tout de même à appeler sa Pokémon quand Élin demanda, songeuse :

— Elle ne s’appelle pas Elsa ?

La voix de la blonde tira Syd de ses pensées noires, et il releva la tête, analysant rapidement la scène et fronçant les sourcils. Il n’avait pas beaucoup parlé aux deux autres, mais il savait déjà qu’Oscar était un écervelé et qu’Elsa était trop timide pour le remettre à sa place. Et Syd détestait l’injustice.

— Évidemment qu’elle s’appelle Elsa, trancha-t-il rudement. C’est si difficile pour vous de le retenir ?
— T’as dit quelque chose ? gronda Élin, se tournant avec menace vers le dresseur.

Oscar, sentant que la situation allait encore dégénérer, s’éloigna après un sourire et un coucou à Elsa. Le beau-gosse supportait difficilement les conflits et les disputes—quand ça criait fort il avait rapidement mal au crâne, et puis il ne voulait pas voir la charmante Élin s’énerver ! Aussi il disparut tel un ninja derrière un arbre, à la recherche de Pokémon… laissant les deux se disputer à propos d’Elsa.

— Oui, j’ai dit que tu pouvais faire un effort pour retenir le prénom d’une de tes camarades de voyage, c’est la moindre des choses.
— La moindre des choses aurait été de partager ta nourriture ce midi !
— Jamais, tu m’as pris pour quoi, ton serviteur ? Tu es peut-être habitué à ce qu’on cède à tous tes caprices mais ici, ce n’est pas toi qui fais la loi.
— Oh, j’ai peur, lui renvoya Élin avec une moue insolente. J’avais oublié que c’était toi, le fils à sa maman qui a un balais dans le cul, le chef du groupe !

La dispute dégénéra cette fois en combat Pokémon. Élin força un Baggy flemmard à taper Gruikui, qui se résigna à soutenir son dresseur, souffrant en silence. Elsa, depuis longtemps oublié par les deux adolescents mais coincée au centre du terrain, chercha à se retirer avec panique… malheureusement pour elle, la Loi de Murphy ne sévit pas qu’en aérospatial. La jeune fille trébucha sur une Balayette de Baggy et se fit brûler par des Flammèche avant de se rétamer de tout son long dans l’herbe humide.

Un silence catastrophé plana. Puis—

— Regarde ce que tu as fait ! rugit Syd.
— N’importe quoi, c’est de ta faute !
— Laisse tomber… siffla-t-il avant de se ruer vers la brune blessée. Elsa, je suis d…

La dresseuse fondit en larmes. Élin se figea. Mais Syd réagit instantanément, chercha les blessures sur le corps de la jeune fille et bandant son genou. Ensuite, il la redressa et l’invita à s’appuyer sur un jeune trop d’arbre, lui offrant une serviette propre. Élin l’observa, interdire. Jamais elle n’aurait jamais eu le réflexe de faire ça.

Une once d’admiration brilla en elle, mais elle l’étouffa bien vite, choisissant plutôt de s’approcher des deux autres et de poser la question fatale :

— Ça va ?

Elsa leva un regard baigné de larmes vers elle.

— N—Non !
— Tu as encore mal ? l’interrogea Syd.
— N-N—Non c-c’est pas ç-ça...
— Alors quoi ? se demanda Élin, perdue.
— Oh, c’est peut-être parce qu’Oscar oublie tout le temps son prénom, répliqua Syd, acerbe.
— Il vient à peine de la rencontrer ! réagit Élin. Certaines personnes ont une mauvaise mémoire, c’est tout !
M-M-Mais je le connais depuis la maternelle !

Élin et Syd écarquillèrent les yeux et inspirèrent.

— La maternelle ?!

[…]

Elsa Hirata faisait la même taille qu'Oscar Pistil. Oui, elle était aussi grande que lui. Ce fait l'avait toujours embêtée, embarrassée—peut-être, que si son corps était plus frêle, plus petit, elle plairait plus ? Peut-être que si son visage était plus rond, ses formes plus envoûtantes, les garçons de son école daigneraient lui adresser la parole.
 
