Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Liasses
de JCo

                   



Si vous trouvez un contenu choquant, vous pouvez contacter la modération via le formulaire de contact en PRECISANT le pseudo de l'auteur du blog et le lien vers le blog !

» Retour au blog

#5. L'Existence et le Temps.

Fragment 43


« Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l'avenir. Nous ne pensons point au présent, et si nous y pensons ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi, nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux il est inévitable que nous ne le soyons jamais ».

Blaise PASCAL, Pensées.

« L'homme est cette créature incapable de demeurer dans son temps »


« On distingue ordinairement trois moments du temps : le passé, qui n'est plus, le présent et le futur qui n'est pas encore. Il s'agit bien de trois moments et non de trois parties, car comme le montre Aristote, le présent n'est pas véritablement une partie du temps mais la limite entre le passé et l'avenir. À prendre les choses en toute rigueur, nous ne pouvons être qu'au présent. Ce que nous avons été, nous ne le sommes plus, et ce que nous serons demain, nous ne le sommes pas encore. Mais dans ce présent qui est nécessairement le nôtre, nous pouvons soit prendre ce présent même pour objet de notre conscience et de notre préoccupation, soit nous rapporter, par la mémoire ou l'imagination aux temps qui ne sont pas. Il est vrai que c'est toujours maintenant que je me souviens et maintenant que j'imagine l'avenir. Dans l'acte de ma mémoire ou de mon imagination, je ne puis quitter le présent où ils s'effectuent. En revanche, dans l'intention qui est alors la mienne, je me suis transporté en des temps qui ne sont pas. C'est ainsi que selon l'intentionnalité, le temps devient comme une sorte d'espace dont les parties pourtant réellement non existantes sont ouvertes à mon vagabondage. C'est maintenant que j'anticipe demain et cette anticipation remplit mon présent. Cependant, anticiper demain c'est intentionnellement avoir quitté aujourd'hui. C'est errer hors du temps où je suis.

Les stoïciens avaient déjà remarqué que l'homme est enclin à fuir le lieu où il est pour chercher dans les voyages un allègement de son ennui. Or, sans bouger de place, nous faisons tous de même avec le temps. L'homme est celui qui ne peut exister que dans des temps irréels. Pourquoi cette fuite dans l'irréalité ?

Il s'agit d'abord d'un constat. L'homme est décrit comme celui qui est incapable de tenir au présent. L'homme est un être d'anticipation mais aussi de regret ou de nostalgie. Ainsi l'homme se trouve-t-il toujours en un autre lieu que celui où il devrait se tenir. L'anticipation le conduit non seulement à espérer mais aussi à vouloir raccourcir la durée qui le sépare du bonheur entrevu. Il y a ici une double vanité : en un sens stoïcien, il est vain d'espérer puisque l'événement à venir n'est pas en mon pouvoir. Mais il est encore plus vain de vouloir écourter le temps. D'une part, cela n'est pas possible tant il est vrai que le temps s'écoule inexorablement ; d'autre part, vouloir ainsi écourter le temps revient à se priver d'un temps qui nous est pourtant mesuré. Ainsi, ce désir que le temps s'accélère, s'il se réalisait, ne ferait que nous mener plus rapidement à la mort.

Mais l'homme veut aussi que reste le passé qui s'écoule trop rapidement. Il souhaite alors arrêter le temps. Que l'homme ait vécu un moment heureux ou que le passé soit naturellement embello, on juge que le temps passe trop vite. Comme l'on ne peut ni accélérer le temps ni le ralentir, ni vivre dans l'avenir, ni demeurer dans le passé, l'homme est cet être impuissant et vain qui se promène dans des temps purement irréels. Il mène alors une existence imaginaire perdant par là même l'occasion de vivre le seul temps qui lui appartienne, le présent.

Notons qu'il ne s'agit pas du
Carpe diem de Horace, c'est-à-dire de cette injonction à s'emparer du moment présent parce que l'existence humaine est fragile, le temps filant sans cesse ; vivre au présent ne consiste pas ici à profiter de la vie mais bien plutôt mener l'existence qui convient à un être qui sait son âme est immortelle et qu'il convient ici et maintenant de songer à son salut.

On pourrait dire ici, de manière nietzschéenne, que l'homme renonce à son existence temporelle au profit d'une vie bien plus irréelle et improbable. Mais pour Pascal, le présent ne doit pas être négligé ; ce n'est pas qu'il ait de la valeur en lui-même mais c'est en lui et en lui seulement que l'homme peut méditer sur lui-même et réfléchir à sa condition. Qui vit dans le passé ou dans l'avenir, dans la nostalgie ou dans l'espoir manque à son devoir qui est de songer à sa condition.

Ainsi, l'homme est cette créature incapable de demeurer dans son temps, le présent, de même qu'elle est incapable de demeurer en un lieu. L'homme quitte le présent comme il quitte sa chambre, ne supportant pas de reste avec lui-même. Or, l'existence qu'il mène hors de chez ou hors de lui le conduit à une existence irréelle, celle du divertissement ; de même, l'existence qu'il mène hors de son temps lui fait manquer la seule réalité qui soit en son pouvoir. Il n'existe pas ; il attend d'exister. Il existe sur le mode de l'espoir, du lendemain. Ce qui entretient ce mode d'existence est le bonheur, bonheur qui est toujours à venir et qui nous conduit à faire du présent un simple passage vers ce qui seul importe, l'avenir. C'est bien le présent qui se trouve nié au profit d'un temps dont nous ne savons rien. La pensé commune tient pour très raisonnable de faire du passé et du présent les moyens de l'avenir. Elle croit que nous seront d'autant plus heureux que nous nous serons mieux préparés à l'être et que nous aurons mieux disposés aujourd'hui les moyens et les conditions de notre bonheur futur. Ne faut-il pas semer pour récolter ? Or le paradoxe pascalien nous enseigne au contraire qu'agir ainsi c'est vivre sur le mode des préparatifs. C'est à ce mode que nous nous sommes convertis en négligeant le présent. Aussi sommes-nous devenus pour toujours des êtres d'attente. C'est bien l'existence qui n'en finit pas de ne jamais advenir à l'existence
».

Bernadette-Marie DELAMARRE, Pascal et la cité des hommes.
Article ajouté le Jeudi 20 Mars 2014 à 12h55 | |

Commentaires

Chargement...