Cependant, bon gré mal gré, Elsa mesurait un bon mètre soixante-dix du haut de ses treize ans. De son corps, on ne pouvait pas dire grand chose : les hanches étaient droites et masculines, les épaules larges. Son visage inspirait des sentiments plus mitigés ; il était fin, osseux, creusé d'ombres. Un grand nez aquilin surplombait ses lèvres très rouges mais trop fines ; le seul trait que l'on complimentait sans réserve, c'était les yeux. Les prunelles d'Elsa Hirata étaient luisantes, débordantes d'émotions et de gentillesse ; elles oscillaient entre un vert profond et un bleu des plus clairs, cerclé d'un gris orageux. Du reste, les os proéminents de son visage étaient engloutis par une tempête de boucles noires et légères, dont les arabesques rongeaient les joues et le front.
 
Elsa Hirata était rêveuse. Et elle était aussi très timide. À la maison, un père affectueux mais absent, une famille étendue trop policée pour être chaleureuse, et le fantôme de sa mère. À l'école, peu d'amies et pas d'amis. Elsa était douce, prudente, studieuse, et préférait s'enfermer dans les salles de classes pour réviser que de sortir durant les pauses... Elle avait peur. Aussi, elle détestait déranger, s'excusait trop souvent de sa présence.
 
Et puis, elle était amoureuse d'Oscar Pistil. Ils étaient dans la même classe depuis la maternelle. Ainsi chaque jour, son cœur battait quand il la frôlait, s'empoisonnait de jalousie quand il parlait à d'autres filles. Le contempler revenait pour elle à arrêter le cours du temps. L'écouter était la plus belle des musiques... Il hantait chacun de ses songes nocturnes. Chaque projet qu'elle avait patiemment et savamment rêvé lui ménageaient une part centrale, aimante.
 
Mais le beau-gosse insouciant ne l'avait jamais remarquée. Même pas au début du voyage, alors qu'Elsa pensait que la remise des Pokémon serait son occasion de briller. 

C’était ce qu’expliquait difficilement Elsa à Élin et Syd. Elle rougissait, balbutiait, mais sous les encouragements plus ou moins intéressés des deux autres, poursuivait son histoire.

— … e-e-et j-je suis a-amoureuse de lui… termina-t-elle, rouge écrevisse.

Elle avait espéré changer la donne quand elle avait appris qu’ils étaient sélectionnés pour le même voyage initiatique, mais finalement il n’y avait eu aucun changement.

— C’est quand même dingue d’avoir une aussi mauvaise mémoire ! s’étonna Élin. Le pauvre !
— Je ne crois pas qu’Oscar soit le plus à plaindre… marmonna Syd, les dents serrées.

Finalement, la brune les supplia de ne rien révéler à Oscar. Sinon, elle ne savait pas si elle pourrait le regarder en face ou même si elle oserait continuer ce voyage. Leur silence fut instantanément promis, Élin allant même jusqu’à imaginer des plans discrets pour que le beau-gosse tombe amoureux d’Elsa, pour la plus grande frayeur de cette dernière. Quand le grand dadet revint, il n’y paraissait plus. Toute juste Oscar remarqua-t-il que la gentille brune qui le fixait tout le temps—Etza ?—était blessée, et il lui demanda avec inquiétude si elle allait bien.

Mais ce fut tout.

Ils marchèrent en silence le reste de la journée et couchèrent à la belle étoile, observant la lisière des arbres s’agiter sous une légère brise d’été.

[…]

Elsa soupira. Au moins pouvait-elle se réconforter en observant le paysage.

C’était leur deuxième jour de marche. Le chemin qu'ils suivaient, entre prairies et forêt, était magnifique… En quittant Pavonnay, ils avaient aussi quitté les nuages gris. Ici le ciel était d'un bleu pâle, fatigué et délavé, mais lumineux et bienveillant. Des jeunes bosquets d'arbres aux cent nuances de vert, oscillant du clair anis aux sombres reflets, les encadraient solennellement, repoussés seulement par l'herbe haute et sauvages des champs, dorée et grouillant de Pokémon. Sous leurs pieds, le sentier était boueux, troué de petites flaques d'eau, et colonisé par des bataillons de marguerites... 

Cela dépaysait totalement Elsa, qui avait grandi parmi les immenses gratte-ciels de Volucité, anonyme perdue dans une foule revêche et pressée, perdue dans le bruit, les couleurs, perdue quand elle y rêvait, dans l'immensité de la mer qui battaient aux flancs de la mégapole... Volucité où le seul coin de verdure était le parc municipal. 

La jeune fille s'arrêta un instant, Moustillon à ses trousses, pour savourer le silence. La campagne... l'air pur... Une marguerite se pliait à ses pieds, délicate vie de blanc et de jaune. Elle la cueillit doucement, fascinée par la régularité des pétales. Cette fleur lui rappelait le seul souvenir qu'elle partageait avec Oscar...

Les garçons, suivant une bruyante Élin, la dépassèrent, s'éloignèrent lentement, tandis qu'elle replongeait dans ses songes passés.

Leur école, une des Académies Nationales de Dressage, était une des plus prestigieuses d'Unys. Elle préparait les élèves au combat, à la stratégie, à l'élevage, ou même à la chasse de shinys... Biologie, physique, mathématiques, histoire, littérature—tout était prétexte pour étudier les Pokémon, leurs attaques et leurs origines mystérieuses. L'Académie coûtait chère, et les classes étaient par conséquent très petites, ne comportant qu'une vingtaine d'élèves. Mais cela n'avait pas aidé Elsa à connaître Oscar... Même s'ils étaient dans la même classe chaque année, elle semblait avoir la consistence d'une ombre, d'un spectre, à ses yeux. Elsa devait donc se contenter de le voir rigoler avec d'autres filles.


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L'école montait chaque année une pièce de théâtre. Et à chaque fois, Elsa était sélectionnée pour un tout petit rôle, alors même qu'elle jouait depuis des années et avait toujours participé à l'atelier. La jeune fille avait même réécrit la totalité des pièces jouées devant l'école depuis ses onze ans... et elle avait montré ses scripts à la direction, espérant participer à la prochaine rédaction, mais ils avaient « tout perdu »... Alors cette année-là, elle avait renoncé à lutter, et avait accepté le rôle de Dame Marguerite, qui durant le grand bal de l'acte III, avait la chance de prononcer ces mots : « Merci beaucoup ! ».

Sauf que. Sauf qu'un projecteur avait éclaté, qu'elle avait crié, qu'elle était tombée de la scène dans la panique, qu'Oscar était au premier rang et qu'il l'avait rattrapée ! Dans son costume, avec son maquillage, il ne l'avait pas reconnue du tout, elle la mieux notée de la classe, fille trop grande au visage bizarre et osseux... Lui, le plus populaire des quatrièmes, garçon souriant aux yeux les plus verts et beaux du monde, l'avait aidé à se redresser l'avait même draguée ! 

« Dis-donc ma belle, les filles comme toi feraient mieux de ne pas abimer leur jolis visages ! Tiens, si jamais t'as besoin d'aide, voilà mon zéro-six... »

Mais évidemment elle n'avait jamais osé l'appeler. 

Elsa leva les yeux, vers l'horizon rosissant par-delà les champs. Ils étaient sur la crête d'une colline, et avaient vu sur d'immenses champs d'or... Le soleil chutait lentement, mais sûrement, dans les cieux, libéré des nuages cotonneux de la journée. Bientôt le ciel sera teinté du sang de nos morts.

Hm. Aha, elle écrivait souvent des scripts un peu glauques, aussi...

Elle reporta son regard sur Oscar, soupirant. Le hippie dérivait, cueillant quelques fleurs au bord de la route, et les présentait à Élin, qui affrontait des Chacripan.

— Baggy ! GO ! … Euuuh tape-la !
 
Les adolescents avaient vite compris qu’Élin ne connaissait aucun nom d’Attaque. Elle leur avait vaguement grommelé que son père était silencieux et ne lui avait pas appris le dressage, ce qui les avait intrigué—n’avait-elle pas eu de professeur à l’école ? Dans tous les cas, la blonde était si peu douée avec son Pokédex qu'elle ne parvenait pas à en extraire les informations nécessaires, le jetant avec rage dans l'herbe dès qu'il lui affichait « Erreur 404 »...

Au moins Oscar prit-il la peine de lui expliquer pourquoi son Pokédex lui affichait cette fameuse « Erreur 404 » : elle appuyait tout simplement sur le bouton « Recherche » avant d'avoir tapé un item à rechercher. Hem.
 
— Tu vois, si t'écris « Chacripan » avant d'appuyer sur la loupe, il va t'afficher le profil de Chacripan... s'employa à lui expliquer le beau-gosse.
— Mais j'ai pas envie de voir le profil de Chacripan ! protesta Élin.

... un ange désespéré passa.

— Ok, je t'apprends autre chose alors ! enchaîna un Oscar imperturbable. Regarde, si j'enlève ce cran de sécurité, tu pourras voir toutes les Attaques et les statistiques de tes Pokémon en pointant le Pokédex sur eux...
 
Bientôt, ce fut à Syd d'affronter un Chacripan, qu'il traita avec beaucoup plus d'égard qu'Élin—laissant par exemple le temps au pauvre Pokémon de riposter. Oscar battit un Rattentif, Elsa, toute tremblante, arracha de justesse une victoire à un deuxième rongeur. Elsa filmait tous les matchs pour les montrer à Bianca Lenoir, et Syd lui offrit un sourire poli. Et la dresseuse osa même adresser la parole au dresseur réservé.
 
— J-Je crois q-q-que s-si ça avait é-été un C-Chacripan, je l'aurais capturé... énonça-t-elle, le coeur battant la chamade, serrant les plis de sa jupe blanche jusqu'à s'en meurtrir la paume des mains.

Syd se surprit à lui sourire une seconde fois, touché par l'effort de la brune.

— Moi aussi j'aime bien ces Pokémon, contrairement à Élineera.
— I-Ils sont... t-très élégants, compléta Elsa, soulagée.
— Mais je ne sais pas si j'oserai capturer un Pokémon dès le premier jour de notre voyage.

Ils marchèrent ensuite de longues heures en silence, ne sachant pas trop quel sujet de conversation aborder quand le groupe était parcouru de telles tensions. Chacun était plongé dans son monde…

Mais bientôt... un léger vrombissement s'éleva. Non, c'était plutôt, une mélopée, qui semblait sculptée par l'air lui-même, tressée d'herbes hautes, aussi grave que la terre humide, mais aux aigus de galets crissant… Elsa, à l'ouïe très fine, était la seule à l'entendre. Mais si n’en trouva pas la source, même lorsque que la mélodie se fit aussi joyeuse que leur feu de camp.

Alors elle pensa à Oscar, et se demanda si elle serait assez forte pour lui avouer un jour son amour.

[…]

Le soir du troisième jour de voyage, Elsa s’isola. Elle se cacha dans un bosquet d’arbres à quelques dizaines de mètres du groupe et démarra un tout petit feu de camp pour s’occuper, le cœur lourd.

— ... nouveau départ, murmura-t-elle.

Entre les arbres elle était à l’abri, à l'abri des regards, à l'abri des autres, de leurs voix, de leurs rires, des pirouettes d'Élin qui n'en ratait pas une pour se faire remarquer, des oublis à répétition d'Oscar, de la mauvaise humeur de Syd… Ce garçon, c’était plutôt dingue, les efforts qu'il faisait tout pour ne pas s'intégrer au groupe, comme s'il était uniquement de passage, comme s'ils étaient des boulets pour lui... 

Elsa attisa le feu en tentant de ne penser à rien.

Le ciel se tentait d'ocre, de brun, de lavande. Il avait fait beau toute la journée, le genre de ciel que l'on ne voit qu'une fois dans sa vie il paraît : d'un bleu vibrant et infini, libre de toute contrainte, de tout nuage. La plaine autour d'eux était immense, seulement parsemées de quelques arbres, ces immenses sentinelles aux silhouettes rachitiques et élimées, les cyprès. Partout autour du groupe et du campement, des ruisseaux, des rivières, et il leur semblait que jamais le silence ne s'installait, l'air était en permanence mouvant, empli du murmure chantant des cours d'eau.

Ce devrait être une scène de paix et d'enchantement. Au lieu de ça, ils se disputaient. Finalement elle était la seule à n'embêter personne ! ... Était-ce pour ça, qu'Oscar se permettait de l'appeler Melba, Zelda... ?

Sérieusement, c'était Elsa son prénom, quand est-ce qu'il allait le retenir ? Et dire que la dresseuse de Moustillon en était réduite à être reconnaissante envers Élin, Élin qui était devenue l'amie d'Oscar dès le premier jour…  Son rapport avec l'autre fille était si contradictoire, qu'à chaque fois qu'Elsa y pensait elle se sentait jalouse et coupable de l'être à la fois. Du côté d'Oscar, c'était plutôt le désespoir qui primait. 

Moustillon s'approcha d'Elsa d'un air doux, mais apeurée par les flammes, ne put câliner sa maîtresse comme elle le voulait.

— N-N'aie p-pas peur, l'encouragea la dresseuse avec un pâle sourire. Les f-flammes ne sortiront p-pas du cercle de pierre, et p-puis tu es de Type Eau non ?

Même toute seule, même quand elle se sentait en confiance, Elsa bégayait. C'était venu quand elle était toute petite. Aussi longtemps que son père s'en souvienne, sa fille balbutiait... au point que la mère, en entendant les premiers mots, s'était demandé si sa fille n'avait pas une ouïe déficiente, si elle n'entendait pas tout en double... 

Ailleurs les autres s'entraînaient. Elsa apercevait Syd par flashs, quand ses Pokémon dépassaient la lisière du bosquet d'arbre où le dresseur s'était réfugié. Il avait l'air d'un pro, leur donnant des instructions précises, travaillant une seule Stat à la fois. Élin faisait n'importe quoi, comme à son habitude. Son entraînement ressemblait à un colin-maillard. 

Elsa aussi aurait pu s'entraîner. Elle savait tout, connaissait par cœur tous les cours de l'Académie. Mais la brune ne voulait pas soumettre sa Moustillon à une telle brutalité aujourd'hui... Elle ne savait pas si elle voulait être dresseuse, finalement. Elle perdait courage.

— T-Tu sais, j'en a-aurais vraiment besoin... d'un n-nouveau d-départ... murmura-t-elle à sa Pokémon.
— Mouss... 

Et la Pokémon Eau trouva finalement le courage de se rapprocher de sa dresseuse, s'installant en douceur sur ses genoux, la frimousse compatissante. Prunelles vert-d'eau luisantes.

— T'as j-jamais rêvé de t-tout recommencer, t-toi ? demanda Elsa douloureusement, à tout hasard. Tu t'es j-jamais dit... et si j'étais pas t-timide ? Et si j'étais m-moins grande ? Et si j'étais belle au-au-aussi ?

Elle marqua un temps d'arrêt. 

— Oui, m-mais c'est pas si facile... murmura-t-elle, à l'adresse qui, elle ne le savait pas. 

Cependant sa Moustillon répondit quand même d'un petit couinement inquiet, et elle s'empressa de rassurer la Pokémon, le prenant dans ses bras. Dans les cours de l'Académie, on lui avait dit que les Pokémon, surtout les plus jeunes, voyaient leurs dresseurs comme une famille... Alors elle était en quelque sorte, une maman. Et pour Elsa, une mère reste forte, quoiqu'il arrive.

— D-Dans une autre langue, il y a un m-mot qui a cette... cette s-signification. N-Nouveau départ. 

Sa Pokémon la fixa, attentive.

— A-Ama-maryllis, ça te p-plairait comme s-surnom ?
— Mouss... réfléchit le petit monstre d'eau.

Quelques secondes passèrent, et Elsa sentit son cœur battre nerveusement. C'était ridicule mais elle sentait, que si sa Pokémon n'acceptait pas son offre, jamais elle n'aurait de nouveau départ... tout dépendait de sa Start— 

— Stillon ! sourit celle-ci joyeusement.
— A-Ah bon ? répondit Elsa en un souffle ébahi. C'est—c’est oui ?
— Ioooon !

Alors elle pouvait tout effacer. Et repartir à zéro. Elsa attrapa tendrement sa Pokémon et virevolta un instant des les champs, se sentant plus légère que l'air. Elle était seule – mais cette fois ce n'était plus une malédiction. Seule mais optimiste, oui, elle allait pouvoir s'intégrer ! À partir de maintenant, la brune de Volucité allait oser. Ce 11 Juin 2999... était son Amaryllis.

Que de croyances ridicules, de rêves d'enfants.


(Obscurcie)
Syd s’éveilla en pensant à Otis. Il sortit son téléphone portable et relut les textos qu’il avait échangé avec sa famille la veille, nostalgique. Son grand-frère devait être à l’hôpital à l’heure qu’il était… sans doute en train de regarder cette série débile, niaise, et fausse, dont ils connaissaient tous le générique par cœur… « Il existe beaucoup de mystères dans le monde, de contrées oubliées et de légendes enfouies sous les poussières de l'âge. Mais la plus grande aventure qu’on puisse entamer, le plus profond mystère qui demeure à percer, c'est le conte féérique des Pokémon ! »

Jamais un Pokémon n’avait pu guérir Otis de sa paralysie, pourtant. Seuls des humains pourraient le faire, avec des techniques adaptées spécifiquement à son grand-frère—Syd en était convaincu. Il gagnerait autant d’argent qu’en avait Élin, et démarcherait les meilleurs hôpitaux privés du pays, même de Poképolis s’il le fallait !

Galvanisé, le dresseur tira les autres adolescents de leur somme, voulant se mettre en marche le plus tôt possible. Malgré les ronchonnements d’Élin, qui détestait recevoir des ordres, et la maladresse d’un Oscar pas réveillé, ils parvinrent à se mettre en marche sans se blesser ou enflammer la prairie.

Oscar et Élin reprirent bientôt leur discussion de la veille. Le grand dadet proposa une barre de céréales à Elsa… « regarde, la marque s’appelle Nesla, comme toi ! » et Syd lui rappela patiemment le prénom de la brune. À mesure qu’ils avançaient, le soleil colorait la prairie d’or, rendant le paysage féérique. Les adolescents sourirent, libérant leurs Pokémon pour qu’ils puissent profiter du paysage, eux aussi.

Malgré tous les petits tracas de la marche, les réalités d’un voyage, la nature restait enchanteresse à leurs yeux.

— HEY REGARDEZ ! Je crois qu'on arrive bientôt à Amaillide ! s'écria soudain Élin, silhouette noircie par le soleil levant.
— Ah bon, déjà ? s'étonna Oscar. On est trop forts !

Syd et Elsa échangèrent un regard empreint de trépidation avant de se lancer à la poursuite des autres, courant vers le haut de la crête.

— Ah bah oui ! poursuivait Oscar. Je vois un genre de clocher… au loin…?
— L-La t-tour de l-l’Horloge, souffla Elsa, répondant avec nervosité au beau-gosse.
— Il faut qu'on trouve le ranch, rappela calmement Syd. 
— Sans voir Amaillide ? C’est mort ! répliqua Élin. Il fait chaud, je veux une glace !
— Ça nous ralentira encore ! s’agaça Syd.
— On vote ? sifflota-t-elle.
— NON !

Syd perdait tout le temps les votes d’Élin !

Ricanant, la blonde, l’élément perturbateur du voyage, mena le chemin vers Amaillide, courant, titubant contre les pierres saillantes du chemin. Ses épis brillant sous le soleil, elle les guida vers la ville.

Et merde ! jura Syd.